Tribunal administratif N° 25493 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mars 2009 3e chambre Audience publique du 11 novembre 2009 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers (art. 22, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25493 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2009 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 janvier 2009 refusant de le tolérer provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 octobre 2009.
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Le 19 août 2005, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».
Cette demande fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », du 8 août 2007, confirmée suite à un recours gracieux par décision ministérielle du 1er octobre 2007.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de ces décisions ministérielles fut définitivement rejeté en instance d’appel par un arrêt de la Cour administrative du 14 octobre 2008 (n° 24461C du rôle).
Par courrier du 28 novembre 2008, l’association de soutien aux travailleurs immigrés a.s.b.l. demanda au ministre de tolérer Monsieur … sur le territoire du Grand-Duché jusqu’au moment où les affrontements en République démocratique du Congo auraient cessé.
Par courrier du 31 décembre 2008, le mandataire du demandeur rappela la demande précitée au ministre.
Par décision du 13 janvier 2009, adressée au mandataire de Monsieur …, le ministre refusa de faire droit à la demande en obtention d’un statut de tolérance, au motif: « (…) qu’il n’existe pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait indépendantes à sa volonté conformément à l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. La situation actuelle prévalant dans la région des Grands Lacs, à l’est de la République Démocratique du Congo n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné que Monsieur … est originaire de Kinshasa situé à l’ouest de la RDC et où il aurait vécu toute sa vie. Par ailleurs, la situation est calme à Kinshasa et ne peut être comparée à celle des provinces du Kivu. (…). » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2009, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision précitée du ministre du 13 janvier 2009 refusant de le tolérer provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.
Il y a lieu de relever de prime abord que l’Etat n’a pas fourni de mémoire en réponse en cause dans le délai légal bien que la requête introductive lui ait été valablement notifiée par la voie du greffe en date du 9 mars 2009. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.
Par ailleurs, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait d’abord valoir que la notion de « statut de tolérance » ne serait pas contenue dans le texte de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006. Le statut de tolérance ne constituerait donc pas un statut légal que le ministre accorderait ou non et qui serait soumis à des conditions et conséquences juridiques. Le texte n’instituerait qu’un pouvoir discrétionnaire du ministre d’accepter une situation de fait créée par des circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de l’éloignement de l’intéressé. Ainsi la limite au pouvoir discrétionnaire du ministre serait constituée par l’existence de circonstances de fait, alors qu’il ne pourrait décider de tolérer une personne provisoirement sur le territoire que si des circonstances de fait rendent impossible l’exécution matérielle de l’éloignement. Le ministre qui aurait compétence pour délivrer une attestation prévue par l’article 22 (3) de la loi du 5 mai 2006 serait également le ministre compétent pour procéder à l’éloignement de l’étranger et il estimerait et déciderait quelles circonstances de fait seraient susceptibles de rendre impossible l’exécution matérielle de l’éloignement.
En l’espèce, la décision attaquée devrait encourir l’annulation alors que le ministre refuserait illégalement au demandeur la délivrance de l’attestation de tolérance alors même qu’il existerait des circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de son éloignement. En effet, le demandeur aurait été débouté de sa demande d’une protection internationale le 14 octobre 2008, mais il se trouverait toujours au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que le ministre aurait depuis lors décidé de le tolérer provisoirement sur le territoire, pour des circonstances de fait dont il aurait seul connaissance. Le refus de délivrance d’une attestation serait contraire à l’article 22 (3) de la loi du 5 mai 2006, dont les dispositions ne laisseraient aucun autre choix au ministre que de délivrer une telle attestation au demandeur, une fois qu’il aurait décidé de le tolérer provisoirement sur le territoire.
A titre subsidiaire, le demandeur estime que l’existence de circonstances de fait rendant son éloignement impossible serait définitivement établie en l’espèce. En effet, il aurait participé le 30 juin 2006 à la marche organisée pour dénoncer les crimes perpétrés par … . Il serait intervenu en octobre 2006 pour dénoncer les fraudes électorales en République démocratique du Congo, Il aurait participé en novembre 2006 à la marche organisée par le collectif de l’opposition congolaise au Grand-Duché de Luxembourg pour solliciter l’établissement de la démocratie au Congo. Il aurait rédigé en mars 2007 un article intitulé « les demandeurs d’asile congolais au GDL » et en juin 2008 un article intitulé : « un vaste complot contre la RD Congo ». Sa vie serait actuellement menacée par les services de renseignement en cas de retour dans son pays d’origine. Enfin, le ministre n’aurait pas encore sollicité la réadmission du demandeur aux autorités congolaises, de sorte qu’il ne pourrait pas affirmer qu’il n’existerait pas de preuve que l’exécution matérielle de l’éloignement du demandeur serait impossible, alors qu’il n’aurait même pas créé les conditions requises pour exécuter l’éloignement du demandeur.
A l’audience des plaidoiries, le mandataire du demandeur a encore soulevé de manière orale, que le demandeur avait introduit en date du 3 juin 2009 une nouvelle demande en obtention d’une protection internationale au motif qu’un nouvel élément serait apparu, augmentant la probabilité qu’il remplisse les conditions pour accéder au statut de réfugié ou au statut de la protection subsidiaire. Après avoir été entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration le 15 juin 2009 et le ministre aurait déclaré sa demande irrecevable au sens de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006, par décision du 21 septembre 2009.
Aux termes de l’article 22 tel que modifié de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Si la demande de protection internationale est définitivement rejetée au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire. (…) (2) Si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de la volonté du demandeur, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où les circonstances de fait auront cessé ».
Il s’ensuit que la décision du ministre de tolérer provisoirement une personne sur le territoire du Grand-Duché peut être réservée aux demandeurs de protection internationale définitivement déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle.
Il y a d’abord lieu de relever qu’en l’espèce, le fait que le demandeur ait introduit une nouvelle demande de protection internationale le 3 juin 2009, ne porte pas à conséquence. En effet, dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est amené à analyser la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision litigieuse. Or, au moment de la prise de la décision déférée en l’espèce, à savoir, le 13 janvier 2009, le demandeur se retrouvait débouté de sa demande en obtention d’une protection internationale par arrêt de la Cour administrative du 14 octobre 2008 (n° 24461C du rôle) et le demandeur n’avait pas encore introduit de nouvelle demande de protection internationale, de sorte qu’il était à considérer comme définitivement débouté de sa demande de protection internationale, conformément à l’article 22 de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, quant au moyen du demandeur selon lequel le ministre aurait été obligé de lui délivrer une attestation de tolérance alors qu’il aurait accepté sa présence sur le territoire du Grand-Duché depuis le rejet de sa demande de protection internationale en octobre 2008, force est au tribunal de constater que le fait de tolérer une personne déboutée de sa demande de protection internationale sur le territoire constitue une faculté du ministre que celui-ci peut exercer si l'exécution de la mesure d'éloignement, qui est de droit en cas de refus du statut de refugié, est matériellement impossible.
La preuve d’une éventuelle impossibilité matérielle de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement obéit cependant aux règles de preuve de droit commun, ce qui implique que pour tolérer l’étranger sur le territoire – auquel cas le ministre est effectivement obligé de délivrer à l’étranger une attestation de tolérance – le ministre doit vérifier l’existence de circonstances qui empêchent l’exécution matérielle de l’éloignement. L’application du droit commun entraîne encore qu’en cas de contestation de ces circonstances, il appartient à celui qui en revendique l’existence, en l’occurrence à l’étranger qui revendique cette tolérance, d’en établir l’existence. Aucune présomption d’existence de circonstances matérielles empêchant l’exécution matérielle d’une mesure d’éloignement n’existe en la matière et elles ne se déduisent pas ipso facto du séjour, même prolongé, sur le territoire de l’étranger débouté de sa demande d’asile1.
Dès lors, le moyen afférent du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ailleurs, le tribunal est amené à constater que le demandeur reste en défaut de démontrer l’existence de circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de son éloignement du territoire. Ainsi, le demandeur, au-delà de réitérer des arguments qui ont déjà été toisés par les juridictions administratives dans le cadre de sa demande d’asile, reste en défaut d’invoquer un quelconque élément s’analysant en une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef. Il se contente de rappeler ses activités en vue de l’établissement d’une démocratie en République démocratique du Congo et d’indiquer sommairement que sa vie serait menacée par les services de renseignement en cas de retour dans son pays d’origine, sans cependant soumettre au tribunal des éléments concrets permettant de retenir que son retour serait matériellement impossible en raison de circonstances de fait. En effet, ni les affirmations relatives à la situation générale et sécuritaire prévalant actuellement dans le pays d’origine du demandeur, ni l’allégation de craintes de persécution en raison de son engagement politique, à les supposer établies, ne sauraient être considérées comme étant constitutives d’obstacles matériels rendant l’exécution matérielle de son éloignement du territoire impossible, étant entendu que les obstacles visés par la loi à travers l’emploi des termes « exécution matérielle » doivent avoir trait à l’éloignement proprement dit et non aux conditions d’accueil réservées à la personne concernée dans son pays d’origine.
Enfin, on ne saurait déduire du seul fait pour le gouvernement de ne pas avoir commencé à procéder à l’exécution matérielle de l’éloignement d’un demandeur d’asile débouté que les autorités compétentes se voient confrontées à une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef2.
1 cf. Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24693C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
2 cf. trib. adm. 31 mai 2006, no 21015 du rôle, Pas. adm. 2008, Vo Etrangers, no 166.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 11 novembre 2009 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11.11.2009 Le Greffier du Tribunal administratif 5