La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2010 | LUXEMBOURG | N°26058

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2010, 26058


Tribunal administratif N° 26058 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2009 3e chambre Audience publique extraordinaire du 26 mars 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Transports en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26058 du rôle et déposée le 7 septembre 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert Moro, avocat à la Cour, assisté de Maître Cora Maglo, avocat, tous deux inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de

meurant à L-…, tendant à l’annulation d'une décision du ministre des Transports...

Tribunal administratif N° 26058 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2009 3e chambre Audience publique extraordinaire du 26 mars 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Transports en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26058 du rôle et déposée le 7 septembre 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert Moro, avocat à la Cour, assisté de Maître Cora Maglo, avocat, tous deux inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d'une décision du ministre des Transports du 19 mai 2009 portant retrait de son permis de conduire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2009 ;

Vu les pièces versées et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cora Maglo, en remplacement de Maître Albert Moro, et Madame le délégué du gouvernement Sousie Schaul en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 mars 2010.

En date du 31 octobre 2008, l’unité SREC Diekirch de la Police Grand-ducale adressa au ministre des Transports, ci-après dénommé « le ministre », un rapport établi le 16 octobre 2008 selon lequel Monsieur … fut connu par la prédite autorité pour consommation de stupéfiants.

Le 10 novembre 2008, le ministre pria le Procureur Général de l’Etat de lui faire parvenir son avis quant à un retrait administratif éventuel du permis de conduire de Monsieur ….

Le Procureur Général de l’Etat renvoya le dossier au ministre en date du 4 février 2009 et y joignit le bulletin n° 2 du casier judiciaire de Monsieur … qui fut vierge en date du 5 décembre 2008 et un rapport d’enquête du 19 janvier 2009 établi par la Police Grand-ducale de Mersch duquel il résulte que Monsieur … eut fait l’objet d’un procès-verbal le 23 mai 2000 pour infraction à la loi contre la toxicomanie et qu’il fut en aveu de fumer occasionnellement un joint.

Par courrier du 11 février 2009, Monsieur … fut invité à adresser un screening toxicologique sous huitaine à la commission médicale des permis de conduire du ministère des Transports, ci-après dénommé « la commission médicale ». Deux examens toxicologiques datant du 19 février 2009 ont été réceptionnés par la commission médicale en date du 27 février 2009 détectant des cannabinoïdes dans les urines de Monsieur ….

Par convocation du 4 mars 2009, Monsieur … fut convoqué, en application de l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 23 novembre 1955 », devant la commission médicale pour y être entendu le 29 avril 2009 dans ses explications au sujet de son permis de conduire.

Par avis du 13 mai 2009, la commission médicale proposa de retirer le permis de conduire de Monsieur … au motif qu’il présenterait une dépendance vis-à-vis de substances à caractère psychotrope. Par arrêté du 19 mai 2009, le ministre retira le permis de conduire de Monsieur … au motif que ce dernier souffrait d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2009 et inscrite sous le numéro 26058 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 19 mai 2009.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir d’une part que malgré les différents rapports, procès-verbaux et avis versés, certains faits ne seraient pas établis et, d’autre part, que le ministre aurait fait preuve d’une erreur manifeste d’appréciation en prenant une mesure disproportionnée par rapport aux faits établis.

En effet, la commission médicale ne se serait pas uniquement basée sur les examens toxicologiques précités, mais également sur un examen médical qui aurait révélé une affectation rhumatologique depuis 5 ans, la prise de somnifères à cause des douleurs articulaires nocturnes et une apparence d’état dépressif. Il soutient à cet égard que s’il prend certes un médicament anti-inflammatoire qui lui permettrait de dormir, ce médicament n’entraînerait cependant pas, selon la notice d’utilisation, de dangers pour la conduite d’une automobile. D’autre part, il conteste l’« apparence d’état dépressif », et fait valoir que la constatation d’un état dépressif devrait résulter d’un ou plusieurs examens effectués par un psychiatre, or, en l’espèce, la commission médicale n’aurait fait état d’aucun rapport médical à ce sujet et aurait adopté sa position suite à un entretien d’une vingtaine de minutes.

Quant à sa dépendance vis-à-vis de substances à caractère psychotropes, le demandeur fait valoir que plusieurs études auraient démontré que la tendance à développer une dépendance physique au cannabis ne serait que faible, et, dans la mesure où il ne serait qu’un consommateur occasionnel, il conteste souffrir d’une dépendance tant psychique que physique de cannabis et par conséquent de constituer un risque pour la sécurité routière.

Finalement, il donne à considérer que depuis le retrait de son permis de conduire, il n’aurait plus consommé de cannabis, ce qui serait prouvé par des certificats versés en cause, et qu’il aurait besoin de son véhicule pour se rendre à son lieu de travail.

Le délégué du gouvernement fait valoir que la décision ministérielle déférée aurait été prise dans le respect des formes légales et que les motifs de cette dernière trouveraient leur fondement juridique dans les articles 2), 4) de la loi du modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après dénommée « la loi du 14 février 1955 », et les articles 77 et 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955.

Il estime d’autre part que les tests d’urine positifs aux cannaboïdes prouveraient que le demandeur consommerait régulièrement des stupéfiants et que la sécurité routière ne permettrait pas la conduite d’un véhicule automoteur sur la voie publique sous l’influence de drogues. Par ailleurs, le demandeur aurait avoué consommer occasionnellement des drogues, de sorte que le ministre, dans un souci de protéger tant le demandeur lui-même que les autres usagers de la voie publique, et au vu des sérieux problèmes liés à la dépendance vis-à-vis des drogues du demandeur, aurait valablement pu conclure que ce dernier présente un risque accru pour la sécurité routière et qu’il ne remplit dès lors pas les garanties nécessaires pour conduire un véhicule automoteur.

Aux termes de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 : « Le ministre des Transports ou son délégué délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur emploi ou leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé:

[…] 4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire; » Aux termes de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 : « En vue de l’obtention ou du renouvellement d’un permis de conduire, l’intéressé doit se soumettre à un examen médical destiné à établir s’il ne souffre pas d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire et s’il ne présente pas de signes d’alcoolisme ou d’autres intoxications. Sur avis de la commission médicale prévue à l’article 90, le titulaire d’un permis de conduire peut de même être obligé par le ministre des Transports à se soumettre à un examen médical, s’il existe des doutes sur ses aptitudes ou capacités de conduire.

L’examen médical porte notamment sur la capacité visuelle, l’audition, les affections cardiovasculaires, les troubles endocriniens, les maladies du système nerveux, les troubles mentaux, l’alcoolisme, la consommation de drogues et de médicaments, les maladies du sang et les maladies de l’appareil génito-urinaire ainsi que sur l’état de santé général et les incapacités physiques.

[…] 7. Alcool, drogues et médicaments Le permis de conduire n’est pas délivré ou renouvelé si l’intéressé se trouve en état de dépendance vis-à-vis de substances psychotropes. Si l’intéressé est un alcoolique chronique ou s’il consomme régulièrement des drogues pharmaceutiques ou des médicaments susceptibles d’entraver les aptitudes ou capacités de conduire, le permis de conduire n’est délivré ou renouvelé que sur avis motivé de la commission médicale. » Force est de constater de prime abord que la disposition précitée est applicable pour l’obtention ou le renouvellement des permis de conduire, or, en l’espèce, la décision déférée porte sur le retrait d’un permis de conduire, de sorte que l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 n’est pas applicable.

Aux termes de l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 28 novembre 1955: « 1. Les mesures administratives à prendre à l’égard de requérants ou de titulaires de permis de conduire sous les conditions prévues sous 1), 2), 3), 5) et 6) de l’article 2 modifié de la loi du 14 février 1955 précitée exigent au préalable une enquête judiciaire avisée par le procureur général d’Etat ainsi qu’un avis motivé de la commission spéciale des permis de conduire.

Cette commission est instituée par le ministre des Transports; elle est composée pour chaque affaire de trois membres et elle a pour mission d’instruire le dossier, d’entendre l’intéressé dans ses explications et moyens de défense, de dresser un procès-verbal et d’émettre un avis motivé pris à la majorité des voix.

A ces fins, le ministre des Transports adresse quinze jours au moins avant la séance de la commission une convocation par lettre recommandée à l’intéressé, l’invitant à s’y présenter soit seul, soit assisté par un avocat.

Si l’intéressé ne comparaît pas devant la commission spéciale malgré deux convocations par lettre recommandée, la procédure déterminée ci-dessus est faite par défaut.

Le ministre des Transports prend sa décision sur le vu de l’avis motivé de la commission spéciale.

2. Afin d’examiner les personnes souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver leurs aptitudes ou capacités de conduire un véhicule automoteur ou cyclomoteur, il est institué une commission médicale dont les membres sont nommés par le ministre des Transports.

Avant de pouvoir restreindre l’emploi ou la validité des permis de conduire, refuser leur octroi, leur renouvellement ou leur transcription, les suspendre ou les retirer, le ministre des Transports adresse quinze jours au moins avant la séance de la commission une convocation par lettre recommandée à l’intéressé, l’invitant à s’y présenter soit seul, soit assisté par un médecin de son choix. Si l’intéressé ne comparaît pas devant la commission médicale malgré deux convocations par lettre recommandée, la procédure est faite par défaut.

La commission, composée pour chaque affaire de trois membres, a pour mission d’entendre l’intéressé dans ses explications, de dresser procès-verbal et d’émettre un avis motivé pris à la majorité des voix. Elle donne un avis motivé au ministre des Transports.

Dans cet avis elle indique également les cas où le port d’un appareil spécial ou l’aménagement spécial du véhicule s’impose et se prononce sur le mode d’aménagement du véhicule.

La commission se prononce sur les inaptitudes ou incapacités permanentes ou temporaires d’ordre physique ou psychomental des personnes visées à l’alinéa qui précède en se basant sur le résultat de son examen médical ainsi que sur les rapports d’expertise fournis par des médecins-experts spécialement chargés ou sur des certificats médicaux versés par les personnes examinées.

Les frais d’expertise sont à charge des personnes intéressées.

Le ministre des Transports prend sa décision sur le vu de l’avis de la commission médicale. » En l’espèce le ministre a procédé au retrait du permis de conduire du demandeur au motif que ce dernier souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire, de sorte que la présente affaire se meut dans le cadre de l’article 90, 2. de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955.

Quant au premier moyen présenté par le demandeur, à savoir l’absence de preuve des éléments de fait retenus par le ministre, force est de constater que s’il ressort certes d’un rapport de la Police Grand-ducale de la circonscription régionale de Diekirch du 16 octobre 2008 que le demandeur est connu par cette autorité pour avoir consommé des stupéfiants, il n’en demeure pas moins qu’il ressort d’un autre rapport établi en date du 19 janvier 2009, que le demandeur ne s’est pas singularisé par un comportement négatif en tant que conducteur et que le signataire du rapport n’a pas constaté de signes notoires d’abus de consommation d’alcool ou de stupéfiants. S’il est encore exact que les analyses toxicologiques versées par le demandeur ont démontré la présence de cannoboïdes dans ses urines en date du 20 février 2009, il n’est cependant pas démontré en l’espèce que le demandeur consomme régulièrement des stupéfiants ou en est dépendant, qu’il est dépressif ou que les médicaments qu’il prend le soir pour pouvoir dormir affectent ses capacités pour conduire un véhicule automoteur.

En effet, concernant la prétendue dépendance du demandeur de stupéfiants, il a déclaré le 29 avril 2009, lors de sa comparution devant la commission médicale qu’il n’a plus consommé de drogues illégales depuis trois mois, ce qui n’est pas contesté par la partie étatique et verse d’autre part deux analyses datées du 11 août 2009 respectivement du 1er septembre 2009 dont les résultats sont négatifs quant à la présente de cannaboïdes.

Finalement, aucune pièce du dossier versé en cause ne permet d’infirmer les déclarations du demandeur de ne consommer du cannabis que de manière irrégulière.

Quant aux médicaments que le demandeur indique devoir prendre pour soulager ses douleurs articulaires nocturnes, la partie étatique n’avance aucun moyen permettant de conclure que ce médicament affecte les capacités de conduire du demandeur.

Finalement, en ce qui concerne l’état dépressif du demandeur mis en avant par la commission médicale, force est au tribunal de constater que de simples présomptions, telle qu’avancées en l’espèce, ne sauraient être suffisantes pour étayer une décision de retrait d’un permis de conduire. Ceci d’autant plus qu’aux termes de l’article 90, 2. paragraphe 4, la commission médicale peut s’entourer, aux frais de l’intéressé, de tout expert qu’elle juge nécessaire pour élucider la situation et pour fonder son avis.

Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision déférée encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation recevable en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule l’arrêté du ministre des Transports du 18 mai 2009, portant retrait du permis de conduire de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 26 mars 2010 par le premier juge Catherine Thomé en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26.03.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 26058
Date de la décision : 26/03/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-03-26;26058 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award