Tribunal administratif N° 26454 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 décembre 2009 1re chambre Audience publique du 31 mai 2010 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers (art. 22, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26454 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 décembre 2009 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l'Immigration datée du 25 septembre 2009 refusant de lui délivrer une attestation de tolérance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Guillaume GROS, en remplacement de Maître Olivier LANG et Madame le délégué du gouvernement Betty SANDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mai 2010.
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Le 13 septembre 2007, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Par décision du 19 juin 1008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-
après dénommé « le ministre », informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée.
Le 22 juillet 2008, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée lui refusant le statut de réfugié sinon la protection subsidiaire.
Par jugement du 26 novembre 2008 (n° 24655 du rôle) le tribunal administratif déclara ce recours non justifié. Ce jugement fut confirmé suivant arrêt de la Cour administrative du 29 juillet 2009 (n° 25228C du rôle).
Par courrier de son mandataire du 7 septembre 2009, Monsieur … s’adressa au ministre pour solliciter la délivrance d’une attestation de tolérance. Le ministre répondit par courrier du 10 septembre 2009 que l’intéressé serait depuis le 29 juillet 2009 dans l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois et que selon l’article 22 de la loi du 5 mai 2006, le ministre ne pourrait décider de tolérer une personne dont la demande de protection internationale a définitivement été rejetée que lorsque l’exécution matérielle de son éloignement s’avérerait impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de sa volonté. Il demanda par voie de conséquence à Monsieur … d’expliquer dans un premier temps en quoi son éloignement serait impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de sa volonté, étant donné que son courrier prévisé du 7 octobre 2008 resterait silencieux quant à cet aspect. Il demanda également à Monsieur … d’apporter, le cas échéant, la preuve que des tentatives de retour volontaire de sa part en Algérie seraient restées infructueuses.
Par courrier de son mandataire du 22 septembre 2009, Monsieur … releva qu’aux termes de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 ce ne serait pas son retour volontaire qui devrait être impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de sa volonté, mais son éloignement.
Or, il ne serait pas responsable de son éloignement du territoire et ne saurait donc indiquer les circonstances de fait précitées. D’autre part, l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 n’impliquerait pas qu’il ait à faire une tentative de retour volontaire, de sorte qu’il n’aurait pas à en rapporter la preuve.
Le ministre répondit par courrier du 25 septembre 2009 qu’il ne serait pas en mesure de faire droit à la demande en obtention d’une tolérance présentée par Monsieur … au motif qu’il n’existerait pas de preuves que l’exécution matérielle de son éloignement serait impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de sa volonté conformément à l’article 22 de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 décembre 2009, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision prévisée du 25 septembre 2009.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours le demandeur fait valoir être originaire d’Algérie où il aurait adhéré au Front Islamique du Salut, ci-après dénommé « FIS », en 1990 à l’occasion des premières élections libres. Il relate que quand le FIS aurait remporté une majorité de communes et provinces algériennes lors du premier tour, l’armée aurait prit le pouvoir par la force et aurait poussé le président à démissionner. Cet évènement aurait marqué le début d’une longue période pendant laquelle un grand nombre de militants et sympathisants du FIS auraient été emprisonnés, expédiés dans des camps ou même assassinés par les membres des services de l’armée algérienne. Il aurait été interpellé une première fois en juin 1992 pour être questionné sur son appartenance au FIS et ses activités au sein du parti. En octobre 1993, la gendarmerie provinciale aurait voulu l’interpeller à nouveau, mais, pris de panique, il aurait tenté de s’enfuir par la porte arrière. Il aurait été rattrapé et touché par une balle à l’épaule. Après deux jours de détention il aurait été questionné sur une attaque d’un poste de contrôle de la gendarmerie, frappé violemment et torturé. Il aurait été ensuite enfermé dans une cellule pendant deux jours. A l’issue d’un second interrogatoire il aurait signé un procès-verbal afin de faire cesser les violences subies. Il aurait alors été placé dans la maison d’arrêt de Guelma en tant que prisonnier de droit commun où il aurait subi des violences de la part des autres détenus. Il aurait été transféré à deux reprises avant de comparaître devant un juge de la Cour spéciale de Constantine pour appartenance à une organisation terroriste et pour avoir participé à l’attaque du poste de police.
Sa condamnation à deux ans de prison ferme, peine qu’il juge ridicule au vu des accusations sérieuses, prouverait la mascarade dont il aurait été la victime. Pendant le temps passé sous de terribles conditions en prison, il aurait été coupé du reste du monde et de sa famille qui n’aurait même pas été informée de son sort. Il aurait été libéré en octobre 1995 et les neuf années qui suivirent, il aurait fait l’objet d’une étroite surveillance, de provocations et d’interpellations arbitraires. Après plusieurs tentatives de quitter le pays, il aurait fait la connaissance en 2004 d’un Algérien travaillant en Libye et qui aurait accepté de l’aider à passer la frontière libyenne clandestinement. Après deux ans de travail clandestin en Libye, il aurait quitté le continent africain pour l’Europe. La demande d’asile qu’il aurait présenté en Suisse aurait été refusée et il serait finalement arrivé au Luxembourg où il aurait présenté une demande de protection internationale. Après que cette dernière lui aurait été définitivement refusée, il aurait sollicité le statut de tolérance dont la décision ministérielle de refus fait l’objet du présent recours.
En droit, le demandeur fait valoir que le ministre aurait confondu la notion de retour volontaire avec la notion d’éloignement, étant donné que l’article 22 (2) de la loi du 5 mai 2006 ne mentionnerait pas la première. En exigeant des démarches de sa part, et la preuve de celles-ci en vue de son retour volontaire, alors que ce serait le ministre qui serait compétent pour l’exécution matérielle de son éloignement, et en faisant dépendre sa décision de ces démarches, le ministre aurait violé l’article 22 (2) précité, de sorte que la décision encourrait l’annulation.
Il soutient qu’aux termes de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », le ministre serait compétent pour délivrer l’attestation de tolérance et pour organiser les éloignements du territoire. En l’espèce, le ministre n’aurait rien entrepris pour procéder à son éloignement depuis qu’il a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale, de sorte que ce serait à tort que le ministre motive sa décision par la considération qu’il n’existerait pas de preuve que l’exécution matérielle de l’éloignement serait impossible. En effet, on ne saurait faire application des règles du droit commun de la preuve en la matière et exiger du demandeur de rapporter de telles preuves alors que seul le ministre pourrait connaître tant l’existence que la nature des faits rendant l’exécution de l’éloignement impossible. D’autre part, le ministre n’aurait entrepris aucune démarche en vu de l’éloignement tel que prendre contact avec les autorités algériennes. Si le demandeur admet qu’on ne saurait déduire de cette circonstance qu’il existe des circonstances rendant l’éloignement impossible, on ne saurait contester qu’il est impossible pour le demandeur d’en rapporter la preuve. Il en conclut que la décision encourrait l’annulation.
Finalement, le demandeur fait valoir que des circonstances de fait indépendantes de sa volonté existeraient dans la mesure où il aurait dû fuir son pays d’origine sans être en possession de son passeport et que les autorités algériennes n’accepteraient pas le retour de ses ressortissants déboutés par le Luxembourg de leur demande d’asile politique.
Le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de demandeur et que l’octroi d’un statut de tolérance ne serait pas justifié L’article 22 (2) de la loi du 5 mai 2006 prévoit que « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé. » Le paragraphe (3) du même article 22 prévoit de son côté qu’une attestation de tolérance est remise à l’intéressé.
Si le tribunal peut certes suivre le demandeur dans son raisonnement consistant à soutenir que l’octroi d’un statut de tolérance n’est pas conditionné par la réalisation de démarches préalables du demandeur en vue d’un retour volontaire dans son pays d’origine dans la mesure où la loi du 5 mai 2006 et plus particulièrement l’article 22 de cette loi, n’impose pas ce préalable comme condition d’octroi d’un statut de tolérance, il ne saurait toutefois suivre le raisonnement du demandeur consistant à soutenir, d’un côté, qu’il appartiendrait au seul ministre de prouver les circonstances de fait et, de l’autre côté, que les règles de droit commun seraient inapplicables en la matière. En effet, la preuve d’une éventuelle impossibilité matérielle de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement obéit aux règles de preuve de droit commun, ce qui implique que pour tolérer l’étranger sur le territoire – auquel cas le ministre est effectivement obligé de délivrer à l’étranger une attestation de tolérance – le ministre doit vérifier l’existence de circonstances qui empêchent l’exécution matérielle de l’éloignement. L’application du droit commun entraîne encore qu’en cas de contestation de ces circonstances, il appartient à celui qui en revendique l’existence, en l’occurrence à l’étranger qui revendique cette tolérance, d’en établir l’existence.
Aucune présomption d’existence de circonstances matérielles empêchant l’exécution matérielle d’une mesure d’éloignement n’existe en la matière et elles ne se déduisent pas ipso facto du séjour, même prolongé, sur le territoire de l’étranger débouté de sa demande d’asile1.
L’hypothèse visée par l’article 22 consiste en effet dans un ensemble de circonstances de fait vérifiées rendant impossible l’exécution matérielle de l’éloignement du territoire, avec la conséquence qu’il appartient au demandeur qui, par définition, se trouve en séjour irrégulier lorsqu’il sollicite un statut de tolérance, d’établir l’impossibilité alléguée pour prétendre à l’octroi dudit statut2.
Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que le ministre est investi par ailleurs du pouvoir d’éloigner un demandeur d’asile débouté du territoire, étant donné qu’à côté de ce pouvoir de procéder à l’éloignement de la personne concernée, celle-ci est d’abord, sinon parallèlement, obligée dans un premier temps de quitter le pays volontairement faute d’être détentrice d’un quelconque titre justifiant la régularité de son séjour sur le territoire luxembourgeois. Le délégué du gouvernement a dans ce contexte valablement pu rappeler qu’une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire par l’effet de la loi.
1 cf. Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24693C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
2 trib. adm. 2 juillet 2008, n° 23763 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Etrangers, sub. F. Statut de tolérance, n° 168 Force est de constater qu’en l’espèce ni les explications du demandeur présentées lors de la demande initiale ni celles contenues dans ses écrits au de la procédure contentieuse ne font état d’une impossibilité matérielle de procéder à l’éloignement du demandeur en raison de circonstances de fait, si ce n’est l’affirmation que l’Algérie n’accepterait pas le retour de ses ressortissants déboutés par le Luxembourg de leur demande d’asile politique. Or, force est de constater au vu des contestations de la partie étatique et à défaut d’élément probant avancé par le demandeur à cet égard, que ces dires restent à l’état de pures allégations, de sorte que la décision ministérielle déférée est motivée à suffisance de droit et que le moyen afférent laisse d’être fondé.
Finalement, en ce qui concerne les conséquences d’un éventuel retour du demandeur dans son pays d’origine en raison de son passé, force est de constater que les obstacles visés par la loi moyennant l'emploi des termes « exécution matérielle » doivent avoir trait à l'éloignement proprement dit et non à la situation de séjour de l'intéressé au Grand-Duché de Luxembourg, voire aux conditions d'accueil réservées à la personne concernée en raison notamment de la situation générale prévalant dans son pays d'origine.3 Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu se fonder sur l’article 22 (2) de la loi du 5 mai 2006 pour refuser de délivrer une attestation de tolérance à Monsieur … sollicitée sur base du paragraphe (3) du même article en avançant le fait que ce dernier n’a pas fait état d’éléments concrets documentant une éventuelle impossibilité de procéder à l’exécution matérielle de son éloignement en raison de circonstances de fait.
Le recours est partant à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs ;
le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme ;
au fond, le dit non justifié et le rejette ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mai 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, 3 Cf TA 11mars 2009, n° 24914 du rôle, Pas. adm. 2009, v° Etrangers, n° 190, page 281 Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.
Arny Schmit Marc Sünnen 6