Tribunal administratif N° 25908 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 juillet 2009 3e chambre Audience publique du 3 mars 2010 Recours formé par Monsieur …, contre des décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25908 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2009 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Libéria), de nationalité libérienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 juin 2009 portant refus d’une autorisation de séjour pour raisons privées, refus de délivrance d’une tolérance et ordre de quitter le territoire dans un délai d’un mois à compter de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Guillaume Gros, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives lors de l’audience publique du 16 décembre 2009.
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Le 13 mai 2004, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut de réfugié, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant dénommé « la Convention de Genève ».
Cette demande fut refusée par une décision du 29 septembre 2006 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre ».
Ladite décision ministérielle de refus fut définitivement confirmée par un jugement du tribunal administratif du 19 septembre 2007 (n° 22265 du rôle) et par un arrêt de la Cour administrative du 19 février 2008 (n° 23550C du rôle).
Par courrier du 6 octobre 2008, Monsieur … introduisit auprès du ministère une demande d’autorisation de séjour sinon en obtention du statut de tolérance.
Par décision ministérielle du 15 juin 2009, la demande précitée fut refusée aux motifs suivants :
« […] En mains votre courrier du 6 octobre 2008 dans lequel vous sollicitez une autorisation de séjour, respectivement une tolérance pour le compte de Monsieur ….
La présente pour vous informer que suivant avis du 22 avril 2009 du médecin délégué du Service Médical de l'Immigration de la Direction de la Santé, reçu par nos services en date du 14 mai 2009, un sursis à l'éloignement est refusé à votre mandant.
En effet, il ressort du prédit avis, dont vous trouvez une copie en annexe, que « l'état de santé de Monsieur … ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, par conséquent, Monsieur … ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement ».
Je ne suis également pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande de tolérance étant donné qu'il n'existe pas de preuve que l'exécution matérielle de l'éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de sa volonté conformément à l'article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
De même, votre mandant ne fait pas état de motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité tels que prévus à l'article 78(1) d) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg. Comme déjà indiqué dans l'avis du 22 avril 2009, votre mandant ne fait pas état de pathologies médicales pouvant être considérées comme « motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité ». Il en va de même d'un certain degré d'intégration dans la société luxembourgeoise.
Conformément à l'article 111 de la loi précitée votre mandant dispose d'un délai d'un mois à compter de la date de notification de la présente pour quitter le territoire luxembourgeois.
[…] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2009, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision prévisée du 15 juin 2009.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il se serait bien intégré dans la société luxembourgeoise et invoque à ce sujet des attestations testimoniales. Il fait d’autre part état qu’il souffrirait d’hypertension artérielle et de diabète nécessitant un traitement et un suivi médical qu’il ne saurait obtenir dans son pays d’origine. Il relève que sa demande aurait été basée sur les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’il aurait demandé au ministre la communication des nouveaux éléments de son dossier administratif qui s’y seraient rajoutés depuis le 7 mai 2009, notamment le résultat de l’examen clinique réalisé le 9 avril 2009 sur lequel se serait basé l’avis du médecin délégué du 22 avril 2009 invoqué par le ministre, sans que cette demande n’aurait connu de suites.
En droit, le demandeur fait valoir que la décision déférée encourait l’annulation pour violation des formes destinées à protéger les intérêts privés conformément à l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, ci-après « la loi du 1er décembre 1978 », du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relative à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », ainsi que de l’article 103 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 ».
En premier lieu le demandeur reproche à la décision déférée de ne pas répondre aux motifs de la demande d’autorisation de séjour qui aurait été basée sur les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dispositions devant prévaloir sur les textes nationaux en cas de conflit normatif. Il estime que la décision déférée se serait limitée à se baser sur un avis du médecin délégué sans se prononcer explicitement sur le sort qu’elle entend réserver à la demande d’autorisation de séjour. Finalement, il est d’avis que la décision lui refusant l’autorisation de séjour ne serait basée sur aucun des motifs légaux énoncés à l’article 101 (1) de la loi du 29 août 2008, qu’elle n’aurait pas pris en compte tous les éléments énoncés à l’article 103 de la loi précitée et il s’oppose à ce que la partie étatique puisse rectifier, en phase contentieuse, la base légale du refus précité.
En second lieu, le demandeur fait valoir qu’il aurait immédiatement demandé la communication du dossier administratif et notamment le résultat de l’examen clinique réalisé le 9 avril 2009 par le médecin délégué après que la décision lui aurait été notifiée. Dans la mesure où il n’aurait pas eu de réponse à cette demande, la décision déférée devrait encourir l’annulation pour être contraire à l’article 11, 1er alinéa du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Le demandeur fait encore état d’une violation de la forme imposée par l’article 103 de la loi du 29 août 2008 dans la mesure où le ministre, en tenant compte uniquement de son état de santé et de son intégration sociale et culturelle dans le pays et en ne prenant pas en compte les autres éléments énoncés audit article, n’aurait pas motivé à suffisance la décision déférée en violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Le délégué du gouvernement estime que le fait de s’être fait de nombreuses relations au Luxembourg ne saurait être pris en compte ni pour l’obtention d’une tolérance ni pour celle d’une autorisation de séjour humanitaire. D’autre part, il estime que le moyen selon lequel la décision déférée ne serait pas à suffisance motivée ne serait pas fondé dans la mesure où le ministre se serait basé sur un avis médical. Il fait en outre valoir, que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme serait étranger à tout concept de tolérance et que la notion de traitements inhumains au sens de cet article serait celle qui provoquerait volontairement des souffrances mentales ou physiques d’une intensité particulière, de sorte que son applicabilité serait limitée à des cas exceptionnels. Or, en l’espèce les pièces versées démontreraient que des organisations non-gouvernementales seraient présentes dans le pays d’origine du demandeur et que la « World Health Organisation » aurait confirmé que le demandeur pourrait être soigné dans son pays.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Force est en premier lieu au tribunal de constater que le moyen selon lequel la décision serait à annuler pour défaut de motivation laisse d’être fondé. En effet, la décision déférée, complétée par le mémoire du délégué du gouvernement en cours de procédure contentieuse, est basée tant sur l’état de santé du demandeur que sur ses relations privées. D’autre part, elle se base expressément sur l’article 78, (1), d de la loi du 29 août 2008 pour lui refuser une autorisation de séjour, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.
En ce qui concerne la communication du dossier administratif, force est au tribunal de constater qu’aux termes de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Tout administré à droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être. » Il en découle que l’administré est en droit de se voir communiquer le dossier administratif quand sa situation administrative est susceptible d’être atteinte par une décision prise ou en voie de l’être.
En l’espèce, le demandeur sollicite la communication du résultat de l’examen clinique du 9 avril 2009 réalisé par le médecin délégué, alors que l’avis du médecin délégué du 22 avril 2009, en ce qu’il tire les conclusions de l’examen clinique précitée, cristallise le résultat de cet examen en retenant que le demandeur ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, de sorte qu’en procédant à la communication de l’avis du médecin délégué du 22 avril 2009, il est satisfait à l’obligation telle qu’énoncée à l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Quant au refus d’autorisation de séjour, force est au tribunal de constater de prime abord que contrairement aux affirmations du demandeur, la décision déférée lui refuse expressément l’autorisation de séjour sollicitée sur base de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008 qui dispose: « [le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées :] au ressortissant de pays tiers qui fait valoir des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité. » En effet, le ministre estime que le demandeur « ne fait pas état de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité tels que prévus à l’article 78(1) d) de la loi du 29 août 2008 sur le libre circulation des personnes et l’immigration justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg. » Concernant le reproche de la non prise en compte de l’article 103 de la loi du 29 août 2008, le prédit article dispose en son alinéa 1er « Avant de prendre une décision de refus de séjour, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour ou une décision d’éloignement du territoire à l’encontre du ressortissant de pays tiers, le ministre tient compte notamment de la durée du séjour de la personne concernée sur le territoire luxembourgeois, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans le pays et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ».
Il découle des deux dispositions précitées que le ministre, avant de prendre une décision de refus de séjour sur base des articles 99 et suivant de la loi du 29 août 2008 respectivement avant de prendre une décision de retrait ou de non renouvellement d’un titre de séjour préalablement accordé doit tenir compte de la durée du séjour de la personne concernée sur le territoire luxembourgeois, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans le pays et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine. Les obligations se dégageant de la disposition précitée ne s’imposent dès lors pas au ministre lorsqu’il n’agit pas de son propre initiative, mais se voit confronté à une demande d’un titre de séjour tel qu’il est le cas en l’espèce, de sorte que l’article invoqué par la partie demanderesse n’est pas applicable au cas sous analyse. Partant le moyen afférent laisse d’être fondé.
Concernant le moyen tendant à l’annulation de la décision déférée au motif que le ministre n’aurait pas répondu à la demande basée sur les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le tribunal constate que le délégué du gouvernement prend explicitement position sur les prédits articles, complétant ainsi utilement la motivation de la décision déférée, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.
Le demandeur estime encore que la décision déférée, en ce qu’elle porte refus de lui accorder une autorisation de séjour, serait à annuler étant donné que les motifs se tenant à sa base ne seraient constitués par aucun des motifs légaux énoncés à l’article 101 (1) de la loi du 29 août 2008. Ainsi, l’absence de motivation au regard des exigences de l’article 101 (1) de la loi du 29 août 2008 constituerait une violation de la forme destinée à protéger les intérêts privés.
Aux termes de l’article 101 (1) de la loi du 29 août 2008 : « (1) L’autorisation de séjour du ressortissant de pays tiers peut lui être refusée ou son titre de séjour peut être refusé ou retiré ou refusé d’être renouvelé:
1. s’il ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 38 et celles prévues pour chaque catégorie dont il relève ou s’il séjourne à des fins autres que celle pour laquelle il a été autorisé à séjourner;
2. s’il est considéré comme un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique;
3. s’il appert qu’il a fabriqué, contrefait, falsifié ou altéré un document de voyage, une autorisation ou un titre de séjour, a fait usage d’un autre document de voyage ou de séjour que celui lui appartenant ou a remis ses documents à une autre personne pour qu’elle en fasse un usage quelconque;
4. s’il a fait usage d’informations fausses ou trompeuses ou s’il a recouru à la fraude ou à d’autres moyens illégaux, soit pour entrer et séjourner sur le territoire, soit pour y faire entrer ou y faire séjourner une tierce personne;
5. s’il est condamné et poursuivi à l’étranger pour crime ou délit donnant lieu à extradition conformément à la loi et aux traités en la matière;
6. s’il se trouve dans l’hypothèse prévue à l’article 118. » Etant donné que la demande en obtention d’un titre de séjour n’était pas basée sur un article déterminé de la loi du 29 août 2008, et dans la mesure où la décision de refus de l’autorisation de séjour est fondée et motivée à suffisance sur l’article 78 (1) d) de la loi du 28 août 2008, le ministre n’est pas dans l’obligation de justifier en outre son refus de séjour sur base de l’article 101 (1) de la loi du 29 août 2008. Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.
Finalement, le demandeur estime que l’ordre de quitter le territoire serait intrinsèquement vicié dans la mesure où l’article 111 (1) de la loi du 29 août 2008 exigerait que les décisions de refus de séjour visées à l’article 109 de la loi du 29 août 2008, seraient assorties d’une obligation de quitter le territoire comportant l’indication du délai imparti pour quitter le territoire ainsi que le pays de renvoi. Or, en l’espèce, la décision déférée ne comporterait pas l’indication du pays de renvoi et se limiterait à ordonner au demandeur de quitter le territoire dans le délai d’un mois à compter de la notification de la décision.
Le délégué du gouvernement estime que le demandeur serait originaire du Libéria, de sorte qu’il devrait quitter le Luxembourg pour son pays d’origine ou l’un des pays mentionnés à l’article 111 (3) de la loi du 29 août 2008.
Aux termes de l’article 111 de la loi du 29 août 2008, sur lequel l’ordre de quitter le territoire est basé en l’espèce, toutes les décisions visées à l’article 109 sont assorties d’une obligation de quitter le territoire pour l’étranger qui s’y trouve, comportant l’indication du pays de renvoi. Cet article précise en son point (3) que « l’étranger qui est obligé de quitter le territoire est renvoyé :
a) à destination du pays dont il a la nationalité, sauf si le statut de réfugié politique lui a été reconnu ou s’il n’a pas encore été statué sur sa demande de protection internationale, ou b) à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, ou c) à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner ».
Force est de constater que les décisions visées à l’article 109 de la loi du 28 août 2008, auquel l’article 111 précité renvoie, sont celles prises sur base des articles 25 et 27 et celles visées aux articles 100, 101 et 102 de cette même loi, de sorte que la loi ne confère pas au ministre le droit de prendre une décision obligeant l’intéressé à quitter le territoire sur base de l’article 111 lorsqu’il ne fait pas droit à une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78 de la loi du 29 août 2008. Il s’ensuit que la décision déférée est à annuler en ce qu’elle ordonne au demandeur de quitter le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est partiellement fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute en ce qu’il tend à l’annulation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 juin 2009 portant refus d’une autorisation de séjour pour des raisons privées et refus d’une tolérance ;
annule la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 juin 2009 portant obligation de quitter le territoire ;
partage les frais entre le demandeur et l’Etat ;.
Ainsi jugé par :
Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 3 mars 2010 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 03.03.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 7