Tribunal administratif N° 25262 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2009 1re chambre Audience publique du 28 septembre 2009 Recours formé par la société anonyme …, Luxembourg contre une décision du bourgmestre de la Ville de Luxembourg en matière de règlement des bâtisses
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25262 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2009 par Maître Samia Rabia, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de Monsieur le Bourgmestre de la Ville de Luxembourg datée du 10 octobre 2008, par laquelle ce dernier aurait imposé des marges de recul antérieures ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Yves Tapella, immatriculé près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, du 12 janvier 2009, portant signification de la requête à l’Administration communale de la Ville de Luxembourg, représentée par son collège des Bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant son Hôtel de Ville à L-2090 Luxembourg, 42, Place Guillaume II ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2009 par Maître Christian Point, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg pour compte de la Ville de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2009 par Maître Samia Rabia pour compte de la société anonyme … S.A. ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2009 par Maître Christian Point pour compte de la Ville de Luxembourg ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le courrier attaqué ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maîtres Anne-Laure Jabin, en remplacement de Maître Samia Rabia, et Christian Point en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 21 septembre 2009.
En date du 22 avril 2008, sans préjudice quant à la date exacte, les services de la Ville de Luxembourg auraient fait apposer sur toutes les voitures stationnées devant les immeubles appartenant à la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-2320 Luxembourg, 2 69, …, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B 85127, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, ci-après « la société … », un document indiquant que ces voitures seraient stationnées sur le trottoir, en non-conformité avec l'article 14 du Règlement sur les Bâtisses de la Ville de Luxembourg. A ce document aurait été annexé l'article 14 du Règlement sur les Bâtisses selon lequel «dans les marges de reculement imposées antérieure et latérale l'aménagement de places de stationnement pour véhicules est interdit ».
Par courrier recommandé du 25 avril 2008, la société … adressa la lettre suivante à la Ville de Luxembourg :
« Monsieur le Bourgmestre, Nous sommes les administrateurs de la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B85127 (ci-après « la société … »).
La société … est propriétaire de deux immeubles sis aux numéros … du …, à Luxembourg (ci-après les « immeubles »).
Nous avons l'honneur de vous écrire suite à l'apposition d'un document, depuis le 22 avril 2008, sur toutes les voitures stationnées devant la société …, prétendant que ces dernières seraient stationnées sur le trottoir, ceci en non-conformité avec le Règlement sur les Bâtisses de votre Commune.
A ce document, était annexé l'article 14 du Règlement sur les Bâtisses de votre Commune selon lequel « dans les marges de reculement imposées antérieure et latérale l'aménagement de places de stationnement pour véhicule est interdit ».
En l'espèce, vous prétendez qu'il serait impossible d'avoir des places de stationnement devant les immeubles, dans la prétendue marge de reculement antérieure des deux immeubles.
Par la présente, nous contestons formellement l'application de ce prédit article 14 du Règlement sur les Bâtisses aux immeubles.
Pour que cet article 14 du Règlement sur les Bâtisses puisse trouver application, encore faut-il d'une part qu'il existe des marges de reculement antérieures et que d'autre part ces dites marges aient été imposées.
Or, aucune de ces conditions n'est remplie pour les raisons suivantes :
Quant à l'absence de limites claires de propriété Selon les renseignements pris auprès de l'Administration du Cadastre et de la Topographie, il est impossible de définir avec précision les limites de propriété du ….
En effet, le dernier mesurage a été effectué au cours de l'année 1920.
3 Après avoir étudié les plans au service des archives de votre Commune, il est apparu qu'aucune côte relative aux limites entre notre propriété et la rue (…) n'était non plus précisée sur les plans.
De plus, nous vous informons que, lors de la délivrance de l'autorisation de construire pour l'immeuble sis au n° … actuel du …, en date du 11 mars 1911, la rue longeant ledit immeuble n'était pas le … mais le ….
Par la suite, lors d'une autorisation pour construire un garage délivrée en date du 17 octobre 1949, les plans renseignent qu'il s'agissait du boulevard de Stalingrad.
Bien entendu, aucune délimitation précise des propriétés n'est indiquée sur ces plans.
Nous portons encore à votre attention que lors de la demande d'autorisation de bâtir pour l'immeuble sis au n°69, à savoir pour construire une villa avec imprimerie, il est apparu que l'immeuble à ériger était situé en partie sur le territoire de la Commune d'Hollerich et en partie sur le territoire de la Commune de Luxembourg, sans toutefois que c’est indiqué avec précision les limites de ces territoires communaux.
Partant et au vu de ces éléments, aucune limitation du … ne peut nous être opposée, a fortiori aucune limite concernant les trottoirs.
Quant à l'absence de marges de reculement antérieures Dans aucune des autorisations de bâtir délivrées, à savoir ni dans celle pour l'immeuble sis au n° … du 11 mars 1911, ni dans celle pour l'autre immeuble sis au n° 69 du 1er septembre 1916, il existerait une marge de reculement antérieure.
D'ailleurs, une marge de reculement antérieure se définit comme étant le recul entre la rue et la façade avant de l'immeuble.
Dans ces conditions, pour pouvoir savoir si une marge de reculement antérieure existe, il est indispensable de connaître précisément la limite de la rue.
Or, comme nous l'avons vu au point n° 1 de la présente aucune limite précise entre la rue et notre propriété n'existe.
Partant, aucune marge de reculement antérieure ne peut par définition exister. 3.
Quant à l'absence de marge de reculement imposée L'article 14 du Règlement sur les Bâtisses interdit des emplacements de voitures dans les marges de reculement imposées antérieures.
En l'espèce, aucune marge de reculement n'a été imposée dans le cadre des deux autorisations de bâtir précitées des 11 mars 1911 et 1er septembre 1916.
De plus, il est important de souligner que les deux immeubles sis aux n° … et 69 sont classés, suivant le Plan d'Aménagement Général (ci-après le « PAG ») de votre Commune comme étant en zone protégée, secteur protégé des vallées de la Pétrusse et de l'Alzette et du promontoire du Rham.
4 Sur la partie graphique du PAG, la couleur indiquée pour les deux immeubles sis aux n° … et 69 correspond bien à ce classement. Aucune autre zone, par exemple d'habitation n'y est superposée.
Dans la partie écrite du PAG, les articles C.5.1 et suivants ne comportent aucune disposition relative à une quelconque marge de reculement antérieure qui serait imposée aux constructions existantes.
D'ailleurs, l'article 44.3 du Règlement sur les Bâtisses dispose que « les dispositions prévues aux articles ci-après s'appliquent également aux constructions existantes :
27 alinéa 27.5: concernant l'évacuation des eaux des toits ;
28 alinéa 28.8: concernant les locaux équipés d'appareils à gaz ;
29 alinéa 29.2 : concernant les cheminées pour chaudière de chauffage 31 alinéa 31.9: concernant la remise en état de cheminées défectueuses ;
34 et 35: concernant les pièces destinées au séjour prolongé et temporaire de personnes ;
38 : concernant l 'entreposage de combustibles liquides et de produits chimiques ;
42 concernant les bassins tributaires des sources ;
48 alinéa 48.9 : concernant la lutte contre l'incendie dans les bâtiments-tours ».
Aussi, il est incontestable et incontesté qu'aucune mention relative à l'article 14 n'est faite.
L'article 14 du Règlement sur les Bâtisses ne s'applique dès lors pas aux constructions existantes mais seulement aux constructions futures.
Partant, vous ne pouvez pas imposer aujourd'hui des règles que votre propre réglementation communale interdit d'imposer.
Au vu de tous ces éléments, aucune marge de reculement n'a été imposée, de telle sorte que l'article 14 du Règlement sur les Bâtisses est inapplicable.
4. Quant à notre propriété de toute la surface du parking Nous affirmons que la société … est propriétaire de l'intégralité de la surface du parking et qu'aucun trottoir n'appartient à votre Commune (4,1.).
Si vous décidiez de contester notre propriété, nous indiquons qu'en tout état de cause la société … aurait acquis par usucapion la propriété, sinon qu'elle serait bénéficiaire d'une servitude.
Nous sommes propriétaires de l'intégralité de notre parking et aucun trottoir n'appartient à votre Commune.
A toutes fins utiles, nous indiquons encore qu'en date du 11 août 1911, le collège des bourgmestre et échevins de la Commune d'Hollerich a délivré une autorisation au propriétaire de l'époque de l'immeuble sis au n° … afin de construire un trottoir.
5 Egalement, il n'y a jamais eu de reprise, de sorte que le trottoir est toujours la propriété de la société ….
Si la Commune d'Hollerich avait été propriétaire de la partie antérieure de l'immeuble sis au n° …, elle n'aurait bien entendu pas accordé d'autorisation de construire un trottoir, seul le propriétaire du terrain sur lequel ce trottoir devait être construit pouvait solliciter une telle autorisation.
En conséquence, vous n'êtes pas en droit d'affecter l'usage de notre propriété à des tiers.
De plus, les deux immeubles sis aux n° … et 69 disposent chacun d'un garage auquel l'accès ainsi que le stationnement devant doivent être préservés.
Nous nous permettons de vous rappeler que l'accès au garage doit être préservé.
Si par extraordinaire vous refusiez de nous considérer comme étant les propriétaires de ce parking, nous portons à votre attention que depuis plus de 30 ans des voitures y sont garées.
Il s'agirait soit d'une possession par usucapion, soit d'une servitude acquise par prescription.
Pour qu'il y ait usucapion, il faut au préalable être le possesseur du bien immobilier, et qu'un certain délai soit écoulé, en vertu de l'article 2219 du Code civil Ces conditions sont remplies.
Par application de l'article 690 du Code civil, sont seules susceptibles d'être acquises par prescription les servitudes qui sont à la fois continues et apparentes.
En l'espèce, il ne peut être contesté que tel est le cas.
Votre dossier renseigne même de vieilles photos datant au moins des années 1980 montrant la présence de voitures, D'ailleurs, le délai de 30 ans est parfaitement rempli alors que ce parking est utilisé comme tel depuis la construction de l'immeuble.
L'article 2235 du Code civil dispose d'ailleurs que «pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux ».
Partant, à notre possession, nous pouvons joindre celle des anciens propriétaires de l'immeuble.
Nous indiquons encore que, selon le service d'urbanisme de votre Commune, ces prétendues règles relatives à l'aménagement des marges de reculement antérieures n'existeraient que depuis le règlement sur les bâtisses de votre Commune dans sa version de 19… et qu'un délai de 3 ans aurait été accordé pour s'y mettre en conformité.
6 En date du 22 avril 2008, soit 38 ans après l'expiration de ce délai, une réclamation de votre part ne peut plus être recevable, alors qu'elle est manifestement tardive, le délai de prescription trentenaire de droit commun étant expiré.
En conclusion, nous vous saurions gré de bien vouloir faire le nécessaire afin que notre propriété et partant notre jouissance ne soit plus troublée avec effet immédiat.
Nous restons à votre disposition.
(Copie de la présente est adressée au service de circulation de votre Commune ainsi qu'aux services de la police grand-ducale.) Veuillez agréer, Monsieur le Bourgmestre, l'expression de nos sentiments très distingués ».
Le bourgmestre répondit comme suit à cette lettre par courrier du 10 octobre 2008 :
« Messieurs les Administrateurs, J'ai bien reçu votre courrier du 25 avril 2008 par lequel vous avez bien voulu me faire tenir vos observations quant à l'article 14 du règlement sur les bâtisses qui dispose que «dans les marges de reculement imposées antérieure et latérale l'aménagement de places de stationnement pour véhicules est interdit », ce texte ayant été porté à votre connaissance dans le cadre d'une campagne de sensibilisation menée par le service parking pour réagir contre le stationnement sur le trottoir.
Permettez-moi de répondre comme suit aux remarques formulées : ad «quant à l'absence de limites claires de propriété» Même si la limite entre la parcelle 309/4172 et le domaine public n'est pas documentée par un mesurage cadastral récent, il n'est pas juste de prétendre qu'il serait impossible de la définir avec précision.
En effet un mesurage cadastral du 17 février 1978 donne une première indication sur la position de cette limite en fixant une distance de 4,02 mètres entre la façade de la maison n° … et la limite de propriété. Le même mesurage renseigne sur la largeur de rue de 14,2 mètres.
On arrive donc à déterminer ainsi la limite sur rue au décimètre près, sans aucune autre recherche et sans aucun lever supplémentaires.
Cette définition de limite permet de conclure que les voitures stationnent en partie sur le domaine public (cf. photo aérienne redressée avec report de la limite, jointe en annexe).
Par ailleurs, en cas de désaccord entre deux propriétaires limitrophes, la fixation définitive et précise d'une limite contestée est de la compétence des tribunaux qui jugeront sur expertise d'un géomètre officiel.
ad «quant à l'absence de marge de reculement imposée» 7 Les conditions spéciales applicables au secteur protégé des vallées de la Pétrusse, de l'Alzette et du promontoire du Rham, arrêtées par le collège des bourgmestre et échevins en date du 25 mars 1998 en application des articles C.0.2 et C.5.4 de la partie écrite du plan d'aménagement général disposent dans leur article 11.8.1 que les marges de reculement antérieures doivent être maintenues ou rétablies sous forme de jardin d'agrément ; qu'elles sont à séparer du domaine public par un muret de pierre de la région pouvant être muni d'une grille s'inspirant des modèles d'origine.
Il est donc bien question de marges de reculement antérieures pour le secteur protégé des vallées de la Pétrusse, de l'Alzette et du promontoire du Rham.
Comme le traitement de la marge de reculement antérieure de vos immeubles ne correspond pas aux voeux de l'article 11.8.1 des conditions spéciales mentionnés ci-dessus, je vous prierais de bien vouloir envisager un réaménagement pour rehausser de cette manière la qualité architecturale et historique des immeubles.
En ce qui concerne l'applicabilité de l'article 14 du règlement sur les bâtisses, je vous prie de noter que cet article figure sous le chapitre « règles générales d'urbanisme ».
Sa formulation (dans les marges de reculement imposées antérieure et latérale l'aménagement de places de stationnement pour véhicules est interdit) est sans équivoque et je vous invite à bien vouloir le respecter.
ad «quant à notre propriété de toute la surface du parking» Comme expliqué ci-dessus (voir photo aérienne), il est manifeste que les voitures sont garées en partie sur le domaine public.
Pour réagir contre ce fait, vous évoquez la prescription acquisitive, qui, d'après vous, est suffisamment justifiée par la possession de l'objet et l'écoulement d'un certain délai.
Or, certaines conditions sont liées au critère de la possession, entre autres qu'elle doit être publique, continue et non équivoque. L'action de stationner des voitures sur une partie du domaine public n'est aucunement un acte public de possession. Il s'agit en plus d'un acte équivoque puisqu'il ne faut pas nécessairement être propriétaire du terrain pour y stationner sa voiture.
En effet, pour être possesseur au sens du Code Civil, il faut avoir fait des actes matériels sur la chose dénotant la qualité de propriétaire.
En dehors de cette qualité de possesseur, qui vous manque nettement, l'article 2226 du Code Civil dispose que l' «on ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce » Il est évident que le domaine public n'est pas dans le commerce.
Il y a encore lieu de préciser qu'il ne peut s'agir en l'occurrence d'une servitude continue. En analogie à un passage qui est utilisé régulièrement mais pas continuellement par des piétonniers, la place en question est aussi utilisée régulièrement mais pas de façon continue. Or la tolérance d'un tel passage par le propriétaire du fonds ne saurait jamais donner lieu à une prescription d'une servitude et il en est de même pour le stationnement en question.
8 Veuillez agréer… » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2009, la société … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision, ainsi qualifiée, prérelatée du 10 octobre 2008 prise par le bourgmestre de la Ville de Luxembourg.
La Ville de Luxembourg conclut principalement à l’incompétence du tribunal administratif pour connaître du recours en faisant valoir que le courrier déféré aurait pour objet d’exprimer la position de la Ville de Luxembourg au sujet des observations soulevées par la société … en relation notamment avec les limites de propriété et traduirait dès lors son interprétation de la partie écrite du règlement sur les bâtisses par rapport à une situation de fait déterminée sans pour autant constituer une décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux. Ce courrier du 10 octobre 2008 ne constituerait en effet que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur sa situation juridique, mais ne serait pas de nature à produire, par lui-même, des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de la société ….
La société … insiste de son côté que par son courrier du 10 octobre 2008 le bourgmestre aurait répondu non pas à de simples observations, mais à des contestations clairement formulées suivant courrier du 25 avril 2008 ; or le fait de prendre position par rapport à des contestations s’analyserait en tant que prise d’une décision administrative. En l’espèce le bourgmestre aurait concrètement pris la décision de maintenir sa décision selon laquelle, d’une part, l’article 14 de son règlement sur les bâtisses s’appliquerait aux immeubles en question et, d’autre part, que des véhicules stationneraient sur un trottoir qui appartiendrait au domaine public.
Conformément à l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif « le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements ».
Pour valoir décision administrative, un acte émanant d’une autorité administrative doit répondre à certaines conditions et s’analyser notamment en une manifestation de volonté ayant pour objet et pour effet de produire des effets de droit de nature à affecter l’ordonnancement juridique. Pour être susceptible de faire l’objet d’un recours, la décision administrative critiquée doit en outre être de nature à faire grief ; n’ont pas cette qualité de décision administrative faisant grief comme n’étant pas destinées à produire dans l’immédiat et par elles-mêmes des effets juridiques, les informations ou prises de position données par l’administration au sujet d’une situation de fait ou d’une question de droit déterminée, étant donné qu’une simple prise de position n’est pas de nature à affecter l’ordonnancement juridique, mais ne fait qu’expliciter un point de vue déterminé par rapport à une situation déterminée.
En l’espèce il se dégage certes du courrier ci-avant visé du 25 avril 2008 que la société … conteste l’opinion exprimée par les autorités communales moyennant un document apparemment apposé depuis le 22 avril 2008 sur toutes les voitures stationnées devant sa propriété, prétendant que ces voitures seraient stationnées sur le trottoir, en non-conformité avec l’article 14 du règlement sur les bâtisses. Il est encore constant que le bourgmestre, 9 suivant sa prise de position du 10 octobre 2008, explicite les différentes considérations qui l’amènent à une autre conclusion. Force est cependant de constater que le seul fait de répondre à des contestations formulées par rapport à un avis exprimé dans le cadre d’une campagne de sensibilisation n’est pas suffisant à lui seul pour conférer à la réponse fournie le caractère d’une décision administrative ; en l’espèce l’échange de courriers ci-avant relaté ne fait que véhiculer des opinions non-concordantes au sujet d’une situation de fait, en l’occurrence la limite exacte de la propriété de la demanderesse par rapport à la voie publique, ainsi que, d’un autre côté, la question d’ordre juridique consistant à déterminer si la partie de terrain concernée peut légalement être affectée à des fins de stationnement ou non.
Il se dégage encore des différents arguments échangés que la commune n’a manifesté à aucun moment l’intention de retirer un quelconque droit à la société demanderesse, mais que sa prise de position exprime ce qu’elle estime être la situation juridique existante. Le bourgmestre, en prenant position par rapport aux contestations de la demanderesse, n’a en effet ni prononcé une sanction à son égard, ni concrètement affecté sa situation juridique, mais n’a fait que mettre en garde la société demanderesse au sujet des suites qui risqueront, à son avis, d’être réservées aux voitures qui continueront à être stationnées à l’endroit litigieux, étant relevé par ailleurs que ce n’est pas le bourgmestre qui est investi de la compétence de sanctionner un stationnement illégal, mais que cette compétence appartient à d’autres autorités qui, en cas de contestations, devront s’en défendre.
Dans la mesure où les juridictions administratives n’ont compétence ni pour statuer en interprétation d’une question de droit détachée d’une décision administrative pour avoir trait, à ce stade, à une simple divergence de vues, ni pour faire cesser un éventuel trouble de jouissance ou encore pour fixer une limite de propriété, questions relevant quant à elles de la compétence des juridictions civiles, c’est partant à juste titre que la Ville de Luxembourg conclut en l’espèce à l’incompétence du tribunal pour connaître du présent litige.
Compte tenu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la société … tendant à se voir allouer une indemnité de procédure.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours ;
partant le rejette ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société demanderesse comme étant non fondée ;
condamne la société demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 septembre 2009 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, 10 Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29.9.2009 Le Greffier du Tribunal administratif