Tribunal administratif Numéro 26096 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 septembre 2009 3e chambre Audience publique du 23 février 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L. 5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26096 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 septembre 2009 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 19 août 2009 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley Freyermuth et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 janvier 2010.
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Le 13 octobre 2008, Monsieur …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».
Les 5 novembre, 17 novembre, 11 décembre 2008 et 6 janvier 2009, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 19 août 2009, envoyée par courrier recommandé du 20 août 2009, le ministre des du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 13 octobre 2008.
En application de la loi précitée, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration des 17 novembre et 11 décembre 2008.
Il résulte de vos déclarations que vous appartiendriez à l'ethnie des bosniaques et que vous auriez vécu ensemble avec votre épouse et vos deux enfants à Gornje Selo, commune de Prizren. Vous dites que vous seriez policier de profession et que durant une patrouille, en date du 7 juillet 2008, vous seriez intervenu dans une bagarre d'une cinquantaine de personnes qui auraient appartenu à différentes ethnies. Lors de cette bagarre, une personne, nommée … se serait approchée de vous et vous aurait menacé en disant « …, tu vas voir, je vais niquer ta mère. ». Un autre malfaiteur, … vous aurait également menacé. Vous dites que vous auriez été renforcé par d'autres collègues et vous auriez conduit une quarantaine de personnes au Commissariat, cependant uniquement trois personnes auraient été mises en détention provisoire pour 72 heures, dont vos deux agresseurs. … vous aurait à nouveau menacé en vous disant « …, toi tu me connais bien.
Je vais aller en prison, mais je me demande si demain tu auras assez de culot pour me rencontrer. Réfléchis bien ce que tu fais. » Vous expliquez que … serait un délinquant bien connu et vous dites qu'il aurait des connaissances auprès les organes judiciaires et pour le surplus son voisin serait le président du Tribunal.
Vous continuez vos dires en expliquant que dès votre arrivée au Commissariat de Police, vous et vos collègues auriez essayé de contacter le procureur. Cependant, malgré le fait qu'il aurait eu la permanence, ce dernier n'aurait pas décroché et vous auriez incarcéré les trois malfaiteurs sans son autorisation, mais avec celle du responsable du Commissariat. Vous dites qu'au Kosovo, la Police pourrait détenir un inculpé pendant 72 heures sans l'ordre du procureur. Le lendemain, le juge aurait libéré les coupables et vous et vos collègues auraient reçu un blâme parce que vous auriez détenu les trois sans autorisation du procureur.
En date du 7 août 2008, l'affaire de la bagarre serait passée au Tribunal et vous et vos deux autres collègues auriez été convoqués. Vous précisez que vous auriez été convoqué dans un bureau et non en audience. Selon vos dires, les trois malfaiteurs auraient été condamnés à six mois avec sursis pour avoir agressé un fonctionnaire durant l'exercice de ses fonctions. Vous dites que vous et vos collègues n'auriez pas été satisfaits avec ce jugement, cependant vous auriez décidé de ne pas faire de recours, comme le juge serait corrompu. Vous dites que vous auriez entendu que ce juge aurait reçu entre 2.000 et 3.000 Euros de la part des trois coupables.
Vous continuez vos déclarations que depuis ce jugement vous seriez suivi par … et …, aussi bien dans votre vie privée que durant votre vie professionnelle. Vous précisez cependant que vous n'auriez jamais été menacé, mais uniquement poursuivi par ces derniers. Vous indiquez que vous ne les auriez jamais interpellés puisque vous seriez sûr que le procureur, ainsi que le juge les aurait libérés à chaque reprise. Ainsi, un mois après le jugement vous auriez arrêté de travailler et vous dites que « je me suis trouvé obligé de quitter mon pays au plus vite que possible ». Pour souligner le besoin de quitter le Kosovo, vous indiquez que vous auriez été insulté de manière régulière de la part de quelques albanais parce que vous auriez été un policier bosniaque. Vous ajoutez cependant que dans votre poste de police, les bosniaques auraient été « majoritaires ».
Vous mentionnez encore des problèmes mineurs que vous auriez eus avec votre voisin et le frère de ce dernier entre 2004 et 2007.
Vous dites qu'en date du 10 septembre 2008, vous et votre famille auriez quitté le Kosovo pour la première fois en direction de la Macédoine, la Bulgarie et la Roumanie.
En date du 12 septembre, vous auriez été arrêté en Roumanie et la Police vous aurait reconduit via la Macédoine au Kosovo, où vous seriez arrivé en date du 18 ou 19 septembre 2008. Vous ajoutez que vous auriez reçu une interdiction d'entrée et de séjour pour la Roumanie, la Bulgarie et la Macédoine pour la durée de 5 ans.
En date du 7 octobre 2008, vous auriez à nouveau quitté le Kosovo, cette fois-ci sans votre famille. Vous dites avoir payé la somme de 3.000.- pour le trajet et vous précisez que votre père vous aurait aidé à réunir cette somme.
Vous présentez votre passeport kosovare.
Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune autre persécution ni mauvais traitement, et être un simple membre du SDA.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006.
En effet, en l'espèce, force est de constater que toutes vos déclarations sur vos soi-disant problèmes se concentrent sur le fait que vous auriez eu des problèmes avec trois malfaiteurs que vous auriez arrêtés lors d'une bagarre qui se serait passée en date du 7 juillet 2008. Vous dites que ces derniers vous auraient menacé après l'arrestation et que vous auriez été poursuivi par les trois hommes à chaque fois que vous auriez quitté la maison, soit pour vous rendre au travail, soit pour sortir en privé. Or, le fait que vous auriez été menacé et poursuivi par des délinquants ne pourra être considéré comme acte de persécution, alors qu'il n'est pas d'une garantie suffisante pour fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Force est plutôt à constater que les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.
Quant à votre déclaration que vous et vos collègues n'auriez pas été satisfaits avec le jugement, mais que vous auriez décidé de ne pas faire de recours, comme le juge serait corrompu, force est de constater que cette supposition reste à l'état de pure allégation.
En ce qui concerne vos problèmes mineurs que vous auriez eus avec votre voisin, il convient de relever que ces problèmes n'entrent pas non plus dans la cadre de la Convention de Genève, mais que pour le surplus, ils sont trop éloignés dans le temps pour être pris en compte dans l'examen de votre demande de protection internationale.
Par ailleurs, le simple fait d'appartenir à l'ethnie des bosniaques est insuffisant pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié. Il ne faut pas oublier que vous avez expliqué vous-même que dans votre poste de police, les bosniaques auraient été « majoritaires » et par conséquent, il devient peu crédible que vous auriez été un des seuls policiers qui auraient connu des problèmes en raison de leur appartenance ethnique.
En ce qui concerne la situation plus précise des bosniaques il ressort qu'actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit à la participation et à la représentation politique, mais encore accès à la l'enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu'une discrimination à leur égard ne saurait pas être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. De plus, selon les dires de certains leaders l'usage de la langue bosniaque serait considéré comme normal et cette langue serait utilisée dans certaines écoles primaires et secondaires. Les relations interethniques y sont stables. Par ailleurs, le rapport de I'UNHCR de juin 2006 intitulé « UNHCR's Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo » ne mentionne pas la situation des bochniaques et par conséquent on peut en conclure que l'UNCHR ne les considère plus comme courant de risque particulier. D'ailleurs, l'UNHCR ne s'oppose pas à un retour de bochniaques au Kosovo. De même, il ressort clairement du « UK Operational Guidance Note Republic of Serbia » du 22 juillet 2008 que « although Bosniaks may be subject to discrimination and/or harassment in Kosovo this does not generally reach the level of persecution.
Considering the sufficiency of protection available and the option of interna) relocation, in the majority of cases it is unlikely that a daim based solely on the feat of persecution because of Bosniak ethnicity will qualify for a grant of asylum or Humanitarian Protection and cases from this category of daim are likely to be clearly unfounded ».
Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas non plus la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire ».
Par requête déposée le 18 septembre 2009 au greffe du tribunal administratif, les Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 19 août 2009 portant refus de lui accorder une protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours le demandeur reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits d’espèce. Ainsi, il n’aurait pas quitté le Kosovo pour des raisons de convenances personnelles mais en raison de ses craintes permanentes de persécution au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, rendant sa vie intolérable. Il explique qu’il aurait exercé la fonction de policier au Kosovo, qu’il appartiendrait à la minorité ethnique bosniaque au Kosovo et serait de confession musulmane.
Le 7 juillet 2008 lors d’une patrouille effectuée avec un collège de travail, ils auraient dû intervenir pour faire cesser une bagarre. Tandis qu’un policier en civil, qui leur aurait prêté main forte aurait été légèrement blessé, le demandeur aurait été menacé à deux reprises par les agresseurs. Finalement, les policiers auraient emmené certains agresseurs au commissariat de police. Ils n’auraient pas réussi à joindre le procureur et auraient décidé de garder trois des agresseurs en détention préventive pour la durée de 72 heures. Or, le lendemain le juge aurait libéré ces trois personnes. Le demandeur explique que ses agresseurs seraient des délinquants bien connus et qu’ils auraient des connaissances auprès des organes judiciaires et que le président du tribunal serait leur voisin. Par la suite, les agresseurs n’auraient été condamnés qu’à six mois d’emprisonnement avec sursis du chef d’agression d’un fonctionnaire durant l’exercice de ses fonctions.
Depuis ce jugement, le demandeur aurait été constamment poursuivi, tant dans sa vie privée que dans sa vie professionnelle par deux des agresseurs. Alors même que ses supérieurs hiérarchiques auraient été au courant de ces harcèlements, ils n’auraient rien entrepris pour le protéger. Au sein même du commissariat de police le demandeur aurait fait l’objet de discriminations puisqu’il ne parlait pas la langue albanaise et que les Albanais ne voudraient pas de Bosniaques dans de la police kosovare.
Le demandeur fait encore valoir que le contexte politique au Kosovo demeurerait chaotique et que les persécutions subies par lui s’inscriraient dans un contexte de persécutions généralisées à l’égard des minorités vulnérables. Le demandeur se réfère à un rapport de …, membre du conseil exécutif de la Fondation d’aide humanitaire IHH, intitulé « Kosovo : un an d’indépendance » du 3 mars 2009, au rapport du UNHCR de juin 2006 intitulé : « UNHCR’s position on continued international protection needs of individuals from Kosovo », ainsi qu’au rapport intitulé : « Report of the council of Europe commissioner for Human Right’s special Mission to Kosovo 23-27 March 2009 », pour démontrer qu’il existerait toujours des minorités persécutées au Kosovo.
Finalement, le demandeur estime que la décision déférée devrait encourir la réformation pour lui avoir refusé à tort le statut de la protection subsidiaire. En cas de retour au Kosovo il serait exposé à des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. En effet, l’environnement serait devenu invivable et il aurait fait état d’éléments crédibles, de sorte qu’il devrait pouvoir bénéficier du statut de la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur. Il soutient d’abord que le demandeur, policier de profession, aurait décidé lui-même de ne pas interpeller les deux personnes qui l’auraient constamment suivies, puisqu’il aurait été sûr que le procureur et le juge les auraient libérés. Dès lors, le demandeur ne pourrait pas se plaindre d’un manque de protection, alors qu’il aurait de son propre gré décidé de ne pas demander de protection.
De plus, les autorités ne seraient pas restées inactives étant donné que les deux agresseurs auraient été condamnés pour agression d’un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. Par ailleurs, le fait que le juge serait corrompu resterait au stade d’une pure allégation de la part du demandeur, alors qu’aucun lien entre le juge et les malfaiteurs n’aurait pu être établi.
Le représentant étatique estime encore qu’une persécution émanant non point de l’Etat, mais de groupes de population ne pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que sous certaines conditions.
Quant aux rapports invoqués en cause par le demandeur concernant la situation des minorités ethniques au Kosovo, le délégué du gouvernement estime d’une part que le rapport du UNHCR de 2006 serait suranné et d’autre part que les membres de la minorité ethnique des Bosniaques ne seraient plus mentionnés parmi les « groups at risk » et ne seraient dès lors pas à considérer comme courant en général des risques de persécution.
En dernier lieu, le délégué du gouvernement estime que le récit du demandeur ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il court un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…)».
L’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 définit les actes de persécution et dispose :
« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des doits fondamentaux de l’homme (…) ».
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut de faire état à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
En effet, il ressort des déclarations du demandeur qu’il fonde ses craintes de persécution essentiellement sur le fait qu’il a été menacé lors d’une bagarre en juillet 2008, que les agresseurs n’ont pas été utilement sanctionnés et qu’il a constamment été poursuivi par la suite sans obtenir une protection de la part de ses supérieures hiérarchiques.
Il y a d’abord lieu de remettre les menaces dont le demandeur se prévaut dans leur contexte. Ainsi, il ressort des déclarations du demandeur qu’il était policier au Kosovo et qu’en juillet 2008 il est intervenu en sa qualité de policier dans une bagarre d’une cinquantaine de personnes appartenant à différentes ethnies, afin de les calmer. Dans l’émeute, il s’est fait menacer à son tour et un de ses collègues a été agressé et légèrement blessé. Or, si ces faits sont certes condamnables, il ne faut pas oublier que le demandeur les a subi dans sa qualité de policier et que la fonction de policier comporte un certain de nombre de risques, dont notamment celui de devoir intervenir dans des bagarres et d’être agressé soi-même. Par ailleurs, le fait d’avoir été menacé dans le cadre d’une émeute est plutôt à considérer comme une infraction relevant du droit pénal commun et non point comme une persécution motivée par la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. Enfin, le seul fait d’avoir été menacé lors d’une émeute entre policiers et une cinquantaine de personnes d’ethnies différentes n’est en tout état de cause pas d’une gravité suffisante pour constituer une violation grave des droits fondamentaux au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006.
Dès lors, ce fait ne peut pas être considéré comme acte de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006.
Quant au défaut de protection de la part de ses supérieurs hiérarchiques, dont le demandeur se plaint, le tribunal est amené à constater que contrairement aux affirmations du demandeur, ses agresseurs ont été arrêtés, poursuivis et condamnés du chef d’agression d’un fonctionnaire durant l’exercice de ses fonctions. Le fait que le demandeur estime que la sanction prononcée n’ait pas été assez lourde, relève de son appréciation personnelle et ne saurait établir un défaut de protection de la part des autorités. Si par la suite, le demandeur soutient ne plus avoir eu de soutien, ni de protection de la part de ses collègues ou supérieurs hiérarchiques, le tribunal constate de concert avec le délégué du gouvernement qu’il ressort des déclarations du demandeur qu’il a lui-même décidé de ne pas signaler les personnes qui le poursuivaient alors qu’il était convaincu que tant le juge que le procureur étaient corrompus. Enfin, si le demandeur estime que le juge et le procureur étaient corrompus, ces affirmations restent de pures hypothèses de sa part, alors qu’aucun élément du dossier ne permet de les corroborer et qu’en revanche, ses agresseurs ont bien été sanctionnés une première fois.
Etant donné que dans un premier temps les agresseurs du demandeur ont été arrêtés et condamnés et que dans un deuxième temps le demandeur a décidé lui-même de ne rien entreprendre à l’encontre de ces mêmes personnes aucun défaut de protection de la part des autorités locales au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne saurait être constaté en l’espèce.
Enfin, le demandeur fait valoir de manière très concise que depuis la condamnation de ses agresseurs, il aurait constamment été suivi, qu’il aurait roulé en voiture de service ou personnelle. Or, si cette pratique de suivre une personne peut s’avérer gênante et être le cas échéant condamnable, ce fait n’est pas d’une gravité suffisante pour constituer une violation grave des droits fondamentaux au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006. Dès lors, ce fait ne peut pas être considéré comme acte de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006. Par ailleurs, le demandeur aurait pu solliciter une aide ou une protection de la part des autorités locales, ce qu’il a cependant omis de faire.
Par ailleurs, le demandeur fait état de craintes des persécutions de la part de membres de la communauté albanaise au Kosovo, ainsi que de discriminations au sein du commissariat de police, en raison de son appartenance à la minorité ethnique des bosniaques.
Or, le fait d’appartenir à une minorité ethnique ne suffit pas à lui seul pour établir à suffisance de droit une crainte de persécution personnelle. Quant aux minorités ethniques bosniaques du Kosovo, il ressort du rapport de l’UK intitulé « Operational Guidance Note Kosovo » du 22 juillet 2008, versé en cause, que cette communauté minoritaire n’est plus de manière générale à considérer comme courant des risques d’être persécutée1. De plus, l’UNHCR dans son rapport récent du 9 novembre 2009 réactualisant sa position sur la situation générale au Kosovo et notamment celle des minorités ethniques ne mentionne pas les membres de la minorité bosniaque au chapitre des « Groups at risk », estimant qu’ils ne sont plus désormais à considérer comme courant en général des risques de persécution. En effet, ledit rapport limite ses considérations à la minorité serbe, ainsi qu’aux Roms et aux Albanais se trouvant dans une situation de minorité et à celle des Ashkalis et Egyptiens.
Il s’ensuit que la situation générale au Kosovo n’est pas telle que tout membre de la minorité ethnique bosniaque devrait du seul fait de cette appartenance craindre d’être persécuté. Or, étant donné qu’à part des considérations générales sur la situation des minorités au Kosovo, le demandeur s’est limité à soutenir de manière vague et sans aucune précision concrète qu’il aurait été victime de discriminations au commissariat de police en raison de son appartenance à la minorité ethnique bosniaque, le tribunal conclut que le demandeur ne fait pas valoir d’éléments de fait particuliers de nature à établir dans son cas concret une crainte de persécution justifiée du fait de son appartenance à la minorité ethnique bosniaque.
Il suit de l’ensemble des éléments qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte fondée de persécution susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
1 cf. trib. adm. 19 février 2009, n°24986 du rôle, disponible sur : www.jurad.etat.lu Quant au volet de la décision déférée, portant refus d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
En se référant au manque de sécurité au Kosovo, le demandeur estime courir un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 à savoir un traitement inhumain et dégradant en cas de retour dans son pays d’origine.
Or, le tribunal vient de retenir ci-avant que les faits dont Monsieur … se prévaut ne sont pas d’une gravité suffisante pour constituer des actes de persécution au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 et que Monsieur … aurait pu se prévaloir de la protection des autorités locales. Par ailleurs, le tribunal a retenu que la minorité ethnique bosniaque du Kosovo n’est plus à considérer comme groupe à risque. Dès lors, à défaut d’autres éléments et moyens du demandeur, le tribunal est amené à conclure qu’il n’existe pas de motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur, s’il était renvoyé dans son pays d’origine courrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée et que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 19 août 2009 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.
Le demandeur sollicite l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif que le ministre aurait rejeté à tort sa demande de protection internationale.
Le tribunal vient cependant, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 août 2009 portant rejet d’un statut de protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 23 février 2010 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23.02.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 12