Tribunal administratif Numéro 26241 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2009 2e chambre Audience publique du 29 octobre 2009 Recours formé par Monsieur …, alias …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26241 du rôle et déposée le 26 octobre 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Loma (Sierra Leone) et de nationalité sierra-léonienne, alias …, né le …, de nationalité sénégalaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du 8 octobre 2009 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, erronément qualifié de ministre des Affaires Etrangères et de l’Immigration dans la requête introductive, ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michèle Stoffel, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 octobre 2009.
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En date du 3 avril 2003, Monsieur …, alias …, présenta une demande d’asile au Luxembourg. Par une décision du 26 mars 2004, le ministre de la Justice refusa de faire droit à cette demande.
Par jugement du 24 janvier 2005 (n° 18586 du rôle), le tribunal administratif rejeta le recours introduit contre cette décision ministérielle.
Par jugements des 28 février 2007 et 23 octobre 2007, Monsieur … fut condamné à des peines d’emprisonnement du chef d’infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie.
Par jugement du 14 janvier 2009 (n° 24791 du rôle), le tribunal administratif rejeta un recours contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 juillet 2008 ayant refusé à Monsieur … d’accorder le statut de tolérance. Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 31 mars 2009.
Le 8 octobre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », prit une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire à l’égard de Monsieur ….
Par arrêté du même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … en rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière;
Vu mon arrêté de refus d'entrée et de séjour du 9 mai 2007 lui notifié le 11 mai 2007 ;
Vu la décision de refus de séjour du 8 octobre 2009 ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu'en attendant le résultat des recherches quant à l'identité et à la situation de l'intéressé, l'éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ; ».
Ledit arrêté fut notifié le 9 octobre 2009 à Monsieur ….
Par requête déposée le 26 octobre 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision de placement précitée du 9 octobre 2009.
Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement en rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Le recours subsidiaire en annulation doit dès lors être déclaré irrecevable.
Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de ne pas justifier des démarches qui auraient été entreprises en vue de son éloignement du pays, afin d’écourter au maximum sa privation de liberté. Il critique ainsi le ministre qui se bornerait à énoncer qu’il serait dans l’attente des résultats quant à l’identité et la situation de l’intéressé, sans fournir d’autres précisions. Il rappelle qu’il incomberait au ministre de faire état et de documenter avec précision les démarches qu’il estime requises et qu’il est en train d’exécuter afin de pouvoir procéder le plus rapidement possible à son éloignement. Il conclut à un défaut de motivation de l’arrêté ministériel litigieux, qui l’aurait mis dans l’impossibilité d’exercer ses droits de la défense. Dans ce contexte, le demandeur conteste encore l’existence de « la nécessité requise pour proroger la décision de placement ».
En ce qui concerne le moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision déférée, il convient de relever que les motifs à la base de la mesure de rétention ressortent à suffisance de droit de l’arrêté litigieux, étant donné que tant les éléments de fait que les éléments de droit, sur lesquels repose la décision litigieuse, sont exposés dans ledit arrêté, dans la mesure où le ministre a indiqué les bases juridiques de son arrêté, tout exposant que le demandeur est démuni de document de voyage et qu’il conviendrait de placer l’intéressé en rétention en attendant le résultat de ses recherches afin de déterminer l’identité et la situation du demandeur. S’agissant en l’espèce d’une première mesure de placement, les développements du demandeur au sujet de la « nécessité » de proroger une mesure de placement sont dénués de toute pertinence. Le moyen tiré d’un défaut de motivation laisse partant d’être fondé.
Le demandeur soutient ensuite que les démarches accomplies par le ministre afin de pouvoir procéder à son éloignement du territoire seraient insuffisantes, en faisant valoir que l’autorité resterait en défaut d’établir qu’elle ait accompli une quelconque diligence afin de pouvoir procéder à son éloignement rapide. Il estime ainsi que le simple fait d’attendre des résultats serait insuffisant pour justifier que des démarches concrètes et utiles ont été entreprises en vue de son éloignement dans les meilleurs délais et qu’une mesure de placement ne saurait servir à pallier à l’inertie des autorités administratives. Dans ce contexte, il fait valoir que le délai de quatre mois prévu par le législateur pour procéder à l’éloignement d’une personne serait à considérer comme un délai limite et ne dispenserait pas d’accomplir les démarches nécessaires pour réduire au maximum une mesure de rétention. Il soutient qu’en l’espèce, depuis le 9 octobre 2009, aucune mesure concrète n’aurait été entreprise.
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, permet au ministre, dans l’hypothèse où l’exécution d’une mesure d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, étant entendu que le paragraphe (3) du même article permet au ministre de reconduire, en cas de nécessité, la décision de placement à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois.
Une impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger en raison de circonstances de fait est vérifiée notamment lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée à trois reprises en cas de nécessité.
Cependant en présence d’une personne démunie de documents de voyage et même de documents d’identité, tel que cela est le cas en l’espèce, le ministre doit d’abord procéder à une vérification de l’identité et de l’origine de la personne concernée et ensuite s’adresser aux autorités du pays d’origine afin d’établir l’identité de la personne concernée et de se faire délivrer des documents de voyage. La nécessité d’accomplir ces démarches supplémentaires entraîne forcément une extension du délai requis pour organiser la mesure d’éloignement et partant de la durée admissible de la mesure de rétention, ceci étant vrai a fortiori dans une situation comme, en l’espèce, où la personne concernée non seulement n’entreprend elle-même aucune démarche afin de contribuer à l’émission des documents de voyage par les autorités de son pays d’origine, mais se prévaut de plusieurs identités différentes.
Le demandeur se trouvant en situation irrégulière au pays et étant par ailleurs démuni de documents de voyage, les conditions afin de recourir à une mesure de placement ne sauraient être utilement remises en cause en l’espèce.
Il convient toutefois de rappeler qu’une mesure de rétention s’analyse en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée et qu’elle doit être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement. A cette fin, le ministre est dans l’obligation de faire entreprendre avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires afin d’organiser cette mesure d’éloignement.
Quant aux démarches concrètes entreprises par le ministre, il ressort d’une note au dossier du 13 octobre 2009 qu’une demande de laissez-passer a été adressée à l’ambassade de la République du Sierra-Leone, qu’un rendez a été organisé en vue de la présentation du demandeur à l’ambassade du Sierra Leone en vue d’une audition afin d’établir son identité et sa nationalité.
Ce rendez-vous, initialement prévu pour le 20 octobre 2009, a dû être reporté au 5 novembre 2009, à la fois pour des raisons de disponibilité de personnel de la police grand-ducale afin d’organiser une escorte, tel que cela ressort d’une note au dossier du 13 octobre 2009, et des disponibilités de l’ambassade du Sierra-Leone, tel que cela ressort d’une autre note au dossier du même jour.
Le délégué du gouvernement déclare encore qu’un laissez-passer aurait également été demandé à l’ambassade du Sénégal et que l’intéressé serait présenté à cette même ambassade en date du 4 novembre 2009.
A l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement a encore précisé que les ambassades respectives du Sénégal et du Sierra-Leone ont été contactés même avant la prise de la décision de placement litigieuse, soit par courriers respectifs des 29 septembre et 5 octobre 2009 en vue de l’identification du demandeur.
Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle, il y a lieu de constater que des démarches suffisantes ont été entreprises afin de pouvoir procéder à l’éloignement du demandeur du territoire, de sorte que le moyen fondé sur une absence de diligences suffisantes, voire de l’inertie des autorités laisse d’être fondé.
Le demandeur soutient en troisième lieu que le ministre serait resté en défaut de démontrer qu’il serait effectivement en mesure de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement.
Force est cependant de constater qu’il n’existe aucune obligation à charge du ministre de devoir démontrer qu’il soit en mesure de procéder à l’éloignement du demandeur. Dans la mesure où le demandeur reste en défaut de démontrer qu’il existe un obstacle absolu qui empêche son éloignement, le moyen afférent doit être rejeté, le simple fait qu’à ce jour un laissez-passer n’ait été obtenu n’étant pas de nature à constituer un tel obstacle, puisque précisément le recours à une mesure de rétention présuppose que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible en raison de circonstances de fait.
Le demandeur soutient en quatrième lieu que son placement constituerait un traitement dégradant, constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté, contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), au motif qu’il serait incarcéré au Centre pénitentiaire de Schrassig sans avoir commis une infraction à la loi pénale. Cela constituerait une atteinte intolérable à sa liberté, d’autant plus qu’il serait en contact avec des délinquants de droit commun, ce qui aurait pour effet de le perturber gravement. Dans ce contexte, il soutient qu’il est soumis à un régime similaire voire identique à celui des détenus de droit commun, à l’exception du droit illimité à la correspondance et de la dispense de l’obligation de travail. Il ajoute qu’il serait autorisé à téléphoner seulement une seule fois par semaine. Il fait encore valoir que le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires s’appliquerait au Centre de séjour provisoire par application de l’article 5 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.
Aux termes de l’article 3 de la CEDH « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Il est constant en cause que le demandeur est placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière qui est situé au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig.
Les modalités de la rétention dans ledit centre résultent en leurs grandes lignes du régime spécifique tel qu’instauré par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, règlement qui renvoie en son article 5 directement pour toutes les questions qu’il ne règle pas lui-même au règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires. L’assimilation dans ses grandes lignes, excepté les dispositions spécifiques figurant à l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, du régime de rétention à celui des détenus de droit commun, si elle peut prêter à discussion, ne permet cependant pas de conclure de ce seul chef à une violation de l’article 3 de la CEDH.
En effet, le placement en rétention administrative au Centre de séjour ne saurait, en tant que tel, être considéré comme dégradant, inhumain ou humiliant si les conditions légales prévues pour ordonner un tel placement sont par ailleurs remplies. Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur consistant à affirmer que la rétention constituerait dans son chef un traitement dégradant au motif qu’il n’aurait commis aucune infraction ne saurait être accueillie.
Dans la mesure où le demandeur se limite en l’espèce à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme traitement dégradant, sans préciser en quoi les modalités de la rétention constituent pour lui un traitement dégradant, le moyen du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé. Il convient encore de relever que la seule affirmation selon laquelle le demandeur serait en contact avec des délinquants et celle qu’il ne pourrait téléphoner qu’une fois par semaine, affirmation qui d’ailleurs n’est pas autrement étayée, est insuffisante afin de caractériser le placement au Centre de séjour provisoire de dégradant au regard de l’article 3 CEDH.
Quant au moyen tiré d’une atteinte à la liberté, telle que protégée par l’article 5 de la CEDH, cette disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions de la CEDH. Par ailleurs, le seul fait par le demandeur d’alléguer qu’il est retenu dans les mêmes conditions qu’un délinquant de droit commun ne saurait suffire à lui seul, à défaut d’autres éléments, afin d’établir que sa rétention serait effectuée en violation des dispositions de la CEDH invoquées. Le moyen afférent est partant à rejeter.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 29 octobre 2009 à 17 :30 heures par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Claude Legille.
Claude Legille Carlo Schockweiler 7