Tribunal administratif N° 25466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 mars 2009 2e chambre Audience publique du 25 mars 2010 Recours formé par la société …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2009 par la société civile immobilière …, ayant son siège à L-…, comparant par Monsieur …, administrateur statutaire, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 22 janvier 2009 (n° C 14565 du rôle) rejetant comme non fondée la réclamation introduite contre le bulletin d’établissement séparé et en commun des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés et le bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année d’imposition 2003, émis le 25 mai 2008 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2009 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2009 par Monsieur … pour le compte de la société … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur … en ses explications et Monsieur le délégué du gouvernement Claude Lick en sa plaidoirie.
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Le 28 mai 2008, le bureau d'imposition Sociétés 3 de la section des sociétés de l’administration des Contributions directes, dénommé ci-après le « bureau d’imposition », émit à l’égard de la société civile immobilière … un bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés et un bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour l’année 2003.
Le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés pour l’année 2003 retient ainsi dans le chef de la société … un bénéfice commercial de … euros, ce bénéfice ayant été repris dans le bulletin de l’impôt commercial communal pour la même année qui fixe l’impôt commercial dû à … euros. Le bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2004, émis également en date du 28 mai 2008, a fixé la valeur unitaire d’une entreprise commerciale collective à … euros.
Par lettre du 23 juillet 2008, la société … introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes une « demande en rectification suivant §94AO et une réclamation suivant §228AO » contre les impositions des années 2003 à 2005.
Par une décision du 22 janvier 2009, référencée sous le n° C14565 du rôle, le directeur rejeta cette réclamation comme non fondée au terme de la motivation suivante :
« Vu la requête introduite le 25 juillet 2008 par le sieur …, au nom de la société civile immobilière …, avec siège à L-…, prétendant à constituer tant « une demande en rectification suivant § 94 AO et une réclamation suivant § 228 AO contre les impositions 2003 à 2005 nr fiscal 2001 7001 680 datées du 28.5.2008 »;
Vu que la requête ne désigne pas de bulletin critiqué; que sur le fondement du § 249, alinéa 1er de la loi générale des impôts (AO), qui tend à interpréter les requêtes des contribuables non assistés selon l'intention qu'elles manifestent plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes employés; qu'en vertu de ce principe de l'effet utile, la réclamation est donc à considérer comme étant dirigée contre le bulletin d'établissement séparé et en commun des revenus d'entreprises collectives et de copropriétés ainsi que contre le bulletin de la base d'assiette de l'impôt commercial communal de l'année d'imposition 2003, émis le 25 mai 2008 ;
Vu les §§ 94, alinéa 1er, 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO);
Vu le dossier fiscal;
Considérant que l'introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires si elles sont connexes, mais n'est incompatible en l'espèce avec les exigences d'une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi, qu'il n'y a pas lieu de la refuser;
I.
Considérant à titre liminaire que sont censées être introduites par une seule et même requête et à dates identiques, tant une demande en redressement en vertu du § 94 AO qu'une réclamation au sens du § 228 AO auprès du directeur des contributions ;
Considérant qu'il échet à cet égard de rappeler que le directeur des contributions statuant au contentieux n'est pas le destinataire d'une demande au sens du § 94 AO, mais le préposé du bureau d'imposition qui décide, seul, d'un éventuel redressement ;
Considérant que si le législateur a réduit au strict nécessaire les exigences de forme en matière de réclamation et de recours, ceci afin d'ouvrir aux contribuables aussi largement que possible les voies de contrôle de leur imposition (§ 249 AO), ce libéralisme ne rend que plus importante la question de fond : la portée exacte de la volonté de laquelle dépend exclusivement la qualification comme acte introductif d'instance, puisque cette qualification ne dépend ni d'une certaine forme ni de termes sacramentels;
Considérant qu'en présence de ces deux voies si fondamentalement différentes, la solution se dégage de l'alinéa 1er du § 94 AO qui subordonne une modification du bulletin à la condition que le contribuable « ne se trouve pas forclos dans le cadre d'un recours contentieux » ;
que de ce fait, l'introduction d'une réclamation (§ 228 AO) a pour effet de dessaisir le bureau d'imposition qui n'est dès lors plus autorisé à statuer sur l'éventuel bien-fondé d'un redressement des impositions en vertu du § 94 AO ;
Considérant à titre superfétatoire qu'il s'ensuit de ce qui précède qu'il est dénué d'utilité de prendre en compte les motifs à la clé de la demande en rectification selon le § 94 AO, ne serait-ce toutefois que pour mettre en évidence qu'aucun des soi-disant forfaits surfaits allégués, ex post, n'existe ni par une loi, ni par un règlement voire une circulaire directoriale ;
que d'ailleurs les montants pour tous frais exposés ont bien été déduits du chef des déclarations des contribuables concernés et cela par chaque fois en maints dossiers concernant diverses copropriétés, sociétés civiles et commerciales ;
que tout aussi bien les cotisations sociales légalement obligatoires, strictement relatives soit au bénéfice provenant de l'exercice d'une profession libérale ou alors soit aux revenus provenant d'une ex-occupation salariée ne donnent pas droit à la déduction telle que prévue par le § 11, alinéa 2 GewStG ;
II.
Considérant encore qu'au moment de la requête les impositions des années 2004 et 2005, contre lesquelles la requérante prétend réclamer, ne lui avaient ni été notifiées (§ 91 AO) ni même été arrêtées au sens du § 246, alinéa 2 AO ;
que partant des réclamations contre les années 2004 et 2005 en deviennent irrecevables pour défaut d'objet ;
III.
Considérant enfin que les réclamations contre les bulletins d'imposition de l'année 2003, à savoir le bulletin d'établissement séparé et en commun des revenus d'entreprises collectives et de copropriétés ainsi que le bulletin de la base d'assiette de l'impôt commercial communal, ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi; qu'elles sont partant recevables ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition d'avoir requalifié une gestion patrimoniale d'immeubles donnés en location comme une activité commerciale ;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du requérant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;
qu'à cet égard le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-
fondé ;
qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique;
Considérant qu'il a été arrêté en date du 10 avril 2008 par la plus haute juridiction administrative (Cour admin., n° du rôle 23722C) qu'en ce qui concerne les activités réalisées par la société … et à travers elle, le fait est à relever que cette société, qui a été propriétaire en tout de six immeubles, dont l'un, un appartement sis …, a été acheté en 2001 pour être revendu en 2003, moyennant réalisation d'une plus-value brute de … €, et un autre, un appartement sis …, a été acheté au mois de décembre 2003 pour être revendu dès le mois de janvier 2004, moyennant réalisation d'une plus-value brute de … €, de ce qui se dégage que bien que n'imposant point un constat d'activité commerciale de par le nombre des actes d'achat-vente opérés, il s'agit cependant incontestablement d'opérations immobilières qui sont d'une envergure indéniable et qui ont été opérées dans un court laps de temps et qu'elles impliquent des mutations importantes au niveau du patrimoine immobilier tant de la société que des associés ;
qu'il s'en dégage un indice clair quant au dépassement du cadre de la simple gestion d'un patrimoine privé ;
qu'en effet le but recherché paraît avoir été moins la recherche d'une conservation et d'une jouissance à long terme des dites propriétés immobilières, mais essentiellement une valorisation rapide du patrimoine moyennant ces mutations, caractéristique essentielle d'un esprit de lucre et d'une entreprise commerciale ;
qu'un autre indice relatif au caractère commercial des activités de la société … transperce du fait que cette société intervient directement dans la gérance de la société commerciale … s.àr.l., fait qu'il convient de considérer comme participation directe incontestable à l'administration d'une entreprise commerciale de ce chef, et qu'il échet de relever le déploiement d'une activité de négoces d'immeubles pour le compte d'une autre société ;
Considérant qu'il résulte à suffisance des développements qui précèdent que c'est à bon escient et à juste titre que le bureau d'imposition a requalifié les revenus de locations tels que déclarés comme résultant d'un bénéfice commercial ;
PAR CES MOTIFS, reçoit les réclamations en la forme ;
rejette les réclamations contre le bulletin d'établissement séparé et en commun des revenus d'entreprises collectives et de copropriétés ainsi que contre le bulletin de la base d'assiette de l'impôt commercial communal de l'année d'imposition 2003 comme non fondées;
dit les réclamations contre les années 2004 et 2005 irrecevables pour défaut d'objet. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2009, la société … a introduit un recours en réformation contre la décision directoriale précitée du 22 janvier 2009.
Il résulte d’une lecture combinée des dispositions du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, que le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés et un bulletin de la base d’assiette de l’impôt 4commercial communal. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision directoriale du 22 janvier 2009.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut principalement à l’irrecevabilité du recours introduit par Monsieur … au nom de la société …, au motif qu’en vertu du paragraphe 11bis de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, telle que modifiée par la suite, appelée communément « SteueranpassungsGesetz (StAnpG) », une société de personnes, telle que la société civile, ne possèderait pas de personnalité juridique distincte de celle de ses associés, de sorte qu’en matière d'impôts directs, comme elle ne serait pas considérée comme étant un contribuable, elle ne pourrait pas être partie à une procédure d'établissement en commun des cointéressés et ne pourrait pas valablement introduire un recours, alors que ce ne serait pas elle qui serait matériellement imposée, mais ses associés, personnellement et directement imposables sur leurs parts dans les bénéfices de la société.
La partie demanderesse conclut au rejet de ce moyen d’irrecevabilité en faisant valoir que la société aurait deux associés qui auraient tous les deux signé la requête introductive d’instance, de sorte qu’il y aurait lieu d’admettre que ceux-ci auraient pu introduire valablement le recours pour leur propre compte, sinon pour le compte de la société. S’y ajouterait le fait que les deux associés seraient également les administrateurs de la société, habilités à représenter celle-ci conformément aux termes du paragraphe 239, point 3 AO.
Force est au tribunal de constater que la réclamation au sens du paragraphe 228 AO, introduite par Monsieur … au nom de la société civile immobilière … et dirigée contre le bulletin d’établissement séparé et en commun des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés ainsi que contre le bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour l’année 2003, a été déclarée recevable par le directeur qui a examiné partant le bien-fondé de cette réclamation.
Il s’ensuit que le recours de la société … doit être déclaré recevable en ce que celle-ci a un intérêt suffisant à voir examiner par le tribunal la régularité de la décision du directeur.
Il convient d’ajouter que l’administration ne saurait être admise à contester la recevabilité du recours sur le fondement de l’article 11 StAnpG, alors que cette même administration a déclaré recevable la réclamation, dès lors que la disposition fiscale invoquée du paragraphe 11 StAnpG s’applique tant au niveau pré-contentieux qu’au niveau contentieux. Le moyen d’irrecevabilité afférent est partant à rejeter comme non fondé.
Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est à déclarer recevable.
Quant au fond, la partie demanderesse conteste en premier lieu la décision du directeur en ce que celui-ci a confirmé la décision du bureau d’imposition ayant requalifié la gestion patrimoniale d’immeubles en activité commerciale. Elle soutient que son objet social serait précisément celui d’acquérir et de mettre en valeur un ou plusieurs immeubles, à l’exclusion de toute activité commerciale. Elle explique ensuite qu’elle aurait acquis en 2001 un appartement pour le revendre en 2003, que la même année, elle aurait acheté un appartement qu’elle aurait revendu en 2004 et avec les fonds propres ainsi libérés, elle aurait acheté un immeuble commercial à … et un appartement à … qui seraient tous les deux donnés en location. En 2003, elle aurait encore acquis deux immeubles de rapport à … qui seraient également loués. Elle précise que depuis l’année 2003, elle n’aurait plus procédé à aucune vente et que tous les immeubles seraient donnés en location. Elle estime ainsi que cet accroissement du patrimoine d’immeubles donnés en location constituerait la preuve de la jouissance à long terme de fruits par la perception de revenus locatifs, et partant d’une gestion d’un patrimoine privé et ce nonobstant son importance.
La société … reproche ainsi au directeur d’avoir retenu que les deux ventes immobilières de 2003 seraient d’une envergure indéniable, qu’elles auraient été accomplies dans un court laps de temps et qu’elles impliqueraient des mutations importantes au niveau du patrimoine immobilier tant de la société que de ses associés, alors que ces deux opérations n’auraient servi qu’à améliorer la structure de son portefeuille immobilier et non pas à rechercher une exploitation de la substance du patrimoine par un transfert d’éléments substantiels de sa fortune. Dans ce contexte, la partie demanderesse soutient que le directeur aurait méconnu les dispositions des paragraphes 204 (1) et 205 (2) AO, en omettant de demander des pièces justificatives démontrant que le produit de la vente des deux appartements aurait été réinvesti dans des immeubles plus importants, à plusieurs unités, afin de répartir les risques. Le directeur aurait ainsi également violé les prescriptions du paragraphe 243 AO. Quant à la référence faite par le directeur à un arrêt de la Cour administrative du 10 avril 2008 (n° 23722C du rôle), la partie demanderesse critique le fait que la Cour ait statué dans cette affaire sans avoir eu en sa possession le dossier fiscal de la société …, ce qui constituerait une violation des droits de la défense et du procès équitable.
Elle affirme encore qu’au moins deux des quatre conditions de l’article 14 LIR, qui doivent être réunies pour que son activité puisse être considérée comme commerciale au sens de la loi fiscale, ne seraient pas remplies dans son chef. Elle soutient ainsi que le critère de la permanence ne serait pas rempli, dès lors qu’elle n’aurait procédé qu’à deux opérations immobilières isolées et limitées, destinées à améliorer et augmenter la structure de son patrimoine immobilier. Elle estime par ailleurs que le critère de la participation à la vie économique ferait également défaut, en contestant avoir eu recours à une publicité quelconque concernant sa société et en précisant que la vente des deux appartements se serait faite par l’intermédiaire d’une agence immobilière, de sorte qu’aucun contact direct entre le public intéressé et elle-même n’aurait eu lieu.
La partie demanderesse fait ensuite grief au directeur d’avoir retenu que le caractère commercial des activités de la société … transpercerait également du fait qu’elle serait gérante de la société … S.àr.l., ce qu’il faudrait considérer comme une participation directe incontestable à une entreprise commerciale.
Le délégué du gouvernement rétorque que ce serait à bon droit que le directeur aurait qualifié les activités de la société demanderesse d’activité commerciale. Il fait valoir que la société … aurait cédé entre 2001 et 2004 deux des six immeubles dont elle serait le propriétaire, en réalisant une plus-value de spéculation de respectivement … et … euros. La société aurait ainsi liquidé un tiers de son patrimoine, sans respecter d’ailleurs son objet social qui serait limité à l’acquisition et la mise en valeur d’immeubles.
En ce qui concerne tout d’abord le reproche de la partie demanderesse à l’adresse du directeur de ne pas avoir procédé à un réexamen intégral de son imposition, en violation des dispositions du paragraphe 243 AO ainsi que des dispositions des paragraphes 204 (1) et 205 (1) AO, il convient de rappeler que le paragraphe 243 (1) AO impose au directeur la mission de procéder d’office à l’examen des faits à la base de la réclamation et le paragraphe 244 AO lui confère à cette fin les mêmes pouvoirs que ceux dont disposent les bureaux d'imposition pour la fixation de la cote d'impôt. Ainsi, le paragraphe 204, alinéa 1er AO énonce que le bureau d'imposition doit « die steuerpflichtigen Fälle (…) erforschen und von Amts wegen die tatsächlichen und rechtlichen Verhältnisse (…) ermitteln, die für die Steuerpflicht und die Bemessung der Steuer wesentlich sind (…) ».
Il découle de ces dispositions légales que le directeur, en sa qualité d’instance compétente pour statuer sur le bien-fondé d’une réclamation contre un bulletin d’impôt, est appelé à clarifier la situation de fait à la base de la réclamation et à obtenir à cette fin de la part du contribuable réclamant ou, le cas échéant, de tierces personnes les informations complémentaires de nature à lui permettre de se prononcer sur le bien-fondé de l’imposition sujette à critique.
Or, en l’espèce, la partie demanderesse reste en défaut d’établir que le directeur n’a pas procédé à un examen intégral de sa situation patrimoniale, le simple fait pour le directeur de se référer dans sa décision à un arrêt de la Cour administrative, ayant statué en matière de discipline dans la fonction publique à l’encontre d’un des associés de la société …, n’est pas suffisant pour établir une quelconque violation par le directeur de ses obligations dans le cadre de l’examen de la réclamation lui soumise, étant précisé que si le directeur peut tenir compte de ce qui a été jugé par la Cour administrative dans une affaire de sanction disciplinaire au sujet des activités de la société …, cela ne le lie toutefois pas, étant donné qu’il est obligé de procéder à sa propre qualification de ces mêmes faits, dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la réclamation dirigée contre des bulletins d’imposition émis à l’égard de la société …. Dans ce contexte, il convient d’écarter les critiques dirigées par la demanderesse à l’encontre dudit arrêt de la Cour administrative, étant donné que ces critiques ne sont pas pertinentes dans le cadre du présent litige.
En ce qui concerne le bien-fondé de l’imposition, l’article 14, alinéa 1er LIR dispose qu’est à considérer comme bénéfice commercial, le revenu net provenant d’une entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale, l’entreprise commerciale étant définie par le même texte comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale (…) ».
Cette définition énonce quatre critères, à savoir 1) l’indépendance, 2) le but de lucre, 3) le caractère de permanence et 4) la participation à la vie économique générale, qui doivent être cumulativement réunis pour qu’une activité soit constitutive d’une entreprise commerciale au sens du droit fiscal.
L’activité en cause doit en outre dépasser les limites de la gestion normale d’un patrimoine privé pour pouvoir être qualifiée de commerciale. En effet, il se dégage des distinctions inhérentes aux différentes catégories de revenus que « quelle que soit l’importance d’un patrimoine privé, les opérations de gestion y relatives ne constituent pas une activité commerciale, si les actes posés ne sortent pas du cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé » (Emile Stoffel, Le bénéfice commercial, commentaire des articles 14 à 18 de la loi du 4 décembre 1967, in Etudes fiscales décembre 1997, n° 109-111, p. 15, n° 14.14) La notion de la gestion d’un patrimoine privé (« Vermögensverwaltung ») ne faisant pas l’objet d’une définition légale, elle est cependant délimitée par le biais des deux exemples énoncés au paragraphe 7 (4) de l’ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l’exécution des paragraphes 17 à 19 StAnpG qui prévoit que : « Vermögensverwaltung liegt in der Regel vor, wenn Vermögen genutzt wird, zum Beispiel wenn Kapitalvermögen verzinslich angelegt oder unbewegliches Vermögen vermietet oder verpachtet wird ». Le concept de la gestion d’un patrimoine privé ne se limite cependant pas aux exemples de jouissance sus-énoncés (cf. Emile Stoffel, op.cit.). D’une manière générale, il y a administration d’un patrimoine privé aussi longtemps que les activités d’achat et de vente s’analysent en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée. Au contraire, de telles activités dépassent le cadre de la gestion d’un patrimoine privé lorsque le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune.
Parmi les critères de la loi, il convient d’examiner en premier lieu celui de la permanence de l’activité litigieuse, la délimitation entre l’activité commerciale et la gestion normale du patrimoine privé impliquant une appréciation de l’activité développée par le contribuable à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.
Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’article 14 LIR que « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète. Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétées1 », le même commentaire de l’article 14 précisant que « le caractère de permanence sépare l’activité commerciale (…) d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable ».
La partie demanderesse conteste que le critère de la permanence soit rempli dans son chef, en faisant valoir qu’elle n’aurait procédé qu’à deux ventes immobilières qu’elle qualifie d’opérations limitées et isolées.
A cet égard, il ressort de la décision directoriale litigieuse, qui décrit les opérations immobilières à laquelle la société demanderesse a procédé et dont elle n’a pas contesté la matérialité, que celle-ci a acquis le 13 novembre 2001 un appartement qu’elle a revendu le 2 juillet 2003 avec une plus-value brute de … euros, qu’elle a acheté en décembre 2003 un autre appartement qu’elle a ensuite revendu en janvier 2004 avec une plus-value brute de … euros. D’après les précisions de la demanderesse, les fonds propres ainsi libérés auraient été employés pour l’acquisition d’un local commercial à … et d’un appartement à …, et qu’en 2003, elle aurait également acquis deux immeubles de rapport à ….
En l’espèce, force est de constater que s’il est vrai, tel que cela a d’ailleurs été relevé par le directeur, que le nombre des actes d’achat-vente ainsi opérés par la société … n’est pas en soi significatif, c’est cependant à bon droit que le directeur a retenu que ces opérations sont d’une envergure indéniable, étant donné que la société a ainsi cédé au mois de juillet 2003 l’unique appartement dont elle était propriétaire pour acheter un autre appartement au mois de décembre 2003 qu’elle a aussitôt revendu au mois de janvier 2004, de sorte qu’elles impliquent des mutations importantes au niveau du patrimoine immobilier de la société.
Or, si l’administration d’un patrimoine immobilier privé n’exclut pas qu’il puisse y avoir des mutations, c’est-à-dire des acquisitions et des ventes d’immeubles, il faut que ces mutations soient comprises comme début ou fin d’une activité orientée essentiellement vers une jouissance des fruits, par notamment la location, et qu’elles ne s’analysent pas comme un négoce déguisé d’immeubles2.
Par ailleurs, si l’acquisition ou la location d’objets immobiliers par une société civile peut certes être considérée objectivement comme une opération de gestion d’un patrimoine privé dont le but aurait été de simplifier la gestion de son patrimoine privé et d’augmenter 1 Projet de loi n° 5714, commentaire des articles, p. 18.
2 H. Dostert et E. Stoffel, op. Cit., pp.15 et 16.
ainsi ses revenus nets de location, de même que la revente d'immeubles est compatible avec la gestion d'un patrimoine immobilier privé, aussi longtemps que ce patrimoine sert principalement à dégager des revenus de location3, il convient cependant, en ce qui concerne cette dernière condition dégagée par la jurisprudence, de relever que la demanderesse se contente d’affirmer qu’elle aurait procédé à ces ventes pour pouvoir réinvestir dans des immeubles plus grands, dans un but d’amélioration de la structure de son patrimoine immobilier. Or, force est de constater que ces opérations ont été réalisées avec une importante plus-value, de sorte que le caractère spéculatif de ces opérations au sens de l’article 99bis LIR se dégage à suffisance des circonstances. S’y ajoute que la cession d’immeubles par la société … n’est pas permise en vertu de son objet social, celui-ci ne prévoyant que l’acquisition d’immeubles et leur mise en valeur, la vente d’immeubles n’étant pas, contrairement à l’affirmation de la demanderesse, comprise dans la notion de mise en valeur.
Par ailleurs, il résulte tant de la période courte de détention des immeubles vendus en 2003 que du caractère spéculatif de ces opérations que celles-ci constituaient bien des opérations poursuivant une « Ausnutzung substantieller Vermögenswert ».
En effet, le fait que les ventes ont eu lieu après une période assez courte de détention des immeubles cédés, soit moins de deux ans, fait ressortir que le but recherché, contrairement aux affirmations de la demanderesse, semble être moins la recherche d’une conservation et d’une jouissance à long terme desdites propriétés immobilières, mais essentiellement une valorisation rapide du patrimoine moyennant ces mutations, caractéristique essentielle d’un esprit de lucre et d’une entreprise commerciale.
A cet égard, en ce qui concerne plus particulièrement la courte période de détention des immeubles, il convient de souligner que selon le Bundesfinanzhof, c'est essentiellement le nombre des acquisitions (ou constructions) d'immeubles, ainsi que le fait qu'elles soient rapidement suivies de leur revente, qui est déterminant pour distinguer la gestion d'un patrimoine privé d’une entreprise commerciale4, la revente rapide des objets (« enger zeitlicher Zusammenhang zwischen Kauf und Verkauf von Wohnungen ») étant définie, par une jurisprudence constante du Bundesfinanzhof, comme une revente dans un délai maximal de cinq ans à partir de l'acquisition de l'objet en question : « Besteht ein enger zeitlicher Zusammenhang zwischen der Errichtung und der Veräusserung (…), so liegt nach der Rechtsprechung des BFH regelmässig ein Gewerbebetrieb vor ; ein enger zeitlicher Zusammenhang wird angenommen, wenn die Zeitspanne zwischen der Errichtung und dem Verkauf der Wohnungen nicht mehr als fünf Jahre beträgt5 ».
Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à retenir que le critère de la permanence est rempli en l’espèce, étant donné que l’intention de répéter à l’occasion des opérations analogues ressort à suffisance des éléments de la cause.
3 « Private Vermögensverwaltung ist nach ständiger Rechtsprechung des BFH anzunehmen, solange sich die Tätigkeit noch als Nutzung von Grundbesitz durch Fruchtziehung aus zu erhaltender Substanz darstellt und die Ausnutzung substantieller Vermögenswerte nicht entscheidend in den Vordergrund tritt. … Die Veräusserung von Grundbesitz ist daher der privaten Vermögensverwaltung zuzurechnen, wenn der Steuerpflichtige damit höhere Erträge aus dem vorhandenen Vermögen anstrebt. Veräussert er dagegen den Grundbesitz, um Substanzwertsteigerungen auszunutzen, wird er gewerblich tätig » (BFH, arrêt du 18 janvier 1989, BStBl 1990, II, 1051, 1052).
4 BFH, arrêt précité, p.1052-1053.
5 BFH, arrêt du 22 mars 1990, BStBl 1990, II, 637, 638, avec de nombreuses références de jurisprudence.
En ce qui concerne les trois autres critères d’appréciation cités ci-dessus, il y a lieu de souligner, en ce qui concerne le critère de la participation à la vie économique générale, que ce critère implique que le contribuable prenne part, d’une façon perceptible au public intéressé, à l’échange général des biens et prestations et qu’il soit prêt à entrer en relation d’affaires avec un nombre indéterminé de personnes, compte tenu naturellement de l’étendue et du genre de son entreprise et de sa propre capacité de prestation. Ainsi, le commerçant prend part au trafic économique général en approvisionnant le marché en biens pour lesquels il existe un besoin et en les échangeant contre des équivalents en nature ou en argent. Cet élément de la participation est à apprécier dans chaque cas d’espèce en considération du but recherché ainsi que de la nature des opérations exécutées6.
En l’espèce, la demanderesse se borne à affirmer qu’elle aurait eu recours à une agence immobilière pour la vente des deux immeubles, de sorte à ne pas être entrée en contact avec le public. Or, force est de constater qu’à travers les opérations réalisées, la demanderesse a participé à la vie économique générale, étant donné qu’elle a acquis ces immeubles pour les donner en location à des tiers et pour les revendre, participant de la sorte à l’échange général des biens et prestations, perceptible au public.
Quant au critère de l’indépendance, l’activité doit être exercée pour le compte et aux risques et périls du contribuable, condition également vérifiée en l’espèce.
Enfin, en ce qui concerne le but de lucre, un tel but est avéré, étant donné que la partie demanderesse a elle-même déclaré avoir procédé à ces deux ventes dans le but d’en tirer une plus-value pour la réinvestir dans d’autres immeubles.
Un autre indice de la commercialité de l’activité de la demanderesse constitue le fait que la société … est gérante de la société … S.àr.l. Il ressort en effet de la décision litigieuse du directeur, non contredite sur ce point par la demanderesse, que parallèlement à ces opérations, la société … déploierait une activité de négoce d’immeubles pour le compte de la société … S.àr.l. Ce constat n’est pas énervé par l’argumentation de la partie demanderesse tendant à faire admettre qu’en raison de la transparence en droit fiscal de la société civile immobilière, ce ne serait pas la société … qui gère la société … s.àr.l., mais les associés de la société …. En effet, il ne s’agit pas en l’occurrence d’une question du traitement fiscal de la personne du gérant de la S.àr.l. …, mais du fait que la société … procède à un négoce d’immeubles pour le compte d’une autre société, ce qui sort manifestement du cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé. S’y ajoute que la société … a, conformément au droit commun, une personnalité juridique distincte de ses associés, de sorte que c’est bien la société civile … qui est gérante de la société … s.àr.l., et non pas les associés de la société ….
Sur base des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la même conclusion que le directeur, à savoir que dans les circonstances particulières de l’espèce, développées ci-
avant ainsi que dans les circonstances plus particulièrement relevées par le directeur, les activités immobilières de la partie demanderesse s’analysent en une activité commerciale, caractéristique se répercutant au niveau de la qualification et de l’imposition des bénéfices afférents. C’est partant à bon droit que le directeur a rejeté la réclamation sur ce point comme non fondée.
En deuxième lieu, la partie demanderesse reproche au directeur d’avoir refusé la déduction des cotisations sociales légalement obligatoires en se prévalant du paragraphe 11, 6 Trib. adm. 21 juin 2000, n° 11582, Pas. adm. 2009, V° Impôts, n° 78.
alinéa 2 GewStG, alors que cette disposition, ni aucune autre disposition n’exigerait une relation de ces dépenses avec le bénéfice commercial.
En dernier lieu, la partie demanderesse soutient que ce serait à tort que le directeur aurait refusé, sans examen concret, la déduction de certains postes de frais, de sorte qu’il aurait violé l’obligation lui imposée par le paragraphe 243 AO, aux termes duquel il devrait procéder à un réexamen intégral de la situation du contribuable.
Le délégué du gouvernement n’a pas pris position par rapport au refus d’admettre la déduction de certains frais et de cotisations sociales.
En ce qui concerne le refus du directeur d’admettre tant la déduction des cotisations sociales payées par les deux associés de la société … pour l’année 2003, que celle de certains frais particuliers de ces deux associés, il convient tout d’abord de relever que, d’après le libellé de la lettre du 23 juillet 2008, les demandes afférentes tendant à faire admettre la déduction de ces dépenses, ont été formulées dans le cadre de la demande en rectification selon le paragraphe 94, alinéa 1er AO, la réclamation au sens du paragraphe 228 AO n’ayant porté que sur la requalification des revenus provenant de la location de biens en bénéfices commerciaux. Or, en présence de ces deux demandes, le directeur n’a toisé que la réclamation, étant donné, d’une part, que c’est le bureau d’imposition qui est compétent pour connaître de la demande en redressement au sens du paragraphe 94 AO et, d’autre part, que l’introduction de la réclamation a pour effet de dessaisir le bureau d’imposition de la demande en redressement. Ce n’est partant qu’à titre superfétatoire que le directeur a pris position par rapport à ces deux points litigieux formulés dans le cadre de la demande en redressement, étant donné que le directeur n’en a pas été saisi, de sorte qu’aucun reproche ne saurait être retenu à l’égard du directeur en ce qui concerne ses obligations découlant du paragraphe 243 AO.
Dans la mesure où la réclamation au sens du paragraphe 228 AO n’a pas porté sur le refus du bureau d’imposition d’admettre la déduction de ces dépenses, le tribunal n’a pas à prendre position par rapport à ces moyens tendant à voir admettre la déduction des cotisations sociales et de certains frais particuliers des associés de la société demanderesse, à défaut pour les contestations afférentes d’avoir été préalablement soumises pour examen et décision au directeur. Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le directeur a statué à titre superfétatoire sur ces contestations.
Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le directeur a rejeté la réclamation de la partie demanderesse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la partie demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 25 mars 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26.03.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 12