Tribunal administratif N° 26556 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2010 1re chambre Audience publique du 12 avril 2010 Recours introduit par l’association momentanée … contre une décision du Syndicat Intercommunal C.N.I. « … » en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu le recours introduit le 3 février 2010 sous le numéro du rôle 26556 par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … et consorts, agissant en qualité d'associées de l'association momentanée …, tendant à l’annulation d’une décision du bureau du Syndicat Intercommunal C.N.I. « … », établi et ayant son siège social à L-…, du 11 novembre 2009 portant annulation de la soumission publique du 28 septembre 2009 portant sur la mise en adjudication des travaux de chape, d'isolation et de carrelage dans le cadre de la construction de la piscine intercommunale « … » à … ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 2 février 2010 portant signification de ce recours au Syndicat Intercommunal C.N.I. «… » ;
Vu la constitution d’avocat de Maître Alain GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom du Syndicat Intercommunal C.N.I.
« … », déposé en date du 8 février 2010 au greffe du tribunal administratif ;
Vu l’ordonnance présidentielle du 23 février 2010 ayant imposé une abréviation des délais sur base de l’article 8 de la loi du modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et ayant fixé l’affaire péremptoirement pour plaidoiries au 22 mars 2010 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 10 février 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain GROSS, au nom du Syndicat Intercommunal C.N.I. «… » ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 3 mars 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri FRANK pour le compte de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 15 mars 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain GROSS, au nom du Syndicat Intercommunal C.N.I. «… » ;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Henri FRANK et Maître Alain GROSS en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mars 2010.
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Le Syndicat Intercommunal C.N.I. « … », ci-après « le syndicat intercommunal », avait lancé le 1er avril 2009 une soumission publique relative à des travaux de chape, d'isolation et de carrelage dans le cadre de la construction de la piscine intercommunale « … » à ….
Après consultation de la commission des soumissions étatique en date du 12 juin 2009, ladite soumission fut annulée par décision du syndicat intercommunal du 25 juin 2009 au motif que les prix offerts par les différentes entreprises soumissionnaires auraient présenté des dépassements substantiels par rapport aux devis élaborés par les bureaux d’architecte en charge du suivi de la soumission.
Une nouvelle soumission publique fut lancée en date du 28 septembre 2009, mais fut à nouveau annulée par décision du 11 novembre 2009 au motif que les offres soumises étaient à nouveau largement supérieures au budget élaboré, la décision retenant par ailleurs que les trois soumissionnaires concurrents auraient infirmé le syndicat intercommunal qu’une exécution par lots séparés ne serait pas possible. La même décision décida encore de recourir à une procédure négociée avec les trois soumissionnaires.
Suite à cette décision, le syndicat intercommunal décida en date du 13 janvier 2010 de ne pas prendre en considération l’offre de l'association momentanée …, ci-après « l’association momentanée », mais attribua le marché à la société de droit allemand FFF GmbH.
Par recours déposé le 3 février 2010 au greffe du tribunal administratif, l’association momentanée a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision précitée du bureau du syndicat intercommunal du 11 novembre 2009 portant annulation de la soumission publique du 28 septembre 2009.
La loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics ne prévoyant pas la possibilité d’exercer un recours en réformation, de sorte que seul un recours en annulation est possible contre les décisions querellées.
Le syndicat intercommunal soulève cependant l’irrecevabilité du recours en annulation pour défaut d’intérêt dans le chef de l’association momentanée, en arguant du fait que les différentes sociétés composant l’association momentanée auraient retiré leur offre.
A ce propos, il s’empare d’un courrier daté du 22 octobre 2009 de la société anonyme …, représentante de l'association momentanée, par laquelle la société … ferait part en les termes suivants qu'elle ne serait plus intéressée par la soumission, étant donné qu'elle n'entendrait pas procéder par lots séparés: « Nach Prüfung unserer gesamten Kalkulation, die als eine Mischkalkulation aufgebaut ist, können wir aus wirtschaftlichen Gründen nur einer Vergabe des Gesamtauftrages zustimmen ».
Le syndicat intercommunal expose que comme les deux autres concurrents auraient formulé la même objection, le marché n’aurait plus pu être attribué faute de maintien des offres soumises.
L’association momentanée, pour sa part, expose que suite à l'ouverture de la soumission en date du 28 septembre 2009, le bureau d'architecte en charge du suivi de la soumission aurait convoqué la société … à une réunion qualifiée de « Aufklärungsgespräch ». Elle affirme que ce serait suite à cette réunion du 14 octobre 2009 que la société … aurait fait savoir qu'elle ne pourrait qu'accepter une adjudication globale et non une adjudication par lots.
Or, l’association momentanée estime que ledit courrier serait « nul et de nul effet » au motif qu’il ne constituerait que la réponse à l’« Aufklärungsgespräch » au cours duquel le bureau d'architecte aurait tenté de manière illégale d'obtenir une réduction de prix ou toute autre remise afin de rendre l'offre finale plus attractive pour le syndicat intercommunal, ce qui constituerait une violation de l'article 4 de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics.
En tout état de cause, elle estime encore que le passage cité du courrier de la société … ne serait pas à interpréter dans le sens d'une renonciation à l'offre présentée dans le cadre de la soumission publique « mais dans le sens d'une adjudication globale et non par lot ».
Si la soumission du 28 septembre 2009 prévoyait certes une attribution du marché en lots (voir point 1.8.3. du cahier des charges : « Ausschreibung mit getrennten Losen »), et ce conformément à l’article 8 (2) du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, cette modalité n’exclut cependant ni la faculté des soumissionnaires de présenter une offre portant sur l’ensemble des lots - faculté expressément prévue à l’article 8 (4) du règlement grand-ducal du 3 août 2009 précité - ni la faculté pour le pouvoir adjudicateur d’attribuer l’ensemble des lots à un seul soumissionnaire.
C’est dans ce contexte qu’est à situer le courrier litigieux de la société …, la société informant le pouvoir adjudicateur que son offre ne pouvait être considérée, pour des raisons économiques, que comme portant sur l’ensemble des lots, une attribution par voie de lots séparés n’étant économiquement pas viable.
Ledit courrier ne saurait dès lors être considéré comme renonciation, mais comme information adressée au pouvoir adjudicateur comme quoi la société … ne saurait pas maintenir les termes de son offre au cas où le syndicat intercommunal entendrait procéder par voie d’attribution séparée des différents lots.
Il y a par ailleurs lieu de constater que le syndicat intercommunal ne s’y est pas trompé, puisqu’il ne retient pas dans sa décision du 11 novembre 2009 que les soumissionnaires concurrents auraient tous retiré leur offre, mais qu’ils l’auraient informé « qu’une exécution des travaux par lots séparés n’est pas possible », le syndicat intercommunal ne décidant par ailleurs pas d’annuler la soumission publique compte tenu du défaut d’offres - conséquence d’une renonciation ou d’un retrait des offres - mais compte tenu de l’absence d’offres satisfaisantes, justifiant l’annulation sur base de l’article 91 (1) du règlement grand-ducal du 3 août 2009 précité.
Le tribunal relève par ailleurs qu’il ressort explicitement des deux « Aufklärungsgesprächprotokolle » versés en cause, datés des 27 octobre 2009 et 12 novembre 2009 - c’est-à -dire postérieurement au courrier litigieux du 22 octobre 2009 -
que la société … maintient son offre - le cas échéant adaptée - respectivement jusqu’à la prochaine réunion et jusqu’au 31 décembre 2009.
A défaut de renonciation à son offre, la société …, et à travers elle l’association momentanée doit être considérée comme conservant un intérêt à poursuivre l’annulation de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours en annulation, par ailleurs introduit à l’encontre de la décision déférée dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Quant au fond, l’association momentanée fait plaider que conformément aux dispositions réglementaires applicables, si aucune des offres ne répond aux conditions prescrites ou si le pouvoir adjudicateur a considéré la soumission comme n'ayant pas donné de résultat satisfaisant, le pouvoir adjudicateur peut annuler l’adjudication, mais à condition que l’avis de la commission des soumissions étatique ait été pris préalablement.
Ayant en l’espèce constatée l’absence d’avis préalable, l’association momentanée conclut à la violation d’une formalité substantielle et partant à l’annulation de la décision déférée.
Le syndicat intercommunal, pour sa part, met en exergue le fait que l'avis de la commission des soumissions étatique aurait été sollicité et aurait été rendu le 27 novembre 2009 ; il souligne encore que ledit avis, certes postérieur à la décision d’annulation, serait positif en ce qu'il marquerait son accord avec une annulation des soumissions.
Il plaide l’absence de grief, puisque au cas où l’avis postérieur aurait été négatif, le syndicat intercommunal aurait eu tout loisir de retirer d'office sa décision du 11 novembre 2009. Enfin, il affirme qu’il serait reconnu que si l'objectif visé par l'accomplissement d’une formalité aurait été atteint autrement, auquel cas l'esprit de la règle, à défaut de sa lettre, aurait été respecté, il ne saurait être question d’annuler la décision viciée.
Conformément à l’article 83 (1) du règlement grand-ducal du 3 août 2009, « (1) Les marchés par adjudication comportent obligatoirement l’attribution du marché s’il a été reçu au moins une soumission répondant aux conditions de l’adjudication. (2) Toutefois, le pouvoir adjudicateur peut renoncer à une adjudication par décision motivée. La Commission des soumissions doit, dans ce cas, être préalablement entendue en son avis. (3) Une mise en adjudication peut être annulée pour les motifs prévus à l’article 91 ».
L’article 91 pour sa part précise que « Sans préjudice d’autres causes de nullité, une mise en adjudication peut être annulée pour les motifs suivants: 1) si aucune des offres ne répond aux conditions prescrites ou si le pouvoir adjudicateur a considéré la soumission comme n’ayant pas donné de résultat satisfaisant. Dans ce dernier cas, le pouvoir adjudicateur doit prendre, préalablement à l’annulation, l’avis de la Commission des soumissions ».
Le rôle de la commission des soumissions étatique est quant à lui précisé par l’article 16 de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, ladite commission ayant en particulier « de veiller à ce que les dispositions légales, réglementaires et contractuelles en matière de marchés publics soient strictement observées par les pouvoirs adjudicateurs ainsi que par les adjudicataires » et « d’exécuter les tâches spécifiques lui confiées par la présente loi et ses règlements d’exécution ».
Or, en obligeant le pouvoir adjudicateur à prendre préalablement l’avis de la commission des soumissions, le législateur a entendu garantir qu’avant la prise d’une décision d’annulation, l’autorité de décision ait été éclairée à cet égard par la commission des soumissions. La conclusion s’impose que faute d’avoir entendu la commission des soumissions en question préalablement à la prise de la décision litigieuse, le syndicat intercommunal a agi au mépris de la garantie procédurale afférente instituée par les articles 83 (3) et 91 (1) du règlement grand-ducal du 3 août 2009. Or, un avis légalement requis constitue une formalité substantielle, dont le non respect vicie fondamentalement la procédure d'élaboration de la décision finale, sans que cette conclusion ne soit ébranlée par le caractère consultatif de l'avis1, de sorte que ce vice de procédure s’analysant en un manquement substantiel qui n’est pas susceptible d’être guéri par d’autres moyens sous peine de présumer qu’en tout état de cause les observations éventuelles de la commission des soumissions n’auraient pas été de nature à influencer la décision litigieuse, la décision déférée du 11 novembre 2009 encourt partant l’annulation de ce chef, et ce indépendamment de son éventuel bien-fondé, qui d’ailleurs n’a pas été contesté par l’association momentanée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
1 Voir trib. adm. 19 mai 2004, n° 17200, Pas. adm. 2009, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 23, ainsi que par analogie trib. adm 20 mai 2009, n° 24306 et 24408, Pas. adm. 2009, V° Pratiques commerciales, n° 32, confirmé par arrêt du 4 mars 2010, n° 28555C du rôle.
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule la décision du bureau du Syndicat Intercommunal C.N.I. «…» du 11 novembre 2009 portant annulation de la soumission publique du 28 septembre 2009 ;
condamne le Syndicat Intercommunal C.N.I. «…» aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 avril 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen 6