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17/12/2009 | LUXEMBOURG | N°25731

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2009, 25731


Tribunal administratif Numéro 25731 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2009 2e chambre Audience publique du 17 décembre 2009 Recours formé par les époux … et consorts, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25731 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2009 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscri

t au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Koso...

Tribunal administratif Numéro 25731 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2009 2e chambre Audience publique du 17 décembre 2009 Recours formé par les époux … et consorts, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25731 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2009 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, et de son épouse, Madame …, née le … à … (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosnienne, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, né le … à … (Serbie) et …, née le … à … (Serbie), demeurant tous ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 avril 2009 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2009 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank Wies et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.

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Le 8 août 2008, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et … introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « loi du 5 mai 2006 ».

Monsieur … et son épouse furent entendus séparément respectivement le 21 août 2008 et le 28 août 2008 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 10 avril 2009, notifiée par lettre recommandée expédiée le 20 avril 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », rejeta la demande de protection internationale des consorts … comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 8 août 2008.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration des 21 et 28 août 2008.

Il résulte de vos récits que vous auriez quitté Belgrade (Serbie) le 5 août 2008 dans l'après-midi à bord d'une voiture. Vous seriez arrivé au Luxembourg le lendemain vers 7h-9h du soir. Vous auriez payé 1900€ pour le voyage.

Monsieur, vous déclarez être originaire de Vidanje, commune de Klina, au Kosovo où vous auriez vécu jusqu'aux bombardements de mars 1999. En avril 1999, vous vous seriez installé en Serbie sans pour autant y avoir été enregistré comme réfugié, et y seriez resté depuis lors. Vous auriez vécu à différents endroits mais toujours en Serbie : Kragujevac, Belgrade, Smederevska Palanka… Madame, vous seriez originaire de la Bosnie-Herzégovine à Bijela, village que vous auriez quitté en 1992 pour vous réfugier, sans votre famille, à Herceg Novi au Monténégro. Vous y auriez vécu seule jusqu'à votre mariage en 1999. Vous auriez alors déménagé en Serbie et auriez vécu avec votre mari à Svijlajnac, puis à Kragujevac, puis à Velika Plana et enfin à Belgrade.

Monsieur, vous précisez que vous auriez pris votre décision de vivre en Serbie en pensant que vous y auriez un meilleur avenir qu'au Monténégro.

Vous expliquez ensuite avoir divorcé le 20 août 2004 à cause des problèmes engendrés par votre mariage mixte ainsi que les pressions de vos parents. Madame vous seriez retournée vivre chez vos parents et chez vos soeurs en Bosnie alors que Monsieur vous seriez resté en Serbie où vous auriez souvent déménagé avec les enfants. Vous ne seriez ainsi retourné au Kosovo qu'au mois de mai 2008 pour y obtenir des documents de l’UNMIK.

Un mois après l'indépendance du Kosovo, vers le mois de mars 2008, vous auriez décidé de vous remettre ensemble dans l'intérêt des enfants et de partir tous ensemble afin de recommencer une vie nouvelle sur un terrain neutre.

Vous invoquez ainsi tout à la fois votre mariage mixte qui poserait des problèmes à vos parents et expliquerait votre divorce, les origines kosovares de Monsieur considéré comme un «shiptar » (albanais) en Serbie, la religion (catholique/orthodoxe) de Madame non désirée en Serbie, ainsi qu'une bagarre qui aurait mal tourné, pour fonder votre demande de protection internationale.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006.

En effet, soulignons à titre liminaire que, malgré la présentation d'un document d'identité de l'UNMIK, vous affirmez très clairement n'avoir plus résidé au Kosovo depuis 1999 pour Monsieur alors que Madame n'y a jamais résidé. Vos craintes ne peuvent donc être analysées au regard de la situation générale de la minorité serbe au Kosovo.

En ce qui concerne vos soi-disant craintes dans votre pays de résidence, la Serbie, les faits décrits ne permettent pas d'établir l'existence d'une crainte de persécution en votre chef. Il s'agit en effet d'allégations extrêmement vagues concernant des provocations orales par des personnes non identifiées qui vous traiteraient Monsieur de « shiptar » et Madame de «bosniaque » ou de « croate ». Or, votre crainte de vous faire agresser verbalement par des inconnus n'est pas d'une gravité suffisante pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique.

Le seul fait concret que vous décrivez daterait du 12 juillet 2008 (donc après votre décision de rejoindre le Luxembourg de toutes façons) et consisterait en un conflit physique car Monsieur, vous auriez réagi face aux provocations verbales de « gens inconnus ». Vous auriez été frappé avec une matraque et auriez à votre tour dispensé des coups. Ces mêmes personnes auraient ensuite porté plainte contre vous pour coups et blessures, ce qui aurait accéléré votre décision de quitter la Serbie. Rappelons dans ce contexte que la protection internationale ne peut pas s'appliquer pour fuir un jugement dans un fait de droit commun dans le pays d'origine. Le seul fait de craindre que les requérants obtiennent gain de cause devant le Tribunal sans tenter de vous y défendre ne peut constituer une crainte de persécution. D'autant plus que vous tiendriez les informations relatives à une plainte contre votre personne d'un ami sans pour autant avoir à ce jour reçu de convocation officielle de la justice serbe.

Dans cette même affaire, vous n'auriez pas non plus requis vous-même la protection des autorités serbes et ne pouvez donc conclure en un défaut de protection étatique. S'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

En ce qui concerne les pressions exercées par vos parents en raison de la mixité de votre couple, notons en premier lieu qu'il est curieux que vous ayez cédé aux pressions familiales seulement après cinq ans de mariage et la naissance de deux enfants ! En tout état de cause, ces pressions sont d'ordre strictement privé et par conséquent, bien que « devenues insoutenables », ne peuvent être considérées comme des persécutions au sens de la Convention de Genève.

Ajoutons enfin que les problèmes que vous relatez concernent exclusivement la Serbie que vous auriez choisie comme terre d'accueil car, selon vos dires, elle vous aurait offert de meilleures perspectives économiques que le Monténégro. Or, à aucun moment vous n'auriez tenté de vous installer en Bosnie d'où serait originaire Madame ou au Kosovo d'où serait originaire Monsieur. Ainsi, vous n'apportez en l'espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans un de vos pays d'origine, ou de retourner au Monténégro où Madame aurait résidé en tant que réfugiée.

En ce qui concerne la situation générale au Kosovo, rappelons que si les membres des minorités du Kosovo continuent à être particulièrement exposés à subir des insultes, voire d'autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, et notamment du groupe majoritaire des albanais, elle n'est cependant pas telle que tout membre d'une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi précitée du 5 mai 2006. (TA, 12 novembre 2007, 23.202) De plus, la Cour administrative a eu l'occasion d'établir que, s'il est vrai que le Kosovo était et reste en proie à des haines indéracinables entre les différentes communautés qui se sont historiquement disputées le territoire, des énergies considérables ont été récemment investies et le sont toujours en vue d'y ériger un véritable Etat de droit. Dans ce contexte, il y a lieu de relever deux éléments, à savoir, d'une part, l'investissement massif de la communauté internationale au Kosovo pour y apporter la paix non seulement militaire, mais encore civile.

[…] D'autre part, le nouvel Etat kosovare, en quête de reconnaissance et de crédibilité internationale, s'efforce d'accorder une protection adéquate à tous les ressortissants, y compris serbes, ne serait-ce que pour contrer les velléités séparatistes du Nord du pays. (CA 24.388C ;

15.07.2008) Quant à la situation en Bosnie-Herzégovine, d'incontestables progrès ont été observés depuis la fin des conflits et la signature des accords de Dayton le 21 novembre 1995. La Bosnie figure en outre dans la liste des pays d'origine sûrs fixée par le Règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. Ce règlement stipule notamment que « malgré une économie encore fragile, la paix en Bosnie-Herzégovine est définitivement instaurée et les tensions interethniques ont été considérablement apaisées. Depuis le 24 avril 2002, la Bosnie-Herzégovine est membre du Conseil de l'Europe et a dans ce contexte fait l'objet d'un suivi rigoureux du respect de ses engagements en matière de démocratie, Etat de droit et Droits de l'Homme. Les nombreuses activités d'assistance mises en place par le Conseil de l'Europe ont par ailleurs été définies sur la base de la mise en oeuvre des obligations et engagements contractés par la Bosnie-Herzégovine.

Il en résulte qu'elle demeure l'un des principaux bénéficiaires de l'aide du Conseil de l'Europe et constitue une forte priorité de l'action de cette organisation en Europe du Sud-Est ».

Pour ce qui est des allégations de mauvais traitements subis en Serbie du fait d'être originaires du Kosovo ou de la Bosnie, rappelons que la Serbie a accueilli plus de 200.000 personnes déplacées, notamment en provenance du Kosovo, et quelques 7.000 réfugiés de Bosnie et de Croatie. Si l'existence de tensions ethniques ponctuelles engendrées par la situation économique difficile dans le pays ne peut être nié, il n'existe pour autant aucune discrimination institutionnalisée ni d'incitation à la haine publique.

Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.

Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, conformément au raisonnement ci-dessus élaboré, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour au Kosovo. Par ailleurs, la Serbie dont émane le Kosovo ainsi que le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine ont aboli la peine de mort dans leurs législations nationales. Vous ne faites également pas état de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international.

Rappelons dans ce contexte que la situation actuelle dans les Balkans est calme.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée le 18 mai 2009 au greffe du tribunal administratif, les époux …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 avril 2009 par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que Monsieur … appartiendrait à la minorité serbe du Kosovo et qu’il aurait vécu avec ses parents au Kosovo jusqu’à l’éclatement de la guerre en 1999 lorsqu’il aurait fui avec ceux-ci en Serbie. Madame … serait née en Bosnie-

Herzégovine d’un père croate et d’une mère bosniaque et elle aurait dû fuir son pays en 1992 au plus fort du conflit pour se réfugier au Monténégro où elle aurait vécu en tant que réfugiée jusqu’en 1999 et où elle aurait fait la connaissance de son époux. La même année, ils se seraient mariés et se seraient installés en Serbie. Ils soutiennent qu’ils auraient fait l’objet de discriminations en Serbie de la part des Serbes qui leur auraient reproché leurs origines croato-

bosniaques. D’autre part, les parents des deux époux auraient été opposés à leur mariage en raison de la prétendue incompatibilité de leurs origines ethniques. Les discriminations, menaces et provocations de la part de la population serbe et les pressions des deux familles auraient amené les deux époux à divorcer en 2004 et Madame … serait partie vivre chez ses parents, tandis que Monsieur … serait resté en Serbie avec les deux enfants communs. Ils précisent que Monsieur … n’aurait pas pu obtenir une régularisation de son statut en Serbie et qu’il aurait également subi des pressions de la part de la population serbe en raison de ses origines kosovares. Ils affirment encore qu’il n’aurait pas pu retourner dans son village d’origine au Kosovo au motif que les Serbes auraient déserté le village en 1999 et que sa sécurité ne serait pas garantie au Kosovo. En 2008, Monsieur … se serait installé avec ses enfants dans la ville serbe de Velika Plana et il aurait repris la vie commune avec Madame …. Ils relatent que les discriminations et intimidations à l’égard de leur famille auraient repris dans cette ville et qu’en date du 12 juillet 2008, ils auraient été agressés lors d’une promenade en famille par quatre individus qui leur auraient fait comprendre qu’ils n’avaient pas leur place en Serbie et qui les auraient menacés de mort s’ils déposaient plainte à la police. Craignant pour leur vie, ils se seraient résolus à quitter la Serbie pour se réfugier au Luxembourg.

En droit, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir retenu qu’ils ne feraient valoir qu’un sentiment général d’insécurité et non pas des craintes fondées de persécution en raison des discriminations, initimidations, menaces et agressions dont ils auraient été victimes en Serbie. Ils soutiennent qu’ils ne pourraient pas se prévaloir de la protection des autorités serbes, tout en relevant que Monsieur … ferait l’objet de poursuites pénales du fait de s’être défendu contre l’attaque. Ils font encore valoir que le ministre aurait mal apprécié la situation des réfugiés en Serbie qui ne se serait pas améliorée, contrairement à ce qui serait soutenu par le ministre. Ils concluent partant à la réformation de la décision de refus litigieuse, étant donné qu’ils rempliraient les conditions pour se voir accorder le statut de réfugié.

S’agissant de la protection subsidiaire, les demandeurs soutiennent que c’est à tort que le ministre a refusé de leur accorder la protection subsidiaire, en faisant valoir qu’ils auraient déjà subi des traitements inhumains ou dégradants en Serbie et qu’ils risqueraient à nouveau d’en subir s’ils venaient à être renvoyés en Serbie.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire, tandis que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de la même loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Cette notion de réfugié est encore précisée par les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006.

Il convient de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine.

A cet égard, il y a lieu de relever que les demandeurs font uniquement état de problèmes auxquels ils auraient dû faire face en Serbie, de sorte qu’il convient d’analyser la situation des demandeurs uniquement par rapport à ce pays et non pas par rapport au Kosovo, pays que le demandeur a quitté en 1999 et dans lequel la demanderesse n’a jamais habité.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène toutefois le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006.

En effet, il ressort des déclarations des demandeurs que ceux-ci ont vécu depuis 1999 en Serbie, le demandeur ayant fui le Kosovo à cette époque pour se réfugier en Serbie et la demanderesse s’y étant installée après son mariage, ayant vécu auparavant, entre 1992 et 1999, au Monténégro en tant que réfugiée bosnienne. Les époux …-… font état d’une série de discriminations, de provocations et d’insultes dont ils auraient été victimes en Serbie du fait de l’origine kosovare de Monsieur …, et en raison des origines croato-bosniaques de Madame ….

Il ne ressort toutefois pas de leurs déclarations que les mauvais traitements à leur égard, à savoir les insultes, provocations et discriminations de la part des habitants comme des autorités serbes, qui souhaitaient les voir rentrer au Kosovo, aient été d’une gravité telle que la vie leur ait été rendue intolérable en Serbie.

Quant à la situation générale prévalant actuellement en Serbie, le ministre n’est pas contredit dans son affirmation selon laquelle la Serbie a accueilli plus de 200.000 personnes déplacées, provenant notamment du Kosovo, de la Bosnie et de la Croatie. Il est évident, compte tenu aussi de la situation économique difficile en Serbie, que la présence de ces réfugiés et personnes déplacées est susceptible de créer des tensions interethniques. Il ne se dégage cependant pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal que la situation y soit telle que les personnes en provenance de ces pays courent un risque général de persécutions en Serbie.

Quant à l’agression dont les demandeurs auraient été victimes en juillet 2008 lorsque, au cours d’une promenade, ils auraient été abordés par quatre individus qui les auraient insultés et qui auraient frappé Monsieur …, le tribunal est amené à constater que ce fait est certes condamnable, mais ne revêt pas une gravité telle qu’il justifierait, dans le chef des demandeurs, une crainte fondée de persécution en Serbie. Il s’y ajoute que cette agression a été commise par des particuliers et partant des acteurs non étatiques, au sens de l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006. Or, les acteurs non étatiques ne peuvent être des acteurs de persécutions que pour autant qu’il puisse être démontré que l’Etat, respectivement les partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions. Il convient dès lors d’examiner si les conditions dudit article sont remplies en l’espèce, et plus particulièrement si les demandeurs peuvent utilement faire valoir un défaut de protection de la part des autorités serbes.

Or, en l’espèce, il ressort des rapports d’audition que les demandeurs n’ont pas déposé une plainte en raison de cette agression. Si le refus de porter plainte par crainte de représailles est certes compréhensible, il ne se dégage toutefois d’aucun élément du dossier que les autorités serbes auraient refusé ou n’auraient pas été en mesure d’offrir une protection adéquate aux demandeurs.

Le simple fait que l’un des agresseurs a porté plainte contre Monsieur … pour coups et blessures du fait que ce dernier s’est défendu contre les agresseurs et en a blessé un en le frappant, n’est pas de nature à établir que les demandeurs soient persécutés en Serbie, ou qu’ils ne puissent pas bénéficier d’une protection de la part des autorités serbes. S’il est vrai que les demandeurs ont versé une copie d’une plainte dirigée contre Monsieur … pour coups et blessures, ils restent toutefois en défaut d’établir que des poursuites aient effectivement été entamées à son encontre. D’autre part, la crainte d’être exposé éventuellement à des poursuites pénales ne peut pas être considérée comme une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève ou de la loi du 5 mai 2006. Il n’est pas non plus établi que la condamnation que le demandeur risquerait d’encourir en raison de ces faits serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour l’une des causes visées par la Convention de Genève ou la loi du 5 mai 2006.

Le tribunal est partant amené à conclure que les craintes éprouvées par les demandeurs constituent en substance l’expression d’un sentiment général d’insécurité, sans que ceux-ci aient établi un état de persécution personnelle vécu dans un passé récent ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable en Serbie.

C’est partant à juste titre que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire, telle que prévue par la loi du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la même loi, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Force est de constater qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes faits que ceux déjà exposés dans le cadre de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié en les qualifiant encore de traitements inhumains ou dégradants, auxquels ils risqueraient de se voir exposer en cas de retour en Serbie.

Ces faits, qui se résument en des menaces, insultes et une agression physique, ne présentent cependant pas le caractère de gravité tel que prévu par l’article 37 précité, de sorte qu’ils ne sauraient être qualifiés de traitements inhumains ou dégradants.

D’autre part, les demandeurs restent en défaut d’établir que Monsieur … soit effectivement poursuivi pénalement du fait d’avoir blessé un de ses agresseurs et, d’autre part, même si tel devait être le cas, il n’est pas établi à suffisance de droit que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de ces faits serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction, ni à plus forte raison qu’il risquerait la peine de mort ou l’exécution.

C’est partant à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient, en cas de retour dans leur pays de provenance, le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de la même loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être introduite.

Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de ce recours, les demandeurs font valoir que l’ordre de quitter le territoire violerait l’article 129 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration qui interdit l’éloignement d’un étranger à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées. Ils estiment qu’un retour en Serbie les exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.

Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder aux demandeurs un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.

Il résulte clairement des termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006 que l’ordre de quitter le territoire constitue une conséquence automatique de la décision de refus de protection internationale. Il s’ensuit que dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre un ordre de quitter le territoire pris en vertu des dispositions de la loi du 5 mai 2006, la légalité d’un tel ordre ne peut être attaquée que pour un vice qui lui est propre, et non pas pour tenir indirectement en échec le refus de protection internationale.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 est inopérant dans le cadre du présent recours dirigé contre un ordre de quitter le territoire pris en exécution d’une décision de refus de protection internationale sur la base de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, dont il ne constitue que la conséquence automatique et légale. En effet, dans la mesure où un tel ordre de quitter le territoire est dépourvu de force exécutoire, ce n’est qu’à un stade ultérieur de la procédure, lorsqu’une mesure d’éloignement aura été prise à l’égard du demandeur de protection internationale débouté qui s’est maintenu sur le territoire nonobstant l’obligation de quitter le territoire, et qui fixera notamment le pays de renvoi et le délai pour quitter le pays, que ces dispositions pourront, le cas échéant, être invoquées utilement à l’appui d’un recours dirigé contre la décision d’éloignement. Dans le cadre du présent recours, cette disposition est dénuée de pertinence, d’autant plus que le pays à destination duquel les demandeurs seront renvoyés n’est même pas fixé.

Les demandeurs n'ayant pas soulevé d’autres moyens à l’appui de leur recours, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle déférée portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 17 décembre 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18.12.2009 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 25731
Date de la décision : 17/12/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-12-17;25731 ?

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