Tribunal administratif Numéro du rôle 26610 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2010 3e chambre Audience publique du 24 février 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10, L.5.5.2006)
__________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26610 du rôle et déposée le 18 février 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo) de nationalité kosovare, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 janvier 2010 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum de trois mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 février 2010 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh, en remplacement de Maître Louis Tinti, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2010.
___________________________________________________________________________
Le 13 novembre 2009, Monsieur …, introduisit auprès du service compétent du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent de la police judiciaire, service police des étrangers et des jeux. Une recherche dans le système Eurodac révéla que Monsieur … avait introduit le 28 juin 2005 une demande de protection internationale en Italie.
Par courrier du 18 janvier 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’en vertu de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006 et des articles 16§1e, 20§1b et 20§1c du règlement 343/2003/CE, la République d’Italie et non point le Grand-Duché de Luxembourg serait compétente pour examiner sa demande en obtention d’une protection internationale. Le ministre précisa que l’Italie avait tacitement accepté de reprendre en charge l’examen du dossier de Monsieur … et que son transfert vers l’Italie serait organisé dans les meilleurs délais.
Le même jour, soit le 18 janvier 2010, le ministre refusa le séjour au Grand-Duché de Luxembourg à Monsieur … tout en précisant qu’il devait quitter le territoire sans délai à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.
Toujours en date du 18 janvier 2010, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum de trois mois à partir de la notification. Cette décision fut notifiée à l’intéressé le 5 février 2010 et est basée sur les motifs suivants :
« Vu l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu le rapport SPJ/15/2009/7852.1/HETA du 13 novembre 2009 établi par le Service de police judiciaire, section de police des étrangers et des jeux ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
Considérant que l’intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 13 novembre 2009 - qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 16§1e du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités italiennes en date du 29 décembre 2009 ;
- que le délai de réponse prévu aux articles 20§1b et 20§1c du règlement précité a largement expiré ;
- qu’il s’ensuit que les autorités italiennes ont tacitement accepté la reprise en charge de l’intéressé ;
Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;
- que la mesure de placement est nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert de l’intéressé vers l’Italie ; (…) » Par requête déposée le 18 février 2010 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 18 janvier 2010, lui notifiée le 5 février 2010, ordonnant son placement au Centre de séjour pour une durée maximum de trois mois.
Etant donné que l’article 10 (4) de la loi du 5 mai 2006 déclare applicable en la matière l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », qui institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de n’avoir entrepris aucune démarche en vue de son transfert vers l’Italie depuis le 14 janvier 2010, alors qu’il serait placé au Centre de séjour depuis le 5 février 2010. Cette attitude du ministre serait contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme, au principe de libre circulation et au droit fondamental de liberté de mouvement, ainsi qu’à la jurisprudence des juridictions administratives en la matière. Il ajoute que la rétention lui causerait un grave trouble psychique incompatible avec son état de santé. Ainsi, il nécessiterait à l’heure actuelle trois somnifères par nuit.
Le délégué du gouvernement répond que le ministre aurait contacté la police le 19 janvier 2010 en vue de l’organisation du transfert vers l’Italie du demandeur. De ce fait, le ministre aurait commencé à organiser le transfert avant même que le demandeur n’ait été placé au Centre de séjour, le 5 février 2010. Par ailleurs, aucune violation de l’article 3 ni de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme ne serait établie en l’espèce.
Quant aux troubles psychiques empêchant le demandeur de dormir, le délégué du gouvernement fait valoir que d’une part le certificat médical versé en cause par le demandeur serait illisible et ne saurait servir de preuve et que d’autre part le Centre de séjour disposerait d’une pharmacie à disposition du demandeur.
Aux termes de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Le demandeur peut, sur décision du ministre être placé dans une structure fermée pour une durée maximale de trois mois dans les cas suivants : (…) d) le placement s’avère nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert du demandeur vers le pays, qui en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, est considéré comme responsable de l’examen de la demande. (…) ».
En ce qui concerne le manque de diligences allégué, force est de constater que si aux termes de l’article 10, (1), d) de la loi du 5 mai 2006 le placement d’un demandeur de protection internationale ayant auparavant déposé une telle demande dans un pays lié au Luxembourg par des accords internationaux en la matière, peut être ordonné s’il s’avère nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert du demandeur, il faut néanmoins que l’organisation dudit transfert se fasse dès que la mesure de placement en rétention est exécutée. En effet, une mesure de placement en rétention s’analysant en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée, elle doit être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution de la mesure d’éloignement. Ainsi, le placement d’une personne dans une structure fermée afin de ne pas compromettre son transfert est indissociable de l’attente de l’exécution dudit transfert, de sorte qu’il incombe à l’autorité administrative de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un transfert est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.
En l’espèce, il ressort des pièces versées au dossier administratif que le 14 janvier 2010, le ministre s’est adressé aux autorités ministérielles italiennes pour les informer que l’Italie avait tacitement accepté la reprise en charge du demandeur et que l’organisation, l’exécution ainsi que la date du transfert leur seraient communiquées dans les plus brefs délais. Par courrier du 19 janvier 2010 le ministre a saisi la Police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, afin d’organiser le transfert du demandeur vers l’Italie. Le 5 février 2010, le demandeur a été placé au Centre de séjour. Les pièces versées au dossier administratif ne renseignent sur aucune autre démarche et sur question afférente du tribunal à l’audience publique, le délégué du gouvernement a affirmé ne pas avoir reçu d’autres informations quant aux démarches effectuées que celles se trouvant documentées dans le dossier administratif.
Le tribunal est partant amené à constater que les démarches effectuées par les autorités luxembourgeoises se sont limitées à un seul courrier du 14 janvier 2010 adressé aux autorités italiennes leur rappelant qu’elles avaient implicitement accepté la prise en charge du dossier du demandeur, suivi d’un unique courrier du 19 janvier 2010 à la police judiciaire en vue de l’organisation du transfert du demandeur.
S’y ajoute que les deux courriers des 14 et 19 janvier 2010 ont été envoyés avant même le placement au Centre de séjour du demandeur et qu’il ressort des pièces soumises au tribunal qu’aucune démarche en vue du transfert du demandeur n’a été effectuée depuis la date de son placement au Centre de séjour, de sorte qu’à la date de la prise en délibéré de la présente affaire, la dernière démarche effectuée par les autorités ministérielles remonte à plus d’un mois.
En l’absence d’autres pièces documentant des démarches entreprises, le tribunal se trouve dans l’impossibilité de vérifier si des démarches suffisantes ont été entreprises en vue d’un transfert rapide du demandeur, afin d’écourter au maximum sa privation de liberté, de sorte que la décision encourt de ce chef la réformation, sans qu’il y ait besoin d’analyser plus en avant les autres moyens soulevés.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit justifié, partant, par réformation de la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 janvier 2010, ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 24 février 2010 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24.02.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 5