Tribunal administratif Numéro 24862 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er octobre 2008 2e chambre Audience publique du 22 avril 2010 Recours formé par la société anonyme … s.a., contre deux bulletins de cotisation émis par la Chambre de Commerce du Grand-Duché de Luxembourg en matière de cotisations professionnelles
______________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24862 du rôle et déposée le 1er octobre 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … s.a., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant à l’annulation d’un bulletin qualifié de bulletin de redressement de la cotisation relative à l’année 2007 émis par la Chambre de Commerce en date du 2 juillet 2008 et, pour autant que de besoin, du bulletin de cotisation initial émis en date du 5 juillet 2007 au sujet de la même année 2007 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 2 octobre 2008, portant signification de ce recours à la Chambre de Commerce du Grand-Duché de Luxembourg, établie à L-1615 Luxembourg, 7, rue Alcide de Gasperi ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2008 par Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la Chambre de Commerce du Grand-Duché de Luxembourg, ledit mémoire en réponse ayant été notifié par acte d’avocat à avocat au mandataire de la partie demanderesse le 29 décembre 2008 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2009 par Maître Alain Gross, pour compte de la société anonyme … s.a., ledit mémoire en réplique ayant été notifié en date du même jour par acte d’avocat à avocat au mandataire de la Chambre de Commerce ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2009 par Maître Patrick Kinsch pour compte de la Chambre de Commerce, ledit mémoire en duplique ayant été notifié le même jour par acte d’avocat à avocat au mandataire de la partie demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins attaqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Rachel Jazbinsek, en remplacement de Maître Alain Gross, et Maître Patrick Kinsch en leurs plaidoiries respectives.
En date du 5 juillet 2007, la Chambre de Commerce du Grand-Duché de Luxembourg, ci-
après dénommée la « Chambre de Commerce », émit à l’égard de la société anonyme … s.a., ci-
après dénommée la « société … », un bulletin de cotisation portant sur l’année 2007 d’un montant de … €.
Par courrier de la Chambre de Commerce du 2 juillet 2008, la société … fut informée du redressement de la cotisation pour l’année 2007 d’un montant de … €, avec la mention que la cotisation antérieurement fixée à … € aurait déjà été payée.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er octobre 2008, la société … a fait introduire un recours tendant à l’annulation du bulletin de cotisation émis en date du 2 juillet 2008 pour l’année 2007 et, pour autant que de besoin, du bulletin de cotisation originaire émis en date du 5 juillet 2007.
A défaut de l’existence d’un recours au fond en matière de décisions prises par une chambre professionnelle et portant sur les cotisations qui lui sont dues de la part de ses membres, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les bulletins litigieux.
Dans son mémoire en réponse, la Chambre de Commerce conclut tout d’abord à la tardiveté du recours dans la mesure où il est dirigé contre le bulletin de cotisation originaire émis en date du 5 juillet 2007, en soutenant qu’il aurait été introduit au-delà du délai légal de trois mois à compter de la date du 5 juillet 2007, date à laquelle la partie demanderesse a reconnu avoir reçu le bulletin en question.
La demanderesse soutient toutefois dans son mémoire en réplique que le bulletin du 2 juillet 2008 remplacerait celui émis en date du 5 juillet 2007, les deux bulletins concernant d’ailleurs la même année de perception 2007, de sorte qu’elle aurait à bon droit pu diriger son recours « pour autant que de besoin » contre le bulletin originaire.
S’il est vrai que le bulletin émis initialement en date du 5 juillet 2007 a fixé le montant de la cotisation au montant minimum de … € et que le bulletin de redressement de la cotisation pour l’année de perception 2007 émis en date du 2 juillet 2008 porte sur un complément de cotisation à payer au vu du redressement du bénéfice commercial de la demanderesse, il n’en demeure pas moins que suivant le libellé même du bulletin de redressement du 2 juillet 2008, celui-ci « remplace l’ancien bulletin de cotisation émis le 5 juillet 2007 ». Ainsi, même en l’absence de dispositions légales ou réglementaires quant à la question de savoir si un bulletin rectifié remplace et annule le bulletin émis originairement, il échet néanmoins de constater que suivant le libellé même du bulletin de redressement, reflétant ainsi la volonté exprimée par la Chambre de Commerce, celui-ci anéantit le bulletin émis initialement. Il s’ensuit qu’à l’heure actuelle, le bulletin de cotisation émis en date du 5 juillet 2007 n’a plus d’existence légale, du fait d’avoir été remplacé par le bulletin rectificatif du 2 juillet 2008, de sorte que le recours dirigé à l’encontre du bulletin initial est à déclarer sans objet, partant irrecevable. Il s’ensuit également que le moyen tiré de l’irrecevabilité du recours dans la mesure où il serait dirigé de manière tardive contre le premier bulletin devient inopérant.
Le recours, dans la mesure où il est dirigé contre le bulletin rectificatif du 2 juillet 2008 est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, la partie demanderesse conclut à l’absence de base légale sur laquelle le bulletin litigieux du 2 juillet 2008 a pu se fonder. En effet, d’après la partie demanderesse, les règlements grand-ducaux prévus par l’article 3 de la loi modifiée du 4 avril 1924 portant création de chambres professionnelles à base élective, ci-après dénommée la « loi du 4 avril 1924 », n’auraient pas été pris, étant entendu, d’après la même partie demanderesse que « ni des instruments de codification interne (…), ni la mise en place d’une pratique administrative » ne seraient de nature à suppléer à l’absence des règlements grand-ducaux légalement prévus. Il s’ensuivrait que le bulletin attaqué devrait être déclaré nul pour absence de base légale. Elle s’oppose dans ce contexte à l’application du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 relatif aux modalités d’affiliation à la Chambre de Commerce, au mode et à la procédure d’établissement du rôle des cotisations de la Chambre de Commerce et fixant la procédure de perception des cotisations de la Chambre de Commerce, au motif que ce règlement grand-ducal ne saurait être appliqué de manière rétroactive aux cotisations dues pour l’année 2007.
La Chambre de Commerce soutient qu’alors même que la cotisation dont le paiement est réclamé par elle vise l’année 2007, il n’en resterait pas moins que dans la mesure où la décision actuellement critiquée du 2 juillet 2008 a été prise postérieurement à la prise d’effet du règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007, la réglementation applicable à la cotisation de l’année 2007 serait celle se dégageant du règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007. Elle fait exposer dans ce contexte que le mécanisme de redressement qui serait appliqué « depuis bien longtemps » par elle, se baserait sur une déclaration rectificative soumise par un contribuable à l’administration des Contributions directes ou sur une procédure de redressement fiscal opérée par cette dernière, dont le résultat lui serait communiqué, de sorte que sur base du nouveau chiffre du bénéfice commercial lui communiqué ainsi par l’administration des Contributions directes, elle procéderait à un redressement de la cotisation. Elle estime qu’elle n’aurait procédé à aucune application rétroactive du règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007, et elle n’aurait par ailleurs porté une quelconque atteinte à un droit acquis, dans la mesure où elle aurait « simplement » invité la demanderesse, à partir du 2 juillet 2008, à payer un montant supplémentaire au titre de la cotisation calculée pour l’année 2007. Dans la mesure où ledit paiement ne serait exigé qu’à partir de ladite date du 2 juillet 2008, il ne pourrait pas être question d’une quelconque exigibilité de ladite somme au cours de l’année 2007. Ainsi, il aurait été fait une application immédiate du règlement grand-ducal en question à une situation en cours, sur base des nouvelles données fiscales lui transmises par l’administration des Contributions directes.
Il échet tout d’abord de constater à la lecture du règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007 qu’il ne contient lui-même aucune indication ni quant à sa date d’entrée en vigueur ni quant aux années de cotisation auxquelles il s’applique.
En l’absence d’indication figurant audit règlement grand-ducal, il échet partant de se référer à un premier stade à l’article 2 du Code civil suivant lequel « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».
Ce principe tel que consacré à l’égard des lois doit également s’appliquer aux actes administratifs qui ne sauraient régir des situations constituées antérieurement à leur entrée en vigueur, sous peine d’être entachés de rétroactivité. Ainsi, le principe de la non-rétroactivité des actes administratifs, qu’ils constituent des actes individuels ou des actes à caractère réglementaire, s’impose aux autorités administratives1.
Il y a encore lieu de veiller à faire une distinction entre la rétroactivité des actes administratifs et leur application immédiate. Ainsi, au cas où une situation présente a été définitivement constituée dans le passé, l’application de mesures nouvelles à la situation passée ne constitue pas une application immédiate, mais comporte rétroactivité2.
Il échet encore de rappeler que le juge ne saurait faire une application rétroactive ni d’une loi ni d’un règlement pris en application de la loi en dehors des cas où le législateur en a décidé ainsi. Il s’ensuit que même au cas où un règlement grand-ducal d’application d’une loi contiendrait une disposition ayant un effet rétroactif, une telle disposition réglementaire ne saurait être reconnue comme étant légale qu’à partir du moment où cette rétroactivité a été expressément voulue par le législateur. Cette hypothèse n’est toutefois pas remplie en l’espèce, étant donné que ni le législateur ni même le pouvoir réglementaire n’ont prévu une disposition rétroactive au sujet de la fixation des cotisations de la Chambre de Commerce.
En l’espèce, c’est la cotisation que la partie demanderesse a, le cas échéant, dû payer à la Chambre de Commerce au titre de son éventuelle affiliation à celle-ci pour l’année 2007 qui est litigieuse. Il s’ensuit que tant le principe que le taux de ladite cotisation ont dû être fixés avant le début de l’année de calendrier 2007 afin que notamment la demanderesse soit en mesure de connaître le montant, au moins quant à son principe, avant le 1er janvier 2007, conformément à l’article 37bis de la loi du 4 avril 1924 décidant que la cotisation est déterminée sur base du bénéfice réalisé pendant « l’avant-dernier exercice ». Ainsi, l’exigibilité de la cotisation à payer à la Chambre de Commerce constitue une situation qui s’est constituée antérieurement à l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007. Cette situation ne saurait partant être régie que par la réglementation applicable au moment de l’exigibilité de ladite cotisation, à savoir avant le 1er janvier 2007. Le règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007 ne saurait partant trouver application qu’à partir de son entrée en vigueur, à savoir pour l’année 2008.
Il s’ensuit qu’alors même que le bulletin de cotisation rectificatif litigieux du 2 juillet 2008, constituant, d’après ce qui a été retenu ci-avant, le seul bulletin au sujet de la cotisation fixée pour l’année 2007, n’a été émis qu’en date du 2 juillet 2008, partant après l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007, il n’en reste pas moins que cette décision de la part de la Chambre de Commerce a nécessairement dû faire application de la législation ainsi que de la réglementation applicables pour l’année 2007 quant à la fixation du principe et du montant des cotisations à payer à la Chambre de Commerce.
1 cf. Jurisclasseur, Administratif, V° Acte administratif, n° 26 2 cf. Jurisclasseur, Administratif, V° Acte administratif, n° 36 Il suit partant de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le raisonnement élaboré par la Chambre de Commerce au sujet de l’applicabilité du règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007 aux cotisations échues à la Chambre de Commerce pour l’année 2007.
Il s’ensuit encore qu’il y a lieu de faire abstraction dudit règlement grand-ducal et d’examiner la législation et la réglementation applicables antérieurement audit règlement grand-
ducal.
En ce qui concerne ainsi plus précisément la législation ou la règlementation applicables avant la prise d’effet du règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007, il échet de constater que la partie demanderesse a retenu à bon droit qu’il ressort clairement du libellé même de l’article 3, alinéa 2 de la loi du 4 avril 1924 qu’un règlement d’administration publique déterminera le mode et la procédure d’établissement des rôles des cotisations, taxes, droits et primes et que l’alinéa 3 du même article 3 dispose que la perception des cotisations, taxes, droits ou primes mis à charge des ressortissants d’une chambre professionnelle sera opérée par la chambre elle-même d’après une procédure à fixer par règlement d’administration publique.
Il y a partant lieu de retenir qu’il se dégage de ces textes que le législateur a subordonné l’application de la législation prévoyant le droit des chambres professionnelles à percevoir des cotisations, taxes, droits et primes, dont l’établissement et la perception doivent se faire selon un certain mode et selon une certaine procédure, à l’entrée en vigueur de textes réglementant ces opérations. Le caractère clair et non équivoque de la volonté du législateur de soumettre le droit à la perception de ces cotisations, taxes, droits ou primes à l’entrée en vigueur de textes en prévoyant le mode d’établissement et la procédure de perception se dégage encore a contrario de l’alinéa 4 du même article 3 de la loi du 4 avril 1924 qui prévoit que le règlement d’administration publique prévu à l’article 3 peut prévoir que la perception peut se faire par voie de retenue sur les traitements ou salaires à opérer par l’employeur3.
Il se dégage partant des développements qui précèdent ensemble la conclusion ci-avant retenue suivant laquelle le règlement grand-ducal précité du 21 décembre 2007 ne saurait avoir un quelconque effet rétroactif, qu’au moment de la constitution de la situation de fait portant échéance de la cotisation à payer pour l’année 2007 à la Chambre de Commerce par la demanderesse, les règlements grand-ducaux prévus par l’article 3, alinéas 2 et 3 de la loi du 4 avril 1924 n’existaient pas, de sorte qu’un bulletin de cotisation fixant la cotisation pour l’année 2007 n’a pas pu reposer sur une base légale suffisante.
Il échet partant de tirer la conclusion que le bulletin de cotisation litigieux du 2 juillet 2008 est à annuler.
S’il est vrai que le recours sous examen a été en partie déclaré irrecevable, il n’en reste pas moins qu’au vu de la conclusion retenue ci-avant et du fait que les deux bulletins attaqués concernent la même année 2007, le deuxième bulletin ayant simplement remplacé le premier 3 Cour adm. 17 avril 2008, n° 23755C du rôle bulletin au vu des redressements auxquels il a été procédé, l’entièreté des frais doit incomber à la Chambre de Commerce.
Il échet enfin de rejeter comme n’étant pas fondée la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de … € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure, étant donné que les conditions légales ne sont pas remplies en l’espèce.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare irrecevable le recours en annulation en ce qu’il vise le bulletin de cotisation daté du 5 juillet 2007, et le déclare recevable pour le surplus ;
au fond, le déclare dans cette mesure justifié, partant annule le bulletin de cotisation émis par la Chambre de Commerce en date du 2 juillet 2008 à l’égard de la société anonyme … pour l’année 2007 ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure, formulée par la partie demanderesse ;
condamne la Chambre de Commerce aux frais.
Ainsi jugé par:
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 22 avril 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23.04.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6