Tribunal administratif N° 26364 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2009 3e chambre Audience publique du 14 juillet 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
__________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26364 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2009 par Maître Marisa Roberto, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Brésil), de nationalité brésilienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 1er septembre 2009 déclarant irrecevable sa demande en obtention d’une autorisation de séjour et à titre subsidiaire, la déclarant non fondée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 février 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Céline Marchetto, en remplacement de Maître Marisa Roberto, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.
___________________________________________________________________________
Le 24 mars 2009, Monsieur …, de nationalité brésilienne, signa à la commune d’Esch-
sur-Alzette une déclaration d’arrivée de ressortissant de pays tiers.
Par courrier du 7 mai 2009, Monsieur … s’adressa au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour solliciter une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg en tant que membre de famille de son épouse, Madame ….
Par décision du 1er septembre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, entre-temps en charge du dossier, désigné ci-après par « le ministre », déclara irrecevable la demande de Monsieur …. A titre subsidiaire, le ministre signala encore que ladite demande serait à rejeter sur le fondement des articles 69 (1) et 38 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », tout en informant Monsieur … qu’il serait obligé de quitter le territoire.
Ladite décision est libellée comme suit :
« Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, votre demande est irrecevable alors que selon l'article 73, paragraphe (4) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, la demande en obtention d'une autorisation de séjour est introduite et examinée alors que les membres de famille résident à l'extérieur du pays.
Du fait que vous n'invoquez aucun élément exceptionnel pour motiver l'introduction de la demande à Luxembourg, l'article 73, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 précitée n'est pas applicable.
A titre subsidiaire, je vous signale que conformément à l'article 69, paragraphe (1) de loi susmentionnée, « le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d'un titre de séjour d'une durée de validité d'au moins un an et qui a une perspective fondée d'obtenir un droit de séjour de longue durée et qui séjourne depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois, peut demander le regroupement familial des membres de famille définis à l'article 70 (…) ».
Etant donné que Madame … dispose d'un titre de séjour valable du 16 mars 2009 au 19 février 2010, la première condition de l'article susmentionné n'est pas remplie.
Ainsi, votre épouse ne remplit pas les conditions exigées pour prétendre au regroupement familial prévu par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
A titre tout à fait subsidiaire, vous ne remplissez pas les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une des catégories d'autorisation de séjour prévues par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 susmentionnée.
Par conséquent, et après vérification expresse des éléments prévus à l'article 103 de la loi précitée, le séjour vous est refusé sur base de l'article 100 de la loi alors que vous vous trouvez sur le territoire luxembourgeois depuis plus de trois mois sans disposer d'une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois.
Conformément à l'article 111 de la même loi, vous êtes obligé de quitter le territoire sans délai, soit vers votre pays d'origine, soit à destination d'un pays dans lequel vous êtes légalement autorisé à résider. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2009, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 1er septembre 2009, déclarant irrecevable sa demande en obtention d’une autorisation de séjour et, à titre subsidiaire, la déclarant non fondée.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière d’autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit contre la décision ministérielle déférée.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement expose que la demande en obtention d’une autorisation de séjour de Monsieur … avait été rejetée au motif que son épouse ne remplissait pas les conditions légales du regroupement familial, telles que prévues par l’article 69 de la loi du 29 août 2008. Or, depuis le 8 février 2010, l’épouse du demandeur serait titulaire d’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié valable jusqu’au 1er février 2012, de sorte qu’elle remplirait désormais les conditions de l’article 69 de la loi du 29 août 2008. A l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant à l’intérêt à agir du demandeur eu égard à cette dernière considération.
Si l’intérêt à agir s’apprécie en règle générale au moment du dépôt de la requête introductive d’instance, encore faut-il que cet intérêt se maintienne tout au long de l’instance, sous peine de voir devenir la demande sans objet1.
En l’espèce, force est de constater qu’au moment de l’introduction de la requête introductive d’instance, la demande de Monsieur … avait été refusée, notamment au motif que son épouse n’était pas titulaire d’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié valable jusqu’au 1er février 2012, de sorte qu’il disposait d’un intérêt à agir. Si le délégué du gouvernement met en cause l’intérêt à agir du demandeur, il y a lieu de constater que même à admettre que l’épouse du demandeur remplisse désormais la première des conditions énumérées à l’article 69 de la loi du 29 août 2008, le ministre ne s’est pas prononcé sur les autres conditions prévues à l’article 69 précité et le demandeur ne s’est pas encore vu attribuer une autorisation de séjour, de sorte que son intérêt à agir contre la décision déférée est toujours actuel.
Le moyen d’irrecevabilité tiré d’un défaut d’intérêt à agir est partant à rejeter.
Aucun autre moyen d’irrecevabilité n’ayant été soulevé, le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur explique qu’il entretiendrait depuis de nombreuses années une relation amoureuse avec Madame …, qu’il aurait épousée le 5 décembre 2008 au Brésil. Son épouse aurait vécu plusieurs années au Luxembourg, bien que sa situation n’ait été régularisée qu’en date du 16 mars 2009 par l’obtention d’une autorisation de séjour, valable jusqu’au 19 février 2010. Il aurait rejoint son épouse, ainsi que le fils de cette dernière le 10 mars 2009 au Luxembourg, muni d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois. Avant l’expiration dudit visa, il aurait sollicité auprès du ministre l’obtention d’un titre de séjour en tant que membre de famille de son épouse.
En droit, le demandeur soutient que ce serait à tort que le ministre aurait déclaré irrecevable sa demande en obtention d’une autorisation de séjour. En effet, l’article 73 (5) de la loi du 29 août 2008 permettrait au ministre, dans des cas exceptionnels dûment motivés, d’accepter que les membres de la famille se trouvent d’ores et déjà sur le territoire du Grand-
Duché au moment de l’introduction de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour. En l’espèce, la situation aurait été exceptionnelle puisqu’il se serait déjà trouvé sur le territoire luxembourgeois et ce en situation régulière au moment de l’introduction de sa demande. D’ailleurs l’article 39 (3) de la loi du 29 août 2008 permettrait au bénéficiaire d’un titre de séjour supérieur à trois mois de solliciter avant l’expiration de son titre de séjour un autre titre auprès du ministre.
Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait à bon droit déclaré irrecevable la demande de Monsieur …, en application de l’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008 puisque ce dernier aurait introduit sa demande alors qu’il se trouvait déjà sur le territoire luxembourgeois, sans pour autant faire valoir que sa situation serait exceptionnelle. Par ailleurs, le représentant étatique soutient que l’article 39 (3) de la loi du 29 août 2008, invoqué par le demandeur, ne serait pas applicable en l’espèce.
Aux termes de l’article 73 de la loi du 29 août 2008, figurant sous la sous-section 6, intitulée « L’autorisation de séjour du membre de famille du ressortissant de pays tiers » :
1 cf. Cour adm. 13 juillet 2006, n° 21155C du rôle, Pas.adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n°19.
« (1) La demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.
(…) (4) La demande est introduite et examinée alors que les membres de la famille résident à l’extérieur du pays.
(5) Le ministre peut, dans des cas exceptionnels dûment motivés, accepter que lors de l’introduction de la demande, les membres de la famille se trouvent déjà sur le territoire luxembourgeois ».
L’article 38 de la même loi définit les cas de figure dans lesquels le ressortissant d’un pays tiers peut séjourner sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour une durée supérieure à trois mois.
L’article 39 de la même loi dispose que : « (1) La demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1 doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. L’autorisation ministérielle doit être utilisée dans les quatre-vingt-dix jours de sa délivrance.
(2) Dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s’il rapporte la preuve qu’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise, et si le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique.
(3) Par dérogation au paragraphe (1) qui précède, le bénéficiaire d’une autorisation de séjour supérieure à trois mois, à l’exception des personnes visées à la sous-section 4 et sans préjudice de l’article 59, peut avant l’expiration de son titre de séjour faire la demande en obtention d’une autorisation à un autre titre auprès du ministre, s’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie qu’il vise ».
Il se dégage de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, visant les demandes d’autorisation de séjour de ressortissants de pays tiers en général et de l’article 73 de la même loi, visant plus spécifiquement les demandes d’autorisation de séjour de membres de famille d’un ressortissant de pays tiers, que la demande d’autorisation de séjour doit en principe être introduite alors que le demandeur de l’autorisation se trouve à l’extérieur du pays et que ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’une telle demande peut être introduite alors que l’intéressé se trouve déjà sur le territoire luxembourgeois.
En l’espèce, le demandeur se prévaut plus particulièrement de l’exception prévue à l’article 39 (3) de la loi du 29 août 2008. Toutefois, ledit article 39 (3) ne s’applique qu’aux personnes d’ores et déjà bénéficiaires d’une autorisation de séjour au sens de l’article 38 de la loi du 29 août 2008, qui a été émise pour une durée supérieure à trois mois et qui veulent obtenir une autorisation de séjour à un autre titre.
Le tribunal est amené à constater, contrairement aux affirmations du demandeur, qu’il ne ressort pas des pièces versées en cause que ce dernier était détenteur d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois au moment de l’introduction de sa demande. En effet, dans sa demande du 7 mai 2009, le demandeur n’a pas sollicité un changement de son titre de séjour émis pour une durée supérieure à trois mois, mais l’attribution d’une autorisation de séjour en tant que membre de famille. Enfin, le demandeur n’a versé en cause aucun titre de séjour, attestant de son autorisation de séjourner sur le territoire pour une durée supérieure à trois mois.
La déclaration d’arrivée sur le territoire, versée en cause, ne saurait énerver le constat qui précède, étant donné que cette déclaration ne constitue qu’une attestation de l’arrivée au Grand-Duché de Luxembourg d’une personne, et non point une autorisation de séjour.
D’ailleurs, aux termes de l’article 40 (1) de la loi du 29 août 2008, invoqué en cause par le demandeur, la déclaration d’arrivée sur le territoire est à effectuer par le ressortissant d’un pays tiers, autorisé à séjourner au pays, dans un délai de trois jours à compter de son entrée sur le territoire, de sorte que l’autorisation de séjour doit être délivrée préalablement à la déclaration de l’arrivée.
Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur n’était pas, au moment de l’introduction de sa demande, titulaire d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, de sorte que l’article 39 (3) de la loi du 29 août 2008 n’est pas applicable en l’espèce.
Le demandeur se prévaut encore de l’exception prévue à l’article 73 (5) de la loi du 29 août 2008.
Il convient de rappeler qu’en vertu de l’article 73 (4), précité, la demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de famille est en principe à introduire alors que les membres de la famille résident à l’extérieur du pays. Toutefois, le ministre peut accepter, dans des cas exceptionnels et dûment motivés, que la demande soit introduite alors que les membres de la famille se trouvent déjà sur le territoire luxembourgeois.
Dans ce contexte, il convient de rappeler que si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité.
En l’espèce, force est de constater que dans sa demande, Monsieur … n’a fait valoir aucun élément exceptionnel, de nature à justifier le fait qu’il a introduit sa demande alors qu’il se trouvait au Luxembourg. En effet, dans son courrier du 7 mai 2009, le demandeur s’est limité à solliciter un titre de séjour en tant que membre de famille en expliquant que son épouse habite au Luxembourg et que les époux souhaitent construire leur avenir au Luxembourg.
Si le demandeur explique dans sa requête introductive d’instance que l’élément exceptionnel consisterait en l’espèce précisément dans le fait qu’il se trouverait déjà au Grand-Duché du Luxembourg, force est au tribunal de rappeler qu’il est saisi d’un recours en annulation et partant amené à procéder à l’analyse de la légalité de la décision au moment où elle a été prise. Or, lors de la prise de la décision, le ministre ne disposait d’aucune explication du demandeur, permettant de justifier l’existence d’un éventuel cas exceptionnel motivant le fait qu’il a introduit sa demande à partir du Luxembourg.
Il découle des éléments qui précèdent que c’est à bon droit et sans commettre une erreur manifeste d’appréciation que le ministre a déclaré irrecevable la demande en obtention d’une autorisation de séjour introduite par Monsieur …, en application de l’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008, au motif qu’il n’a pas introduit sa demande alors qu’il résidait à l’extérieur du pays.
Par conséquent, la légalité de la décision ministérielle litigieuse ayant déclaré irrecevable la demande de Monsieur … n’est pas utilement énervée par les moyens présentés par le demandeur, de sorte que son recours est à rejeter comme étant non fondé, sans qu’il y a lieu d’analyser plus en avant les autres moyens de fond présentés par le demandeur.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Françoise Eberhard, juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2010 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16.07.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6