Tribunal administratif N° 24369 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mai 2008 1re chambre Audience publique du 20 janvier 2010 Recours formé par la société anonyme … AG contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement, en matière d’aides en faveur du secteur des classes moyennes
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Vu la requête introduite en date du 9 mai 2008 sous le numéro 24369 du rôle par Maître Pierre METZLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … AG, établie et ayant son siège social à L-
… , inscrite au registre du commerce et des sociétés sous le numéro B… , tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement du 19 septembre 2007 lui refusant sa demande d’obtention d’aide prévue par la loi du 30 juin 2004 portant création d’un cadre général des régimes d’aides en faveur du secteur des classes moyennes ;
Vu l’avis du 19 octobre 2009 invitant l’Etat à verser l’intégralité du dossier administratif ;
Vu l’avis du 27 octobre 2009 prononçant la rupture du délibéré pour permettre à Maître METZLER de prendre position quant au dossier administratif versé par l’Etat, Vu la prise de position de Maître Pierre METZLER du 28 octobre 2009 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Anne-Laure JABIN, en remplacement de Maître Pierre METZLER, en ses plaidoiries aux audiences publiques du 19 octobre 2009 et du 9 novembre 2009.
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En date du 29 mai 2007 la société anonyme … AG adressa au ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement une demande de subvention en intérêts, ainsi qu’en subvention en capital en application de la loi du 30 juin 2004 portant création d’un cadre général des régimes d’aides en faveur du secteur des classes moyennes au motif qu’elle a acquis les équipements suivants pour un montant total de 192.382,27,- EUR :
1. visseuses et étau en date du 21 novembre 2005, 2. disqueuse et scie circulaire en date du 5 décembre 2005, 3. Fleet Manager GPA4 en date du 28 octobre 2005, 4. échelles et cadre de travail en date du 8 février 2006, 5. appareil de scellement en date du 1er mars 2006, 6. marteau perforateur et visseuse en date du 20 mars 2006, 7. panneaux de chantier en date du 20 avril 2006, 8. outils de montage en date du 24 avril 2006, 9. lève-palette automatique en date du 19 mai 2006, 10. palonnier à ventouses en date du 8 septembre 2006, 11. servante sonic en date du 24 octobre 2006, 12. bois coupés (échafaudages) en date du 2 novembre 2006, 13. appareils photos pour chantiers en date du 10 janvier 2006, 14. laptop de marque Aspire Centrino en date du 28 février 2006, 15. climatiseurs pour bureau en date du 13 juillet 2006, 16. PC Pentium 4 en date du 19 juillet 2006, 17. GPS Tomtom Go710 en date du 8 juillet 2006, 18. kit de téléchargement en date du 9 octobre 2006, 19. chariot télescopique Manitou en date du 5 décembre 2005, 20. chariot télescopique Manitou en date du 3 janvier 2006.
Par décision du 19 septembre 2007, le ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement informa la société anonyme … AG que sa demande est refusée, ladite décision étant libellée comme suit :
« Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-temps l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 13 de la loi reprise en marge.
La commission consultative dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par le règlement grand-ducal du 3 mai 2005 a émis à l’unanimité un avis défavorable, vu la modicité de l’investissement retenu (5.723,66,-EUR) dont le financement ne porte guère préjudice à la solvabilité de votre entreprise.
Comme les ministres compétents partagent les analyses de la commission consultative, ils sont au regret de ne pouvoir réserver une suite favorable à votre demande.
A toutes fins utiles, je vous signale que les investissements en relation avec la production (effectuée en Belgique) ne sont pas éligibles au titre de la loi-cadre susmentionnée.
La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal administratif. ».
La société anonyme … fit introduire à l’encontre de cette décision un recours gracieux auprès du ministre des Classes Moyennes du Tourisme et du Logement en date du 12 novembre 2007, sans qu’une réponse n’intervienne cependant au terme d’un délai de 3 mois.
Par requête déposée le 9 mai 2008, la société … AG a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 19 septembre 2007, dans la mesure où celle-ci lui refuse le régime d’aide prévu par la loi du 30 juin 2004 portant création d’un cadre général des régimes d’aides en faveur du secteur des classes moyennes.
Le recours en annulation formé à l’encontre de la décision ministérielle déférée, est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la société anonyme … AG souligne de prime abord que par courrier du 18 avril 2008 adressé par son mandataire au ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, elle aurait sollicité une copie complète du dossier administratif relatif à sa demande en obtention des aides prévues par la loi-cadre et notamment de l’avis de la commission consultative. La demanderesse précise qu’au jour de l’introduction du présent recours, elle n’aurait pas encore reçu ledit dossier et se réserve par conséquent le droit de se prévaloir dudit avis ainsi que des autres éléments du dossier, une fois que la réponse lui aura été donnée.
La requérante expose ensuite que la décision ministérielle litigieuse encourait l’annulation pour insuffisance de motivation. Ainsi, elle souligne que le ministre aurait refusé la subvention demandée sans indiquer, respectivement expliquer clairement les motifs à la base de son refus. La demanderesse rappelle que dans sa décision litigieuse, le ministre a souligné que vu la modicité de l’investissement retenu (5.723,66,- EUR), la commission consultative aurait émis à l’unanimité un avis négatif. La demanderesse souligne qu’elle n’a pu ni vérifier, ni comprendre le raisonnement de la commission consultative en ce qu’elle à pris en compte le montant de 5.723,66,- EUR, au lieu du montant sollicité de 192.382,27,-EUR. Par ailleurs la société … AG souligne que le ministre, dans sa décision litigieuse, aurait manqué d’expliquer à quoi correspondent les investissements d’une hauteur de 5.723,66,- EUR, ou ce qu’ils représentent. Elle précise qu’elle l’aurait déjà interpellé sur ce point dans le cadre de son recours gracieux, mais qu’il ne lui aurait jamais répondu. La société … AG en conclut qu’il s’agirait d’une simple motivation arbitraire sans aucune justification concrète laquelle serait en tout état de cause insuffisante, de sorte que la décision ministérielle litigieuse devrait encourir l’annulation.
Dans un deuxième temps, la demanderesse affirme que la décision de refus du ministre devrait être annulée pour violation de la loi-cadre et de l’article 2 du règlement grand-ducal du 19 février 2005 portant exécution de l’article 2 de la loi du 30 juin 2004 portant création d’un cadre général des régimes d’aides en faveur du secteur des classes moyennes et instituant un régime d’aides de minimis. Ainsi elle souligne qu’aucune des restrictions prévues par l’article 2 du règlement du 19 février 2005 ne serait donnée en l’espèce et que le ministre n’aurait d’ailleurs enoncé aucune de ces restrictions à l’appui de sa décision litigieuse. Elle en conclut qu’en retenant d’autres motifs d’exclusion que ceux prévus par ledit règlement grand-ducal, le ministre aurait violé les dispositions légales lui applicables de sorte que la décision du 19 septembre 2007 devrait être annulée.
A titre subsidiaire, la société … AG affirme que dans sa décision du 19 septembre 2007, le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation. En ce qui concerne plus particulièrement le montant de l’investissement retenu, à savoir le montant de 5.723,66,- EUR, la demanderesse affirme que le ministre n’aurait probablement retenu que les seuls investissements bureaucratiques, de sorte à avoir fait un « choix » arbitraire non prévu par la loi. En ce qui concerne le risque existant sur sa solvabilité, la demanderesse souligne que la nécessité de l’existence d’un tel risque ne serait pas prévue par la loi-cadre, de sorte que ledit motif de refus serait inopérant. Par ailleurs, la société … AG rappelle que contrairement aux affirmations du ministre ses résultats auraient été négatifs pour les années 2005 et 2006, de sorte que le ministre aurait bien commis une erreur d’appréciation en affirmant que le financement ne porterait pas préjudice à sa solvabilité.
La société … affirme encore que ce serait à tort que le ministre a considéré que les investissements réalisés seraient en rapport avec un site de production en Belgique, alors qu’elle ne disposerait pas d’un tel site. Dans cet ordre d’idées elle précise qu’il existerait bien une société dénommée … à … en Belgique, mais elle soutient qu’il s’agirait là d’une société de droit belge totalement distincte de la société luxembourgeoise … et dont l’activité consisterait en la fabrication de panneaux métalliques. La demanderesse précise par ailleurs que ces deux sociétés n’auraient aucun lien entre elles si ce n’est de faire partie du même groupe, alors que la société … a été rachetée par le groupe ….
Finalement la partie demanderesse retient que seul l’investissement opéré en vu de l’acquisition d’un palonnier à ventouses pourrait éventuellement donner lieu à discussion, alors que ledit palonnier avait été livré à … . La requérante précise cependant qu’elle aurait d’ores et déjà expliqué dans son recours gracieux que si ce bien aurait été effectivement livré à … cela aurait été uniquement dû à des raisons de rationalisation du coût de livraison, alors que le fournisseur de ce bien serait lui-même belge. La demanderesse rappelle que malgré l’endroit de livraison, ce bien lui serait réservé exclusivement et n’appartiendrait dès lors pas à la société … , de sorte que la motivation ministérielle serait erronée.
L’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoique valablement informé par une notification par voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance de la demanderesse, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, le tribunal statue néanmoins contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par ailleurs, le tribunal constate qu’il s’agit en l’espèce d’un recours en annulation dirigé contre la seule décision ministérielle de refus du 19 septembre 2007. Dans cet ordre d’idées, il y a lieu de rappeler que dans le cadre du recours en annulation l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où il statue, ni à une autre date postérieure au jour où la décision déférée a été prise1. Force est de dès lors de souligner que le tribunal ne saurait prendre en considération les actes juridiques postérieurs à la décision déférée du 19 septembre 2007, laquelle constitue dès lors le seul acte dont la légalité est susceptible d’être vérifiée dans le cadre du présente litige.
Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que dans le cadre d’un recours en annulation le juge administratif a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés2.
En l’espèce la décision déférée contient deux motifs de refus distincts, à savoir la modicité de l’investissent retenu et le fait qu’un certain nombre d’investissements seraient en relation avec une prétendue production effectuée en Belgique, de sorte qu’ils ne seraient pas éligibles au titre de la loi-cadre du 30 juin 2004 portant création d’un cadre général des régimes d’aides en faveur du secteur des classes moyennes.
Afin de vérifier la légalité de la décision entreprise, le tribunal, dans son avis du 19 octobre 2009, a ordonné à l’Etat de verser l’intégralité du dossier administratif.
Or, force est de constater que les pièces ainsi versées ne sont pas de nature à documenter les motifs se trouvant à la base de la décision déférée. Il est notamment impossible au tribunal de vérifier si des investissements ont effectivement été opérés en faveur d’un prétendu site de production en Belgique, voire de retracer la démarche des autorités administratives pour réduire le montant des investissements, à savoir 5.723,66,-
EUR et de retracer les raisons ayant amené l’Etat à refuser la différence à savoir 186.658,61,- EUR.
Quant à la considération du ministre que le financement doit être de nature à porter préjudice à la solvabilité de la société … AG, force est de constater qu’elle est en contradiction flagrante avec l’article 1 de la loi du 30 juin 2004 lequel dispose dans son premier alinéa que : « En vue de promouvoir la création, la reprise, l’extension, la modernisation et la rationalisation d’entreprises offrant les garantis suffisantes de viabilité, sainement gérées et s’insérant dans la structure des activités économiques du pays, l’Etat pourra prendre les mesures spécifiques définies ci-après », soumettant ainsi 1 Trib. Adm. 14 avril 2008, n°23507 du rôle; Cour adm. 8 juillet 2008 n°24114C du rôle, Pas. adm. 2008, V°Recours en annulation, n°12 2 cf. trib. adm. 27 octobre 2007, n° 18161 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Recours en annulation n° 15 l’attribution d’aides étatiques à la condition de viabilité et partant de solvabilité d’une entreprise.
En l’absence d’une prise de position de l’Etat produite dans le délai légal, le tribunal n’est dès lors pas en mesure de vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de la décision ministérielle du 19 septembre 2007.
Vu l’impossibilité de la juridiction saisie d’exercer son contrôle sur les éléments de fait et de droit, et sans qu’il soit nécessaire de statuer plus en avant, il y a lieu d’annuler la décision ministérielle de refus du 19 septembre 2007, implicitement confirmée sur recours gracieux.
La demanderesse réclame en outre l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.- €.
Au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison du fait que la demanderesse fut obligée de se pourvoir en justice sous l’assistance d’un avocat, ne serait-ce que pour se voir communiquer son dossier administratif, de l’issue du recours et de l’absence de toute contestation relative au montant de l’indemnité réclamée de la part de la partie étatique, il serait inéquitable de laisser à charge de la demanderesse l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens, de sorte qu’il échet de faire droit à la demande tendant à la condamnation de l’Etat à l’indemnité de procédure sollicitée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit justifié ;
partant annule la décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement du 19 septembre 2007, telle qu’implicitement confirmé sur recours gracieux, en ce qu'elle a partiellement refusé la demande en obtention d’aides telles que prévues par la loi-cadre du 30 juin 2004 portant création d’un cadre général des régimes d’aides en faveur du secteur des classes moyennes ;
condamne l’Etat à payer à la demanderesse une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.- € ;
le condamne également aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 janvier 2010 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Paulette Lenert 7