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25/02/2010 | LUXEMBOURG | N°25291

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 février 2010, 25291


Tribunal administratif N° 25291 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 janvier 2009 2e chambre Audience publique du 25 février 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en présence de Madame … en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25291 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2009 par Maître Pascale Petoud, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …...

Tribunal administratif N° 25291 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 janvier 2009 2e chambre Audience publique du 25 février 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en présence de Madame … en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25291 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2009 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigeria), demeurant actuellement à … (Nigeria), de nationalité nigérianne, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 août 2008 lui refusant la délivrance d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial, ainsi que d’une décision confirmative de refus du 16 octobre 2008 rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2009 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Pascale Petoud au greffe du tribunal administratif en date du 10 avril 2009 pour le compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2009 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 juin 2009 ;

Vu l’avis du 9 juillet 2009 par lequel le tribunal a prononcé la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre position sur la question de la loi applicable à la demande d’autorisation de séjour ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2009 ;

Vu le mémoire additionnel déposé par Maître Pascale Petoud au greffe du tribunal administratif en date du 17 septembre 2009 pour le compte du demandeur ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 septembre 2009 ;

Vu l’avis du 6 octobre 2009 par lequel le tribunal a prononcé la rupture du délibéré afin de permettre à la partie demanderesse de signifier le recours et tous les actes de procédure subséquents à Madame … ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert Rukavina, demeurant à Diekirch, du 23 octobre 2009 par lequel le recours et les actes de procédure subséquents ont été signifiés à Madame …, demeurant à L-… ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Pascale Petoud et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er février 2010.

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En date du 9 mai 2008, Monsieur … épousa devant l’officier de l’état civil de la Ville de Lagos, Nigeria, Madame …, demeurant au Luxembourg, sur base d’un titre de séjour délivré par le ministre de la Justice en date du 7 août 2002 et prolongé régulièrement depuis cette date.

En date du 18 juin 2008, Monsieur … sollicita, par l’intermédiaire de l’ambassade de Belgique à Abuja, auprès du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration l’octroi d’une d’autorisation de séjour en vue de bénéficier d’un regroupement familial avec Madame …. Cette demande fut rejetée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », du 14 août 2008, dans les termes suivants :

« Comme suite à votre demande déposée à l’Ambassade de Belgique à Abuja en date du 18 juin 2008, par laquelle vous sollicitez une autorisation de séjour, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, votre épouse Madame … n’est pas en possession de moyens d’existence suffisants permettant d’assurer le séjour de 2 personnes au Grand-Duché de Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir. Pour le surplus elle-même est à charge de l’Etat.

Comme votre épouse ne remplit pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.» Cette décision fut confirmée, sur recours gracieux introduit le 18 septembre 2008, par une décision du ministre du 16 octobre 2008 basée sur le constat d’un défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée le 16 janvier 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre les prédites décisions ministérielles.

A titre liminaire, il convient de déterminer la loi applicable au présent litige, dans la mesure où la décision initiale de refus du 14 août 2008 a été prise sur base de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ci-après désignée par « la loi du 28 mars 1972 », tandis que la décision confirmative sur recours gracieux a été prise en date du 16 octobre 2008, soit après l’abrogation de la loi du 28 mars 1972 par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », entrée en vigueur le 1er octobre 2008.

Le demandeur soutient, en citant l’article 160 de la loi du 29 août 2008, que dans la mesure où le ministre aurait été saisi d’une demande de réexamen sur base de nouvelles pièces, il aurait dû faire application des dispositions de la loi du 29 août 2008, ceci en vertu de son obligation d’appliquer d’office le droit applicable, conformément aux termes de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, et qu’en l’occurrence, il aurait dû faire application des articles 69 et 75 de cette même loi.

Le délégué du gouvernement, de son côté, affirme que la décision du 16 octobre 2008 serait une décision purement confirmative de celle du 14 août 2008 par laquelle l’instruction de la demande avait été clôturée, tout en précisant que le réexamen du dossier suite au recours gracieux n’aurait pas impliqué une réouverture de l’instruction.

En vertu de l’article 160 de la loi du 29 août 2008, ladite loi « est applicable aux demandes d’autorisation de séjour introduites avant l’entrée en vigueur de la présente loi et dont l’instruction est pendante ».

Il est constant que la demande litigieuse a été introduite avant l’entrée en vigueur de la loi du 29 août 2008. La question se posant en l’espèce est celle de savoir si, au jour de l’entrée en vigueur de ladite loi, l’instruction peut être considérée comme avoir été pendante au sens de l’article 160, précité.

Il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a introduit en date du 18 juin 2008 une demande en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour fondée sur le motif d’un regroupement familial, afin de rejoindre au Luxembourg son épouse, Madame …, avec laquelle il a contracté mariage en date du 9 mai 2008 à Lagos. L’autorisation a été refusée par décision ministérielle du 14 août 2008. Il ressort d’un courrier du 18 septembre 2008 du mandataire du demandeur que celui-ci a demandé au ministre de reconsidérer sa position, et lui a soumis, à titre d’élément nouveau, le fait que l’épouse du demandeur était enceinte. Le ministre a confirmé sa décision initiale au motif qu’il n’existerait pas d’élément pertinent nouveau.

C’est à juste titre que le délégué du gouvernement soutient qu’en l’espèce, l’instruction du dossier a été clôturée avec la décision initiale du 14 août 2008, et que suite au recours gracieux du 18 septembre 2008, le ministre n’a plus réouvert l’instruction du dossier, puisqu’il a pris une décision purement confirmative, qui aboutit à la même conclusion que la décision initiale, tout en retenant un défaut d’élément pertinent nouveau.

Une décision n’est en effet à considérer comme nouvelle et distincte de la première que si elle est intervenue à la suite d’une demande faisant état de circonstances nouvelles et prend position à l’égard de celles-ci (v. F. Schockweiler, Le Contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 2e éd. 1996, n° 179).

En l’espèce, le demandeur sur recours gracieux a certes fait état d’un élément nouveau, à savoir la grossesse de son épouse qu’il entend rejoindre au Luxembourg. Néanmoins, le ministre n’a pas réellement pris position par rapport à cet élément puisqu’il a purement confirmé sa première décision. Le simple fait de constater l’absence d’éléments pertinents nouveaux ne saurait être considéré comme la preuve d’une réouverture de l’instruction par le ministre.

Il s’ensuit que c’est la loi du 28 mars 1972 qui s’applique à la demande d’autorisation de séjour introduite par le demandeur.

La loi du 28 mars 1972, ni d’ailleurs aucune autre disposition légale n’instaurant un recours au fond en matière d’autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.

Tel qu’il a été retenu ci-dessus la demande d’autorisation de séjour introduite par Monsieur … est régie par la loi du 28 mars 1972, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a appliqué la loi du 28 mars 1972 à la décision du 16 octobre 2008. Le reproche soulevé par le demandeur dans son mémoire additionnel et fondé sur un défaut de prise en compte de la loi du 29 août 2008 dans la décision confirmative du 16 octobre 2008 est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

A l’appui de son recours, le demandeur déclare être de nationalité nigériane et avoir épousé, en date du 9 mai 2008, devant l’officier de l’état civil de la Ville de Lagos au Nigeria, Madame …, originairement de nationalité nigériane, et qui, au moment de l’introduction du recours, aurait été apatride dans l’attente de l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise, et qui serait légalement établie au Luxembourg. Il reproche au ministre d’avoir refusé sa demande tendant au regroupement familial au motif de l’absence de moyens d’existence suffisants. A cet égard, il fait état de ce que son épouse aurait été engagée par un contrat de travail du 5 mars 2008, qu’elle aurait été licenciée avec effet au 30 avril 2008 et que, dans la suite, elle se serait inscrite à l’ADEM comme demandeur d’emploi. Il souligne encore que suite à la grossesse de son épouse, celle-ci aurait fait l’objet d’une hospitalisation prolongée à partir du mois de septembre 2008 et qu’elle se trouverait en congé de maternité depuis le 4 décembre 2008. Il précise que leur enfant commun serait né le 13 janvier 2009. Il soutient que la demande de regroupement familial, de même que la demande de séjour à titre exceptionnel formulée le 18 septembre 2008, aurait été refusée à tort et que ce refus serait contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dans la mesure où cette décision de refus l’empêcherait à rejoindre sa famille au Luxembourg. Il souligne que le fait que son épouse se trouve en congé de maternité ne signifierait pas qu’elle ne disposerait pas de moyens d’existence suffisants dans la mesure où l’indemnité pécuniaire versée dans le cadre du congé de maternité ne serait pas à considérer comme une aide matérielle ou un secours financier versé par une tierce personne, mais serait à considérer comme un substitut de salaire versé par la Caisse de Maladie. Les décisions attaquées devraient dès lors encourir l’annulation du chef d’une erreur manifeste d’appréciation.

Le délégué du gouvernement rétorque que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 8 CEDH ne pourrait pas s’interpréter comme impliquant pour un Etat l’obligation générale de respecter le choix des couples mariés de leur résidence commune. Il en conclut que suite à leur mariage au Nigeria, les jeunes époux auraient pu s’installer dans leur pays d’origine.

Le délégué du gouvernement souligne dans ce contexte que la nationalité luxembourgeoise du premier enfant de Madame … n’aurait aucune incidence, puisque d’après les propres dires de cette dernière, l’enfant n’aurait plus aucun contact avec son père résidant au Luxembourg. Pareillement, le fait que Madame … ait volontairement renoncé à sa nationalité nigérianne en vue du dépôt d’une demande en obtention de la nationalité luxembourgeoise ne préjudicierait pas l’obtention effective de cette nationalité. A cet égard, il affirme que la naturalisation serait conditionnée par le caractère régulier de la présence de Madame … sur le territoire luxembourgeois, ce qui ne serait pas le cas à l’heure actuelle dans la mesure où son dernier permis de séjour aurait expiré le 10 octobre 2008.

Le délégué du gouvernement conteste encore l’existence dans le chef de Madame … de moyens d’existence suffisants afin de subvenir aux besoins d’elle-même, de ses deux enfants et de son mari. Dans ce contexte, il donne à considérer qu’elle allait être sans ressources une fois que son congé de maternité est terminé puisqu’à défaut de disposer d’un titre de séjour valable, elle n’aurait droit ni au chômage ni au RMG.

Ensuite, le délégué du gouvernement fait état de ses doutes quant à la nature des mariages contractés par Madame …, malgré la naissance d’enfants dont la paternité ne serait pas établie. Il met ainsi en doute les intentions sous-jacentes au premier mariage de Madame … avec un ressortissant luxembourgeois vu la rupture précipitée du mariage dès la naissance du premier enfant. Quant au deuxième mariage, le délégué du gouvernement émet des doutes similaires, en soulignant la grande différence d’âge entre les époux, la précarité de la situation du demandeur résidant au Nigeria qui se serait vu refuser déjà à plusieurs reprises des visas pour cause de présentation de faux papiers. Le délégué du gouvernement s’interroge encore sur la nature spontanée du mariage ainsi que sur la réalité du lien de parenté du demandeur avec le deuxième enfant de Madame …, en soulignant la grande distance ayant séparé les deux époux depuis le départ de Madame … pour le Luxembourg en 2001 cumulé à la nature très sporadique des séjours de celle-ci au Nigeria (une fois par an selon les informations contenues dans son passeport). Le délégué du gouvernement en conclut qu’il existerait des raisons de supposer que le mariage serait contracté à des fins d’immigration.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur conteste l’interprétation du délégué du gouvernement quant à la vie de Madame ….

Il souligne que l’article 8 CEDH ferait peser sur l’Etat l’obligation positive d’autoriser l’enfant à résider avec ses parents afin de permettre aux intéressés de maintenir et de développer une vie familiale sur son territoire. A cet égard, il soutient qu’il serait impossible pour lui de mener une vie familiale normale dans son pays d’origine au Nigeria en raison de ce que, d’un côté, Madame … aurait renoncé à sa nationalité nigériane en vue de l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise, et, d’autre part, en raison du fait que la situation du premier enfant de Madame …, de nationalité luxembourgeoise, et né d’un premier mariage avec un ressortissant luxembourgeois, ne serait pas encore réglée quant au droit de visite et d’hébergement du père de l’enfant.

Le demandeur conteste que le mariage avec Madame … aurait été contracté à la seule fin de l’immigration, en soulignant qu’un enfant serait né de cette union. Il donne encore à considérer que jusqu’à contestation de la paternité par une personne y ayant un intérêt, l’enfant d’une femme mariée serait censé avoir pour père le mari de celle-ci. Le demandeur soutient encore que les décisions litigieuses violeraient les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU du 20 novembre 1989 et plus particulièrement ses articles 3, 9, 10, 16 et 18.

Il souligne enfin qu’au jour de la demande, soit le 18 juin 2008, Madame … aurait été en possession d’un titre de séjour valable et aurait par ailleurs eu à sa disposition des moyens d’existence suffisants.

Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il lui appartient d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ainsi que de vérifier si les éléments de fait dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée. Pour faire cette analyse, le juge se place au jour où la décision a été prise. Il s’ensuit qu’en l’espèce, le tribunal ne saurait avoir égard aux faits qui se sont produits postérieurement aux décisions attaquées.

En l’espèce, les décisions attaquées sont fondées sur le constat du ministre que l’épouse du demandeur ne dispose pas de moyens d’existence suffisants au sens de l’article 2 de la loi du 28 mars 1972, tandis que le demandeur affirme que celle-ci disposerait de moyens d’existence suffisants permettant d’assurer le séjour du couple au Luxembourg.

Conformément à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 « l’entrée et le séjour au Grand-

Duché de Luxembourg pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », impliquant qu’un refus de délivrer une autorisation de séjour au pays peut être décidé notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2009, V° Etrangers, n° 255 et autres références y citées).

Le demandeur ne fait pas état de revenus personnels, mais s’appuie sur les revenus de son épouse pour justifier l’existence de moyens personnels suffisants. Si le demandeur peut valablement se baser sur les revenus de son épouse, il faut encore que les revenus de l’épouse ainsi mis en avant remplissent les conditions prévues à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972, en l’occurrence, il faut qu’il s’agisse non seulement de revenus suffisants, impliquant une certaine perspective réaliste du maintien de ces revenus, excluant ainsi les moyens de subsistance qui par nature sont précaires, mais il faut encore qu’il s’agisse de revenus propres, excluant ainsi les aides procurées par des tiers. En l’espèce, le constat s’impose qu’au jour où le ministre a pris les décisions litigieuses, dates respectives qui sont pertinentes pour l’appréciation de la légalité des décisions litigieuses, et non pas comme l’entend le demandeur, la date de l’introduction de la demande, Madame … a été licenciée avec effet au 30 avril 2008 et n’avait aucune perspective d’un nouvel emploi rémunéré. Elle a bénéficié certes de prestations de chômage jusqu’au début de son congé de maternité le 4 décembre 2008. Néanmoins, indépendamment de la question de savoir si ces prestations sont à considérer comme des revenus propres au sens de l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 ou comme des aides procurées par des tiers qui alors ne peuvent pas être prises en compte, tant le bénéfice de l’indemnité de chômage, que celui de l’indemnité de maternité sont limités dans le temps, de sorte que ces prestations sont par nature précaires. S’y ajoute qu’au jour de la prise des décisions par le ministre le dossier de Madame … ne laissait entrevoir aucune perspective d’un emploi rémunéré stable, une fois que ses droits auxdites indemnités auraient cessés, qui lui permettrait de disposer de suffisamment de revenus pour subvenir aux besoins d’elle-même, de ses deux enfants et du demandeur. Dans ce contexte il convient encore de relever que son titre de séjour n’était valable que jusqu’au 10 octobre 2008, et que, par ailleurs, sa procédure de naturalisation n’avait pas encore abouti, étant précisé que sa perspective de disposer de revenus dépendait de la régularité de son séjour au Luxembourg. Il s’ensuit qu’aux jours respectifs où le ministre a statué, Madame … et par voie de conséquence, le demandeur, ne disposaient pas de moyens personnels propres suffisants pour subvenir notamment aux frais de séjour du couple, au sens de l’article 2 de la loi du 28 mars 1972. Dès lors, le ministre a en principe valablement pu se fonder sur l’article 2 de la loi du 28 mars 1972, en invoquant un défaut de moyens personnels suffisants dans le chef du demandeur, pour lui refuser la délivrance d’une autorisation de séjour.

Si le refus ministériel d’une autorisation de séjour se trouve dès lors, en principe, justifié à suffisance de droit par le seul motif de refus tiré du défaut de moyens d’existence personnels suffisants dans le chef du demandeur, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par celui-ci et tiré d’une violation de l’article 8 CEDH.

A cet égard, il convient de rappeler qu’en la présente matière, le tribunal statue comme juge de l’annulation. Or, si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité (cf. trib. adm. 12 février 2003, n° 15238 du rôle, confirmé par Cour adm. 4 novembre 2003, n° 16173C du rôle, Pas. adm. 2009, V° Recours en annulation, n° 29).

En l’espèce, le demandeur invoque à l’appui de sa demande en obtention d’une autorisation en vue d’un regroupement familial l’article 8 CEDH, consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale.

L’article 8 CEDH dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention. Dans ce contexte, l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.

Il convient dans ce contexte de préciser encore que l’article 8 CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. Il faut au contraire que l’intéressé puisse invoquer l’existence d’une vie familiale effective et stable, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites, préexistantes à l’entrée sur le territoire national ou crées sur ledit territoire, le but du regroupement familial étant de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays (voir en ce sens Cour adm. 12 octobre 2003, Pas. adm.

2009, V° Etrangers, n° 300 et autres références y citées).

Il y a dès lors lieu d’examiner si, en l’espèce, le demandeur peut faire valoir l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 CEDH susceptible d’être protégée par cette disposition.

Le demandeur fait état, d’un côté, de son mariage avec Madame …, résidant depuis 2002 au Luxembourg et, de l’autre côté, de l’enfant issu de son union avec celle-ci, qui est né le 8 janvier 2009, en invoquant le droit de son enfant de résider avec ses parents. Il fait en outre état de ce qu’il serait impossible de mener une vie familiale normale dans son pays d’origine au double motif que Madame … aurait renoncé à sa nationalité nigériane et que la situation de la fille de celle-ci, issue d’un premier mariage avec un ressortissant luxembourgeois et ayant la nationalité luxembourgeoise, ne serait pas définitivement réglé quant au droit de visite et d’hébergement du père.

Le délégué du gouvernement, de son côté, met en cause la sincérité du mariage du demandeur avec Madame … en affirmant qu’il aurait été contracté à des fins d’immigration, et met encore en cause la paternité du demandeur par rapport au deuxième enfant de Madame ….

Afin de mettre en cause la sincérité du mariage avec Madame …, le délégué du gouvernement a mis en avant la différence d’âge entre les époux, la précarité de la situation du demandeur au Nigeria en ce qu’il se serait vu refuser déjà à trois reprises un visa, dont deux visas « court séjour » et un visa « étudiant » en raison de la présentation de faux papiers, et la séparation géographique des intéressés combinée au fait que suivant les indications de son passeport Madame … n’est rentrée au Nigeria qu’une fois par an.

La différence d’âge des époux, à elle seule, ne permet pas de conclure à un défaut de sincérité du mariage dans la mesure où une différence d’âge de 12 ans n’a pas un caractère exceptionnel. Les tentatives antérieures du demandeur d’obtenir un visa ainsi que les questions soulevées par le délégué du gouvernement quant aux circonstances de ce mariage vu la séparation géographique des époux et des faibles contacts tant avant qu’après le mariage, qui certes sont restées sans explications de la part du demandeur et si elles laissent planer un doute sur les circonstances du mariage, ne sont cependant pas de nature à permettre au tribunal de retenir à l’exclusion de tout doute l’hypothèse d’un mariage blanc contracté aux seules fins de l’immigration.

Au-delà de ce constat, les considérations tenant aux peu de contacts des époux peuvent cependant valablement être prises en compte afin d’apprécier l’effectivité de la vie familiale dont fait état le demandeur au titre de l’article 8 CEDH.

Le tribunal constate que le demandeur se fonde sur le seul fait de son mariage. En effet, il n’a pas présenté des éléments de nature à établir une relation stable et effective antérieure au mariage, une telle relation n’étant même pas alléguée en l’espèce. Plus particulièrement, le demandeur est resté en défaut de donner des explications sur la durée de la relation avec Madame …, antérieure au mariage qui a été contracté un mois avant l’introduction de sa demande en obtention d’un titre de séjour, bien qu’au regard des contestations du délégué du gouvernement sur la sincérité du mariage, de telles explications se seraient imposées.

Or, l’effectivité d’une vie familiale est un des critères déterminants afin de retenir l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 CEDH, qui désigne une relation effectivement vécue et s’attache moins aux catégories juridiques qu’au tissu affectif existant (voir Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme par Frédéric Sudre, Droit et Justice n° 37, page 18).

Il s’ensuit que le seul fait de la célébration du mariage n’est pas suffisant pour justifier l’existence d’une vie familiale susceptible d’être protégée à travers l’article 8 CEDH, ce d’autant plus si, comme en l’espèce, la sincérité du mariage est mise en doute. Il faut ainsi, au-delà de la conclusion d’un mariage, que soit démontrée l’effectivité d’une relation stable et étroite, qui se manifeste en principe pour un couple par une cohabitation durable ou du moins par un projet sérieux de vie commune (voir Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, précité, n° 37, pages 20 et suivantes).

D’autre part, si, en principe, la notion de vie familiale au sens de l’article 8 CEDH présuppose l’existence d’une famille, elle n’exclut pas, compte tenu des circonstances, la vie familiale projetée (voir Droits de l’homme et migrations par Sylvie Saroléa, collection du Centre des droits de l’homme de l’Université catholique de Louvain, n° 203, page 230).

Il se dégage des éléments du dossier ensemble avec les déclarations faites par le demandeur lors des plaidoiries à l’audience que si le mariage des époux a été célébré au Nigeria, Madame … réside depuis au Luxembourg et le demandeur réside toujours au Nigeria, à défaut de l’obtention d’un titre de séjour. Si le défaut de disposer d’un titre de séjour au Luxembourg ne permet pas au demandeur de vivre avec Madame … au Luxembourg, et s’il est encore compréhensible que la situation familiale et financière de Madame … rend difficile des déplacements au Nigeria, de sorte que la séparation physique des époux depuis leur mariage est explicable, le tribunal est néanmoins amené à relever qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier, ni des explications fournies aux audiences des plaidoiries, que le demandeur ait entrepris une quelconque tentative de voir son épouse et son enfant du moins pour une courte durée, comme par exemple par le biais d’une demande d’un visa de courte durée (à l’exception de la demande formulée en vue d’obtenir une autorisation de séjour pour assister Madame … jusqu’à l’accouchement qui s’inscrit cependant plutôt dans le cadre du recours gracieux dirigé contre la première décision de refus d’une autorisation de séjour), ou qu’il ait entretenu d’autres contacts réguliers à distance avec son épouse et son enfant qui témoigneraient d’une volonté d’entretenir une vie familiale effective susceptible d’être protégée à travers l’article 8 CEDH.

Le tribunal est dès lors amené à retenir que le demandeur n’établit pas l’existence d’une vie familiale effective avec son épouse ni avant ni après leur mariage ou du moins un projet sérieux de création d’une telle vie, caractérisée par des liens suffisamment forts, concrétisés par des contacts réguliers malgré les obstacles s’opposant à ce stade, le cas échéant, à une vie en commun, le simple fait de s’être marié n’étant à lui seul pas suffisant pour justifier la protection prévue par l’article 8, paragraphe 1er CEDH.

S’y ajoute que le demandeur n’a pas justifié à suffisance de droit que les deux époux ne seraient pas en mesure de s’installer ensemble, y compris leur enfant commun, et constituer et mener une vie familiale dans leur pays d’origine commun leur permettant ainsi de remplir leurs devoirs de cohabitation et d’assistance respectifs.

Le seul fait que Madame … a renoncé à sa nationalité nigériane ne peut être considéré, à défaut d’autres éléments fournis par le demandeur, comme étant un obstacle à une vie commune au Nigeria. Pour le surplus, il convient de relever que la date de la renonciation par Madame … à sa nationalité nigériane n’est pas sans pertinence en l’espèce. En effet, même à admettre l’existence d’une vie familiale susceptible d’être protégée par l’article 8 CEDH, l’ingérence dans cette vie familiale qui conduirait à pousser le couple à vivre ensemble dans leur pays d’origine commun n’est pas disproportionnée si l’impossibilité alléguée pour l’épouse de vivre au Nigeria provient de son propre fait, en l’occurrence de sa renonciation à sa nationalité nigériane, qui au surplus intervient après l’introduction de la demande en vue d’un regroupement familial, mettant ainsi le ministre devant le fait accompli.

Les considérations tenant au premier enfant de Madame … et plus particulièrement l’affirmation que le sort de celui-ci ne serait pas encore définitivement clarifié quant au droit de visite et d’hébergement du père de cet enfant puisque ce volet de l’affaire de divorce serait toujours pendant ne sont pas pertinentes, dans la mesure où il se dégage d’un courrier du 5 octobre 2007 adressé par la Ligue luxembourgeoise de prévention et d’action médico-sociales adressé au nom et pour le compte de Madame … au ministre des Affaires étrangères que l’enfant de Madame … n’a aucun contact avec son père. Pour le surplus, force est de constater que l’obstacle ainsi invoqué est fondé sur une violation d’un droit propre de l’enfant de Madame … issu d’un premier mariage, que seule cette dernière, en tant que représentant légal de son enfant peut invoquer. Or, celle-ci, bien qu’elle ait été mise en intervention dans le présent litige par le demandeur sur invitation du tribunal, n’a pas comparu pour faire valoir ces droits.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur ne saurait utilement invoquer les dispositions de l’article 8 CEDH à défaut de preuve de l’existence d’une vie familiale effective au sens dudit article et vu l’absence de preuve d’une impossibilité de déployer la vie familiale projetée dans le pays d’origine commun.

Le demandeur invoque encore le droit du deuxième enfant de Madame … de vivre avec ses parents et invoque à ce titre la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.

Or, il y a lieu de relever, tel qu’il a été retenu ci-avant, que seul l’enfant respectivement ses représentants légaux agissant en son nom, peuvent invoquer une violation de ses droits fondée sur la prédite convention. Force est de constater que, d’une part, Madame … n’est pas intervenue au litige et, d’autre part, le demandeur n’a agi qu’en son propre nom, et non pas au nom de son enfant mineur, de sorte que le demandeur ne saurait invoquer dans son chef une violation de la prédite convention.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre pouvait valablement refuser, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, une autorisation de séjour au demandeur, de sorte que le recours est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 25 février 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25.02.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 25291
Date de la décision : 25/02/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-02-25;25291 ?

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