Tribunal administratif N° 26172 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 octobre 2009 1re chambre Audience publique du 19 mai 2010 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … contre une décision du bourgmestre de la Ville de Luxembourg en matière d'urbanisme
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26172 du rôle et déposée le 9 octobre 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître André LUTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, …, …, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d'une décision datée du 14 juillet 2009 du bourgmestre de la Ville de Luxembourg accordant l’autorisation de construire à l’architecte …, agissant au nom et pour compte de Madame …et de Monsieur …, relative à un projet portant sur la construction d'un immeuble résidentiel sur le lot … du plan d'aménagement …, …, … ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 9 octobre 2009, portant signification du prédit recours en annulation à l'administration communale de la Ville de Luxembourg, en la personne de son bourgmestre, ainsi qu’à Madame …, Madame …et Monsieur … ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 octobre 2009 par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de Madame …et de Monsieur … ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 octobre 2009 par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l'administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 janvier 2010 par Maître Victor ELVINGER au nom de Madame …, de Madame …et de Monsieur …, notifié le même jour à Maîtres André LUTGEN et Christian POINT ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 janvier 2010 par Maître Christian POINT au nom de l'administration communale de la Ville de Luxembourg, notifié le même jour à Maîtres André LUTGEN et Victor ELVINGER ;
Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 février 2010 par Maître André LUTGEN au nom de la demanderesse, notifié le même jour à Maîtres Victor ELVINGER et Christian POINT ;
Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 mars 2010 par Maître Victor ELVINGER au nom de Madame …, de Madame …et de Monsieur …, notifié le même jour à Maîtres André LUTGEN et Christian POINT ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 mars 2010 par Maître Christian POINT au nom de l'administration communale de la Ville de Luxembourg, notifié le même jour à Maîtres André LUTGEN et Victor ELVINGER ;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître André LUTGEN, Maître Gilles DAUPHIN, en remplacement de Maître Christian POINT, et Maître Serge MARX, en remplacement de Maître Victor ELVINGER, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 mai 2010.
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Le 31 juillet 2008, le bureau d'architectes … sollicita au nom et pour le compte de Madame …et de Monsieur … une demande d'accord de principe pour la construction d'un immeuble à logements situé …, ….
Le 16 janvier 2009, les sociétés …, …, …et …communiquèrent au bourgmestre de la Ville de Luxembourg leur objections par rapport à l'autorisation de principe sollicitée.
Par décision du 9 mars 2009, le bourgmestre de la Ville de Luxembourg délivra sous la référence n° 980.AP.2008 un accord de principe, et en informa par courrier de la même date les opposants, respectivement leurs conseils.
Le bureau d'architectes … soumit le 3 novembre 2008 une demande en vue de l'obtention de l'autorisation de construire.
Le 2 juin 2009, les conseils des sociétés …, …, …et …furent informés de la possibilité de consulter le dossier et invités à soumettre, le cas échéant, leurs observations.
Le 15 juin 2009, Maître André LUTGEN formula des objections pour compte de la société …, tandis que le 16 juin 2009, Maître Yann BADEN formula des objections pour compte des sociétés …, …et ….
Le 14 juillet 2009, le bourgmestre de la Ville de Luxembourg délivra l’autorisation de bâtir sollicitée sous la référence n° 640.2A.2009 et par courriers du même jour les opposants en furent informés.
Par requête déposée le 9 octobre 2009 au greffe du tribunal administratif la société à responsabilité limitée …. a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la prédite décision du 14 juillet 2009 du bourgmestre de la Ville de Luxembourg relatif à la construction d'un immeuble résidentiel sur le lot … du plan d'aménagement particulier « …».
Quant à la recevabilité :
Etant donné que la loi ne prévoit aucun recours de pleine juridiction en matière de permis de construire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation dirigé contre l’autorisation de bâtir litigieuse.
Tant la Ville de Luxembourg, ci-après « la Ville », que Madame …, Madame …et Monsieur …, ci-après « les consorts …», soulèvent le défaut d’intérêt à agir de la société …, ci-
après « la société …», en donnant à considérer que celle-ci ne serait propriétaire d’aucune parcelle de l’îlot E, devant accueillir la construction faisant l’objet de la décision déférée.
La demanderesse, de son côté, met en substance en exergue la nécessité de réaliser un remembrement de toutes les parcelles qui font partie du PAP « …», qu’il conviendrait nécessairement de considérer comme un tout, et l’entrave à la mise en œuvre d’un tel remembrement que constitue à ses yeux l’autorisation de bâtir entreprise. Elle expose être, contrairement aux affirmations des consorts …, propriétaire de terrains compris dans le lot …, et en tout état de cause être propriétaire de terrains compris dans le PAP « …», de sorte qu’elle serait propriétaire de terrains sis à proximité de la parcelle devant accueillir l’immeuble couvert par l’autorisation litigieuse.
En ce qui concerne le défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse tel que soulevé, il y a lieu de rappeler qu’en matière de recours en annulation dirigé contre un acte administratif, le demandeur doit justifier d’un intérêt personnel et direct à obtenir l’annulation de l’acte qu’il attaque, le juge administratif devant seulement avoir égard à ce que le demandeur avance à ce sujet, dès lors qu'il lui appartient de démontrer son intérêt.
L’intérêt à agir est l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter1, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés2.
Il résulte à ce propos des écrits des parties que la demanderesse possède indiscutablement des terrains compris dans le PAP « …» et qu’elle estime indispensable de procéder avant l’exécution de ce PAP à un remembrement, afin de rééquilibrer la répartition ultérieure des parcelles, ainsi que les plus-values et charges résultant du PAP, rééquilibrage qui deviendrait irréalisable, respectivement faussé par l’autorisation de bâtir entreprise, ainsi que par l’exécution de ladite autorisation.
Aussi, il ressort des écrits de la demanderesse que celle-ci craint de subir du fait de l’existence de l’autorisation, sinon de la construction litigieuse, une aggravation concrète de sa situation de participant au PAP « …», de sorte à pouvoir être considérée comme ayant qualité et intérêt à agir à l'encontre de l’autorisation de construire déférée.
1 Voir Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Recours pour excès de pouvoir (Conditions de recevabilité), n° 247.
2 Trib. adm. prés. 27 septembre 2002, n° 15373, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 3.
Partant, le moyen d’irrecevabilité du recours en raison d’un défaut d’intérêt suffisamment caractérisé pour agir dans le chef de la demanderesse laisse d’être fondé.
Quant au fond :
La demanderesse, comme relevé ci-avant, fait plaider que l’autorisation déférée rendrait tout remembrement à opérer au sein du PAP « …» impossible.
Or, elle estime qu'un PAP applicable à un ensemble de terrains appartenant à plusieurs copropriétaires différents nécessiterait avant sa mise en œuvre que tous les terrains tombant dans l'assiette du PAP fassent l'objet d'un remembrement, et ceci, d’une part, afin de faire correspondre la configuration des terrains préexistants aux limites imposées par le PAP, et, d’autre part, afin de procéder à un rééquilibrage des nouvelles constructibilités, et plus généralement des droits et obligations conférés par le PAP.
A ce sujet, elle expose que le PAP aurait pour conséquence de conférer aux terrains des constructibilités (emprises au sol et hauteurs des constructions) nécessairement différentes de celles existant avant l'élaboration dudit PAP, et ce au regard notamment de contraintes d'harmonie et d'esthétique, de sorte que l'attribution d'une constructibilité importante à un endroit donné impliquerait nécessairement l'attribution d'une constructibilité moindre à un autre. Ramené au niveau des parcelles comprises dans le projet, ceci signifierait que la constructibilité de chacune d'entre elles est fonction de celle reconnue aux autres parcelles du même plan.
La société …estime dès lors que l’on se situerait dans une hypothèse couverte par l'article 64 alinéa 1er de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain, à savoir une hypothèse où la destination impartie par le PAP à certaines parcelles, à savoir celles à constructibilité importante, ne serait pas réalisable au regard de ses propres caractéristiques, c’est-à-dire sans devoir tenir compte des autres parcelles du projet, soit dans une hypothèse où le remembrement s'imposerait.
La demanderesse ensuite souligne qu’abstraction faite de l'aspect « constructibilité », le remembrement tendrait encore à un rééquilibrage par rapport au type d'utilisation qui est faite des terrains visés. Sous cet aspect, elle estime que l’exigence d’un remembrement se vérifierait parfaitement dans le cadre du PAP « …», en ce sens qu’il devrait permettre le rééquilibrage des intérêts financiers entre le propriétaire dont la parcelle se trouvait à l'endroit devenu le Square de New York et celui dont la parcelle se trouvait au sein du futur îlot F, parcelle dont la constuctibilité serait devenue par l'intermédiaire du PAP « …» la plus importante.
Dès lors, elle considère qu’il résulterait de la lecture combinée des dispositions interdisant la prise en compte de la plus-value à réaliser, des dispositions relatives à l'obligation d'un remembrement unique devant prendre en compte toutes les parcelles non bâties d'un PAP et des principes constitutionnels de non-discrimination et d'égalité, que la nature du remembrement doit être économique, c’est-à-dire par échange de terrains en nature, et tendre vers un rééquilibrage des intérêts financiers des propriétaires impliqués, ceci par rapport aux multiples aspects que la réalisation d'un projet d'urbanisation comporte.
Elle affirme par ailleurs que la nécessité d’un remembrement résulterait tant d’une convention conclue entre la Ville et les consorts …que de la pratique antérieure telle que respectée par la Ville dans le cadre de PAP similaires.
A titre subsidiaire, à supposer que le tribunal vienne à la conclusion que la nature du remembrement prévu par la législation applicable ne serait pas économique mais simplement technique - dans le sens qu'il s'agirait simplement de pallier l'inadaptation de la délimitation matérielle de certaines parcelles par rapport aux réalisations projetées dans le cadre d'un plan d'aménagement, soit d'enlever les pointes irrégulières et d'aligner les propriétés -, force serait dans ce cas de constater que le PAP « …» violerait ouvertement, du fait de la mise en place de constructibilités variables et de l'obligation de cession à titre gratuit de parcelles tombant dans le domaine public, les principes de traitement égalitaire de tous les citoyens, de non-
discrimination et de libre disposition de la propriété privée, de sorte que le PAP « …» serait illégal et ne saurait servir de base à la décision attaquée.
Enfin, à titre encore plus subsidiaire, la société …fait plaider que la législation applicable, ayant permis au PAP « …» d'être voté et servant actuellement à l'application pratique du même PAP, violerait également les mêmes principes constitutionnels, de sorte que le tribunal devrait poser la question préjudicielle de la constitutionnalité de la législation applicable à la Cour Constitutionnelle. Dans cet ordre de subsidiarité et dans la mesure où la Cour Constitutionnelle devrait confirmer l'inconstitutionnalité de la législation applicable, le PAP « …» perdrait sa base légale et partant ne saurait plus servir de base à la décision attaquée.
De leur côté, tant la Ville que les consorts …contestent que l'autorisation de construire litigieuse aurait dû être précédée d'une opération de remembrement, et ce, d’une part, au motif que la délivrance d'une autorisation de construire ne dépendrait en droit pas d'une opération de remembrement préalable et, d’autre part, qu’en tout état de cause les conditions matérielles rendant un remembrement nécessaire ne seraient pas réunies, les consorts …signalant à cet égard en particulier que le lot destiné à accueillir la construction couverte par l’autorisation litigieuse appartiendrait intégralement à un seul et même propriétaire.
La Ville et les consorts …contestent encore de manière générale la nécessité de procéder à un remembrement unique couvrant l’ensemble du PAP, tout comme ils contestent le but conféré par la demanderesse à un remembrement, à savoir de permettre à chaque propriétaire d'une parcelle de terrain couvert par un PAP de pouvoir bénéficier de la même constructibilité que celle des autres propriétaires.
Il convient de prime abord, eu égard aux différentes argumentations développées de part et d’autre, de rappeler la portée d’une autorisation de bâtir.
D’une manière générale, il y a lieu de relever que le bourgmestre est tenu, aux termes de l’article 67 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, de veiller à l’exécution des lois et règlements de police.
Il y a encore lieu de rappeler qu’une autorisation de construire consiste en substance en la constatation officielle par l’autorité compétente - en l’espèce le bourgmestre - de la conformité d’un projet de construction aux dispositions réglementaires (plan d’aménagement et règlement sur les bâtisses) applicables3. En effet, la finalité première d’une autorisation de construire consiste à certifier qu’un projet est conforme aux règles d’urbanisme applicables et par principe le propriétaire peut faire tout ce qui lui n’est pas formellement interdit par une disposition légale ou réglementaire. Ainsi, la conformité de la demande d’autorisation par rapport aux dispositions légales ou réglementaires existantes entraîne en principe dans le chef de l’administration l’obligation de délivrer le permis sollicité, sous peine de commettre un abus respectivement un excès de pouvoir4 .
Il s’ensuit que le bourgmestre, à l’occasion de la délivrance d’une autorisation de construire, ne doit prendre en considération que les prescriptions administratives5 alors qu'il ne lui appartient pas de prendre en compte des considérations d'intérêt privé6 sans commettre un excès de pouvoir7.
Le bourgmestre dès lors permet de bâtir en se prononçant uniquement du point de vue administratif, la conception et la réception de l’immeuble, les responsabilités pénale et civile, les litiges sur le droit de propriété restant l’affaire des constructeurs8.
Cette conclusion se dégage encore du fait que le permis de construire est délivré sous réserve des droits des tiers : les droits généralement quelconques des tiers étant réservés, il leur appartient de les faire valoir devant le juge compétent, à savoir les juridictions civiles9.
Ainsi, le bourgmestre, en délivrant l’autorisation de bâtir, constate dans la forme passive d’une autorisation que la réalisation du projet est permise. Cet acte d’administration ne peut avoir pour l’administration aucune conséquence civile : si le bâtisseur construit sur le bien d’autrui, ou si le bien est grevé de servitudes civiles, la demande est néanmoins accueillie, parce que l’administration ignore le point de droit civil et qu’elle ne prend aucune responsabilité technique10.
Cette conclusion a été consacrée par le législateur en l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, aux termes duquel « Toute construction, transformation ou démolition d'un bâtiment est soumise à l'autorisation du bourgmestre. L'autorisation de construire n'est accordée que si les travaux sont conformes soit au plan ou au projet d'aménagement général et le cas échéant au plan ou au projet d'aménagement particulier, voire au plan ou au projet de lotissement, de relotissement ou de morcellement, parties graphique et écrite.
3 Voir trib. adm. 2 février 2004, n° 14800 et 16729, confirmé par arrêt du 23 septembre 2004, n° 17704C ; trib.
adm. 15 décembre 2004, n° 17971 du rôle, confirmé par arrêt du 9 juin 2005, n° 19200C Pas. adm. 2009, V° Urbanisme, n° 451.
4 Voir en ce sens : Ph. VANDEN BORRE, « Les permis de bâtir, de lotir, les certificats d’urbanisme et les sanctions », in : Le droit de la construction et de l’urbanisme, Ed.du jeune Barreau, Bruxelles, 1976, p.219.
5 CE 14 décembre 1972, Bull. doc. comm. n° 13, p.79.
6 CE 14 mars 1928, Pas. 11, 481, CE 27 avril 1932, Pas. 12, p. 458.
7 Voir trib. adm. 14 avril 2005, n° 17935 du rôle, www.ja.etat.lu 8 Wilkin R., Voirie et alignement – urbanisme et constructions, Bruylant, 1964, n° 135, p.283 9 Voir trib. adm. 18 février 2004, n° 16832, www.ja.etat.lu ; trib. adm., 10 juin 2009, n° 25016, www.ja.etat.lu 10 Wilkin R., op. cit., p.283.
Le bourgmestre n'accorde aucune autorisation de construire tant que les travaux de voirie et d'équipements publics nécessaires à la viabilité de la construction projetée ne sont pas achevés, sauf si l'exécution et les délais d'achèvement de ces travaux, la participation aux frais et les termes de paiement sont réglés par une convention spéciale, sur la base des principes arrêtés par l'article 36 ».
En d’autres termes, le bourgmestre doit accorder l'autorisation de construire lorsque le projet de construction est entièrement conforme aux plans d'aménagement communaux et que les travaux de voirie et d'équipements publics nécessaires à la viabilité du projet sont achevés11.
La condition légale de la réalisation préalable d’un remembrement, telle que revendiquée par la partie demanderesse, ne résulte dès lors pas de cette disposition.
En l’espèce, force est par ailleurs de constater que la demanderesse ne motive pas son recours par le fait que l’autorisation telle que délivrée heurterait une quelconque disposition relevant de l’urbanisme local, que ce soit le plan d’aménagement général, le PAP « …» ou le règlement sur les bâtisses de la Ville de Luxembourg, ni que les travaux d’infrastructures afférents n’aient pas été achevés, mais elle affirme que l’autorisation aurait due être précédée d’un remembrement.
Il convient dès lors en un premier temps de retenir que l’autorisation de bâtir déférée n’est ni critiquée, ni critiquable par rapport aux critères énoncés à l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 précitée, qui détermine le cadre direct des pouvoirs et obligations du bourgmestre appelé à délivrer une autorisation de bâtir.
En ce qui concerne l’argumentation relevant de la nécessité, tant légale que matérielle, de la réalisation préalable d’un remembrement, force est de constater que le remembrement urbain, qu’il soit conventionnel ou légal, n’a été prévu par le législateur qu’en tant que mesure d’exécution d’un PAP, mais qu’aucune disposition légale ne prévoit le remembrement en tant qu’élément conditionnant la légalité d’un PAP.
11 Projet de loi 44863 concernant l'aménagement communal et le développement urbain, session ordinaire 2002-
2003Amendements gouvernementaux, Commentaire des articles, ad. art .37.
En effet, non seulement les dispositions légales afférentes figurent sous le titre 6 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 précitée consacré aux « mesures d'exécution des plans d'aménagement », mais l’article 63 de ladite loi définit le remembrement urbain comme « une opération d'exécution d'un plan d'aménagement général ou particulier qui consiste à remodeler un parcellaire existant de façon à le faire concorder aux dispositions du plan d'aménagement à réaliser. Le remembrement peut s’effectuer, soit par voie d’accord entre les propriétaires, sous forme de remembrement conventionnel ou d’échanges amiables, soit sous forme de remembrement légal ». Il s'agit par conséquent d'une opération « entre propriétaires de terrains 12» - partant à caractère privé - qui consiste à réaliser, dans le cadre de la mise en oeuvre d'un projet d'aménagement général ou d'un projet d'aménagement particulier, des échanges de parcelles de terrains en vue d'aboutir à une nouvelle structure foncière répondant aux objectifs du projet d'aménagement en question13.
Force est de surcroît et à titre superfétatoire de constater que contrairement aux allégations de la demanderesse, le but du remembrement n’est pas de procéder à un rééquilibrage économique des différentes constructibilités, en procédant en substance à une redistribution des charges et plus-values, mais, comme retenu par l’article 63 précité, de remodeler un parcellaire existant de façon à le faire concorder aux dispositions du PAP à réaliser, lorsque comme prévu par l’article 64, « des fonds ne peuvent pas de par leur délimitation ou de par leur configuration recevoir la destination leur impartie » par le PAP.
Il en résulte qu’un remembrement ne constitue pas une obligation légale, systématique, préalable à la délivrance d’une autorisation de bâtir, ne constitue le cas échéant qu’une nécessité matérielle, s’imposant éventuellement en fonction de la configuration initiale des parcelles et terrains, afin de permettre la réalisation matérielle du PAP. A ce sujet, il y a lieu de souligner qu’il s’agit de deux opérations poursuivant des buts distincts, le PAP ayant pour objet de réglementer l’affectation des terrains, et ce sans égard aux limites et configurations respectives des différentes propriétés couvertes par le PAP, tandis que le remembrement, à l’instar d’ailleurs de la rectification des limites de fond, a vocation à intervenir au niveau de la configuration matérielle des différentes parcelles.
Cette conclusion ne signifie cependant pas non plus que le remembrement constitue une étape obligée et systématique de l’exécution d’un PAP, puisqu’il ne s’impose que lorsque le parcellaire existant n’est pas conforme à celui requis pour l’exécution du PAP : en d’autres termes, ce n’est que la configuration initiale du parcellaire par rapport à la configuration exigée par le PAP qui dicte - matériellement - la nécessité de procéder à un remembrement, nécessité matérielle qui par ailleurs, quoique alléguée par la demanderesse, ne résulte pas des explications et pièces fournies en cause.
Il convient par ailleurs de souligner que l’issue d’un remembrement ne dépend ni du bourgmestre, ni de l’impétrant ayant sollicité la délivrance de l’autorisation de construire litigieuse, mais en revanche de l’accord de toutes les parties concernées, ou à défaut de l’obtention d’un tel accord de l’issue d’une expropriation pour cause d'utilité publique, respectivement en cas de remembrement légal, d’une décision ministérielle.
12 Projet de loi n° 4486 concernant l’aménagement des communes, session ordinaire 1998-1999, Exposé des motifs, p.7.
13 Projet de loi n° 44863 concernant l'aménagement communal et le développement urbain, session ordinaire 2002- 2003, Amendements gouvernementaux, Commentaire des articles, ad. art .61.
Au vu de ces différents intervenants et des aléas affectant les différentes procédures, il ne saurait être question de faire dépendre la délivrance d’une autorisation de bâtir - qui comme retenu ci-avant doit intervenir automatiquement en cas de conformité du projet de construction avec la réglementation urbanistique - de la volonté de tiers, étrangers au processus décisionnel propre à l’autorisation de bâtir.
Si le tribunal reconnaît que l’absence de remembrement peut certes conduire à des rapports de propriété déséquilibrés au sein d’un même PAP, dans le sens mis en avant par la demanderesse, c’est-à-dire que certaines parcelles, du fait de leur constructibilité moindre voire, en cas de servitude non aedificandi, inexistante, génèreront une plus-value moindre, voire nulle, en comparaison avec d’autres terrains à constructibilité importante, il s’agit-là en tout état de cause d’une question étrangère au cadre légal des autorisations de bâtir, question à régler au niveau des différents propriétaires en cause, par le biais d’une convention, d’une mise en société de tous les terrains concernés, d’un remembrement conventionnel ou, en cas d’échec, par le biais d’une expropriation, ainsi qu’étrangère au cadre légal des PAP. En ce qui concerne plus particulièrement la question de la légalité d’un PAP au vu du déséquilibre économique mis en avant par la demanderesse, question devant d’ores et déjà être écartée au vu de la conclusion retenue ci-avant par le tribunal selon laquelle la question du remembrement est étrangère à celle de la délivrance d’une autorisation de construire, le tribunal tient à souligner qu’une telle question se pose de manière générale par rapport à tout instrument réglementaire d’urbanisme, qu’il s’agisse d’un PAP ou, à un niveau hiérarchique supérieur, d’un PAG : à partir du moment où un tel instrument réglementaire détermine l’affectation des différents terrains et leur degré de constructibilité, il crée nécessairement une inégalité, un déséquilibre entre les différents terrains, certains terrains, en fonction de leur classement, se voyant conférer une haute constructibilité, tandis que d’autres terrains une constructibilité moindre voire nulle ; il ne saurait cependant dans ce cas de figure être raisonnablement exigé de procéder, par le biais d’un remembrement, à un rééquilibrage des intérêts financiers de tous les différents propriétaires, ni être question d’une illégalité dudit instrument réglementaire pour des raisons de discrimination ou d’inégalité.
Dans ce contexte, il convient plus particulièrement de rappeler qu’en tout état de cause la juridiction administrative n'a pas qualité pour examiner les actes administratifs au titre de leurs seules implications patrimoniales, examen dont la compétence revient aux juridictions de l'ordre judiciaire14.
Enfin, si le tribunal reconnaît de même que l’absence de remembrement peut encore constituer une entrave - matérielle, mais non légale - à la bonne exécution d’un PAP, il s’agit-
là encore d’une question étrangère à celle de la légalité des décisions d’urbanisme, que ce soient les décisions individuelles - les autorisations de bâtir - ou les décisions réglementaires (PAG ou PAP) ; pour rappel, la délivrance d’une autorisation de construire n’a pour portée que d’attester de la conformité du projet avec les normes urbanistiques légales ou réglementaires, mais ne porte pas ipso facto de jugement sur la constructibilité technique, sur la réalisabilité technique ou matérielle du projet, l’autorisation de bâtir étant indifférente à des considérations techniques et financières.
14 Cour adm. 14 décembre 2004, n° 18229C, Pas. adm. 2009, V° Urbanisme, n° 394.
En conclusion, le tribunal retient que l’absence de remembrement ne saurait constituer un obstacle légal à la délivrance de l’autorisation de bâtir litigieuse, étant donné, d’une part, que l’existence d’un tel remembrement ne constitue pas l’un des critères de délivrance prévus par l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 précitée et, d’autre part, qu’un remembrement ne constitue pas une condition légale et obligatoire d’un PAP.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par la demanderesse est à rejeter comme n’étant pas fondé, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens de la demanderesse, tous articulés autour de la question de l’obligation de procéder préalablement à un remembrement, en ce compris les diverses questions préjudicielles, ainsi que les arguments y afférents opposés par la Ville et les consorts….
Les consorts… sollicitent la condamnation de la partie demanderesse à une indemnité de procédure d’un montant de 10.000 euros, en soulignant que le groupe …, dont fait partie la demanderesse, les aurait entraîné dans 23 procédures judiciaires dans lesquelles le groupe … aurait systématiquement succombé, mais qui les aurait obligé à mobiliser des moyens considérables pour se défendre contre les multiples attaques non justifiées du groupe ….
Il ressort de ces explications - et de l’importance du montant réclamé - que les parties de Maître ELVINGER tentent en fait dans cette mesure de se faire ainsi indemniser des dommages prétendument causés par l’acharnement procédural du groupe …, dommages qui ne résultent cependant pas de la seule instance sous analyse, mais également d’autres procédures contentieuses menées en vain par le groupe ….
La demande tendant à l’obtention d’une indemnité de 10.000 euros étant de la sorte à qualifier de demande en obtention de dommages-intérêts pour procédure vexatoire, voire pour un comportement du groupe … considéré comme fautif, elle est à rejeter, les juridictions administratives n’étant pas compétentes pour indemniser un quelconque préjudice tiré du fond du litige15, cette question relevant du juge judiciaire.
Néanmoins dans la mesure où la demande s’inscrit dans le cadre de l’article 33 de la prédite loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de son issue, du fait que les parties tierces-intéressées ont été obligées de se défendre en justice sous l’assistance d’un avocat et ont été obligées de déposer des actes de procédure, le tribunal retient qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts… l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.
Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du tribunal, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que du montant réclamé, et au vu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à allouer à chacune des parties de Maître ELVINGER un montant de 750 euros.
Par ces motifs, 15 Cour adm. 22 avril 1999, n° 10489C, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n°786.
le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la société à responsabilité limitée …à payer à Madame …, à Madame …et à Monsieur … chaque fois une indemnité de procédure d’un montant de 750.- € ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mai 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier assumé Michèle Feit, Feit Sünnen 11