Tribunal administratif N° 25895 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juillet 2009 2e chambre Audience publique du 29 avril 2010 Recours formé par Madame …, … contre une décision de la Commission des Cartes de presse du Conseil de Presse en matière de presse
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25895 du rôle et déposée le 14 juillet 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître François Moyse, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, …, …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 15 avril 2009 émanant du Conseil de Presse respectivement de la Commission des Cartes de presse, portant rejet de sa demande en obtention d’une carte de journaliste ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou Thill, demeurant à Luxembourg, du 24 juillet 2009, portant signification de ce recours au Conseil de Presse, ayant son siège à la Maison de la Presse à L-1728 Luxembourg, 24, rue du Marché-aux-Herbes, représenté par son président actuellement en fonctions ;
Vu la constitution d’avocat déposée par Maître Nicolas Decker, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des Avocats à Luxembourg, au greffe du tribunal administratif en date du 25 août 2009 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par le Premier ministre, ministre d’Etat, ayant dans ses attributions le Conseil de Presse ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2009 par Maître Nicolas Decker au nom de l’Etat ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2010 au nom de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2010 par Maître Nicolas Decker au nom de l’Etat ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François Moyse et Maître Arnaldina Ferreira Da Silva, en remplacement de Maître Nicolas Decker, en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 11 août 2008, Madame … soumit au Conseil de Presse une demande relative à l’octroi d’une carte de journaliste, en tant qu’indépendante, en faisant état de ses qualités de journaliste-rédacteur et d’éditeur pour le compte de l’association sans but lucratif ….
Par une lettre du 29 août 2008, le Conseil de Presse accusa réception de cette demande, tout en invitant Madame … à compléter sa demande et à lui fournir un certain nombre de renseignements supplémentaires sur sa situation professionnelle et sur l’a.s.b.l.
…. L’intéressée fournit les renseignements demandés au Conseil de Presse par une lettre non datée.
Par une lettre recommandée du 15 avril 2009, le Conseil de Presse informa Madame … de la décision de la Commission des Cartes de presse refusant de faire droit à sa demande d’attribution d’une carte de journaliste au motif qu’elle ne remplissait pas les définitions et conditions énoncées dans les articles 3,6 et 31,1 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d'expression dans les médias (ci-après « loi du 8 juin 2004 »), alors que sa collaboration comme rédactrice et éditrice au magazine « … » était exercée à titre bénévole et qu’elle ne touchait pas de revenu mensuel.
Contre cette décision, Madame … a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2009, un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation.
L’Etat conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que la loi du 8 juin 2004 instituerait expressément un recours au fond en matière de décisions de la Commission des Cartes de presse.
Le tribunal étant, conformément à l’article 29 de la loi du 8 juin 2004, appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit à l’encontre d’une décision de la Commission des Cartes de presse, le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Quant au fond, la demanderesse invoque en premier lieu une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce que la décision critiquée n’aurait pas indiqué à suffisance de droit les motifs à la base de la décision de refus, ce qui l’aurait empêchée de connaître les raisons pour lesquelles sa demande d’attribution d’une carte de journaliste a été refusée.
Conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et elle doit indiquer formellement les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande d’un administré.
La sanction de l’absence de motivation d’une décision administrative ne consiste cependant que dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs justifiant sa décision postérieurement et même pour la première fois en cours d’instance (cf. Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 68).
Or, en l’espèce, la décision litigieuse indique non seulement clairement la base légale sur laquelle la Commission des Cartes de presse s’est fondée, à savoir les articles 31, point 1 et 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004, mais elle énonce également les circonstances de fait en ce qu’elle indique que la demanderesse exerce son activité à titre bénévole et ne touche pas de revenu mensuel. Cette motivation a encore été précisée par l’Etat dans son mémoire en réponse, de sorte que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur les raisons qui ont amené la Commission des Cartes à lui refuser la délivrance d’une carte de journaliste.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 laisse d’être fondé.
En deuxième lieu, la demanderesse reproche à la Commission des Cartes d’avoir fait une mauvaise application de la loi et une appréciation erronée des faits de la cause.
Elle expose qu’elle assumerait depuis plus de six années la fonction de coéditeur de la revue périodique en langue italienne « … » s’adressant à la communauté italienne au Luxembourg, de sorte à remplir les conditions énoncées à l’article 3, point 3 de la loi du 8 juin 2004 qui définit la notion d’éditeur. Elle soutient qu’elle répondrait également aux conditions de l’article 3, point 6 de la même loi, en ce que, à côté de sa fonction de coéditeur, elle participerait régulièrement à la rédaction d’articles, de sorte qu’elle devrait être assimilée à une journaliste. Elle précise encore que depuis le 14 mars 1995, elle serait titulaire de la carte de journaliste délivrée par l’Ordre des journalistes italien.
L’Etat rétorque que la Commission des Cartes de presse aurait fait une application exacte des dispositions de la loi et une appréciation exacte des faits. Il soutient que la demanderesse n’aurait ni la qualité de journaliste, ni celle d’éditrice, au motif qu’elle ne travaillerait que bénévolement au sein de l’a.s.b.l. …, qui aurait pour objet la promotion de la culture italienne au Luxembourg, alors que la loi considérerait comme journaliste la personne qui exerce à titre principal et contre rémunération une activité journalistique ou qui exerce à titre régulier une telle activité générant des revenus substantiels. Il estime que comme la demanderesse ne serait pas liée par un contrat de travail et ne toucherait pas de rémunération de l’a.s.b.l. …, elle devrait donc nécessairement percevoir des revenus d’une autre activité. L’Etat soutient ensuite que le critère des revenus retenu par la loi du 8 juin 2004 pour définir la qualité de journaliste constituerait un critère valable, conforme à la Recommandation n° R (2000) 7 du 8 mars 2000 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information, tout en précisant que le législateur luxembourgeois n’aurait pas voulu subordonner la qualité de journaliste à la possession de diplômes, mais aurait préféré s’attacher à l’activité effectivement exercée par le postulant en s’assurant qu’il s’agirait d’une activité principale ou du moins dominante. Le mandataire de l’Etat conteste ensuite que la demanderesse revête la qualité d’éditrice, alors que ce ne serait pas elle, mais l’a.s.b.l. … qui éditerait le magazine …. Or, seuls seraient assimilés aux journalistes les éditeurs personnes physiques qui agissent personnellement en cette qualité, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Aux termes de l’article 31 de la loi du 8 juin 2004, « l’octroi d’une carte de journaliste constitue une attestation de l’exercice du métier de journaliste et est subordonné aux conditions suivantes :
1) avoir la qualité de journaliste au sens de la loi, 2) avoir l’âge de la majorité, 3) ne pas être déchu, au Grand-Duché de Luxembourg, en tout ou en partie, des droits civils énumérés à l’article 11 du Code pénal et n’avoir encouru à l’étranger une condamnation qui, si elle avait été prononcée au Grand-Duché de Luxembourg, aurait entraîné la déchéance de tout ou partie de ces droits, 4) n’exercer aucun commerce ni activité ayant pour objet principal la publicité. » Il convient tout d’abord de relever que les conditions sub 2 à 4, énoncées à l’article 31 précité, ne sont pas litigieuses en l’espèce, étant donné que la Commission des Cartes de presse, pour refuser la carte de journaliste à Madame …, s’est contentée en substance à lui dénier la qualité de journaliste.
La notion de journaliste est définie à l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004 qui indique qu’est journaliste « toute personne qui exerce à titre principal une activité rémunérée ou qui exerce à titre régulier une activité générant des revenus substantiels, que ce soit en tant que salarié ou en tant qu’indépendant, auprès ou pour le compte d’un éditeur et qui consiste dans la collecte, l’analyse, le commentaire et le traitement rédactionnel d’informations ;
Est assimilé au journaliste l’éditeur, personne physique, qui participe personnellement et de manière régulière à la collecte, l’analyse, le commentaire et au traitement rédactionnel d’informations ».
Aux termes de l’article 3, point 3 de la loi du 8 juin 2004, est éditeur « toute personne physique ou morale qui, à titre d’activité principale ou régulière, conçoit et structure une publication, en assume la direction éditoriale, décide de la mettre à la disposition du public en général ou de catégories de publics par la voie d’un média et ordonne à cette fin sa reproduction ou multiplication ».
Il résulte d’une lecture combinée des dispositions légales précitées que le bénéfice de la carte de journaliste est réservé aux personnes qui exercent leur activité de journaliste, soit à titre principal et contre rémunération, soit à titre régulier en en tirant des revenus substantiels. La loi prend ainsi le soin non seulement de préciser en quoi consiste le travail de journaliste, mais elle fixe aussi les conditions dans lesquelles cette profession doit être pratiquée pour qu’une personne puisse prétendre à la qualification juridique de journaliste ou d’éditeur assimilé au journaliste et partant pouvoir se prévaloir de l’octroi d’une carte de journaliste. Il convient encore de relever que la possession de cette carte constitue uniquement une attestation de l’exercice du métier de journaliste et qu’elle permet d’obtenir un certain nombre de facilités dans l’exercice de ce métier, mais elle n’est pas une condition d’exercice du travail de journaliste.
En l’espèce, il se dégage des termes de la décision déférée que pour refuser l’octroi de la carte de journaliste à Madame …, la Commission des Cartes de presse s’est fondée sur ce que celle-ci ne remplirait pas les conditions énoncées dans les articles 3, point 6 et 31, point 1 de la loi du 8 juin 2004, dans la mesure où elle n’apporterait sa collaboration au magazine « … » qu’à titre bénévole sans toucher de revenu mensuel.
La demanderesse a sollicité, selon les termes de sa demande, telle que complétée par une lettre non datée en réponse à une lettre du 29 août 2008, par laquelle le Conseil de Presse lui réclamait des informations complémentaires, l’attribution d’une carte de presse à deux titres, à savoir comme éditeur de la publication « … » et comme journaliste-
rédacteur au sein de la même publication.
Il convient dès lors d’examiner si la demanderesse répond aux conditions légales telles que sus-énoncées pour pouvoir prétendre à l’octroi d’une carte de presse.
En ce qui concerne tout d’abord la qualité d’éditeur alléguée, la demanderesse reste en défaut de démontrer qu’elle revêt elle-même la qualité d’éditrice de la publication en langue italienne « … ». Il se dégage, au contraire, des pièces versées en cause par la partie défenderesse, et en particulier du contrat de distribution de ladite publication, conclu le 20 février 2006 entre la société … et …, ainsi que d’un article publié dans le journal La Voix du 17 mars 2007, pièces non utilement contestées par la demanderesse, que c’est l’a.s.b.l. … qui édite le magazine du même nom.
Il s’ensuit que la demanderesse ne saurait se prévaloir de sa qualité d’éditrice à l’appui de sa demande d’octroi d’une carte de presse. S’il n’est pas contesté en cause que l’a.s.b.l. … est représentée notamment par Madame …, il n’en demeure pas moins qu’aux termes de l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004, seuls les éditeurs personnes physiques qui agissent personnellement en cette qualité sont assimilés aux journalistes et peuvent partant se prévaloir de cette qualité pour obtenir la délivrance d’une carte de journaliste.
Concernant la qualité de journaliste de la demanderesse, il convient de relever que le Conseil de Presse a retenu comme motif de refus l’absence de tout revenu généré par l’activité journalistique de la demanderesse, étant donné que celle-ci a déclaré, sur question afférente du Conseil de Presse, collaborer au magazine « … » à titre bénévole et ne pas toucher de revenu mensuel. Ce n’est dès lors pas l’activité journalistique de la demanderesse en tant que telle qui a été remise en cause par le Conseil de Presse, mais le fait de ne pas en tirer des ressources, impliquant qu’il ne s’agit pas d’une activité principale ou régulière de la demanderesse.
Or, dans la mesure où le journaliste est défini comme étant toute personne qui exerce à titre principal une activité rémunérée ou qui exerce à titre régulier une activité générant des revenus substantiels, que ce soit en tant que salarié ou en tant qu’indépendant, auprès ou pour le compte d’un éditeur, la demanderesse ne répond pas à la définition légale du journaliste, telle qu’énoncée à l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004. Il s’ensuit qu’elle ne répond pas à la condition exigée à l’article 31, point 1, à savoir celle d’avoir la qualité de journaliste, pour pouvoir prétendre à l’octroi d’une carte de presse.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation de la demanderesse qu’elle est titulaire d’une carte de journaliste en Italie, étant donné que la loi luxembourgeoise ne prévoit pas que cette circonstance soit de nature à influer positivement sur la décision d’attribution d’une carte de presse.
La demanderesse soutient en troisième lieu que la décision litigieuse méconnaîtrait le droit communautaire et notamment les articles 3, paragraphe 1, c) et 43 du Traité instituant la Communauté européenne (ci-après « traité CE ») garantissant la libre circulation des personnes et des services ainsi que la liberté d’établissement. Elle fait valoir dans ce contexte qu’elle bénéficierait en Italie de la qualification professionnelle de journaliste sur la base de son titre de formation et de son expérience professionnelle, tel que cela serait d’ailleurs attesté par son inscription au tableau de l’ordre des journalistes en Italie. Elle en déduit que la profession de journaliste constituerait en Italie une profession réglementée au sens de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Or, d’après la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 43 du traité CE s’opposerait à toute mesure nationale qui même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, serait susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice par les ressortissants communautaires des libertés fondamentales garanties par le traité. Elle affirme ainsi que même pour la profession de journaliste qui ne constituerait pas une profession réglementée dans tous les Etats membres de l’Union européenne, l’Etat d’accueil devrait prendre en compte les qualifications professionnelles permettant l’accès à la profession dans l’Etat membre d’origine.
L’Etat fait rétorquer que ce serait à tort que la demanderesse invoque une violation de l’ancien article 43 du traité CE qui serait devenu l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») garantissant la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre sur le territoire d’un autre Etat membre. Il fait valoir que la liberté d’établissement comporterait l’accès aux activités non salariées et leur exercice dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants. Ainsi, sous réserve de respecter l’égalité de traitement entre les nationaux et les ressortissants communautaires, chaque Etat membre conserverait, en l’absence de dispositions spécifiques en la matière, la liberté de réglementer l’exercice de professions sur son territoire. Il estime ainsi que l’article 3 de la loi du 8 juin 2004 n’aurait pas introduit une discrimination entre les ressortissants nationaux et les ressortissants communautaires. En plus, il n’existerait aucune réglementation communautaire sur la profession de journaliste, laquelle ne constituerait pas non plus une profession réglementée au Luxembourg, de sorte que la directive 2005/36/CE ne serait pas applicable en l’espèce. Finalement, l’Etat fait encore plaider que les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne citées par la demanderesse ne seraient pas pertinentes dans le présent litige.
Il convient tout d’abord de relever que la profession de journaliste ne constitue pas au Luxembourg une profession réglementée au sens de l’article 3, paragraphe 1, point a) de la directive 2005/36/CE, étant donné que l’accès, l’exercice ou une modalité d’exercice de ladite profession n’est pas subordonné à la possession de qualifications professionnelles déterminées, de sorte que les dispositions de ladite directive ne sont pas susceptibles de trouver application en l’espèce. Il s’ensuit que la demanderesse ne saurait se prévaloir de sa carte de journaliste italienne pour pouvoir faire valoir un prétendu droit à se voir délivrer une carte de journaliste au Luxembourg.
S’y ajoute que dans la mesure où l’accès à la profession de journaliste n’est pas, d’après la législation luxembourgeoise, subordonné à la possession d’un diplôme ou d’une qualification professionnelle ou à des périodes d’expérience pratique, la demanderesse ne saurait se prévaloir de la liberté d’établissement, telle que garantie par l’article 43 du traité CE, devenu l’actuel article 49 du TFUE, pour prétendre à l’octroi d’une carte de presse. Cette conclusion n’est pas énervée par les arrêts de la Cour de justice cités par la partie demanderesse, étant donné que ces affaires avaient toutes trait à des professions réglementées et qu’il se posait partant un problème de reconnaissance des qualifications professionnelles, ce qui n’est pas le cas dans le présent litige.
Le moyen tiré d’une violation des dispositions du droit de l’Union est partant à rejeter comme non fondé.
En dernier lieu, la demanderesse soutient que la décision de refus litigieuse violerait le principe d’égalité devant la loi, tel qu’inscrit à l’article 10 bis de la Constitution. Elle fait valoir que la loi du 8 juin 2004 aurait pour objet d’assurer la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantirait à toute personne, qu’elle soit journaliste ou non, la liberté d’expression. La demanderesse estime que la définition de la notion de journaliste donnée à l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004 serait trop restrictive en ce qu’elle subordonnerait la qualité de journaliste à la condition de tirer des revenus substantiels de l’activité de journaliste. Elle donne à considérer que des prérogatives seraient attachées à la qualité de journaliste dont notamment celle de la protection du secret des sources d’information. Il s’ensuivrait qu’un auteur d’articles de journaux ou d’autres publications qui ne répondrait pas à la définition légale de journaliste ne bénéficierait pas de ces privilèges. La loi du 8 juin 2004 aboutirait dès lors à la création de deux catégories de journalistes, à savoir ceux qui répondent à la définition légale et qui bénéficient d’un statut privilégié et les autres. Cette distinction serait contraire au principe constitutionnel de l’égalité devant la loi. En ordre subsidiaire, la demanderesse suggère de soumettre à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle sur la conformité de l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004 avec l’article 10 bis de la Constitution.
L’Etat conclut au rejet de ce moyen en invoquant principalement l’irrecevabilité de la demande de saisine de la Cour constitutionnelle pour défaut de précision de la question préjudicielle proposée, en ce que celle-ci ne préciserait pas de quelle manière l’application de l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004 violerait le principe de l’égalité devant la loi. En ordre subsidiaire, il conclut encore au rejet de cette demande en se fondant sur l’article 6, alinéa 2 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, au motif que la question serait manifestement dénuée de fondement, étant donné que l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004, en prévoyant l’attribution d’une carte de journaliste à toute personne dont l’activité répond à la définition de journaliste, n’instituerait aucune différence de traitement.
Le principe d'égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente des situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu'au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l'égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu'elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but.
Ce principe appelle partant une analyse à deux degrés. Dans un premier stade, il convient de façon préalable de vérifier la comparabilité des deux catégories de personnes par rapport auxquelles le principe est invoqué. Ce n’est que si cette comparabilité est vérifiée que, dans un deuxième stade, la juridiction saisie analyse si la différenciation qui existe par hypothèse entre ces deux catégories de personnes est objectivement justifiée ou non.
Il convient dès lors d’analyser si les personnes répondant à la définition de journaliste au sens de l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004 et celles qui n’y répondent pas se trouvent dans une situation similaire.
Or, force est de constater que les personnes qui répondent à la notion de journaliste, telle que définie à l’article 3, point 6 de la loi du 8 juin 2004, à savoir « toute personne qui exerce à titre principal une activité rémunérée ou qui exerce à titre régulier une activité générant des revenus substantiels, que ce soit en tant que salarié ou en tant qu’indépendant, auprès ou pour le compte d’un éditeur et qui consiste dans la collecte, l’analyse, le commentaire et le traitement rédactionnel d’informations » et celles qui ne répondent pas à cette définition, ne se trouvent pas dans une situation suffisamment comparable. En effet, la situation en fait d’une personne qui exerce à titre principal une activité journalistique rémunérée ou qui exerce à titre régulier une activité journalistique générant des revenus substantiels, c'est-à-dire la personne pour laquelle le journalisme constitue l’activité dominante et dont elle tire ses ressources, n’est pas comparable à celle d’une personne qui exerce cette même activité qu’à titre bénévole ou de manière accessoire. D’autre part, les personnes qui ont pour activité principale et rémunérée le journalisme ou celles qui exercent à titre régulier l’activité journalistique et dont elles tirent des revenus substantiels, se retrouvent dans une situation différente en droit, étant donné qu’elles peuvent prétendre à la qualification juridique de journaliste, contrairement aux personnes qui n’exercent le journalisme qu’à titre occasionnel ou de manière accessoire sans en tirer de revenus et qui n’ont partant pas la qualité de journaliste au sens de la loi du 8 juin 2004.
Force est dès lors de retenir qu’eu égard aux différences de la situation existant en droit et en fait entre ces deux catégories de personnes, leurs situations respectives ne sont pas suffisamment comparables, de sorte que le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi ne trouve pas à s’appliquer.
Par voie de conséquence, la question de constitutionnalité soulevée par la demanderesse est à écarter comme étant dénuée de tout fondement au sens de l’article 6, alinéa 2 b) de la loi précitée du 27 juillet 1997.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 euros formulée par la demanderesse sur la base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter comme étant non fondée.
Quant à la demande de la partie défenderesse en allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 euros fondée sur l’article 240 du nouveau Code de procédure civile, sinon sur l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999, cette demande est également à rejeter, étant donné qu’abstraction faite de ce que la faculté pour le tribunal administratif d’allouer une indemnité de procédure trouve son fondement dans l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999 et non pas dans l’article 240 du nouveau Code de procédure civile, une demande d’allocation d’une indemnité de procédure qui omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qui ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser ces frais à charge de la partie défenderesse est à rejeter, la simple référence à l’article de la loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées tant par la demanderesse que par l’Etat ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 29 avril 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Michèle Feit.
Michèle Feit Carlo Schockweiler 9