Tribunal administratif Numéro du rôle 26452 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 décembre 2009 3e chambre Audience publique extraordinaire du 7 janvier 2010 Recours formé par Monsieur…, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26452 du rôle et déposée le 29 décembre 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Emmanuel Hannotin, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Cameroun), et de nationalité camerounaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 15 décembre 2009 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 décembre 2009 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Emmanuel Hannotin et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 janvier 2010.
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Le 29 décembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Par décision du 26 novembre 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, refusa de faire droit à la demande précitée.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de la décision ministérielle de refus du 26 novembre 2007, fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 2 juillet 2008 (n° 23883 du rôle).
Par courrier de son mandataire du 27 août 2008, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires et subsidiairement d’être toléré provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa de faire droit à ladite demande par décision du 12 novembre 2008.
Suite aux démarches des autorités ministérielles luxembourgeoises auprès de l’ambassade de la République du Cameroun à Bruxelles, en vue de l’obtention d’un laissez-
passer au nom de Monsieur …, celle-ci accepta de recevoir Monsieur … pour une audition le 30 juin 2009.
Par décision du 16 juin 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa le séjour à Monsieur … et ordonna qu’il doive quitter le territoire sans délai. Par décision du 19 juin 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification.
Par courrier du 1er juillet 2009, le service de police judiciaire informa le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration que les deux décisions précitées des 16, respectivement 19 juin 2009 ne pouvaient pas être notifiées à l’intéressé étant donné qu’il restait introuvable et serait donc à signaler comme personne introuvable.
Par une nouvelle décision du 15 décembre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », entretemps en charge du dossier, refusa le séjour à Monsieur … et lui ordonna de quitter le territoire sans délai. Ladite décision a pu être notifiée à l’intéressé le 15 décembre 2009.
Le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification. Cette décision a de même pu être notifiée à l’intéressé le 15 décembre 2009 et est basée sur les motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu la décision de refus de séjour du 16 juin 2009 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités camerounaises ;
- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ;(…) ».
Par requête déposée le 29 décembre 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 15 décembre 2009 ordonnant son placement au Centre de séjour.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le mandataire du demandeur soutient en premier lieu que malgré ses demandes, le ministre ne lui aurait pas communiqué les arrêtés ministériels du 15 décembre 2009, de sorte que les motifs y indiqués seraient inconnus. Or, le défaut de communication de décisions constituerait une violation de l’article 11 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».
Le délégué du gouvernement répond qu’il appartiendrait au demandeur, c’est-à-dire en l’espèce à Monsieur … de communiquer les décisions le concernant à son mandataire.
Etant donné qu’en l’espèce, les deux décisions ministérielles du 15 décembre 2009 auraient été notifiées au demandeur, aucune violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne saurait être constatée.
Sur question afférente du tribunal administratif à l’audience publique du 6 janvier 2009, le délégué du gouvernement a versé en cause la notification de l’arrêté ministériel de placement au Centre de séjour du 15 décembre 2009.
Le mandataire du demandeur s’étant réservé lors de l’audience publique le droit de prendre position par rapport aux pièces déposées en cause par la partie étatique, estima que seule la notification de la décision de placement du 15 décembre 2009 ressortirait desdites pièces. Il n’en ressortirait par contre pas que la décision de refus de séjour prise en date du même jour aurait été notifiée à l’intéressé. Or, suivant l’article 110 de la loi modifiée du 29 août 2008, tant la décision de placement au centre de séjour que la décision de refus de séjour devraient être notifiées à l’intéressé.
Suite à la prise de position du mandataire du demandeur, le délégué du gouvernement versa en cause l’arrêté ministériel du 15 décembre 2009 refusant le séjour au demandeur et lui ordonnant de quitter le territoire sans délai, ainsi que la notification dudit arrêté.
Aux termes de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 : « (1) Lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 est impossible en raison des circonstances de fait, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre être placé en rétention dans une structure fermée. (…) La durée maximale est fixée à un mois.
(…) ».
L’article 111 de ladite loi se réfère aux décisions de refus de séjour prises par le ministre.
L’article 121 de la même loi poursuit : « (1) La notification des décisions visées à l’article 120 est effectuée par un membre de la Police grand-ducale qui a la qualité d’officier de police judiciaire. La notification est faite par écrit et contre récépissé, dans la langue dont il est raisonnable de supposer que l’étranger la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle constatés ».
Aux termes de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Tout administré a droit à la communication intégrale de son dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être. (…) ».
S’il ressort certes de la lecture combinée des articles précités que tout administré a droit à la communication du dossier relatif à sa situation administrative sous certaines conditions, et que tant la décision de placement au Centre de séjour que celle de refus de séjour doivent être notifiées à la personne concernée, lesdits articles n’imposent cependant pas que la notification soit faite au mandataire de l’intéressé, de sorte qu’une notification est valablement accomplie si elle est faite à la personne concernée.
En l’espèce, il ressort des pièces versées en cause par le délégué du gouvernement que les décisions ministérielles du 15 décembre 2009 ordonnant le placement de demandeur au Centre de séjour et portant refus de séjour sur le territoire, lui ont été notifiées en date du même jour. Il s’ensuit qu’aucune violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne peut être constatée en l’espèce, de sorte que le moyen afférent du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.
En second lieu, le demandeur estime que l’arrêté ministériel déféré porterait atteinte à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme, désignée ci-
après par la « CEDH », dans la mesure où son placement au Centre de séjour comporterait une restriction de liberté qui ne serait pas justifiée. Une mesure de placement au Centre de séjour ne se justifierait que si une personne frappée d’une décision d’éloignement risque de se soustraire à la mesure de rapatriement. Le demandeur ajoute qu’il ne constituerait aucun danger pour l’ordre public.
Le délégué du gouvernement estime, au vu d’un jugement du tribunal administratif, qu’une atteinte à l’article 5 de la CEDH ne saurait être constatée en l’espèce.
Force est au tribunal de constater que l’article 5 de la CEDH, prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. De plus, le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions de la CEDH.
Par ailleurs, l’article 120 précité de la loi du 29 août 2008 prévoit que si l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 s’avère impossible en raison des circonstances de fait, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée. Ledit article ne subordonne dès lors la décision ministérielle de placement ni à la condition qu’il existe dans le chef de l’intéressé un risque de fuite ni à la condition que l’intéressé constitue un danger pour l’ordre public. Partant le moyen afférent du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.
Enfin, le demandeur estime, tout en rappelant son passé dans son pays d’origine, le Cameroun, que sur base de l’article 129 de la loi du 29 août 2009, il ne pourrait pas être éloigné ou expulsé vers son pays d’origine alors que sa vie et sa liberté y seraient gravement menacées. Le mandataire du demandeur ajoute que le demandeur se trouverait plongé dans un état de profonde dépression, de sorte qu’il serait incertain s’il pouvait être rapatrié vers son pays d’origine. Il estime que selon l’article 130 de la loi du 29 août 2008 le demandeur ne pourrait pas être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Or, en l’absence de renseignements précis sur l’état de santé du demandeur il y aurait lieu de faire établir par un médecin-expert un rapport médical permettant de déterminer si le demandeur peut faire l’objet d’un éloignement du territoire.
Le délégué du gouvernement répond que les arguments invoqués par le demandeur auraient déjà été toisés dans le cadre de sa demande d’asile. Par ailleurs, le tribunal serait en l’espèce saisi d’une décision de placement du demandeur au Centre de séjour et non pas d’une décision d’éloignement.
Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (…) ».
L’article 130 de la même loi dispose : « Sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessité une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné ».
Les articles 129 et 130 précités se réfèrent partant aux empêchements à l’éloignement du territoire d’un étranger et figurent d’ailleurs à la section 4 de la loi du 29 août 2008, intitulée : « L’empêchement à l’éloignement ».
Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce il est saisi exclusivement d’un recours en réformation à l’encontre d’un arrêté ministériel ordonnant le placement du demandeur au Centre de séjour et non point d’une décision d’éloignement du territoire. Il s’ensuit que le moyen du demandeur fondé sur les articles 129 et 130 de la loi du 29 août 2008 ayant trait à l’éloignement du territoire est dépourvu de toute pertinence en l’espèce et est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Dans la mesure où le tribunal s’est déclaré compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, il est incompétent pour connaître du recours en annulation introduit en ordre subsidiaire qui est partant irrecevable.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
déclare le recours en annulation introduit à titre subsidiaire irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 7 janvier 2010 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 07.01.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6