Tribunal administratif Numéro 26398 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2009 3e chambre Audience publique du 30 juin 2010 Recours formé par la société anonyme … SA, contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’aides en faveur du secteur des Classes moyennes
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le n° 26398 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2009 par Maître Marc Kleyr, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … SA, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision du 26 octobre 2009 prise par le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement lui refusant l’octroi d’aides en faveur du secteur des classes moyennes ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2010 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2010 par Maître Marc Kleyr pour le compte de la demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Fanny Mazeaud, en remplacement de Maître Marc Kleyr, et Madame le délégué du gouvernement Sousie Schaul en leurs plaidoiries respectives.
Le 13 août 2007, la société anonyme … SA, ci-après dénommée « la société … », sollicita auprès du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement une aide à l’investissement en application de la loi du 30 juin 2004 portant création d’un cadre général des régimes d’aides en faveur du secteur des Classes moyennes, ci-après dénommée « la loi du 30 juin 2004 ».
Le 30 octobre 2007, ledit ministre refusa de faire droit à cette demande par une décision libellée comme suit :
« La commission consultative dont la composition et le fonctionnement sont déterminées par le règlement grand-ducal du 30 mai 2005 a émis à l’unanimité un avis défavorable, étant donné que d’après les errements administratifs, les investissements effectués en relation avec un bureau comptable ne sont pas pris en considération pour l’octroi d’une aide au titre de la loi-cadre des classes moyennes.
Comme les ministres compétents partagent les analyses de la commission consultative, ils sont au grand regret de ne pouvoir réserver une suite favorable à votre demande ».
Par un jugement du 10 décembre 2008 (n° 24181 du rôle), le tribunal administratif annula la décision ministérielle du 30 octobre 2007 et renvoya le dossier au ministre en prosécution de cause. Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 18 juin 2009 (n° 25300C du rôle).
A défaut de prise d’une décision suite au jugement et à l’arrêt précités par le ministre des Classes moyennes et du Tourisme, dorénavant en charge du dossier, ci-après dénommé « le ministre », la société … déposa en date du 19 octobre 2009 au greffe du tribunal administratif une requête en nomination d’un commissaire spécial sur le fondement de l’article 84 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif.
Par décision du 26 octobre 2009, le ministre refusa de faire droit à la demande de la société …, sur base des considérations suivantes :
« Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait, après le jugement du 18 juin 2009 de l'appel y relatif, l'objet d'une nouvelle instruction administrative prévue à l'article 13 de la loi reprise en marge.
Lors de l'instruction du dossier, il a été constaté qu'au moment des investissements et de l'introduction de la demande votre société n'avait pas affilié de salariés auprès du CCSS.
Ainsi, étant donné que la majeure partie des investissements présentés n'a pas pu être utilisée par votre société, le Ministre des Finances et moi-même sont au grand regret de ne pas pouvoir réserver une suite favorable à votre demande, conformément aux dispositions des articles 1 et 15 de 1a loi précitée.
Ainsi, à défaut d'avoir eu un quelconque affilié auprès du CCSS, vous présentez par exemple un investissement de 10 (dix) ordinateurs. Ce fait laisse à présumer que les factures présentées ne portent pas sur des investissements utilisés par votre société.
Par ailleurs, je me réserve le droit de recourir aux mesures de l'article 16 de la loi-
cadre du 30 juin 2004 précitée ainsi que de dénoncer les faits au Parquet, la tentative d'abus des deniers publics représentant une infraction pénale.(…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2009, la société … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle du 26 octobre 2009.
Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, seul un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision litigieuse.
Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
En premier lieu, la demanderesse invoque un défaut de motivation de la décision sous examen en se prévalant de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.
Le délégué du gouvernement soutient que l’avis de la commission consultative aurait été joint à la décision ministérielle du 26 octobre 2009 et que cette décision serait motivée à suffisance, tout en donnant à considérer que les motifs pourraient valablement être précisés en cours d’instance.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse conteste, d’une part, que l’avis de la commission consultative ait été joint à la décision ministérielle litigieuse, et fait, d’autre part, valoir que ledit avis ne serait pas motivé, contrairement aux exigences de l’article 5 du règlement grand-ducal du 18 janvier 1989 déterminant le fonctionnement et la composition de la commission prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, pour en conclure que l’avis serait dépourvu de toute valeur. Elle déduit de ces deux constats qu’il conviendrait de se référer à la seule décision ministérielle pour apprécier si celle-ci est motivée à suffisance. Enfin, elle soutient que les précisions complémentaires fournies par le délégué du gouvernement en cours d’instance ne pourraient être prises en compte au motif que la faculté accordée à la partie étatique de fournir de telles précisions devrait être appliquée de façon stricte.
Le tribunal a relevé à l’audience des plaidoiries que les développements de la partie demanderesse au sujet de la communication et de la motivation de l’avis de la commission consultative ont pour la première fois été présentés dans le mémoire en réplique, de sorte qu’à supposer qu’il s’agisse de moyens autonomes, la question de leur recevabilité pourrait le cas échéant se poser. Le tribunal constate néanmoins que ces développements s’inscrivent dans le cadre du moyen ayant trait à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, de sorte qu’ils ne seront examinés que dans ce même contexte.
En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux » et elle « doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base » notamment lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.
Cette disposition consacre dès lors le principe que d’une manière générale toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.
Au regard des contestations de la partie demanderesse et à défaut par la partie étatique de prouver que l’avis de la commission consultative était joint à la décision litigieuse et ait partant été communiqué à celle-ci, il convient de se référer à la seule décision ministérielle pour apprécier si celle-ci est suffisamment motivée.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision de refus litigieuse comporte une motivation, certes sommaire, face à la demande en attribution d’une aide à l’investissement dont était saisie le ministre, consistant dans le constat du ministre que la demanderesse n’aurait pas utilisé elle-même la majeure partie des investissements présentés à l’appui de sa demande eu égard à un défaut d’affiliation de salariés au moment de la demande, respectivement au moment des investissements. A titre d’exemple, le ministre se réfère à l’investissement relatif à dix ordinateurs invoqué par la demanderesse. Le ministre a encore précisé que le refus est basé sur les articles 1er et 15 de la loi du 30 juin 2004. Cette motivation doit être considérée comme suffisante au regard de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979, précité, étant entendu qu’il suffit que l’énonciation de la cause juridique et des circonstances de fait soit sommaire.
Pour le surplus, il convient de relever que même à admettre que la décision litigieuse ne comporte pas une motivation suffisante, cette seule circonstance ne saurait emporter l’annulation de la décision, dans la mesure où l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (Cour adm.
20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 68).
En l’espèce, le délégué du gouvernement a, au cours de la présente instance, fourni des précisions complémentaires par rapport à la motivation contenue dans la décision litigieuse.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une prétendue violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, laisse d’être fondé.
En second lieu, la demanderesse soutient que la décision litigieuse se heurterait à l’autorité de la chose jugée tirée de l’arrêt du 18 juin 2009, précité, rendu par la Cour administrative. Elle fait valoir que la Cour administrative aurait retenu, d’une part, que le ministre ne pourrait imposer d’autres conditions que celles prévues par la loi du 30 juin 2004 et par ses règlements d’exécution et qu’il ne disposait d’aucun pouvoir discrétionnaire en la matière, et, d’autre part, qu’elle remplit toutes les conditions de la loi du 30 juin 2004 et du règlement grand-ducal du 19 février 2005 portant exécution de l’article 7 de la loi du 30 juin 2004. Ainsi, en imposant des conditions supplémentaires à celles prévues par la loi, en l’occurrence une condition tenant à un nombre minimum de salariés et une condition tenant à l’affectation des investissements par la société elle-même, le ministre aurait violé l’autorité de la chose jugée attachée au prédit arrêt.
Le délégué du gouvernement rétorque qu’il n’y aurait pas violation de l’autorité de la chose jugée dans la mesure où l’objet et la cause des deux affaires seraient différents.
L’autorité de la chose jugée, dont est revêtue une décision judiciaire définitive, n’a, aux termes de l’article 1351 du Code civil, lieu que pour autant qu’il y ait identité des parties, de l’objet et de la cause. L’autorité de la chose jugée s’attache au dispositif de la décision ainsi qu’aux motifs qui en sont le soutient nécessaire.
L’obligation du respect de l’autorité de la chose jugée se traduit à l’égard de l’autorité administrative par l’article 2 (4) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, qui dispose que « lorsque le jugement (…) annule la décision attaquée, l’affaire est renvoyée (…) devant l’autorité dont la décision a été annulée, laquelle, en décidant du fond, doit se conformer audit jugement (…) ».
L’autorité de la chose jugée impose à l’administration de respecter la cause juridique de l’annulation, mais il ne lui est pas interdit de prendre la même décision sur un autre fondement que celui qui a été la cause d’annulation de la première décision, sous réserve de la sanction par le juge administratif d’un détournement de pouvoir.
En l’espèce, le refus initial du ministre du 30 octobre 2007 d’accorder des aides étatiques à la demanderesse était fondé exclusivement sur la considération que par principe les investissements effectués en relation avec un bureau comptable ne pourraient pas être pris en considération pour l’octroi d’une aide sur le fondement de la loi du 30 juin 2004. Il ressort de l’arrêt du 18 juin 2009, ayant confirmé le jugement du 10 décembre 2008 par lequel ledit refus du ministre a été annulé, que la Cour était saisie de ce seul motif de refus.
Force est cependant de constater qu’il se dégage de la décision ministérielle du 26 octobre 2009, ainsi que des explications fournies en cours d’instance par le délégué du gouvernement, que le refus du ministre actuellement sous examen est fondé sur d’autres considérations que celles ayant motivé le refus initial, à savoir en substance sur le constat que la demanderesse n’utiliserait pas elle-même les investissements dont elle se prévaut pour solliciter des aides étatiques et qu’elle ne respecterait ainsi pas le principe de l’investisseur-
exploitant qui résulterait des articles 1er, 2 et 15 de la loi du 30 juin 2004 et que, d’autre part, certains investissement sortiraient du champ d’application de ladite loi, en l’occurrence de son article 2, et, enfin sur le reproche d’avoir fourni des informations incorrectes permettant aux termes de l’article 16 de la même loi au ministre d’exclure une entreprise des aides.
Le présent litige implique certes les mêmes parties et a trait à la même demande de la société … en vue de l’attribution d’aides étatiques, qui est accueillie négativement par le ministre. Néanmoins, le refus est fondé sur d’autres considérations que le refus initial et la Cour administrative n’était pas saisie des motifs de refus actuellement avancés par le ministre et ne pouvait dès lors forcément pas se prononcer sur le bien-fondé de ces motifs.
Il est encore certes vrai que la Cour administrative a retenu que le ministre n’a pas un pouvoir discrétionnaire en la présente matière et qu’il ne peut pas refuser l’octroi d’aides si les conditions de la loi du 30 juin 2004 et de ses règlements d’exécution sont remplies. Or, en l’espèce, le ministre, après une nouvelle instruction du dossier, met justement en cause que les conditions de la loi du 30 juin 2004 et de ses règlements d’exécution soient remplies. C’est à tort que la demanderesse soutient que la Cour administrative aurait retenu qu’elle remplit toutes les conditions de ladite loi. En effet, la Cour s’est limitée à constater que la demanderesse dispose d’une autorisation d’établissement et ne figure, par ailleurs, pas parmi les entreprises dont l’activité est exclue du champ d’application du régime d’aide. Pour le surplus, la Cour a relevé qu’ « il n’est pas contesté que la société … se conforme aux conditions prévues par la loi du 30 juin 2004 et à ses règlements grand-ducaux ». Or, actuellement le ministre conteste justement que ces conditions soient remplies.
Le fait avancé par la demanderesse que les considérations actuellement mises en avant par le ministre n’ont pas été invoquées antérieurement et plus particulièrement dans la décision ministérielle du 30 octobre 2007 ne porte pas à conséquence dans la mesure où le ministre est en droit, après nouvelle instruction de la demande, de faire état d’éléments qui n’ont pas été invoqués préalablement et qui partant n’ont pas fait l’objet des débats devant les juridictions administratives dont les décisions sont invoquées à l’appui du moyen fondé sur une violation de l’autorité de la chose jugée. L’autorité de la chose jugée, combinée aux dispositions de l’article 2 (4) de la loi du 7 novembre 1996, précitée, impose au ministre uniquement de respecter le dispositif de l’arrêt du 18 juin 2009 et les motifs qui en sont le soutient nécessaire, en l’occurrence l’annulation du refus ministériel et la cause de l’annulation, à savoir la sanction du constat du ministre que par principe un bureau comptable ne peut pas bénéficier des aides litigieuses.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une violation de l’autorité de la chose jugée laisse d’être fondé.
En troisième lieu, la demanderesse reproche au ministre un détournement de pouvoir.
En l’occurrence, elle soutient que le nouveau refus du ministre aurait été émis dans le seul but d’empêcher la nomination d’un commissaire spécial, tout en soulignant que le ministre n’a pas pris une décision pendant plus de quatre mois depuis le prononcé de l’arrêt du 18 juin 2009, malgré ses rappels, et que la décision n’aurait été prise qu’une semaine après le dépôt de la requête en nomination d’un commissaire spécial. Le ministre n’aurait pas agi dans un but d’intérêt général, mais uniquement dans l’optique de l’empêcher d’accéder à un acte juridiquement valide, en l’occurrence de l’empêcher d’obtenir l’attribution des aides sollicitées. Le ministre aurait ainsi usé de ses prérogatives pour éluder son obligation de se conformer à l’arrêt de la Cour administrative du 18 juin 2009.
Le délégué du gouvernement, de son côté, soutient que la décision de refus, même si elle n’a été notifiée à la demanderesse que le 26 octobre 2009, aurait été signée par le ministre déjà le 2 octobre 2009, donc avant l’introduction de la requête en nomination d’un commissaire spécial. Il conteste ainsi que le ministre ait pris sa décision dans le but d’empêcher la nomination du commissaire spécial. Le représentant étatique conteste encore que le ministre ait agi dans un but autre que l’intérêt général, tout en insistant que le ministre doit veiller à ce que des fonds publics servant au subventionnement soient gérés en bon père de famille et ne soient pas dilapidés. Dans ce contexte, il soutient que la demanderesse aurait de façon délibérée présenté au ministre une fausse réalité, de sorte que sur le fondement des articles 15 et 16 de la loi du 30 juin 2004, le ministre pourrait prendre des mesures à l’égard de professionnels qui se seraient fait accorder indûment des aides étatiques.
La demanderesse conteste dans son mémoire en réplique qu’elle ait fourni de fausses indications au ministre.
L’annulation pour détournement de pouvoir tend à sanctionner l’obligation pour les autorités administratives d’agir exclusivement dans l’intérêt général. Le détournement de pouvoir consiste dès lors dans le fait pour l’administration d’exercer une compétence dans un but autre que celui pour lequel cette compétence lui a été conférée, étant précisé que la charge de la preuve d’un détournement de pouvoir incombe à celui qui l’invoque.
Il se dégage du dossier administratif versé en cause qu’en date du 2 octobre 2009, la commission consultative a rendu un nouvel avis sur la demande présentée par la demanderesse suite à l’arrêt de la Cour administrative du 18 juin 2009 et que, le même jour, le ministre, ensemble avec le ministre des Finances, a signé une décision de refus. S’il est vrai que ce refus n’a été porté à la connaissance de la demanderesse que par lettre du 26 octobre 2009, soit après l’introduction de la requête en nomination d’un commissaire spécial, il n’en reste pas moins qu’il se dégage des éléments du dossiers, non autrement contestés par la demanderesse sous cet aspect, que la décision de refus a été prise antérieurement. S’il avait encore été souhaitable qu’une décision suite à l’arrêt de la Cour administrative du 18 juin 2009 ait été prise plus rapidement, il n’en reste pas moins que le délai d’un peu plus que trois mois qui s’est écoulé jusqu’à la prise de la décision n’est pas excessif à un point tel à dénoter une volonté de l’autorité administrative d’agir dans un but autre que l’intérêt général. Le refus en lui-même, eu égard aux explications fournies par la partie étatique qu’il est motivé par le souci du ministre de ne pas dilapider des deniers publics en ce sens que le ministre a suspecté la demanderesse d’avoir fait des déclarations incorrectes afin de bénéficier de paiements indus, au-delà de toute considération quant au caractère justifié de ces reproches, ne permet pas non plus de retenir une volonté du ministre d’user de ses prérogatives dans un but autre que l’intérêt général. Il s’ensuit qu’au regard des éléments à la disposition du tribunal, la demanderesse n’a pas établi que le ministre ait agit dans un but autre que l’intérêt général, de sorte que le moyen fondé sur un détournement de pouvoir est à rejeter comme étant non fondé.
Enfin, la demanderesse soutient, d’une part, qu’elle remplirait les conditions prescrites par la loi du 30 juin 2004, ce qui aurait été retenu par la Cour administrative, et, d’autre part, que les motifs avancés par le ministre pour justifier son refus ne seraient pas pertinents.
Quant à la pertinence des motifs avancés par le ministre à l’appui de son refus, la demanderesse soutient que le ministre imposerait des conditions supplémentaires à celles requises par la loi du 30 juin 2004 et par ses règlements d’exécution. D’après la demanderesse, ces conditions seraient inscrites à l’article 1er de la loi du 30 juin 2004, et elle fait valoir que parmi les conditions prévues par la loi du 30 juin 2004 et ses règlements d’exécution ne figurerait aucune condition tenant à la nécessité de prouver l’affiliation d’un certain nombre de salariés avant l’introduction d’une demande en vue de l’obtention d’aides étatiques. Par ailleurs, la demanderesse conteste ne pas avoir de salariés, et affirme qu’elle emploierait depuis le 1er janvier 2007 deux salariés, et depuis respectivement le 1er mai 2008, le 8 septembre 2008 et le 1er février 2009 trois autres salariés. Elle soutient en outre qu’il ne serait pas établi que l’investissement dont elle fait état ne serait pas utilisé par elle-même.
Elle en conclut que le ministre ne saurait de manière arbitraire et discrétionnaire imposer des conditions supplémentaires par rapport à celles prévues par la loi et par ses règlements d’exécution et tenant à la nécessité de prouver que les investissements soient réalisés pour le propre compte de la société et tenant à la nécessité d’employer un certain nombre de salariés au moment où les investissements sont réalisés.
Subsidiairement, dans l’hypothèse où les conditions imposées par le ministre étaient considérées comme justifiées, la demanderesse fait valoir que les éléments de fait sur lesquels le ministre s’est basé seraient erronés. Après avoir rappelé son objet social, la demanderesse soutient que la notion d’entreprise au sens de l’article 1er de la loi du 30 juin 2004 devrait être considérée comme une unité économique de production. A cet égard, elle se réfère à la recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises et fait encore état d’une interprétation a contrario de l’article 1er, paragraphe 5 de la loi du 30 juin 2004 à propos des entreprises dépendantes. Il s’ensuivrait qu’une même entreprise pourrait comprendre plusieurs établissements voire être composée de plusieurs entités juridiques différentes, à condition qu’elles constituent ensemble une seule entité économique. Dans cette optique, elle se réfère encore à des jurisprudences rendues en matière de droit du travail.
Elle précise que les sociétés … Sàrl et … Sàrl seraient ses sociétés filiales, lui appartenant à 100% respectivement à 90%. Elle soutient qu’elle-même et ses deux filiales constitueraient une seule et même entité économique et sociale, de sorte qu’elles devraient être considérées comme une entreprise unique. Cela expliquerait que la demanderesse ait réalisé un investissement ayant pour objet 10 ordinateurs. A ce titre, elle se prévaut encore d’attestations testimoniales suivant lesquelles elle aurait effectué en sa qualité de société mère des investissements nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des sociétés dépendant de son entreprise en mettant notamment à disposition de ces sociétés du matériel informatique.
Cette manière de procéder serait tout à fait courante, en ce que des sociétés mères effectueraient des investissements qu’elles mettraient par la suite à la disposition de leurs sociétés filiales. La demanderesse et ses filiales constitueraient par leur complémentarité, l’interpénétration de leurs activités et du fait d’une direction commune une seule et unique entité économique et sociale devant être considérée comme une entreprise unique. Elle définit une entreprise comme étant une structure économique et sociale regroupant des moyens humains et matériels travaillant de manière organisée pour fournir des biens ou des services à des clients dans un environnement concurrentiel (de marché) ou non concurrentiel (de monopole). La demanderesse accomplirait des actes de commerce en fournissant des prestations de service et les investissements effectués par elle auraient pour seul but de lui permettre de promouvoir ses activités telles qu’elles ont été définies dans ses statuts. Enfin, elle précise que les trois entités formant d’après elle une unité économique, emploieraient ensemble un nombre total de 24 salariés.
A titre encore plus subsidiaire, la demanderesse fait valoir qu’une entreprise nouvellement créée investirait d’abord dans le matériel nécessaire à la réalisation de son objet social et engagerait seulement par la suite des salariés, de sorte qu’il serait incohérent d’exiger la preuve de l’emploi d’un certain nombre de salariés avant même la réalisation de l’investissement, de sorte qu’une telle interprétation serait contraire à la finalité de la loi du 30 juin 2004.
Le délégué du gouvernement rétorque que les articles 1er, alinéa 2, et 2 de la loi du 30 juin 2004 poseraient le principe de l’investisseur-exploitant. Ce principe, qui serait encore indirectement confirmé par l’article 15 de la même loi, impliquerait qu’une personne physique ou morale ayant obtenu des aides étatiques pour les investissements dans des immobilisations corporelles ou incorporelles est également censée les exploiter durant les délais légaux. Ce principe de l’investisseur-exploitant trouverait sa source et sa raison d’être dans les principes et définitions comptables. Ainsi, uniquement les investissements dans les immobilisations corporelles et incorporelles seraient susceptibles d’être subventionnés. En l’occurrence, la demanderesse aurait principalement fait état d’investissements dans des immobilisations corporelles, qui, en matière comptable, constitueraient un actif corporel contrôlé par l’entreprise pour pouvoir être utilisé dans la production de biens ou de services voire à des fins administratives ou encore pour pouvoir être loué à des tiers. Cette classification comptable représenterait ce que possède l’entreprise et ce qui sert en même temps durablement à l’exploitation de l’entreprise. Se poserait dès lors la question de savoir si les investissements invoqués par la demanderesse sont réels et s’ils constituent des immobilisations corporelles ou incorporelles respectant le principe de l’investisseur-
exploitant.
Par rapport à cette question, le représentant étatique fait, en premier lieu, valoir que les investissements dans le mobilier et le matériel informatique relevant d’un contrat de leasing ne tomberaient pas dans le champ d’application de la loi du 30 juin 2004, de sorte que ces dépenses seraient à exclure de la demande afférente de la demanderesse. En effet, d’après le règlement grand-ducal du 10 juin 2009 déterminant la teneur et la présentation d’un plan comptable normalisé, le leasing mobilier relèverait de la classe 6 « compte de charges », tandis que les immobilisations corporelles et incorporelles pouvant être prises en compte pour les aides étatiques relèveraient de la classe 2 « comptes de frais d’établissement et d’actifs immobilisés ». Les frais relatifs au leasing de mobilier respectivement de matériel informatique serait dès lors à considérer comme une charge et non pas comme des immobilisations corporelles ou incorporelles.
En second lieu, le délégué du gouvernement considère que les investissements invoqués par la demanderesse ne satisferaient pas au principe de l’investisseur-exploitant. Il souligne que les investissements pour un montant total de … euros invoqués par la demanderesse viseraient du matériel ou du mobilier devant en principe servir à l’exploitation et que l’étendue de ces investissements permettrait de présumer que 20 à 30 salariés travailleraient au sein de la société. Or, depuis sa création en novembre 2006 jusqu’en 2008, la demanderesse n’aurait compté, à part ses deux dirigeants affiliés comme indépendants, aucun salarié et, depuis le courant de l’année 2003, seulement trois salariés se seraient ajoutés à l’effectif. Cet effectif serait cependant insuffisant pour exploiter 30 ordinateurs et 30 logiciels. A partir de ces considérations, le représentant étatique présume que la demanderesse n’est pas l’exploitant du mobilier et du matériel, qui serait alors exploité par des tiers. Une telle façon de procéder serait contraire au principe de l’investisseur-exploitant et mettrait en échec le système des aides étatiques en ouvrant indirectement le bénéfice d’aides étatiques à des personnes qui en seraient exclues ou qui en ont éventuellement déjà bénéficié.
Même à admettre que le matériel ne serait pas exploité par des tiers, le refus ministériel resterait néanmoins légitime dans la mesure où les effectifs de la demanderesse permettraient au mieux l’exploitation seulement d’une partie du matériel et du mobilier, de sorte que les investissements seraient à considérer comme excessifs et usuraires, voir inutiles.
L’Etat en tant que gardien des intérêts publics devant agir en bon père de famille en limitant les subventions aux investissements utiles devrait s’abstenir de subventionner des investissements douteux ou inutiles tel que cela serait le cas en l’espèce.
A côté d’une violation du principe de l’investisseur-exploitant, la partie étatique fait état des articles 16 et 17 de la loi du 30 juin 2004, en soutenant que la demanderesse aurait, dans son formulaire de demande, fourni en connaissance de cause des informations incorrectes. La demande initiale aurait en effet été présentée comme celle d’une seule société indépendante, tandis qu’actuellement la demanderesse affirme que les aides seraient destinées aux différentes sociétés constituant une entreprise, tandis qu’elle aurait omis d’indiquer dans le dossier de demande qu’elle ferait partie d’un groupe de sociétés.
Le délégué du gouvernement conteste l’analyse de la partie demanderesse au sujet de la notion d’entreprise qu’il conviendrait de prendre en compte aux termes de l’article 1er de la loi du 30 juin 2004. A cet égard, il renvoie à l’article 2 du règlement grand-ducal du 16 mars 2005 relatif à la définition des micro, petites et moyennes entreprises, tout en soutenant que l’interprétation de la demanderesse irait au-delà de cette définition, qui aurait d’ailleurs été reprise des textes communautaires.
Il donne encore à considérer qu’à part une liste des salariés des trois sociétés litigieuses, la demanderesse ne fournirait aucune preuve confirmant son affirmation que les trois sociétés appartiendraient au même groupe. Il soulève ensuite la question de savoir si le cas échéant d’autres entreprises appartiennent au même groupe, la question de son chiffre d’affaires global, la question de savoir pourquoi des comptes consolidés n’auraient pas été établis permettant de déceler dès le début l’existence d’un groupe.
Enfin, il donne à considérer que les associés de la demanderesse seraient également les titulaires des autorisations d’établissement dans d’autres sociétés. Afin de pouvoir apprécier la situation invoquée par la demanderesse et pour cerner exactement la composition des trois sociétés du groupe, il faudrait également connaître les participations de la demanderesse et de ses deux filiales ainsi que de ses deux associés dans d’autres sociétés.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse souligne qu’elle dispose d’une autorisation d’établissement au sens de l’article 1er de la loi du 30 juin 2004 et que, par ailleurs, il n’aurait jamais été contesté par le ministre qu’elle remplisse les conditions de ladite loi et de ses règlements d’exécution.
Elle donne encore à considérer que la condition tenant au principe de l’investisseur-
exploitant invoquée par le délégué du gouvernement ne résulterait ni expressément ni implicitement de la loi du 30 juin 2004, ni encore de ses règlements d’exécution. Il en serait de même des considérations avancées par le délégué du gouvernement concernant une nécessité d’exploiter les immobilisations corporelles et incorporelles dans certains délais.
Elle fait ensuite valoir que les arguments avancés par le délégué du gouvernement sur le fondement du règlement grand-ducal du 10 juin 2009, précité, ne sauraient être invoqués étant donné que ce règlement est postérieur à la demande introduite par elle en date du 13 août 2007 et que, d’autre part, ces dispositions ne sauraient trouver application en l’espèce puisqu’elles seraient étrangères au présent litige.
Elle souligne encore que les dispositions légales ou réglementaires en la matière n’exigeraient pas que les valeurs actualisées des rentrées de trésorerie obtenues grâce à un investissement soient supérieures au coût de l’investissement.
Enfin, elle précise que dans le formulaire de demande du 13 août 2007, elle aurait précisé qu’un nombre de 21 salariés était affilié par elle, ce chiffre correspondant à ses propres salariés et ceux de ses filiales. Au demeurant, elle souligne qu’il ne serait pas requis que le demandeur d’une aide étatique en vertu de la loi du 30 juin 2004 mentionne le fait que les investissements sont effectués pour le compte de filiales, dans la mesure où une telle réalité découlerait à suffisance de la teneur de ses statuts.
C’est à juste titre que la demanderesse fait valoir que la loi du 30 juin 2004 ne pose pas comme condition de l’attribution des aides étatiques y prévues que l’entreprise occupe un nombre minimum de salariés, seuls des seuils maximas étant prévus, ni que les investissements doivent obligatoirement être réalisés avant l’engagement du personnel.
Force est cependant de constater qu’au regard des explications fournies par la partie étatique au cours de la présente instance, ensemble le libellé de la décision attaquée, le refus ministériel est motivé non pas par le constat d’un non-respect d’un nombre minimum de salariés, mais, par le fait que le ministre met en doute que les investissements invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande soient utilisés par elle-même eu égard au nombre de ses salariés, comparé au nombre notamment des ordinateurs acquis par elle.
La partie étatique fait en effet valoir qu’au regard des dispositions de la loi du 30 juin 2004 seuls sont susceptibles d’être pris en compte les investissements utilisés par le bénéficiaire des aides lui-même, tandis que la demanderesse défend le point de vue que des investissements exploités par des personnes juridiques tierces peuvent être pris en compte du moment que ces investissements sont exploités à l’intérieur d’un même groupe d’entreprises pouvant être considéré comme une seule entité économique.
Le tribunal est de prime abord amené à retenir que, contrairement à ce qui est soutenu par la demanderesse, le ministre, en faisant état d’une condition qu’il qualifie de principe de l’investisseur-exploitant n’a pas violé l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la Cour administrative du 18 juin 2009. En effet, tel que retenu ci-avant, la Cour administrative n’était pas saisie de la question de l’existence, voire du bien-fondé d’une telle condition, mais a examiné le litige exclusivement par rapport à la question de savoir si, par principe, les entreprises comptables ne sont pas éligibles aux aides étatiques litigieuses.
C’est encore à tort que la demanderesse fait valoir que le principe de l’investisseur-
exploitant dépasserait le cadre des conditions d’attribution des aides prévues par la loi du 30 juin 2004.
En effet, aux termes de l’article 1er de ladite loi « en vue de promouvoir la création, la reprise, l’extension, la modernisation et la rationalisation d’entreprises offrant les garanties suffisantes de viabilité, sainement gérées et s’insérant dans la structure des activités économiques du pays, l’État pourra prendre les mesures spécifiques définies ci-après.
Pourront bénéficier des aides et régimes d’aides pris en vertu de la présente loi, toutes les personnes physiques et morales exploitant une entreprise, dans la mesure où elles se conformeront aux conditions prévues par la présente loi ou de règlements grand-ducaux s’y rattachant et à condition de disposer d’une autorisation d’établissement délivrée en application de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès à la profession d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales et modifiant l’article 4 de la loi du 2 juillet 1935 portant réglementation des conditions d’obtention du titre et du brevet de maîtrise dans l’exercice des métiers.
Sont considérées au sens de la présente loi comme petites et moyennes entreprises les entreprises employant moins de 250 personnes et dont soit le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 40 millions d’euros, soit le total du bilan annuel n’excède pas 27 millions d’euros. Elles devront en outre respecter le critère de l’indépendance (…) ».
Aux termes de l’article 2 de la loi du 30 juin 2004 « il est institué en faveur des entreprises visées à l’article 1er de la présente loi un régime d’aides à l’investissement dans des mobilisations corporelles et incorporelles. Un règlement grand-ducal fixe la nomenclature des dépenses et des entreprises éligibles ainsi que les conditions et modalités d’exécution (…) ».
Il se dégage de ces dispositions que, outre les conditions liées à l’existence d’une autorisation d’établissement, au respect du critère de l’indépendance, et à l’exploitation d’une entreprise, l’entreprise prétendant à l’octroi des aides doit se conformer aux conditions prévues par la loi du 30 juin 2004 et par ses règlements grand-ducaux d’exécution. De manière plus générale, l’alinéa 1er de l’article 1er de la loi du 30 juin 2004 précise la nature des investissements susceptibles d’être pris en compte. En l’occurrence, il doit s’agir d’un investissement de nature à promouvoir la création, la reprise, l’extension, la modernisation et la rationalisation de l’entreprise et les investissements doivent s’insérer dans la structure des activités économiques du pays. Aux termes de l’article 2, précité, de la loi du 30 juin 2004, il est encore requis qu’il s’agisse d’un investissement dans des immobilisations corporelles ou incorporelles. La nomenclature des dépenses susceptibles d’être prises en compte et les entreprises éligibles sont par ailleurs essentiellement précisées par les règlements d’exécution de la loi du 30 juin 2004, en l’occurrence le règlement grand-ducal du 19 février 2005 portant exécution de l’article 2 de la loi du 30 juin 2004. Ainsi, constituent aux termes de l’article 3 dudit règlement grand-ducal des investissements dans des immobilisations corporelles notamment « les investissements en actifs fixes corporels se rapportant à la création d’un nouvel établissement, à l’extension ou la modernisation d’un établissement existant ou au démarrage d’une activité impliquant un changement fondamental dans le produit ou le procédé de production », tandis qu’aux termes de l’article 4 du même règlement grand-ducal sont à considérer comme des immobilisations corporelles « les investissements dans un transfert de technologie par acquisition de droits de brevet, de licences, de savoir-faire ou de connaissances techniques non brevetées ».
Il s’ensuit que le ministre a l’obligation de contrôler, afin d’apprécier si les conditions de la loi du 30 juin 2004 et de ses règlements d’exécution sont remplies, la nature et la destination des investissements invoqués.
Il se dégage encore des dispositions qui précèdent et plus particulièrement de celle ayant trait à la destination générale des investissements, qu’un lien doit exister entre l’investissement pour lequel l’aide étatique est sollicitée et l’entreprise dont cet investissement est censé promouvoir la création, la reprise, l’extension, la modernisation et la rationalisation, de sorte qu’il convient de retenir que l’investissement doit nécessairement être utilisé par l’entreprise elle-même.
Le lien nécessaire entre le bénéficiaire de l’aide à l’investissement et de l’exploitation de l’investissement est confirmé encore par les dispositions de l’article 15 de la loi du 30 juin 2004 prévoyant une obligation de remboursement des aides si l’investissement pour lequel l’aide a été attribuée est aliéné dans un certain délai, respectivement n’est pas ou plus utilisé aux fins des conditions prévues.
Il se dégage des considérations qui précèdent qu’une des conditions de la loi du 30 juin 2004 et de ses règlements d’exécution, à laquelle le bénéficiaire des aides y prévues doit se conformer en vertu de l’article 1er, est l’existence d’un investissement et l’utilisation de cet investissement par le bénéficiaire lui-même, cette condition se résumant au principe de l’investisseur-exploitant invoquée par le ministre. Le moyen de la demanderesse tendant à affirmer que la condition liée à ce principe ne serait pas inscrite dans la loi et partant à rejeter.
Il convient cependant encore de vérifier si le principe de l’exploitant-investisseur vise exclusivement la personne morale ou physique ayant demandé les aides, ou si, au regard de la loi du 30 juin 2004 et de ses règlements d’exécution, la notion de l’exploitant d’une entreprise pouvant bénéficier de ces aides peut viser une entité économique, formée le cas échéant par plusieurs personnes juridiques distinctes, comme l’entend la demanderesse.
L’article 2 du règlement grand-ducal du 16 mars 2005 portant adaptation de la définition des micro, petites et moyennes entreprises, dispose qu’« est considérée comme entreprise toute entité, indépendamment de sa forme juridique, exerçant une activité économique. Sont notamment considérées comme telles les entités exerçant une activité artisanale ou d’autres activités à titre individuel ou familial et des sociétés de personnes ou de capitaux ou les associations qui exercent régulièrement une activité économique ».
Le tribunal est amené à conclure que les termes de l’article 2, précité, ne permettent pas de retenir que la notion d’entreprise, susceptible de bénéficier des aides, vise un groupe d’entreprises. En effet, ledit article 2 du règlement grand-ducal du 16 mars 2005, précité, énumère les sociétés de capitaux, tel que c’est le cas de la demanderesse, sans envisager, ne fut-ce que de façon implicite, un groupe d’entreprises formé par plusieurs sociétés de capitaux. Cette analyse est encore corroborée par les dispositions de l’article 1er de la loi du 30 juin 2004 concernant la définition des entreprises indépendantes, étant rappelé que la condition de l’indépendance tend à éviter qu’une entreprise faisant partie d’un groupe d’entreprises dont l’une ne correspond pas à la définition de petites et moyennes entreprises au sens de la loi du 30 juin 2004, bénéficie des aides étatiques. Si le terme d’entreprise susceptible de bénéficier des aides étatiques visait également des groupes d’entreprises, le législateur n’aurait pas employé ce même terme d’entreprise à propos de la définition des entreprises dépendantes, qui justement vise des participations en termes de capital d’une entreprise par rapport à une autre, impliquant que le terme d’entreprise vise, en ce qui concerne les personnes morales, chaque entité juridique différente. Dans le même ordre d’idées, il y a lieu de relever que si en vertu de l’article 7 du règlement grand-ducal du 16 mars 2005, précité, les résultats des entreprises liées et partenaires, englobant les groupes d’entreprises, sont pris en compte afin de déterminer notamment les données financières de cette entreprise au regard des seuils financiers définis à l’article 3 du même règlement, il n’en reste pas moins que les conditions d’attribution des aides sont appréciées par rapport à l’entreprise, partant par rapport à la société du groupe, ayant sollicité le bénéfice de l’aide.
Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse fondé sur la notion de groupe d’entreprises est à rejeter.
Cette conclusion ne saurait être énervée par les références faites par la demanderesse à la notion de groupe d’entreprises dégagée par la jurisprudence en matière de droit du travail, dans la mesure où cette matière est étrangère à la matière des aides à l’investissement, de sorte que les définitions y dégagées ne sauraient être transposées telles quelles en l’espèce. C’est encore à tort que la demanderesse invoque son objet social, dans la mesure où l’argumentation afférente repose sur la prémisse que des investissements puissent être pris en compte aux fins des aides étatiques litigieuses même s’ils sont utilisés par des sociétés tierces du moment qu’elles font partie du même groupe, prémisse dont le bien-fondé vient d’être rejeté par le tribunal.
Il se dégage des éléments du dossier que la demande d’aide du 13 août 2007 a été introduite au seul nom de la société …. Il ressort du formulaire de demande que sous la rubrique « présentation du projet d’investissement pour lequel une aide de l’Etat est demandée », la demanderesse a mentionné, afin de justifier sa demande, ce qui suit « constitution d’une nouvelle société qui a engagé 21 personnes depuis sa création.
Investissements réalisés pour les nouveaux locaux: nouveaux bureaux à …, installations informatiques comprenant un réseau informatique, un réseau téléphonique et les licences informatiques nécessaires », laissant supposer qu’elle-même a engagé 21 salariés et que les investissements sont destinés exclusivement à ses propres besoins, en l’occurrence pour l’aménagement de ses propres bureaux à …, y compris le matériel informatique nécessaire à cette fin.
Il est constant que la demanderesse n’occupe que 5 salariés, parmi lesquels figurent ses deux associés.
Contrairement à ce qui pourrait être déduit de la présentation de la demande en obtention des aides, la demanderesse a admis au cours de la présente procédure que les investissements dont elle a fait état à l’appui de sa demande ne sont pas utilisés exclusivement par elle-même, mais sont utilisés en grande partie par ses deux filiales, à savoir les sociétés … Sàrl et … Sàrl, dans lesquelles elle détiendrait 100 %, respectivement 90 % des parts.
Il s’ensuit qu’au regard des informations à la disposition du ministre au moment de la prise de la décision de refus, qui ont d’ailleurs été confirmées par les déclarations faites par la demanderesse au cours de l’instance, et à défaut de contestations de la demanderesse quant à une ventilation éventuelle des frais au regard de la condition de l’investisseur-exploitant, le tribunal est amené à retenir que le ministre pouvait valablement et sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, retenir que la condition tenant à l’affectation de l’investissement à l’exploitation de l’entreprise ayant demandé les aides n’est pas remplie en l’espèce, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner le bien-fondé des motifs complémentaires de refus fournis au cours de la présente instance et tenant à la contestation de l’éligibilité d’une partie des dépenses effectuées par la demanderesse, respectivement fondé sur l’article 16 de la loi du 30 juin 2004.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 20.000 euros formulée par la demanderesse est à rejeter comme étant non fondée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société … S.A. ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, juge, Annick Braun, juge, Thessy Kuborn, juge, et lu à l’audience publique du 30 juin 2010 par le juge Françoise Eberhard, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30.06.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 15