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18/01/2010 | LUXEMBOURG | N°26123

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 janvier 2010, 26123


Tribunal administratif Numéro 26123 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 septembre 2009 2e chambre Audience publique du 18 janvier 2010 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26123 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 2009 par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cou

r, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … ...

Tribunal administratif Numéro 26123 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 septembre 2009 2e chambre Audience publique du 18 janvier 2010 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26123 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 2009 par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bosnie-Herzégovine), et de son épouse, Madame …-…, née le … , agissant en leur propre nom et au nom de leur fils mineur …, né le … , tous de nationalité bosnienne et demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, erronément qualifié de ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration dans la requête introductive, du 25 août 2009 portant refus de leur demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2009 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Katia Aïdara et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 2 février 2009, Monsieur … et son épouse, Madame …-…, accompagnés de leur fils mineur , introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Monsieur et Madame … furent entendus en date du même jour par un agent de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur leur itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

En date des 17 février, 2, 3, 10 et 24 mars 2009, Monsieur et Madame … furent entendus par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 25 août 2009, expédiée par lettre recommandée en date du 27 août 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », informa les intéressés que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 2 février 2009.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration datés des 17 février, 3 et 10 mars 2009.

Il ressort de vos déclarations que vous seriez originaire de Tuzla, en Fédération de Bosnie-Herzégovine, et que votre conversion à la religion des témoins de Jéhovah vous aurait causé des problèmes.

Madame, vous expliquez avoir commencé à adhérer aux témoins de Jéhovah en 1991 alors que vous n'aviez que 16 ans. Votre mère vous l'aurait violemment reproché et vous aurait battu à plusieurs reprises, notamment le jour de votre baptême en 1992.

Votre frère aurait de son côté commencé à pratiquer l'Islam et se serait isolé de vous.

Vous n'auriez plus eu de problèmes avec votre famille depuis votre mariage. Vous auriez peur pour votre famille à cause des menaces reçues par votre mari. Cette peur vous aurait provoqué une tumeur de l'hypophyse.

Monsieur, en tant que musulman lors de la guerre, vous expliquez vous être engagé volontairement pour la défense de la ville au sein de l'armée bosniaque à partir de 1993. Vous auriez ensuite été engagé dans une unité d'élite chargée de faire diversion, puis auriez travaillé pour la SFOR.

Malgré les pressions qui avaient été exercées sur vous, vous auriez toujours refusé d'adhérer au parti politique bosniaque SDA (Parti d'action démocratique). Ceci vous aurait causé des problèmes et vous aurait notamment empêché de trouver un emploi auprès de l'Etat. Vous auriez néanmoins travaillé puisque vous auriez créé votre atelier de cordonnerie.

A la fin du conflit, vous vous seriez converti à la religion des témoins de Jéhovah.

A partir de 1997, vous auriez eu des problèmes notamment avec vos ex camarades d'unité qui considéreraient cette conversion comme une trahison à la nation musulmane et qui souhaiteraient donc vous éliminer. Il s'agirait notamment de , un délinquant connu des services de police, son frère …, activiste du SDA et …. Ils auraient commencé par vous menacer dans votre commerce et auraient propagé des mensonges disant que vous seriez un traître pour faire fuir les clients. Dernièrement, vos problèmes se seraient intensifiés. aurait notamment fait irruption dans votre commerce et vous aurait agressé avec un marteau. Le 20 décembre 2008, il aurait menacé de jeter une bombe sur votre commerce. Afin de ne pas prendre de risques, vous auriez décidé de le fermer.

Vous dites de manière plus générale craindre le mouvement de Vehabija qui est de plus en plus influent en Bosnie et notamment à Tuzla, sans pour autant de (sic) donner d'exemple concret de problèmes que vous auriez eu avec eux.

Vous n'auriez pas formellement porté plainte à la police mais auriez parlé de vos problèmes à vos amis policiers qui vous auraient dit que la police ne pourrait pas vous apporter de protection. La seule chose à faire serait de porter plainte au tribunal pour agression et insultes. Connaissant le fonctionnement rti des tribunaux bosniens, vous ne les auriez pas sollicités. Vous ajoutez que votre principal agresseur, aurait été jugé pour viol et serait connu des services de police pour infractions, viols et bagarres mais il n'aurait néanmoins, à votre connaissance, purgé aucune peine.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'ils ne peuvent à eux seuls établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, le fait d'avoir été menacé par d'anciens camarades d'unité en raison de votre conversion ne pourra être considéré comme acte de persécution ou crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Malgré le caractère répréhensible des actes de vos agresseurs ainsi que des moyens d'action généraux des « Vehabija » fondés sur la violence, rappelons que des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement ne peuvent être invoquées à l'appui d'une demande en obtention du statut de réfugié que si les autorités gouvernementales ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection adéquate des victimes. Il est de jurisprudence que le défaut de protection de la part des autorités publiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur d'asile.

Or, vos anciens camarades d'unité ainsi que les Vehabije que vous craignez ne sauraient être considérés comme des acteurs de persécution au sens de la prédite Convention et de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection puisque ces personnes ne sont pas soutenues par le gouvernement qui lutte avec tous les moyens à sa disposition contre les groupes organisés et les réseaux terroristes installés en Bosnie. Le simple fait qu'un des agresseurs soit un militant politique n'implique pas automatiquement le soutien étatique à ses actes répréhensibles selon les lois en vigueur en Bosnie. Dans ce contexte, rappelons que la majorité politique à Tuzla est le parti social-démocrate (SDP) qui est le parti d'opposition au niveau national. Ainsi, le fait que vous auriez eu des problèmes avec des membres du SDA ou à cause de votre refus d'adhérer à ce parti au pouvoir au niveau national ne peut aucunement être imputé aux autorités locales où l'opposition est majoritaire.

De plus, le motif soi-disant religieux de l'agression ne peut pas non plus être valablement invoqué dans le contexte actuel de la Bosnie-Herzégovine, et a fortiori de la ville multiethnique de Tuzla. En effet, il s'agit d'une ville industrielle, aujourd'hui réputée pour la tolérance qui règne entre les différentes composantes ethniques de sa population, ce qui lui a valu de devenir « un symbole du multiculturalisme » en Bosnie-Herzégovine.

La Constitution bosnienne qui garantit la liberté de religion à chaque citoyen est ainsi particulièrement bien respectée à Tuzla où les témoins de Jéhovah exercent leur foi en toute liberté. En effet, ces derniers y ont un bureau et y diffusent leur journal d'information sans qu'aucun incident n'ait jamais été officiellement reporté à leur encontre.

De plus, il ressort de votre récit que vous n'avez pas requis la protection de la police si ce n'est informellement, vous adressant à une connaissance qui vous aurait laissé entendre que la police ne pourrait pas vous apporter de protection. Cette même personne aurait pourtant ajouté qu'une plainte auprès des instances judiciaires serait possible. Il n'est par conséquent pas avéré que les autorités locales et nationales de Bosnie-Herzégovine ne seraient pas compétentes pour vous apporter une protection contre vos agresseurs.

En tout état de cause, il convient de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine de ses habitants contre des agissements de groupes de population n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel. En ce qui concerne la lutte contre les groupuscules extrémistes tel que les Vehabije, celle-ci préoccupe un très grand nombre d’Etats et dépasse bien souvent les moyens d'action des gouvernements sans pour autant que l'on puisse les tenir responsables de leur incapacité à éradiquer les terroristes de leurs territoires. Notons à ce propos que le gouvernement bosnien se positionne activement contre les Vehabije. En effet, les Accords de Dayton avaient déjà, en 1995, imposé aux moudjahidin venus combattre aux côtés des musulmans de Bosnie de quitter le pays. La SFOR (branche bosnienne de l'OTAN) avait poursuivi la mise en œuvre de cette injonction en arrêtant un certain nombre d'islamistes. Plus récemment, le gouvernement a tenté de débarrasser le pays de quelques éléments nuisibles en adoptant une loi datant de novembre 2005 qui visait à retirer la citoyenneté de Bosnie-Herzégovine aux personnes ayant obtenu la nationalité depuis le début de la guerre, sur la base de faux renseignements, visant ainsi principalement les islamistes. Bien que décriée par les organisations de protection des droits fondamentaux qui craignent que l'expulsion de certaines personnes ne les soumette à des risques de violation de leurs droits humains, cette mesure prouve la volonté de l'Etat de Bosnie-Herzégovine de lutter contre le mouvement des Vehabije.

Ajoutons également que vos craintes à l'égard de vos anciens camarades d'unité seraient cantonnées à la ville de Tuzla où ces derniers résideraient. Vous n'apportez par conséquent aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans toute autre région de votre pays d'origine tel que par exemple la capitale Sarajevo pour ainsi profiter d'une fuite interne.

En ce qui concerne la situation générale en Bosnie-Herzégovine, soulignons qu'il y règne actuellement un climat de paix et de reconstruction qui n'a de cesse de se renforcer depuis la signature des accords de Dayton en 1995. La Bosnie figure en outre dans la liste des pays d'origine sûrs fixée par le Règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. L'exposé des motifs de ce règlement énonce notamment que « malgré une économie encore fragile, la paix en Bosnie-Herzégovine est définitivement instaurée et les tensions interethniques ont été considérablement apaisées. Depuis le 24 avril 2002, la Bosnie-

Herzégovine est membre du Conseil de l'Europe et a dans ce contexte fait l'objet d'un suivi rigoureux du respect de ses engagements en matière de démocratie, Etat de droit et Droits de l'Homme. Les nombreuses activités d'assistance mises en place par le Conseil de l'Europe ont par ailleurs été définies sur la base de la mise en œuvre des obligations et engagements contractés par la Bosnie-Herzégovine. Il en résulte qu'elle demeure l'un des principaux bénéficiaires de l'aide du Conseil de l'Europe et constitue une forte priorité de l'action de cette organisation en Europe du Sud-Est ».

Ajoutons également qu'en date du 16 juin 2008, l'Accord de stabilisation et d'association a été signé entre l'Union européenne et la Bosnie-Herzégovine. Cet accord ouvre formellement le processus d'adhésion de ce pays à l'UE et lui assure par conséquent une garantie pour sa stabilité dans le cadre des conditions requises par la perspective européenne. Le président du Conseil de l'UE ayant signé l'accord au nom de la présidence slovène de l'UE M. Dimitrij Rupel a félicité les représentants de la Bosnie-

Herzégovine, le respect des conditions nécessaires à la signature de l'accord ayant été très exigeant.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, le fait que vos anciens camarades d'unité, et les Vehabije de manière générale ne puissent être considérés comme des agents de persécution, qu'une protection de la part des autorités locales peut être requise et que vous soyez susceptibles de pouvoir bénéficier d'une fuite interne ne permet pas d'identifier dans votre chef un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans votre pays d'origine.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection (…)».

Par requête déposée le 28 septembre 2009 au greffe du tribunal administratif, les époux …-…, agissant tant en leur propre nom, qu’au nom de leur fils mineur …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 25 août 2009 leur refusant la reconnaissance d’une protection internationale, et un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1. Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours subsidiaire en annulation doit partant être déclaré irrecevable.

Le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, déclarant être originaire de la ville de Tuzla en Bosnie-Herzégovine, et être de nationalité bosnienne, exposent s’être converti respectivement en 1992, en ce qui concerne la demanderesse, et en 1997, en ce qui concerne le demandeur, à la religion des témoins de Jéhovah. La demanderesse précise que sa famille lui aurait reproché cette conversion. Les demandeurs exposent craindre un retour dans leur pays d’origine en raison de problèmes que le demandeur aurait eu avec des anciens combattants de la guerre, qui auraient été engagés ensemble avec le demandeur dans les combats de 1992 à 1996. Le demandeur fait ainsi état de menaces de la part d’anciens camarades d’unité, de confession musulmane, qui lui reprocheraient sa conversion. Plus particulièrement, il fait état de menaces reçues dans le cadre de l’exploitation de son commerce à Tuzla de la part de trois anciens camarades de son unité militaire, qui considéreraient sa conversion comme un acte de trahison « à la nation musulmane ». Compte tenu de ces menaces, les demandeurs auraient dû fermer leur commerce le 20 décembre 2008. D’autre part, les demandeurs affirment avoir peur du mouvement des « Vehabija », groupement extrémiste islamiste qui serait en expansion en Bosnie-Herzégovine.

En droit, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fondé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits. Ils affirment que les autorités en place en Bosnie-Herzégovine seraient incapables de leur offrir une protection appropriée, en faisant état d’un système judiciaire inefficace. Ils soutiennent que ce défaut de protection serait établi par les évènements particuliers touchant leur situation personnelle dont ils auraient fait état, et, plus particulièrement, par les menaces de la part d’anciens combattants les contraignant à fermer leur commerce. Parmi les agresseurs, ils citent plus particulièrement un dénommé , qui serait un délinquant de droit commun connu par les forces policières et qui aurait été jugé pour viol, mais qui n’aurait purgé aucune peine.

Les demandeurs soutiennent que les faits dont ils font état seraient suffisamment graves par leur nature et par leur caractère répété pour constituer une violation grave de leurs droits fondamentaux de l’homme. Ils soulignent à cet égard que les anciens combattants ainsi que le mouvement des Vehabije pourraient être considérés comme des acteurs de persécution dans la mesure où leurs pratiques courantes resteraient impunies. Dans ce contexte, ils soulignent encore qu’une loi bosnienne de novembre 2005, ayant pour objet de retirer la citoyenneté bosnienne aux islamistes extrémistes, ne serait pas sérieusement appliquée par les autorités.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…)».

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause par les demandeurs, amène le tribunal à conclure que ceux-ci restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécution dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Force est de prime abord de relever qu’il se dégage d’un rapport du Bundesasylamt d’Autriche (BAA) du 27 juillet 2009 versé aux débats que la constitution bosnienne garantit notamment la liberté de religion et que plus particulièrement les témoins de Jéhova peuvent librement pratiquer leur religion à Tuzla. Il se dégage encore du même rapport qu’il n’existe aucun indice de l’existence de menaces organisées à l’égard des membres de cette religion que ce soit en Bosnie-Herzégovine en général ou que ce soit à Tuzla en particulier. Il s’ensuit que la situation générale en Bosnie-

Herzégovine, telle qu’elle se dégage des informations générales à la disposition du tribunal, n’est pas telle que les demandeurs, en leur qualité d’adeptes des témoins de Jéhova, puissent craindre de manière générale des persécutions dans leur pays d’origine, respectivement dans leur ville d’origine, du fait de leur religion.

Il convient néanmoins d’examiner la situation individuelle des demandeurs au regard des faits dont ils font état.

Les demandeurs font état de menaces de la part de trois anciens camarades de l’unité militaire dans laquelle le demandeur a été engagé jusqu’en 1996, dont l’un serait un délinquant connu. Ces menaces auraient commencé depuis la conversion du demandeur à la religion des témoins de Jéhova en 1997 et se seraient intensifiées quelques mois avant leur fuite de leur pays d’origine. Ils font encore état d’une tentative par l’une de ces trois personnes d’attaquer le demandeur avec un marteau lors d’un passage en décembre 2008 dans la cordonnerie exploitée par celui-ci et d’une menace de jeter une bombe dans ledit commerce, ce qui aurait eu pour conséquence la fermeture du commerce en question. D’autre part, ils affirment craindre le mouvement des Vehabije, des extrémistes islamiques.

Si les pratiques générales du mouvement des Vehabije sont répréhensibles en soi, il n’en reste pas moins, tel que cela a été relevé à juste titre par le ministre, que les demandeurs n’ont subi aucune action concrète provenant de ce mouvement, de sorte qu’il doit être admis que leur crainte de ce chef relève plutôt d’un sentiment général d’insécurité.

D’autre part, les menaces et intimidations reçues de la part de trois personnes, qui sont certes condamnables, ne sont cependant pas d’une gravité telle qu’ils rendent la vie des demandeurs intolérable dans leur pays d’origine, eu égard aussi à la considération que les demandeurs déclarent avoir subi ces menaces depuis 1997, sans qu’ils aient songé à quitter leur pays d’origine plus tôt. Les demandeurs déclarent certes que les menaces se seraient intensifiées les derniers mois précédant leur fuite, mais sans que des éléments suffisants soient mis en avant pour justifier la qualification de ces faits d’actes de persécution.

A titre superfétatoire, le tribunal est encore amené à relever qu’il n’est pas non plus saisi d’éléments permettant de conclure que les demandeurs ne puissent pas obtenir une protection suffisante dans leur pays d’origine.

En effet, sur base de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, des actes de persécution provenant d’acteurs non étatiques ne peuvent être invoqués utilement à l’appui d’une demande de protection internationale que pour autant qu’ « il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b) (c’est-à-dire l’Etat ou des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves ».

Dans ce contexte, il convient encore de relever que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il convient de relever que les demandeurs admettent ne pas avoir déposé une plainte auprès de la police. Pour justifier leur défaut de requérir une protection, ils soutiennent qu’une connaissance travaillant au sein de la police leur aurait déconseillé de ce faire, mais aurait suggéré de déposer une plainte auprès du tribunal. Force est cependant de constater que les affirmations des demandeurs fondées sur une absence de protection des autorités de leur pays d’origine sont contredites par le rapport précité du BAA. En effet, suivant ce rapport « in Tuzla ist man stolz auf das tolerante Zusammenleben [avec les adeptes de la religion des témoins de Jéhova] (…) eine Anzeige über die beschriebenen Drohungen würde bei den Stadtvätern von Tuzla sicher Empörung und eine starke Reaktion auslösen, wobei auch die Medien nicht tatenlos zusehen würden ». Il se dégage du même rapport, sous le titre « Polizeiarbeit », que les autorités policières sont obligées de recevoir toute plainte et que dans l’hypothèse d’un non respect de cette obligation, les intéressés peuvent s’adresser à l’EU Police Mission (EUPM), respectivement à l’Ombudsman compétent. Par ailleurs, le travail des autorités policières en Bosnie-Herzégovine est soumis, aux termes de ce même rapport, au contrôle permanent de la communauté internationale. La seule affirmation des demandeurs que la loi de novembre 2005 citée par le ministre et ayant pour objet de retirer la citoyenneté aux islamistes extrémistes, ne serait pas sérieusement appliquée, dans la mesure où cette affirmation n’est pas autrement étayée, n’est pas de nature à faire conclure à un défaut de protection.

Ainsi, à défaut d’avoir recherché la protection des autorités compétentes dans leur pays d’origine, et à défaut d’avoir justifié de manière convaincante ce défaut d’avoir recherché une protection, et, enfin, au regard des conclusions du rapport précité du BAA relevées ci-avant qui contredisent les affirmations des demandeurs, il convient de conclure que ceux-ci sont restés en défaut de démontrer une incapacité ou un défaut de volonté des autorités de leur pays d’origine de leur offrir une protection suffisante, de manière que les actes commis par des personnes privées, donc par des agents non étatiques, même à les admettre comme étant suffisamment graves pour être qualifiés d’actes de persécution, ne sauraient utilement être invoqués à l’appui de la demande de protection internationale formulée par les demandeurs.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le motif de la possibilité d’une fuite interne invoquée par le ministre.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il échet tout d’abord de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

A l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes faits que ceux invoqués à l’appui de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Le tribunal est amené à constater que, compte tenu du constat fait ci-avant que les demandeurs sont restés en défaut de démontrer que les autorités de leur pays d’origine ne sont pas disposées ou capables de leur offrir une protection suffisante contre des actes commis par des agents non étatiques, et eu égard au fait que la restriction se dégageant de l’article 28 précité de la loi du 5 mai 2006 en cas d’actes commis par des agents non étatiques est applicable tant aux conditions de la reconnaissance du statut de réfugié qu’à celles de la reconnaissance de la protection subsidiaire, les demandeurs restent en défaut d’établir l’existence d’un risque réel dans leur chef de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Au vu des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres éléments pertinents, c’est à juste titre que le ministre a refusé aux demandeurs l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation des demandeurs, déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée. Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 25 août 2009 est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce recours, les demandeurs soutiennent qu’un retour dans leur pays d’origine aurait pour eux des conséquences graves.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.

Etant donné que le tribunal vient de retenir que les demandeurs n’ont pas fait état d’une crainte fondée de persécution, ni de sérieux motifs de croire qu’en cas de retour dans leur pays d’origine ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et en l’absence d’autres moyens présentés par les demandeurs, le tribunal est amené à retenir qu’il n’est pas saisi de moyens susceptibles de remettre utilement en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare irrecevable le recours principal en annulation introduit contre la décision ministérielle du 25 août 2009 portant refus d’une protection internationale ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre ladite décision ministérielle portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 18 janvier 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Carlo Schockweiler 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 26123
Date de la décision : 18/01/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-01-18;26123 ?

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