Tribunal administratif N° 25893 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juillet 2009 2e chambre Audience publique du 7 janvier 2010 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de tolérance (art. 22 L.5.05.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25893 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2009 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Koumassi (Côte d’Ivoire) et être de nationalité ivoirienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 mai 2009 portant refus de lui accorder une tolérance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 10 mai 2004, Monsieur … introduisit au Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Cette demande fut rejetée par une décision du 14 mai 2007 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre ».
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de cette décision fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 3 juillet 2008 (n° 24102C du rôle).
Par courrier du 16 juillet 2008, le mandataire précédent de Monsieur … formula pour le compte de son mandant une demande en obtention d’un statut de tolérance sur la base de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après « loi du 5 mai 2006 ».
Le 17 novembre 2008, le ministre refusa de faire droit à cette demande au motif qu'il n'existait pas de preuves que l'exécution matérielle de l'éloignement de Monsieur … serait impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de sa volonté conformément à l'article 22 de la loi du 5 mai 2006. En se référant à l’analyse d’un test linguistique ayant conclu que Monsieur … était d’origine gabonaise et non pas d’origine ivoirienne, le ministre a estimé que la situation actuelle en Côte d'Ivoire ne pouvait pas être invoquée comme constituant un empêchement à l'exécution matérielle de l'éloignement alors qu'il serait établi que Monsieur … n'était pas de nationalité ivoirienne.
Par courrier de son mandataire actuel du 6 mars 2009, Monsieur … introduisit une seconde demande en obtention d’une tolérance.
Par décision du 29 mai 2009, le ministre refusa de faire droit à cette nouvelle demande au terme de la motivation suivante :
« J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 6 mars 2009 dans lequel vous sollicitez l’obtention d’une tolérance pour le compte de votre mandant.
Il y a d’abord lieu de constater que votre mandant a été définitivement débouté de sa demande d’asile depuis le 3 juillet 2008. Une demande en obtention d’une tolérance lui a été refusée par décision du 17 novembre 2008, décision que nous maintenons dans son intégralité. Vous trouverez une copie de cette dernière en annexe. Vous y constaterez que contrairement aux dires de votre mandant, celui-ci est originaire du Gabon et non de la Côte d’Ivoire.
Quant à votre nouvelle demande de tolérance, je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à cette demande étant donné qu’il n’existe pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement de votre mandant au Gabon serait impossible en raison de circonstances de fait indépendantes à sa volonté conformément à l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. (…) » Par requête déposée le 14 juillet 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision de refus précitée du ministre du 29 mai 2009.
Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond contre une décision portant refus d’une tolérance, telle que régie par l’article 22 de la loi du 5 mai 2006, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse.
Lors des plaidoiries à l’audience, le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant à la recevabilité de la requête en la forme, dans la mesure où il conteste que le demandeur habite à l’adresse indiquée par lui dans la requête introductive d’instance. Le représentant étatique se réfère dans ce contexte au fait qu’en date du 5 juin 2009, le demandeur a été signalé par le ministre à la police grand-ducale aux fins de découvrir sa résidence.
Sur question afférente posée par le tribunal au cours des plaidoiries, le mandataire du demandeur a informé le tribunal qu’il était sans nouvelles de son mandant qui ne se trouvait plus au Luxembourg depuis le mois d’octobre 2009. Il a insisté sur le fait que son mandant ne disposait plus d’adresse en raison du refus du ministère de la Famille de lui allouer un logement tout en invoquant le droit de son mandant à un recours effectif tel que consacré par la Convention européenne des droits de l’homme.
S’il est vrai que l’article 1er, alinéa 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives exige qu’une requête à introduire devant le tribunal administratif doit contenir notamment le domicile du demandeur, il n’en demeure pas moins que le défaut d’indiquer cette adresse dans la requête ou le fait d’indiquer une adresse inexacte n’est de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours que dans la mesure où il a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense, en l’occurrence, ceux de l’Etat, conformément à l’article 29 de la même loi.
En l’espèce, le demandeur a indiqué une adresse inexacte dans sa requête et il ressort des renseignements soumis par les parties au tribunal que l’adresse du demandeur est à l’heure actuelle inconnue. Un tel comportement de la part du demandeur n’a toutefois pas mis l’Etat dans l’impossibilité de se défendre dans le cadre de la présente instance et de prendre position quant au fond de l’affaire, tel que cela ressort notamment du mémoire en réponse de l’Etat, de sorte qu’en l’espèce, il n’a pas été porté atteinte aux droits de la défense de l’Etat.
Le moyen d’irrecevabilité n’est partant pas fondé.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose tout d’abord que la notion de « statut de tolérance » ne serait pas prévue par la disposition de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006. Il soutient que cette disposition conférerait au ministre un pouvoir discrétionnaire d’accepter une situation de fait, créée par des circonstances de fait qui rendraient impossible l’exécution matérielle de l’éloignement de l’intéressé. Or, une fois que le ministre aurait décidé de tolérer l’intéressé sur le territoire, il serait tenu de lui délivrer une attestation de tolérance conformément aux termes de l’article 22 (3) de la loi du 5 mai 2006. Le demandeur souligne ensuite que le pouvoir discrétionnaire du ministre serait limité par l’existence de circonstances de fait et que comme le ministre serait également compétent pour procéder à l’éloignement de l’étranger, il déciderait également quelles circonstances de fait seraient susceptibles de rendre impossible l’exécution matérielle de l’éloignement. Il existerait partant deux catégories de circonstances de fait empêchant l’exécution matérielle de l’éloignement, à savoir, d’une part, les circonstances de fait que seul le ministre serait en mesure de connaître et, d’autre part, les circonstances de fait dont le demandeur aurait connaissance.
Il soutient ensuite que le refus du ministre de lui délivrer une attestation de tolérance serait illégal au motif qu’il existerait dans son chef des circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de son éloignement. En effet, depuis le rejet définitif de sa demande d’asile, le ministre aurait décidé de le tolérer provisoirement sur le territoire, pour des circonstances de fait dont il aurait seul la connaissance. Or, le refus de délivrer une attestation de tolérance serait contraire à l’article 22 (3) de la loi du 5 mai 2006, dont les dispositions ne laisseraient aucun autre choix au ministre que de délivrer une telle attestation au demandeur, une fois qu’il aurait décidé de le tolérer provisoirement sur le territoire.
Quant aux circonstances de fait rendant son éloignement impossible, le demandeur fait valoir que le ministre ne disposerait pas d’un laissez-passer en vue de son rapatriement, bien qu’il lui ait remis une copie de son acte de naissance, qu’il se trouverait sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg depuis le rejet de sa demande d’asile, qu’il aurait collaboré avec les autorités et que l’exécution matérielle de son éloignement se serait révélée impossible depuis deux ans malgré les démarches des autorités en ce sens.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que l’origine ivoirienne du demandeur ne serait pas établie en cause, la production d’une copie illisible d’un acte de naissance ivoirine étant insuffisante à cet égard, d’autant plus que le demandeur aurait pu se procurer une copie certifiée conforme de son acte de naissance, tel que cela serait la pratique en Afrique. D’autre part, l’identité du demandeur serait également sujette à caution dans la mesure où l’analyse d’un test linguistique auquel le demandeur se serait soumis aurait retenu que le demandeur serait originaire du Gabon. Le représentant étatique en déduit qu’il n’existerait pas de circonstances de fait empêchant le rapatriement du demandeur et que ce serait le demandeur lui-même, par son manque de coopération, qui rendrait son identification plus difficile et créerait ainsi intentionnellement des circonstances de fait rendant son rapatriement difficile. Tout en contestant ensuite la prétendue collaboration du demandeur avec les autorités, il soutient que le simple fait de collaborer ne justifierait pas l’octroi d’une tolérance.
L’article 22 de la loi du 5 mai 2006, tel que modifié par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dispose que :
« (1) Si la demande de protection internationale est définitivement rejetée au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire. Les articles 124 (2), (3) et (4), 125 et 129 à 131 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration sont applicables.
(2) Si l'exécution matérielle de l'éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de la volonté du demandeur, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances de fait auront cessé. » Il résulte de cette disposition que l’octroi d’un statut de tolérance constitue une faculté du ministre que celui-ci peut exercer si l'exécution de la mesure d'éloignement, qui est de droit en cas de refus du statut de refugié, est matériellement impossible.
La preuve d’une éventuelle impossibilité matérielle de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement obéit cependant aux règles de preuve de droit commun, ce qui implique que pour tolérer l’étranger sur le territoire – auquel cas le ministre est effectivement obligé de délivrer à l’étranger une attestation de tolérance – le ministre doit vérifier l’existence de circonstances de fait qui empêchent l’exécution matérielle de l’éloignement. L’application du droit commun entraîne encore qu’en cas de contestation de ces circonstances, il appartient à celui qui en revendique l’existence, en l’occurrence à l’étranger qui revendique cette tolérance, d’en établir l’existence. Aucune présomption d’existence de circonstances de fait empêchant l’exécution matérielle d’une mesure d’éloignement n’existe en la matière et elles ne se déduisent pas ipso facto du séjour, même prolongé, sur le territoire de l’étranger débouté de sa demande d’asile1.
En l’espèce, s’il n’est pas contesté que le demandeur a séjourné au Luxembourg depuis le rejet définitif de sa demande d’asile en date du 3 juillet 2008, le simple fait de sa 1 cf. Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24693C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
présence sur le territoire ne saurait s’analyser comme une circonstance de fait empêchant son éloignement. En outre, le moyen du demandeur selon lequel le ministre aurait été obligé de lui délivrer une attestation de tolérance alors qu’il aurait accepté sa présence sur le territoire du Grand-Duché depuis le rejet de sa demande d’asile n’est pas fondé étant donné que le fait de tolérer une personne déboutée de sa demande de protection internationale sur le territoire constitue une faculté du ministre que celui-ci peut exercer si l'exécution de la mesure d'éloignement est matériellement impossible en raison de circonstances de fait.
Il s’y ajoute que les circonstances de fait empêchant l’exécution matérielle de l’éloignement doivent être indépendantes de la volonté du demandeur de protection internationale débouté.
Or, il ressort des éléments du dossier que le demandeur a fourni une copie illisible d’un acte de naissance ivoirien et qu’il s’est refusé à contacter les autorités ivoiriennes pour obtenir une copie certifiée conforme de son acte de naissance, qui aurait permis éventuellement d’établir son origine. D’autre part, l’analyse du test linguistique du 9 octobre 2008, auquel le demandeur a été soumis, a conclu qu’il n’était pas d’origine ivoirienne, mais d’origine gabonaise. L’agent de l’ambassade du Gabon à Bruxelles, à qui le demandeur a été présenté en date du 5 février 2009, a cependant conclu que le demandeur ne provenait pas du Gabon. Dans la mesure où l’identité et la nationalité du demandeur ne sont pas clairement établies en raison d’un défaut de collaboration du demandeur et dans la mesure où celui-ci ne collabore pas non plus pour obtenir les papiers nécessaires à son rapatriement, le tribunal est amené à constater que le demandeur n’a pas établi l’existence de circonstances de fait indépendantes de sa volonté qui empêcheraient l’exécution matérielle de son éloignement.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas établi à suffisance une quelconque illégalité de la décision ministérielle déférée qui est fondée sur la considération que l’intéressé n’avait pas établi, à l’appui de sa demande, des circonstances de fait indépendantes de sa volonté rendant impossible l’exécution matérielle de son éloignement.
Le recours est partant à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 7 janvier 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Claude Legille.
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