Tribunal administratif N° 25191 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2008 2e chambre Audience publique du 26 novembre 2009 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg, et contre une décision du ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire en matière d’urbanisme
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25191 du rôle et déposée le 18 décembre 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand Entringer, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, et de son épouse, Madame …, les deux ayant demeuré ensemble à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation a) d’une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg prise en sa séance du 25 juillet 2008, ayant pour objet l’approbation d’un devis pour la construction d’une passerelle pour piétons et cyclistes passant au-dessus de la rue de Neudorf reliant les quartiers de Cents et de Weimershof, et b) d’une décision d’approbation de ladite décision par le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire prise en date du 29 octobre 2008 ;
Vu l’exploit de l'huissier de justice Geoffrey Gallé, demeurant à Esch/Alzette, du 18 décembre 2008, portant signification de la prédite requête à l'administration communale de la Ville de Luxembourg, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 mars 2009 ;
Vu le mémoire en réponse de Maître Christian Point, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 mars 2009, pour le compte de l'administration communale de la Ville de Luxembourg, ledit mémoire ayant été notifié par acte d’avocat à avocat au mandataire des demandeurs en date du même jour ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Fernand Entringer, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 mars 2009, pour le compte des demandeurs, ledit mémoire ayant été notifié par acte d’avocat à avocat au mandataire de la Ville de Luxembourg le 27 mars 2009 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 avril 2009 ;
Vu le mémoire en duplique de Maître Christian Point, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 avril 2009, pour le compte de l'administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les actes critiqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gilles Dauphin, en remplacement de Maître Christian Point, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc Mathekowitsch en leurs plaidoiries respectives.
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Dans sa séance du 25 juillet 2008, le conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-
après désigné par « le conseil communal », approuva, sous le point 3 de son ordre du jour, le devis d’un montant de 17.645.600 euros TTC pour la construction d’une passerelle pour piétons et cyclistes passant au-dessus de la rue de Neudorf reliant les quartiers de Cents et de Weimershof. Ladite délibération fut approuvée par le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, ci-après désigné par « le ministre », en date du 29 octobre 2008.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2008, Monsieur …, et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les consorts …», ont fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation contre la prédite délibération du conseil communal du 25 juillet 2008, ainsi que contre la décision d’approbation du ministre du 29 octobre 2008.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours, en contestant que les actes attaqués constituent des actes administratifs à caractère décisionnel et qu’ils constituent des actes finaux de la procédure faisant grief aux consorts …, tout en soulignant qu’un recours devant le tribunal administratif ne serait admissible que contre des véritables décisions de nature à faire grief.
Dans ce contexte, le représentant étatique expose que la décision de principe concernant la construction d’une passerelle reliant les quartiers de Cents et de Weimershof aurait été prise par le conseil communal à l’occasion du vote du budget rectifié de l’année 2007, ensemble avec le budget pour l’année 2008 lors de sa séance du 17 décembre 2007, ceci en conformité avec l’article 155 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10 de la loi communale du 13 décembre 1988, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 ». Contre cette décision aucun recours n’aurait été introduit, de sorte qu’il conviendrait de constater la forclusion à agir contre cette décision de principe de la construction de la passerelle.
La délibération litigieuse n’aurait pas porté sur le principe de la construction, mais uniquement sur le devis, et l’approbation du devis ne constituerait qu’une phase d’un avant-projet de travaux suivant l’article 156 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, et n’aurait par ailleurs même pas dû être soumise à ce stade à l’approbation du ministre tant que le projet n’était pas accompagné des plans définitifs. Cette décision d’approbation d’un devis ne serait pas à qualifier d’acte à caractère exécutoire pouvant à lui seul faire grief, et n’aurait aucun effet juridique, de sorte qu’il ne saurait de manière isolée, en dehors des plans, faire l’objet d’un recours. Dans la mesure où la décision du conseil communal ne serait pas accompagnée des avis, approbations et autorisations requises, au vœu de l’article 159 (2) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, celle-ci ne serait pas à qualifier de projet définitif. A cet égard, le délégué du gouvernement insiste sur ce que la procédure relative à l’élaboration de projets de travaux n’admettrait pas qu’une décision de travaux d’un conseil communal soit définitive avant que le projet définitif ait été approuvé par l’autorité de tutelle en vertu des articles 156 et suivants du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 et que la Ville de Luxembourg n’aurait pas encore soumis d’avant-projet complet.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la délibération litigieuse serait à qualifier d’acte à caractère décisionnel pouvant faire grief, le délégué du gouvernement soutient que le grief ne pourrait provenir que du seul montant du devis, mais ne saurait être tiré du principe même de la construction, qui aurait fait l’objet d’une décision antérieure.
En ordre encore plus subsidiaire, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours au motif qu’au stade du devis, qui ne déclencherait pas encore la construction de la passerelle litigieuse, mais qui devrait être suivi d’un certain nombre de démarches jusqu’à la passation d’un contrat, l’intérêt à agir ne serait qu’éventuel.
La Ville de Luxembourg, de son côté, soutient que le tribunal serait incompétent pour connaître du recours, au motif que la délibération attaquée ne constituerait ni un acte administratif à caractère règlementaire, dans la mesure où la délibération litigieuse n’établirait aucune norme générale et impersonnelle, ni une décision administrative individuelle, dans la mesure où, d’un côté, l’approbation par le conseil communal d’un devis d’un ouvrage ne produirait aucun effet juridique affectant les tiers, de sorte qu’elle ne ferait pas grief, et, de l’autre côté, cette approbation ne serait pas une décision définitive, seule susceptible de faire l’objet d’un recours devant les juridictions administratives, mais ne constituerait qu’une étape dans une procédure menant à l’attribution d’un marché public conformément aux articles 151 à 159 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, procédure ayant débuté par l’arrêt du principe de la construction dans le budget de l’année 2008, suivie par la délibération litigieuse, qui devrait encore être suivie par notamment le vote du projet définitif détaillé, et ensuite la procédure d’appel d’offres.
A l’audience des plaidoiries, le mandataire de la Ville de Luxembourg, rejoint sur ce point par le délégué du gouvernement a encore soulevé l’irrecevabilité du recours en contestant l’intérêt à agir des consorts …, dans la mesure où il se dégage d’une lettre de leur mandataire du 6 mai 2009 que ceux-ci ont vendu leur propriété, et que leur mandataire n’aurait de ce fait plus mandat dans la présente instance.
Enfin, la Ville de Luxembourg conclut à l’incompétence du tribunal pour statuer sur un recours en réformation, un tel recours n’étant pas prévu par la loi en la matière.
Les consorts …, dans leur mémoire en réponse, soutiennent que la délibération litigieuse ne serait pas à qualifier d’acte à caractère règlementaire, mais de décision administrative individuelle, arrêtant le coût d’un projet et qui se suffirait à elle-même.
Il convient de prime abord d’examiner le moyen d’incompétence au regard de la nature des actes critiqués, tel que soulevé par la Ville de Luxembourg.
Aux termes de l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif « le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », et aux termes de l’article 7 de la même loi « le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent ».
S’il est vrai que les consorts … ont soutenu que les actes attaqués ne seraient pas à considérer comme actes à caractère règlementaire, face au moyen d’incompétence invoqué par la Ville de Luxembourg dans le cadre duquel celle-ci a notamment soulevé la question de savoir si les actes litigieux peuvent être qualifiés d’actes règlementaires, il convient néanmoins d’examiner la compétence d’attribution du tribunal de statuer sur les actes litigieux sur le fondement de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996.
Toutefois, avant d’examiner la nature règlementaire ou non de la délibération litigieuse, il convient de vérifier si celle-ci se situe dans la procédure de passation d’un marché public, tel que soutenu par les parties défenderesses, et à quel stade de cette procédure elle est à situer.
La décision du conseil communal litigieuse, approuvée par le ministre en date du 29 octobre 2008, a pour objet l’approbation du « devis au montant de 17.645.600 EUR TTC pour la construction d’une passerelle pour piétons et cyclistes passant au-dessus de la rue de Neudorf reliant les quartiers de Cents et de Weimershof ».
C’est à juste titre que les parties défenderesses font valoir que cette délibération se situe dans une procédure devant aboutir à la passation d’un marché public.
Rappelons à cet égard que conformément à l’article 154 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, le conseil communal doit, avant la passation d’un contrat relatif à un marché public, avoir a) décidé le principe des travaux, fournitures ou services qui font l’objet des contrats, b) approuvé les projets en cas de travaux et c) pourvu à l’allocation des crédits nécessaires au règlement de la dépense découlant de l’exécution des contrats, le tout sous l’approbation du ministre, tandis que l’article 156 du même règlement distingue entre deux phases dans l’élaboration des projets de travaux et leur approbation par le conseil communal et l’autorité supérieure, à savoir l’avant-projet, d’un côté, et le projet définitif détaillé, de l’autre côté.
C’est encore à juste titre que les parties défenderesses soutiennent que le principe de la construction d’une passerelle a déjà été décidé lors d’une délibération antérieure du conseil communal, en l’occurrence lors de sa séance du 17 décembre 2007 dans le cadre de l’approbation du budget rectifié de 2007 et du budget 2008.
Il se dégage du libellé de l’extrait du registre des délibérations du conseil communal du 25 juillet 2008 que le projet se trouvait encore au stade d’avant-projet (« considérant qu’il est appelé à se prononcer sur l’avant-projet pour la construction d’une passerelle »). Le tribunal est amené à retenir qu’au regard des termes de l’extrait de la délibération litigieuse et plus particulièrement de son dispositif, le conseil communal s’est limité à approuver le devis, à l’exclusion de l’approbation d’autres éléments. Contrairement à l’avis des consorts …, il ne se dégage pas du libellé de l’extrait précité que par la même résolution, le conseil communal ait approuvé également le tracé de la passerelle, étant précisé que, quant à la question du tracé de la passerelle, l’extrait fait seulement état d’une décision antérieure du collège des bourgmestres et échevins concernant le tracé (« que suite à cette intervention le collège des bourgmestre et échevins a finalement retenu le site F (…) »), sans que le conseil communal ne se soit cependant expressément prononcé sur le choix de ce tracé.
Il suit de ces considérations que la délibération litigieuse est à situer au niveau de l’élaboration de l’avant-projet des travaux de construction de la passerelle litigieuse au sens de l’article 156 (1), 1) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003.
Quant à la question de savoir si la délibération litigieuse peut être qualifiée d’acte règlementaire, il convient de rappeler qu’un acte règlementaire est un acte normatif, à portée générale et impersonnelle, applicable aux catégories de personnes y visées et non pas à des personnes individualisées (Fernand Schockweiler « Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois », n°53, page 31).
Or, une décision du conseil communal d’approuver un devis pour la construction d’une passerelle, dont le principe de construction a par ailleurs été décidé par une délibération antérieure, ne fixe aucune norme à portée générale et impersonnelle. Il s’agit au contraire d’une décision prise dans le cadre de l’article 28 de la loi communale du 13 décembre 1988 telle qu’elle a été modifiée, qui prévoit que le conseil communal règle tout ce qui est d’intérêt communal et de l’article 154 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003. Il s’ensuit que la décision litigieuse n’est pas à considérer comme un acte règlementaire.
Quant à la question de la compétence du tribunal de statuer sur le recours principal en annulation respectivement subsidiaire en réformation, il y a encore lieu de rappeler que même si un demandeur entend exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
Aucun recours au fond n’étant prévu pour la catégorie des décisions sous examen, le tribunal est incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre subsidiaire par les consorts ….
Au titre de la question de la recevabilité du recours subsidiaire en annulation, le tribunal est de prime abord amené à vérifier l’existence d’un intérêt à agir dans le chef des consorts … au regard du fait qu’ils ne sont plus propriétaires de la maison avoisinant le tracé prévu pour la passerelle litigieuse.
L’intérêt à l’annulation d’un acte administratif doit non seulement exister au jour de l’introduction du recours, mais encore subsister jusqu’au prononcé du jugement. Cet intérêt doit être personnel, en ce sens notamment que l’annulation de l’acte attaqué doit procurer un avantage à la partie demanderesse ou faire cesser un grief qui lui est causé par l’acte.
En l’espèce, il convient de relever que si l’intérêt à agir des consorts … au jour de l’introduction du recours n’est pas litigieux, l’existence de cet intérêt est contestée au jour des plaidoiries du fait qu’ils ont vendu leur maison située à proximité du tracé projeté de la passerelle litigieuse au cours de la présente instance, tel que cela se dégage d’une lettre de leur mandataire au tribunal du 6 mai 2009.
Il s’ensuit qu’ils ont perdu en cours de l’instance contentieuse l’intérêt à agir ayant justifié le recours au jour de son introduction.
Le tribunal constate en outre que les consorts … restent en défaut d’établir, voire d’alléguer un quelconque avantage que l’annulation de l’acte litigieux pourrait leur procurer malgré le fait qu’ils ont vendu leur maison.
L’intérêt à agir sur lequel le recours était fondé au jour de son introduction, c’est-à-dire le fait que les consorts … habitaient à proximité du tracé projeté de la passerelle, n’existant plus en raison de la vente de leur maison, et à défaut de justifier que l’intérêt à agir a subsisté pour un autre motif, le recours doit être déclaré irrecevable, faute d’intérêt à agir dans le chef des consorts ….
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour statuer sur le recours subsidiaire en réformation ;
déclare le recours principal en annulation irrecevable ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 26 novembre 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Claude Legille.
s. Claude Legille s. Carlo Schockweiler 6