Tribunal administratif N° 25798 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juin 2009 3e chambre Audience publique du 3 mars 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Transports en matière de permis de conduire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25798 du rôle et déposée le 10 juin 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Joëlle Choucroun, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d'une décision du ministre des Transports du 28 mai 2009 portant refus de renouveler son permis de conduire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 novembre 2009 ;
Vu les pièces versées et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cristina Peixoto, en remplacement de Maître Joëlle Choucroun, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 février 2010.
___________________________________________________________________________
Par arrêté ministériel du 28 mai 2009, le ministre des Transports, ci-après « le ministre », décida de ne plus renouveler la durée de validité du permis de conduire des catégories C, C+E et D ainsi que des sous-catégories C1, C1+E et D1 de Monsieur …. Cette décision est basée sur les motifs et considérants suivants :
« […] Vu les articles 2 et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Vu l'article 90 de l'arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Considérant que pour la raison reprise sous 4) du paragraphe ler de l'article 2 de la loi du 14 février 1955 précitée une mesure administrative s'impose à l'égard de Monsieur …, né le … à … et demeurant à L-… ;
Vu la demande en renouvellement du permis de conduire des catégories A sous 2), 3), B, C, C+E et D ainsi que des sous-catégories C1, C1+E, D1 et F présentée par l'intéressé le 24 mars 2009 ;
Considérant que l'intéressé a été entendu le 20 mai 2009 dans ses explications par la Commission médicale prévue à l'article 90 de l'arrêté grand -ducal du 23 novembre 1955 précité;
Vu l’avis du 20 mai 2009 de la Commission médicale précitée ;
Considérant que Monsieur … souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ;
Arrête:
Art. ler. - La durée de validité du permis de conduire des catégories C, C+E et D ainsi que des sous-catégories C1, C1+E et D1 délivré à Monsieur … préqualifié, n'est plus renouvelée.
Art. 2. - Le présent arrêté sera expédié à la personne préqualifiée pour information.
Ampliation en sera adressée à Monsieur le Procureur Général d'État en vue de faire provoquer le signalement de l'intéressé.
Art. 3. - Le présent arrêté est susceptible d'un recours gracieux à présenter par écrit au ministre des Transports. Il est en outre susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif, à exercer par ministère d'avocat inscrit endéans les trois mois à partir du jour de la notification du présent arrêté. […] » L’avis de la commission médicale du 20 mai 2009 sur lequel la décision du 28 mai 2009 litigieuse s’est basée retient que Monsieur … reconnait les couleurs rouge et jaune, mais ne reconnaît pas le vert, qu’il présente un daltonisme sévère et que par conséquent il ne satisferait pas aux conditions minima prévues par l’article 77 sous 1) de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 ». Il serait dès lors établi que Monsieur … souffrirait d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire. La commission médicale émit néanmoins un avis favorable pour le renouvellement du permis de conduire de la catégorie B, mais proposa de refuser le renouvellement du permis de conduire des catégories C, C+E et D.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2009 et inscrite sous le numéro 25798 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de cette décision ministérielle du 28 mai 2009.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, Monsieur … fait valoir qu’il lui serait impossible de connaître les motifs de la décision déférée étant donné qu’elle ne détaillerait pas les raisons justifiant le refus de renouveler son permis de conduire et que l’avis de la commission médicale n’aurait pas été communiqué. S’il admet que suivant un certificat médical du 20 mai 2009, il serait daltonien avec un déficit de la vue de la couleur verte depuis sa naissance, il serait cependant de jurisprudence constante que d’après la législation communautaire, le daltonisme ne serait pas invalidant quand il s’agit de l’aptitude à conduire. A l’appui de son recours le demandeur verse encore une expertise médicale du 7 juillet 2009 suggérant « d’aborder son dossier et sa réclamation d’autorisation de permis de conduite avec bienveillance » ordonnée par le Président du tribunal administratif dans le cadre d’une requête dirigée contre la décision ministérielle litigieuse et sollicitant une mesure de sauvegarde (n° 25810 du rôle).
Le délégué du gouvernement fait valoir que le demandeur, titulaire d’un permis de conduire de la catégorie B depuis le 11 septembre 1989, de la catégorie C+E depuis le 26 janvier 1994 et de la catégorie D depuis le 26 mai 1994, et candidat pour l’obtention du permis de conduire de la catégorie A, dont il n’aurait cependant jamais terminé l’apprentissage, aurait fait parvenir au ministre des certificats médicaux ne faisant état d’aucun problème de santé. Pour le renouvellement du permis de conduire des catégories C+E et D, il aurait également remis au ministre un certificat médical ne faisant état d’aucun problème de santé. Enfin, pour le renouvellement de son permis de conduire des catégories B, C+E, et D, le demandeur aurait fait parvenir au ministre un certificat médical qui, pour la première fois, aurait fait état d’une deutanopsie rouge/verte. Cette dernière conclusion aurait été reprise par la commission médicale et aurait conduit cette dernière à émettre un avis négatif pour le renouvellement du permis de conduire des catégories C, C+E et D.
Il précise que la décision déférée serait basée notamment sur l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 qui énumérerait le daltonisme comme cause éliminatoire en vue de la délivrance respectivement du renouvellement d’un permis de conduire des catégories C, C+E, D et D+E ainsi que des sous-catégories C1, C1 +E, D1 et D1+E.
Concernant la motivation de la décision déférée, il estime qu’elle serait basée sur l’avis de la commission médicale précité qui pourrait être consulté par le demandeur ou son mandataire.
Finalement, il fait valoir que les textes communautaires en vigueur ou prochainement applicables, permettraient aux Etats membres d’exiger lors de la délivrance ou du renouvellement d’un permis de conduire de prévoir des normes plus sévères que celles mentionnées dans ces textes et que l’article 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la règlementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après « la loi du 14 février 1955 », prévoirait que le ministre des Transports pourrait refuser le renouvellement des permis de conduire si l’intéressé souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire. En l’espèce, le demandeur serait affecté de daltonisme susceptible d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire, de sorte qu’il serait cohérent et intelligible de maintenir la position prise par le ministre.
Aux termes de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 : « En vue de l’obtention ou du renouvellement d’un permis de conduire, l’intéressé doit se soumettre à un examen médical destiné à établir s’il ne souffre pas d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire et s’il ne présente pas de signes d’alcoolisme ou d’autres intoxications. Sur avis de la commission médicale prévue à l’article 90, le titulaire d’un permis de conduire peut de même être obligé par le ministre des Transports à se soumettre à un examen médical, s’il existe des doutes sur ses aptitudes ou capacités de conduire.
L’examen médical porte notamment sur la capacité visuelle, l’audition, les affections cardiovasculaires, les troubles endocriniens, les maladies du système nerveux, les troubles mentaux, l’alcoolisme, la consommation de drogues et de médicaments, les maladies du sang et les maladies de l’appareil génito-urinaire ainsi que sur l’état de santé général et les incapacités physiques. » L’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 précité précise encore que pour l’obtention ou le renouvellement des permis de conduire des catégories C, C+E, D et D+E, sous-catégories C1, C1+E, D1 et D1+E, le daltonisme constitue une cause éliminatoire.
En effet, le tableau dont fait état l’article précité de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 énumère comme « causes éliminatoires » le « daltonisme » pour « les catégories du permis de conduire » « catégories C, C+E, D et D+E, sous-catégories C1, C1+E, D1 et D1+E ».
Force est au tribunal de constater de prime abord que cette disposition est, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, conforme aux textes communautaires, notamment à l’annexe III de la directive 91/439/CEE du 29 juillet 1991 relative aux permis de conduire, intitulée « Normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite d’un véhicule » qui prévoit en son article 5 « Les États membres pourront exiger, lors de la délivrance ou de tout renouvellement ultérieur d'un permis de conduire, des normes plus sévères que celles mentionnées dans la présente annexe. » Cependant, l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, au tableau précité, dispose sous la rubrique « remarques » que pour les permis de conduire des « catégories C, C+E, D et D+E, sous-catégories C1, C1+E, D1 et D1+E », « 1) en cas de daltonisme une épreuve pratique décidera de l’octroi ou du refus du permis de conduire », de sorte qu’il y a lieu de conclure que le daltonisme ne constitue pas per se un motif de refus de délivrer, de refuser, de restreindre un permis de conduire, mais conditionne l’octroi ou le refus à une épreuve pratique qui décidera du sort du permis de conduire visé. Cette interprétation est encore conforme tant à l’article 77 paragraphe 1er précité qu’à l’article 2 de la loi du 14 février 1955, en ce qu’il dispose : « Le ministre des Transports ou son délégué délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur emploi ou leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé:
[…] 4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ». En effet, il découle des deux articles précités que la finalité des contrôles à effectuer est celle de s’assurer que l’intéressé ne présente pas d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire. Il s’ensuit que des infirmités ou troubles, non susceptibles d’entraver les aptitudes ou capacités de conduire de l’intéressé ne sauraient être pris en compte par le ministre pour refuser la délivrance respectivement le renouvellement du permis de conduire.
En l’espèce, aucune pièce du dossier administratif versé en cause ne permet cependant au tribunal de vérifier que le demandeur ait été soumis à une épreuve pratique telle-que prévue au tableau figurant à l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 une fois que son daltonisme a été retenu par l’avis de la commission médicale précité, de sorte que la décision déférée encourt l’annulation pour violation de la loi.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en annulation recevable en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule l’arrêté du ministre des Transports du 28 mai 2009, portant refus de renouveler la durée de validité du permis de conduire des catégories C, C+E et D ainsi que des sous-catégories C1, C1+E et D1 de Monsieur … ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 3 mars 2010 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 04.03.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 5