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10/02/2010 | LUXEMBOURG | N°26564

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 février 2010, 26564


Tribunal administratif Numéro 26564 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2010 3e chambre Audience publique du 10 février 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26564 du rôle et déposée le 3 février 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte Daoût-

Feuerbach, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif Numéro 26564 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2010 3e chambre Audience publique du 10 février 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26564 du rôle et déposée le 3 février 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte Daoût-Feuerbach, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur Monsieur …, né le … au Cap Vert, déclarant être de nationalité portugaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 30 décembre 2009, lui notifiée en date du 4 janvier 2010, ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2010 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Bénédicte Daoût-Feuerbach déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2010 pour le compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Bénédicte Daoût-Feuerbach et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 février 2010.

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En date du 30 décembre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-

après « le ministre », ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour la durée d’un mois à partir de la notification, intervenue le 4 janvier 2010. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu la décision d’expulsion du 15 juillet 2002 lui notifié en date du 15 juillet 2003 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage et d’identité valable ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ; ».

Par arrêté du 2 février 2010, le ministre décida de proroger pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Cette décision lui fut notifiée en date du 4 février 2010.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 février 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement du 30 décembre 2009.

Aux termes de l’article 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », un recours contre une décision de placement est ouvert devant le tribunal administratif qui statue comme juge du fond, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le délégué du gouvernement fait valoir que tant le recours en réformation que le recours en annulation seraient irrecevables car la mesure de placement aurait expiré au moment où l’affaire sera plaidée.

Tout en admettant que la mesure de placement en rétention a été reconduite par arrêté du 2 février 2010, le demandeur estime que le recours en réformation sinon en annulation serait recevable dans la mesure où, au jour des plaidoiries, il serait toujours retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière sur base de la décision du 2 février 2010 portant reconduction de la mesure de placement initiale litigieuse.

Force est de constater qu’un recours est valablement introduit contre une décision de placement en rétention lorsqu’au moment de l’introduction du recours contentieux, cette mesure déployait encore tous ses effets.1 Cette hypothèse est vérifiée en l’espèce étant donné que la mesure de placement a été notifiée en date du 4 janvier 2010, et que le recours sous analyse a été introduit en date du 3 février 2010, partant avant la date d’expiration de la mesure litigieuse, à savoir le 4 février 2010. Cependant, il est constant en cause qu’au jour où le tribunal statue, la décision sous analyse a cessé ses effets et une décision de reconduction de la décision de placement a été prise en date du 2 février 2010, déployant ses effets à partir de la date de notification à savoir le 4 février 2010, de sorte que le recours en réformation est à déclarer sans objet pour autant qu’il conclut à la libération du demandeur. Le recours est cependant recevable dans la limite des moyens d’annulation invoqués pour avoir été introduit dans les formes et délai 1 trib. adm. 24 juin 1999, n° 11326 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Etrangers, n° 460 et autres références y citées de la loi. En effet, le demandeur, dont le placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière a été prorogé par arrêté du 2 février 2010, garde un intérêt à ce que la légalité de la décision initiale soit contrôlée par le juge administratif étant donné qu’une décision de placement initiale est susceptible de se trouver à la base d'une décision de prorogation subséquente et, si elle est illégale, ce vice affecte également les éventuelles décisions de placement subséquentes, dans la mesure où celles-ci tirent leur existence légale de la mesure de placement initiale.2 Il s’ensuit que le recours en annulation est irrecevable.

Quant au fond, le demandeur fait valoir que la décision déférée ferait référence à un arrêté d’expulsion du 15 juillet 2002 motivé par un séjour irrégulier au pays, des condamnations à des peines de prison d’une durée totale de 7 ans et un mois, de défaut de moyens d’existence personnels, d’un retour au pays malgré l’arrêté de refus d’entrée et de séjour lui notifié en date du 4 juin 2002 et par le fait que son comportement personnel constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics. Or, l’article 125 paragraphe 3 de la loi du 29 août 2008, préciserait que lorsqu’une décision d’éloignement prise pour des raisons d’ordre et de sécurité publics est exécutée plus de deux ans après qu’elle ait été prise, l’actualité et la réalité du danger pour l’ordre public ou la sécurité publique que représente la personne concernée sont vérifiées et il est évalué si un changement matériel des circonstances est intervenu depuis le moment où la décision d’éloignement a été prise. Il en conclut qu’avant toute exécution de la décision d’éloignement précitée il faudrait procéder aux vérifications prérelatées alors que sa famille pourrait lui assurer dans un premier temps les moyens de subvenir à son entretien jusqu’à ce qu’il se réinsère dans le milieu de travail.

Il fait en outre valoir qu’il aurait effectué des démarches afin de renouveler son passeport portugais. D’autre part, s’il aurait certes été condamné pour des infractions à la loi pénale, il aurait pourtant payé son dû et il ne présenterait plus une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Il critique encore la décision déférée en ce qu’elle ne préciserait pas si des démarches auraient déjà été effectuées afin de lui procurer un document de voyage. Il précise que ni l’ambassade du Cap Vert ni celle du Portugal ne voudraient lui délivrer de titre de voyage.

Il soutient en outre être de nationalité portugaise, de sorte que la décision déférée serait encore contraire à l’article 30 de la loi du 29 août 2008 en vertu du duquel le citoyen de l’Union européenne ne peut faire l’objet d’une décision d’éloignement du territoire sauf pour des raisons impérieuses d’ordre public et de sécurité publique.

Finalement, il estime que la décision déférée n’établirait pas l’existence d’un danger de fuite dans son chef.

Le délégué du gouvernement fait état de nombreux procès-verbaux dressés à l’encontre du demandeur pour diverses infractions qui auraient amené déjà en 1983 le ministère de la Famille de demander que l’expulsion du demandeur soit envisagée. D’autre part, le demandeur aurait été 2 Cf TA 24 juin 1999, n° 11326 du rôle, Pas. adm. 2009, v° Etrangers, page 320, n° 515, non réformé sur ce point par arrêt de la Cour administrative du 5 février 2004, n° 17534C du rôle, et les références y citées.

condamné en tout à 7 ans et un mois de prison et il ne se serait pas amendé depuis lors. Le demandeur se serait maintenu sur le territoire malgré l’arrêté d’expulsion pris à son encontre en date du 15 juillet 2002. Concernant la nationalité du demandeur, le délégué du gouvernement estime qu’elle ne serait pas établie dans la mesure où son passeport portugais aurait expiré en date du 25 avril 1987 et il n’aurait fait depuis lors aucune démarche pour le renouveler. En ce qui concerne la mesure d’expulsion prise en 2002 elle resterait d’actualité. En effet, le demandeur serait en séjour irrégulier au Luxembourg, il aurait été condamné à de nombreuses peines de prison, il n’aurait pas de moyens d’existence personnels et il constituerait un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Au sujet de l’article 30 de la loi du 29 août 2008, le délégué du gouvernement estime qu’il ne saurait jouer en faveur du demandeur étant donné que sa nationalité portugaise ne serait pas établie et parce que sa dangerosité ne saurait faire l’objet de doutes. Il donne finalement à considérer que des pourparlers seraient en cours entre les ambassades du Portugal et du Cap Vert au sujet de l’établissement de sa véritable nationalité et de son éloignement.

Aux termes de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 : « Lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 est impossible en raison des circonstances de fait, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre être placé en rétention dans une structure fermée.

Le mineur non accompagné peut être placé en rétention dans un lieu approprié. La durée maximale est fixée à un mois. » Force est de constater à titre liminaire que la nationalité du demandeur n’est pas établie en l’espèce. En effet, il ressort, d’une part, d’un courrier du consulat général du Portugal du 13 novembre 2001 que d’après l’information reçue du Bureau d’Etat Civil Central à Lisbonne, le demandeur n’aurait pas conservé la nationalité portugaise, raison pour laquelle le consulat refuse de délivrer un laissez-passer, et, d’autre part, d’un courrier de l’ambassade du la République du Cap Vert du 14 décembre 2009, qu’elle considère le demandeur comme étant de nationalité portugaise, de sorte qu’elle refuse à son tour la délivrance d’un laissez-passer pour le demandeur en attendant que sa nationalité soit déterminée.

Il s’ensuit d’une part, que le ministre a valablement pu considérer qu’il existe des circonstances de fait empêchant l’éloignement du demandeur, de sorte que la motivation ayant trait aux recherches à effectuer quant à l’identité et à la situation du demandeur pour ordonner la mesure de rétention litigieuse est justifiée, et, d’autre part, que ce dernier ne saurait se prévaloir de l’article 30 de la loi du 29 août 2008 applicable aux seuls citoyens de l’Union européenne. Le moyen afférent laisse partant d’être fondé.

Quant au moyen ayant trait à l’actualité et à la réalité du danger pour l’ordre et la sécurité publics, force est de constater qu’aux termes de l’article 125 de la loi du 29 août 2008 : « (1) Lorsque l’exécution d’une décision d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, les dispositions de l’article 120 peuvent être appliquées.

(2) L’étranger se trouvant en état de détention au moment où il fait l’objet d’une décision d’éloignement est éloigné du territoire dès l’expiration de sa détention.

(3) Lorsqu’une décision d’éloignement prise pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique est exécutée plus de deux ans après qu’elle a été prise, l’actualité et la réalité du danger pour l’ordre public ou la sécurité publique que représente la personne concernée sont vérifiées et il est évalué si un changement matériel des circonstances est intervenu depuis le moment où la décision d’éloignement a été prise. » Il en découle que le ministre, s’apprêtant à exécuter une mesure d’éloignement aux termes de l’article 124 de la loi du 29 août 2008 datant de plus de deux ans, mais dont l’exécution n’est pas possible en raison de circonstances de fait, de sorte qu’il peut placer l’intéressé en rétention en vertu de l’article 125, paragraphe 1 de la loi du 29 août 2008 renvoyant à l’article 120 de la loi du 29 août 2008, est tenu de vérifier l’actualité et la réalité du danger pour l’ordre public ou la sécurité publique que représente la personne concernée.

En l’espèce, le tribunal rejoint l’analyse du délégué du gouvernement, dont le mémoire en réponse complète utilement la motivation de la décision déférée, selon laquelle le demandeur continue à constituer une menace pour l’ordre et la sécurité publics étant donné qu’il ressort des pièces du dossier administratif versé en cause que ce dernier a été condamné à maintes reprises à des peines d’emprisonnement ferme totalisant ainsi des condamnations à 7 ans et 1 mois de prison dont la dernière date du 15 janvier 2008. D’autre part, le dossier administratif renseigne de nombreux procès-verbaux constatant des infractions du demandeur à la loi du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie. Les allégations du demandeur quant aux aides que sa famille pourrait lui procurer, son intention d’intégrer le marché de travail et de faire des démarches pour renouveler son passeport portugais, sont insuffisantes pour contester valablement qu’il continue à constituer une menace pour l’ordre public et la sécurité publique. Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.

Quant aux démarches ayant été effectuées par la partie étatique en vue de l’éloignement du demandeur, il ressort du dossier administratif versé en cause, tel que relevé ci-avant, que le consulat général du Portugal a informé les autorités luxembourgeoises en date du 13 novembre 2001 que le demandeur n’a pas conservé la nationalité portugaise. Les autorités luxembourgeoises ont dès lors contacté en date des 13 juin, 18 juillet, 9 octobre 2002 et 30 juin 2004 l’ambassade du Cap Vert aux fins que celle-ci délivre un titre d’identité ou un laissez-passer au demandeur. L’ambassade fut relancée par les autorités luxembourgeoises en date des 24 août 2007, 31 juillet et 27 novembre 2009. Finalement, l’ambassade du Cap Vert a répondu le 14 décembre 2009 qu’il semblerait que le demandeur soit de nationalité portugaise, mais qu’elle ait l’intention de clarifier la situation avec les autorités portugaises. Il ressort encore de deux notes au dossier que les autorités luxembourgeoises ont contacté en date du 19 janvier 2010 l’ambassade du Cap Vert et que cette dernière les ait informées que le demandeur n’a pas pu être retrouvé dans les fichiers capverdiens et que le 2 février 2009, le consulat général du Portugal a été contacté et a confirmé que des recherches rapides seront effectuées quant à la situation de l’intéressé. Il s’ensuit que le moyen ayant trait aux démarches prétendument insuffisantes de la part des autorités luxembourgeoises afin d’établir la nationalité du demandeur en vue de la délivrance d’un laissez-passer de la part du pays dont il a la nationalité laisse d’être fondé.

Finalement, quant au moyen selon lequel le ministre n’aurait pas établi l’existence d’un danger de fuite dans le chef du demandeur, force est de constater que l’existence d’un danger de fuite n’est pas une prémisse conditionnant la légalité d’une décision de placement, de sorte que le moyen laisse d’être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en réformation sans objet dans la mesure où il tend à voir ordonner la libération du demandeur ;

le déclare recevable pour le surplus ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 10 février 2010 par le premier juge en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11.02.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 26564
Date de la décision : 10/02/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-02-10;26564 ?

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