Tribunal administratif N° 26163 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 octobre 2009 1re chambre Audience publique du 28 juin 2010 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Environnement en matière de protection de l’environnement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26163 du rôle et déposée le 7 octobre 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d'une décision implicite de refus, qualifiée comme telle, du ministre de l’Environnement, prétendument opposée à la demande de Monsieur … de pouvoir procéder à l’ablation de la terre naturelle mélangée au gravier et à la pose de pierres « Doppel-T » à la sortie dite « … » du terrain de golf, sis à L-
… du 28 février 2007 ;
Vu les pièces versées en cause ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Paul WILTZIUS en ses plaidoiries à l’audience publique du 19 avril 2010.
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En date du 28 février 2007, Monsieur … remit à l’occasion d’un contrôle effectué sur le terrain de golf par l’entité mobile de la Direction des Eaux et Forêts, à Madame …, membre de ladite entité mobile de la Direction des Eaux et Forêts, service de la conservation de la nature, une demande en autorisation d’éliminer le gravier mélangé à la terre naturelle présente sur les lieux de la sortie dite « … » du terrain de golf sis à … et de le remplacer par des pierres « Doppel-T ».
Etant donné que Monsieur … ne reçut aucune réponse à sa prédite demande, il introduisit en date du 7 octobre 2009 un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d'une décision implicite de refus, qualifiée comme telle, du ministre de l’Environnement.
En ce qui concerne la recevabilité de son recours, Monsieur … soutient qu’il s’agirait en l’espèce d’un recours dirigé contre une décision implicite de refus, ne contenant en conséquence ni motivation, ni indication sur les voies de recours, de sorte que ledit recours serait recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, le demandeur soutient que même si Madame … ne serait pas compétente pour délivrer des autorisations au sens de l’article 5 de la loi de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, celle-ci aurait dû continuer sa demande à l’autorité compétente et ceci en application de l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations de l’Etat et des communes. Le demandeur souligne qu’au lieu de suivre les règles de la procédure administrative non contentieuse, Madame … se serait contentée, dans le cadre d’un procès pénal intenté contre Monsieur …, de confirmer la transmission de la demande de ce dernier à sa personne, sans pour autant en avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées à elle.
Le demandeur conclut que la décision de refus implicite du ministre de l’Environnement résulterait en tout état de cause du silence de ce dernier et que cette décision implicite devrait encourir l’annulation, respectivement la réformation dans la mesure où elle serait dépourvue de toute motivation, fait qui serait non régularisable ex post.
Il y a d’abord lieu de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas fourni de mémoire en réponse en cause dans le délai légal bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe au délégué du Gouvernement en date du 7 octobre 2009. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.
Il appartient encore au Tribunal d’examiner l’existence-même de la décision attaquée, afin de déterminer s’il est compétent de statuer dans le cadre du présent litige. Dans cet ordre d’idées, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif ».
L’article 4 (1) prévoit dès los une présomption de rejet de la demande introduite à partir du moment où aucune décision n’est intervenue dans le délai de trois mois, qui court en principe à partir du moment de l’introduction de la demande, de sorte que l’application de cet article présuppose, avant toute autre chose, la formulation d’une demande effective à l’adresse de l’administration.
Partant, il appartient au demandeur, qui entend user de la faculté lui offerte par le législateur de considérer le silence perdurant de l’administration pendant plus de trois mois comme valant décision implicite de refus, et de déférer cette décision implicite au tribunal, de rapporter la preuve de l’introduction d’une demande, à défaut de quoi le tribunal ne saurait vérifier l’existence des conditions prévues par l’article 4 précité, à savoir précisément l’existence d’une demande préalable, et l’expiration, depuis l’introduction de cette demande, du délai de 3 mois.
En l’espèce, il ressort tant des pièces versées en cause, que des développements du demandeur lors de la procédure contentieuse, que ce dernier a remis sa demande en vue d’éliminer le gravier mélangé à la terre naturelle présente sur le terrain de golf sis à …, à Madame …, membre de l’entité mobile de la Direction des Eaux et Forêts, service de la conservation de la nature, autorité non compétente pour faire droit à la demande du requérant.
Il échet cependant de rappeler que l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations de l’Etat et des communes dispose que :
« Art. 1er. (1) Toute autorité administrative saisie d’une demande de décision examine d’office si elle est compétente.
(2) Lorsqu’elle s’estime incompétemment saisie, elle transmet sans délai la demande à l’autorité compétente, en en avisant le demandeur.
(3) Lorsque la compétence d’une autorité saisie est contestée par une partie intéressée à la décision au fond, l’autorité saisie doit statuer sur sa compétence par une décision motivée. ».
L’article précité pose dès lors le principe que dès qu’une autorité administrative, en l’espèce un membre de l’entité mobile de la Direction des Eaux et Forêts, service de la conservation de la nature, est saisie d’une demande, elle doit examiner d’office si elle est compétente. Si cette autorité s’estime incompétente, elle doit d’après le point (2) du prédit article continuer cette demande à l’autorité adéquate et ceci dans les meilleurs délais. Force est de constater que cette obligation de transmission à l’autorité compétente s’impose sans limites pour autant qu’il s’agisse d’autorités faisant partie de la même sphère administrative. Ainsi, il résulte du commentaire des articles du règlement grand-ducal précité que : « Aussi l’Administration doit-elle lui venir en aide pour retrouver l’autorité compétente. Cette collaboration devra certainement jouer lorsque l’autorité compétente fait partie de l’administration gouvernementale. En vertu du principe de l’unicité de la personne morale de l’Etat, toute demande adressée à un service dépendant de cette personne doit être réputé valablement adressé à l’Etat, même si le service saisi est incompétent. (…) Aussi le texte proposé édicte-t-il de façon générale l’obligation à toute autorité incompétemment saisie de transmettre la requête à l’autorité compétente, sans distinguer suivant que celle-ci appartient à la même personne publique ou ressortit d’une autre personne morale de droit publique »1.
Ainsi, à l’intérieur de la sphère administrative, la règle doit trouver son application sans restriction, quels que soient la nature et le statut de l’organisme compétent ou saisi2. Au vu des développements qui précèdent, Madame …, en tant que membre de l’entité mobile de la Direction des Eaux et Forêts, service de la conservation de la nature et faisant dès lors partie de la même sphère administrative que le ministre compétent, à savoir le pouvoir exécutif, avait comme obligation de transmettre la demande lui soumise à l’autorité compétente, à savoir à l’époque, le ministre de l’Environnement.
Il résulte cependant des pièces versées en cause, et plus précisément du procès-verbal n°26 PV 07-08 SW, que cette dernière n’a jamais transmis la demande qui lui fut remise par Monsieur … au ministre de l’Environnement.
Or, il résulte encore du prédit commentaire des articles3 que : « C’est cette solution (obligation de transmission d’une demande) qui a été retenue par la jurisprudence du Conseil d’Etat français, en décidant que la demande adressée à un ministre incompétent faisait courir le délai à l’égard du ministre compétent. ». Comme Monsieur … a adressé sa demande à Madame … en date du 28 février 2007, c’est à partir de cette même date que le délai de réponse du ministre de l’environnement a commencé à courir. Etant donné que la demande de Monsieur … est restée sans réponse jusqu’à ce jour, ce dernier a dès lors valablement pu soutenir qu’il est confronté à une décision implicite de refus, de sorte que le Tribunal administratif est compétent pour connaître du recours dirigé contre un acte administratif individuel.
En ce qui concerne la recevabilité du recours force est de constater que le demandeur a sollicité principalement l’annulation de la décision implicite de refus et subsidiairement la réformation de la prédite décision.
Conformément aux dispositions de l’article 58 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, un recours au fond est prévu à l’encontre des décisions du ministre de l’Environnement statuant en vertu de ladite loi, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.
En l’espèce, le recours tel qu’introduit par le demandeur est à interpréter dans le sens où il tend, dans le cadre de la réformation, à l’annulation de la décision ministérielle implicite de refus.
1 Projet de règlement grand-ducal relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, Mémorial A, 14 septembre 1984, n°2313, pp. 3 et 4.
2 La procédure administrative non contentieuse et le contrôle de l’administration en droit luxembourgeois, Fernand Schockweiler, édition 2004, page 38.
3 Projet de règlement grand-ducal relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, Mémorial A, 14 septembre 1984, n°2313, p. 3.
Dès lors et dans cette mesure, le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délais de la loi, il est recevable.
Au fond, le demandeur reproche à la décision ministérielle litigieuse d’être dépourvue de toute motivation.
Force et de constater que l’Etat n’a pas fourni de mémoire en réponse en cause dans le délai légal bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe au délégué du Gouvernement en date du 7 octobre 2009 et n’a versé aucun dossier administratif.
Or, il y a lieu de rappeler qu’en l’absence d’une prise de position de l’administration produite dans le délai légal et faute par elle d’avoir produit le dossier administratif, le tribunal n’est pas en mesure de vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de la décision face aux affirmations du demandeur, de vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure administrative prise à l’égard du demandeur est valablement justifiée au regard des dispositions légalement applicables4.
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de prononcer l’annulation de la décision implicite de rejet de la demande de Monsieur … et de renvoyer le dossier pour instruction devant le ministre actuellement compétent, à savoir le ministre délégué au Développement durable et des Infrastructures.
Le demandeur a encore sollicité une indemnité de procédure de 1.500,-euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Or, force est de constater qu’en l’espèce, le demandeur aurait pu entreprendre des mesures supplémentaires lors de la phase précontentieuse, notamment adresser un rappel au ministre compétent, respectivement introduire un recours gracieux et aurait ainsi pu éviter d’engager une procédure devant le tribunal administratif et de débourser les frais afférents, de sorte qu’il n’y pas lieu de faire droit à la demande en allocation d’une indemnité de procédure.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme en ce qu’il tend dans le cadre de la réformation à l’annulation de la décision ministérielle implicite de refus, au fond le déclare justifié ;
4 Trib. adm. 22 avril 2002, n°13960 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure administrative contentieuse, n°653 partant annule la décision ministérielle déférée et renvoie l’affaire pour instruction devant le ministre délégué au Développement durable et des Infrastructures ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29.6.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6