Tribunal administratif Numéro 24888 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 octobre 2008 2e ch ambre Audience publique du 19 octobre 2009 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d’imposition Luxembourg IV en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24888 du rôle et déposée le 7 octobre 2008 au greffe du tribunal administratif par Monsieur … et son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un bulletin d’impôt sur le revenu des personnes physiques de l’année 2005, émis le 19 décembre 2007 par le bureau d’imposition Luxembourg IV ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 5 janvier 2009 au greffe du tribunal administratif ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2009 par les époux …-… ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur … en ses explications et Madame le délégué du gouvernement Monique Adams en sa plaidoirie.
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A la suite du dépôt par les époux … et … de leur déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2005, en date du 18 décembre 2006, le préposé du bureau d’imposition Luxembourg IV de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le bureau d’imposition », leur communiqua, par lettre du 5 novembre 2007, conformément au paragraphe 205 (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », les points par rapport auxquels il envisageait de s’écarter de la déclaration d’impôt, tout en les priant de lui fournir des précisions au sujet de postes au bilan.
Par courrier du 6 décembre 2007, le conseiller fiscal des époux …-… prit position par rapport au courrier précité du bureau d’imposition du 5 novembre 2007.
Le 19 décembre 2007, le bureau d’imposition émit à l’égard de Monsieur …, imposé collectivement avec son épouse, le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2005, en s’écartant de la déclaration des contribuables sur les points suivants :
« Abattement pour charges extraordinaires Les frais de domesticité, frais d’aides et de soins ou frais de garde d’enfants ont été réduits de la charge normale.
prof. lib. : reprise globale + 30000,00 suivant notre lettre du 5.11.07 les honoraires sur acquisition terrain ne sont pas déductibles, ainsi que ceux de Me Kaufhold, vu qu’une relation professionnelle fait défaut les dons ont été déduits sub dépenses spéciales, à part le don « trait d’union » non déductible ».
Contre ce bulletin, Monsieur … introduisit, par lettre du 3 mars 2008, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné « le directeur », dans laquelle il contesta les reprises de dépenses d’exploitation opérées par le bureau d’imposition.
Aucune suite n’ayant été réservée à cette réclamation par le directeur dans le délai de six mois à compter de l’introduction de la réclamation, les époux …-… ont introduit, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2008, un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre du bulletin d’impôt précité du 19 décembre 2007.
Il résulte de la lecture combinée des dispositions du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, que le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en cas de silence du directeur durant plus de six mois suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre le bulletin de l’impôt sur le revenu du 19 décembre 2007. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.
En ce qui concerne la recevabilité du recours en réformation, il échet de constater que la réclamation introduite en date du 4 mars 2008 devant le directeur n’a été signée que par Monsieur …, le nom de son épouse figurant uniquement à l’entête de la réclamation.
Une réclamation introduite par un époux en son seul nom ne rend pas automatiquement l’autre époux partie à cette voie de recours. Il s’ensuit qu’en l’absence de réclamation séparée par le conjoint, le recours contentieux introduit par les deux époux encourt l’irrecevabilité dans la mesure où il est introduit au nom du conjoint n’ayant pas réclamé (cf. trib. adm. 25 août 1999, n° 10456 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Impôts, n° 522 et autres références y citées).
Il s’ensuit qu’à défaut pour Madame … d’avoir réclamé contre le bulletin d’impôt sur le revenu pour l’année 2005, son recours contentieux dirigé contre ledit bulletin encourt l’irrecevabilité pour raison d’omisso medio en ce qu’elle n’a pas saisi préalablement le directeur d’une réclamation dirigée contre le bulletin d’impôt litigieux.
Le recours en réformation, en ce qu’il a été introduit par Monsieur …, est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, en reprenant la teneur de sa réclamation devant le directeur, reproche au bureau d’imposition d’avoir refusé la déduction de certaines dépenses d’exploitation qu’il a déclarées dans le cadre de l’exercice de sa profession libérale d’huissier de justice au titre de l’année 2005.
En premier lieu, il critique la reprise de frais de restaurant et de frais de saisie de respectivement 2.985,95 euros et 1.557,85 euros. Il soutient que ces dépenses seraient en relation avec les repas offerts aux témoins et à l’officier de police qui l’accompagnerait lors des saisies, que ces dépenses auraient trait à sa propre clientèle et qu’elles auraient été déduites au niveau de son compte de pertes et profits. Il conteste que ces frais aient également été déclarés dans la comptabilité de l’association professionnelle … & ….
Le demandeur reproche en second lieu au bureau d’imposition d’avoir procédé à la reprise de 50 % des montants déclarés à titre de frais de voiture, soit environ 9.250 euros. Il explique que les véhicules de l’association professionnelle … & … seraient utilisés par le personnel, tandis que les frais par lui déduits au niveau du compte de pertes et profits seraient justifiés par ses trajets professionnels.
Il conteste en troisième lieu le refus du bureau d’imposition d’admettre la déduction d’une facture de la S.àr.l. Te Best Shop We d’un montant de 540 euros. Il explique que si l’adresse figurant sur ladite facture serait bien celle de l’association professionnelle, cela tiendrait au fait qu’il s’agirait de l’adresse pour l’enlèvement des dossiers en vue de leur destruction, mais que lui-même aurait été le donneur d’ordre et non l’association professionnelle.
Le demandeur critique en quatrième lieu la reprise opérée par le bureau d’imposition de frais de parking pour un montant de 2.276,09 euros. Il conteste que ces frais fassent double emploi avec ceux de l’association professionnelle … & …, en soutenant que les places dans le Parking du Stade seraient utilisées par le personnel de l’association et que les frais afférents seraient déduits dans la comptabilité de l’association. En revanche, la place de parking au Centre-ville serait utilisée par lui à des fins professionnelles et constituerait partant une charge professionnelle.
Il reproche en cinquième lieu au bureau d’imposition d’avoir procédé à une reprise de frais de voyage d’un montant de 605 euros. Il explique que ces frais correspondraient à un voyage à Paris pour y assister à une réunion de l’Union Internationale des Huissiers de Justice, où il aurait représenté la Chambre des Huissiers de Luxembourg. Il s’agirait dès lors d’un déplacement purement professionnel, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu à reprise. Il précise encore que le jour prévu, la SNCF aurait été en grève, de sorte qu’il aurait été obligé de prendre l’avion à la dernière minute.
En sixième et dernier lieu, le demandeur conteste la reprise de frais de téléphone d’un montant de 808,47 euros, en faisant valoir qu’il s’agirait de frais professionnels et que les appels privés ne représenteraient que 5 %.
Le délégué du gouvernement estime que ce serait à bon droit que le bureau d’imposition a procédé aux redressements litigieux à l’égard du demandeur. Il soutient que le demandeur aurait déclaré, ensemble avec deux autres contribuables, au titre de l’année fiscale 2005, des dépenses d’exploitation relevant de l’exercice en commun d’une profession libérale.
Le bureau d’imposition compétent L8 aurait procédé à un établissement séparé et en commun des dépenses en vertu du paragraphe 215 alinéa 2 AO, en informant le bureau d’imposition du demandeur de la quote-part de ces dépenses d’exploitation incombant à ce dernier, à savoir 149.375,17 euros hors amortissements. Le représentant étatique s’étonne ainsi que le demandeur déclare, d’un côté, aux fins d’établissement séparé et en commun des dépenses professionnelles pour des montants importants, mais en apparence non intégraux, et qu’il prétend, d’un autre côté, dans le cadre de son imposition individuelle à une déduction supplémentaire de dépenses d’exploitation d’un montant de 99.071,11 euros. Le bureau d’imposition, en contrôlant les dépenses d’exploitation ainsi déclarées, aurait constaté des doubles emplois, de sorte que ce serait à bon droit qu’il aurait réduit ou refusé la déduction de certains frais. Le délégué du gouvernement invoque encore l’article 12 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR), en vertu duquel les dépenses de train de vie occasionnées par la position économique ou sociale du contribuable, même lorsqu’elles sont faites en vue de profiter ou sont susceptibles de profiter à sa profession ou à son activité ne seraient pas déductibles.
Le demandeur répond qu’il n’aurait pas exercé la profession d’huissier de justice en commun, mais qu’il aurait formé avec deux autres huissiers de justice un groupement au sein duquel chacun aurait exercé individuellement sa profession. Il précise qu’à un moment donné, l’administration fiscale aurait octroyé un numéro fiscal audit groupement, obligeant ainsi celui-ci à soumettre une déclaration fiscale. Il conteste par ailleurs que des factures aient été déduites deux fois. Il conteste également que les dépenses dont il entend obtenir la déduction constituent des dépenses occasionnées par le train de vie privée ou sa position économique ou sociale, affirmant au contraire qu’il ne s’agirait que de dépenses en relation avec sa profession libérale. Il critique encore le bureau d’information de ne pas avoir tenu compte des informations contenues dans le courrier du 6 décembre 2007 de sa fiduciaire qui aurait pourtant démontré le caractère déductible des dépenses déclarées par lui.
Il convient tout d’abord de relever que la réclamation introduite par Monsieur … auprès du directeur n’a pas été rencontrée par ce dernier, le directeur n’ayant donné aucune suite à la réclamation du contribuable concernant les redressements opérés par le bureau d’imposition.
Pareillement, le mémoire en réponse de l’Etat n’aborde pas concrètement les points litigieux, mais se borne à expliquer et à justifier, en des termes généraux, les redressements litigieux par l’existence de doubles emplois et de dépenses à caractère mixte, sans autrement étayer ces affirmations, et à considérer le recours comme non fondé.
Le tribunal, en tant qu’organe juridictionnel, est saisi non pas du dossier fiscal d’un contribuable, mais de son recours ainsi que des moyens présentés à son appui, tandis que l’Etat, en tant que partie défenderesse, est censé rencontrer concrètement les moyens lui opposés en prenant la défense de la décision faisant grief. Toutefois la charge de la preuve ne répond pas à la règle suivant laquelle le demandeur a la charge de la preuve, applicable dans un procès civil, de sorte que le demandeur ne doit pas prouver l’illégalité de l’acte qu’il attaque, mais seulement exposer en quoi consiste l’illégalité qu’il soupçonne et c’est à l’ administration, auteur de l’acte et donc la mieux placée pour en connaître les dessous, tenants et aboutissants, d’en établir la régularité (cf. trib. adm. 12 mars 2008, nos 22015 et 22971 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Impôts, n° 565).
Il échet en effet de rappeler que les constatations de l’administration fiscale ne bénéficient pas d’une présomption d’exactitude et que la charge de la preuve ne repose pas sur le seul contribuable. Au contraire, la charge de la preuve est partagée entre l’administration et le contribuable, en ce sens que ce dernier est dans un premier temps appelé à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt ainsi que, dans le cadre de son devoir de collaboration, les informations lui réclamées le cas échéant par le bureau d’imposition en vue d’établir les bases d’imposition et il incombera par la suite à l’administration de qualifier sinon de rencontrer utilement les déclarations et pièces produites par le demandeur (cf. trib. adm., 24 avril 2003, n° 10300 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Impôts, n° 563).
En l’espèce, le bulletin d’impôt litigieux ne comporte pas d’élément de motivation spécifique permettant de justifier les redressements, mais se limite à indiquer une reprise globale de 30.000 euros, tout en renvoyant à un courrier du bureau d’imposition du 5 novembre 2007. Il ressort dudit courrier que certaines des reprises litigieuses sont simplement motivées par une prétendue existence de doubles emplois avec l’association professionnelle … & …, alors que pour les reprises de frais de téléphone et de frais de voyage, aucun motif n’est indiqué.
Le demandeur ayant dans le cadre du présent recours encore apporté des précisions à l’appui de ses prétentions, sans que l’Etat ait rencontré ces prétentions quant à leur principe et quant à leur montant, le tribunal confronté à un dossier non autrement instruit en défense, est partant amené à faire droit aux conclusions du demandeur, faute pour le bulletin déféré de se justifier par ses propres éléments de motivation, voire pour le dossier administratif versé en cause de comporter des éléments suffisamment précis pour retracer la démarche suivie à la base par le bureau d’imposition.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel de l’instruction du dossier, il y a lieu, par réformation du bulletin d’impôt déféré, de dire qu’il n’y a pas lieu de procéder aux reprises opérées par le bureau d’imposition en ce qui concerne les frais de saisie et de restaurant, de téléphone, de bureau, de voiture, de parking et de voyage.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours en réformation irrecevable dans la mesure où il a été introduit par Madame … ;
pour le surplus, reçoit le recours en réformation en la forme en tant qu’introduit par Monsieur … ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation du bulletin d’impôt sur le revenu de l’année 2005 du 19 décembre 2007, dit qu’il n’y a pas lieu de procéder aux reprises opérées par le bureau d’imposition en ce qui concerne les frais de saisie et de restaurant, de téléphone, de bureau, de voiture, de parking et de voyage ;
renvoie le dossier au directeur de l’administration des Contributions directes aux fins de transmission au bureau d’imposition compétent ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 19 octobre 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Claude Legille.
Claude Legille Carlo Schockweiler 6