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24/09/2009 | LUXEMBOURG | N°25918

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 septembre 2009, 25918


Tribunal administratif Numéro 25918 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2009 2e chambre Audience publique du 24 septembre 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L. 5.05.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25918 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2009 par Maître Olivier Lang, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,...

Tribunal administratif Numéro 25918 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2009 2e chambre Audience publique du 24 septembre 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L. 5.05.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25918 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2009 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Madina (Gambie), de nationalité gambienne, demeurant à L-…, assisté, pour autant que de besoin, par son administratrice publique, Madame …, tendant 1) à l’annulation de la décision du 2 juillet 2009 par laquelle le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a décidé de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue à l’article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, 2) à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du même ministre portant la même date et lui refusant l’octroi d’une protection internationale et plus particulièrement le statut de protection subsidiaire et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 août 2009 ;

Vu l’ordonnance du 4 septembre 2009 par laquelle le président du tribunal administratif a autorisé Maître Olivier Lang à déposer son mémoire en réplique avant le vendredi 4 septembre 2009 à 17.00 heures ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 4 septembre 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2009 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang, assisté de Maître Nuria Zurita Peralta, et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 septembre 2009.

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Le 16 février 2009, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

L’intéressé étant un mineur non accompagné, une tutelle fut ouverte à son égard par une ordonnance du juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 20 mars 2009 pour la durée de son séjour au Luxembourg et Madame …, p.a. Croix Rouge Luxembourgeoise, Service Migrants et Réfugiés, L-1460 Luxembourg, 28-32 rue d’Eich, fut désignée administratrice publique.

Le 28 mai 2009, l’intéressé, assisté de son avocat et de son administratrice publique, fut entendu en ayant recours à un interprète, par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Cet entretien fut enregistré sur MiniDisc.

Par une décision du 2 juillet 2009, notifiée par courrier recommandé expédié le 6 juillet 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », rejeta la demande de protection internationale formulée par Monsieur … comme non fondée par application de la procédure accélérée prévue à l’article 20 de la loi du 5 mai 2006. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 16 février 2009.

En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » b) « il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » f) le demandeur n'a produit aucune information permettant d'établir, avec une certitude suffisante, son identité ou sa nationalité, ou s'il est probable que, de mauvaise foi, il a procédé à la destruction ou s'est défait de pièces d'identité ou de documents de voyage qui auraient aidé à établir son identité ou sa nationalité; » g) « le demandeur a fait des déclarations incohérentes, contradictoires, improbables ou insuffisantes au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » En mains le rapport de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 28 mai 2009.

Il résulte du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays le 12 février 2009. Vous précisez avoir voyagé en avion. Vous dites avoir été accompagné par un inconnu que vous auriez rencontré deux semaines avant votre départ. Celui-ci aurait organisé et payé le voyage. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 16 février 2009. Vous ne présentez aucune pièce d'identité.

Il résulte de vos déclarations transcrites dans le rapport de l'entretien du 28 mai 2009 que vous seriez recherché par les habitants des villages de Madina et de Kataba parce que vous auriez accidentellement brûlé leurs terrains ainsi que leur bétail en mars 2008. En effet, alors que vous auriez mis le feu près d'une ruche d'abeilles pour en récolter le miel, une branche enflammée serait tombée par terre et le feu se serait propagé sur les champs des fermiers. Vous craignez d'être arrêté pour les faits précités.

Votre mère vous aurait conseillé de quitter le pays et vous vous seriez réfugié chez votre oncle au Sénégal. Vous y seriez resté presque une année avant de partir vers l'Europe.

Vous ajoutez que vous auriez déjà été arrêté une fois par la police à cause d'une bagarre. Vous précisez y avoir subi des tortures physiques. Vous auriez été relâché deux jours après sans avoir été jugé. Vous n'auriez plus été ennuyé par la suite.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d'un parti politique.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est cependant de constater qu'à défaut de pièces, un demandeur d'asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les contradictions et invraisemblances dans les faits relatés. En premier lieu vous dites auprès de la Police Judiciaire que vous auriez rencontré l'homme qui vous aurait aidé à quitter le pays deux semaines avant de partir à Madina, c'est-à-dire dans votre village en Gambie, or durant l'entretien du 28 mai 2009 vous avez prétendu avoir quitté votre village immédiatement après l'incident évoqué en mars 2008 pour vous rendre au Sénégal sans revenir à Madina (p.10). De plus vous avez précisé lors de ce même entretien avoir rencontré cette personne dans un autre lieu au Sénégal (p.16). Ensuite, vous avez aussi prétendu auprès de la police avoir quitté votre pays d'origine en avion en date du 12 février 2009, alors que durant l'entretien vous affirmez être parti à partir du Sénégal pour venir en Belgique (p.15). Enfin relevons aussi qu'il est très improbable que vous n'auriez pas été contrôlé dans le train lorsque vous avez voyagé de Bruxelles au Luxembourg comme vous le prétendez pourtant (p.17). Toutes ces remarques laissent planer de sérieux doutes quant à la véracité de votre récit.

En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, votre demande de protection internationale est exclusivement basée sur des motifs relevant du droit commun ne répondant donc à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. En effet, la crainte que vous éprouvez à l'encontre des habitants du village en raison de dommages matériels que vous dites avoir causés ne saurait être qualifiée de crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu'aucun arrière-fond politique, ethnique ou religieux n'existe.

De plus, il ressort de vos déclarations que vous avez vécu au Sénégal durant près d'un an sans avoir rencontré de problèmes, de sorte que vous auriez pu vous installer définitivement dans ce pays. Sans oublier que vous ajoutez avoir un oncle là-bas, alors que vous n'avez aucune famille au Luxembourg. Des motifs économiques ou matériels sous-jacents semblent être à l'origine de votre venue en Europe.

Par ailleurs, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, votre crainte de représailles de la part des villageois ou d'être arrêté en raison de l'incendie que vous auriez causé ne justifie pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'elle n'établit pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, vous ne faites état d'aucun jugement ou condamnation à mort, il n'est de plus pas avéré que vous risquiez de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans votre pays d'origine, enfin aucun conflit armé ne sévit à l'heure actuelle en Gambie.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée le 22 juillet 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du 2 juillet 2009 par laquelle le ministre a décidé de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue à l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant la même date et lui refusant l’octroi d’une protection internationale, et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

Le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la Gambie et qu’étant l’enfant le plus âgé, il aurait aidé sa mère à subvenir aux besoins de la famille. L’une de ses activités aurait notamment consisté dans la récolte du miel dans les ruches d’abeilles accrochées aux arbres. Il explique qu’avec ses amis, il aurait eu l’habitude d’enfumer les abeilles afin de ne pas se faire piquer. Lors d’une telle entreprise en mars 2008, ils auraient accidentellement causé un incendie qui aurait ravagé la forêt et les champs, détruisant ainsi les récoltes et le bétail. Comme les habitants du village l’auraient vu s’enfuir de l’endroit où le feu avait pris naissance, sa mère lui aurait conseillé de s’enfuir chez son oncle au Sénégal à quelques kilomètres de l’autre côté de la frontière. Le demandeur souligne qu’il aurait non seulement eu peur des habitants de son village, mais également de la police en raison de mauvais traitements dont il aurait été victime une année auparavant. Il relate qu’il aurait été arrêté par trois policiers en raison du fait qu’il avait blessé un autre garçon au cours d’une bagarre. Il aurait été détenu durant deux jours au commissariat de police et frappé par les policiers avec un câble métallique. Il estime ainsi qu’il ne pourrait pas compter sur la protection de la police, d’autant plus que l’incendie qu’il avait causé serait beaucoup plus grave qu’une bagarre. Peu de temps après, son oncle lui aurait annoncé que la situation serait trop dangereuse, étant donné qu’il serait recherché par la police et qu’il pourrait facilement être retrouvé par les habitants de son village au vu de la faible distance qui le séparait de son village d’origine de l’autre côté de la frontière. Il se serait alors rendu plus à l’intérieur du Sénégal où il serait resté environ un an avant qu’un homme blanc ne l’aide à gagner la Belgique par avion, d’où il serait ensuite parti en train pour le Luxembourg et où il a introduit sa demande de protection internationale.

Le demandeur explique qu’à son arrivée au Luxembourg, il n’aurait été âgé que de 16 ans et il n’aurait parlé que quelques mots d’anglais. Ce serait la raison pour laquelle, auprès du service des réfugiés, il n’aurait rempli la fiche de données personnelles qu’en partie. Il aurait été interrogé en anglais par un officier de police judiciaire, sans la présence d’un tuteur ou d’un avocat, et ses réponses auraient été consignées en allemand, sans qu’il ait pu relire le procès-verbal afférent.

1. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue à l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 Le demandeur conclut tout d’abord à la recevabilité de son recours. Il soutient que malgré le fait que l’article 20 (5) de la loi du 5 mai 2006 exclut la possibilité d’introduire un recours contre la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée, son recours devrait néanmoins être déclaré recevable au motif que cette absence de recours serait contraire à l'article 2, paragraphes 1 et 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif.

Il considère que les motifs ayant amené le ministre à recourir à la procédure accélérée bénéficieraient ainsi d’une présomption irréfragable de légalité, vu que la décision du ministre serait inattaquable.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité de ce recours en annulation en se fondant, d’une part, sur la disposition de l’article 20 (5) de la loi du 5 mai 2006 interdisant de manière explicite tout recours contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée et, d’autre part, sur un arrêt de la Cour administrative ayant déjà eu à connaître de cette question.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur ce que le Conseil d’Etat, lors des travaux parlementaires relatifs à la loi du 5 mai 2006, se serait formellement opposé à l’article 20 (5) pour être en contradiction avec l’article 2, paragraphes 1 et 2 de la « loi organique » du 7 novembre 1996, précitée. Il souligne le fait que le Conseil d’Etat aurait qualifié la prédite loi du 7 novembre 1996 de loi organique qui aurait donc une force juridique supérieure à celle d’une loi ordinaire, de sorte que la loi du 7 novembre 1996 devrait prévaloir sur la loi du 5 mai 2006.

Aux termes de l’article 20 (5) de la loi du 5 mai 2006, « la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée n’est susceptible d’aucun recours ».

Le demandeur soutient que cette disposition serait contraire à l’article 2 de la loi précitée du 7 novembre 1996, article libellé comme suit : « (1) Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. (2) (…) Le recours au tribunal administratif prévu au présent article est admis même contre les décisions qualifiées par les lois ou règlements de définitives ou en dernier ressort. » S’il est vrai que l’article 2 précité consacre le principe qu’un recours en annulation est ouvert contre les décisions administratives même en l’absence d’un texte prévoyant un tel recours, il n’en demeure pas moins que le législateur, dans le cadre de la loi du 5 mai 2006, a exprimé formellement, en termes exprès, sa volonté d’exclure tout recours contre la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée.

D’autre part, force est de constater que la loi du 5 mai 2006 constitue par rapport à la loi précitée du 7 novembre 1996, à la fois une loi postérieure et, de par son objet, une loi spéciale aux demandes de protection internationale. Or, en cas de conflit entre le contenu d’une loi spéciale postérieure et celui d’une loi générale antérieure, il appartient au juge, conformément aux deux principes lex specialis derogat legi generali et lex posterior derogat legi priori, d’appliquer en priorité la loi spéciale postérieure, à savoir en l’espèce la loi du 5 mai 2006, et en particulier son article 20 (5) qui écarte toute possibilité de recours contre la décision du ministre de soumettre un demandeur de protection internationale à une procédure accélérée.

Il s’ensuit, en application de ce texte, que le recours en annulation introduit par le demandeur contre la décision du ministre de statuer par rapport à la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée est à déclarer irrecevable.

Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par le demandeur aux travaux préparatoires relatifs à la loi du 5 mai 2006 et notamment à l’avis émis par le Conseil d’Etat dans le cadre de ces travaux, ainsi qu’aux critiques soulevées par la Commission consultative des Droits de l’Homme. En effet, si l’article 20 (5) de la loi du 5 mai 2006 exclut tout recours à l’encontre de la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, impliquant par voie de conséquence que les motifs à la base de la décision du ministre, c’est-à-dire les cas de figure énoncés à l’article 20 (1) sous les lettres a) à m), sont soustraits à tout contrôle juridictionnel, cette absence de recours ne porte cependant pas à conséquence, étant donné que la décision du ministre a uniquement pour objet d’accélérer la procédure. En effet, la seule différence entre la procédure normale et la procédure accélérée réside non pas dans l’appréciation du dossier, mais dans la vitesse selon laquelle les dossiers de demande sont traités.

Contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, la décision en elle-même d’accélérer la procédure ne préjuge pas déjà de la décision quant au fond de la demande, étant donné que le ministre analyse le bien-fondé de la demande de protection internationale, tant par rapport aux dispositions de la Convention de Genève, que par rapport aux dispositions de la loi du 5 mai 2006.

2. Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre ce volet de la décision ministérielle déférée. Le recours subsidiaire en annulation est partant à déclarer irrecevable.

Le demandeur a expressément limité l’objet de son recours au volet de la décision refusant de lui accorder une protection subsidiaire.

L’objet de la demande consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, est celui qui est circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, il y a lieu de retenir, au vu du libellé du dispositif, que le recours tend – en ce qui concerne la décision portant refus d’une protection internationale – uniquement à obtenir la protection subsidiaire et non le statut de réfugié.

Le tribunal retient dès lors que le recours sous analyse porte sur le seul volet « protection subsidiaire ».

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable dans cette mesure.

A l’appui de ce recours, le demandeur soutient tout d’abord que la décision devrait être annulée en conséquence de l’annulation de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée. Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours contre cette décision du ministre est irrecevable, ce moyen du demandeur est à écarter.

Le demandeur conclut ensuite à l’annulation de la décision déférée pour violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes. Le mandataire du demandeur soutient ainsi que malgré ses demandes formelles, il n’aurait pas reçu communication intégrale du dossier administratif et plus particulièrement du rapport d’entretien et du CD contenant l’enregistrement de l’audition de son mandant avant la prise de la décision litigieuse, de sorte qu’il ne lui aurait pas été possible de prendre position par rapport à ces pièces avant que le ministre ne prenne sa décision. Il affirme encore, en versant une attestation testimoniale d’une collaboratrice de son étude à l’appui de ses affirmations, que si le rapport de l’audition lui aurait été finalement envoyé le 14 juillet 2009, il n’aurait toutefois pas reçu le CD, malgré les affirmations en sens contraire du délégué du gouvernement. Le demandeur conclut également à l’annulation de la décision déférée, au motif que le rapport de l’audition ne serait pas signé par lui.

Le délégué du gouvernement rétorque que le dossier administratif aurait été envoyé au mandataire du demandeur une première fois le 1er avril 2009 et ensuite le 14 juillet 2009. Il verse deux attestations testimoniales rédigées par des agents du ministère des Affaires étrangères, selon lesquelles le CD aurait fait partie du dossier qui aurait été communiqué au défenseur. Quant à l’absence de signature du rapport de l’audition, le représentant étatique fait valoir que dans la mesure où l’audition, avec l’accord du demandeur, aurait été enregistrée, il n’y aurait pas eu nécessité de lui soumettre le rapport de l’audition pour signature.

Le demandeur soutient en substance que la décision déférée devrait être annulée au motif qu’il n’aurait pas reçu communication du rapport de l’audition et du CD contenant l’enregistrement de l’audition avant la prise de la décision litigieuse, de sorte qu’il n’aurait pas pu contrôler l’exactitude de la retranscription, ni prendre position sur son contenu, ni soumettre éventuellement des précisions au ministre qui auraient pu influer sur la prise de la décision critiquée.

Aux termes de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, « tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être ».

Le tribunal est tout d’abord amené à constater que les parties sont en désaccord en ce qui concerne la date exacte à laquelle il y a eu communication du dossier administratif au mandataire du demandeur et en ce qui concerne l’envoi ou non d’une copie intégrale du dossier.

Abstraction faite de toutes autres considérations, force est constater que le mandataire du demandeur a reconnu avoir obtenu communication du dossier administratif y compris le rapport de l’audition, une semaine avant le dépôt de la requête introductive d’instance. D’autre part, en ce qui concerne la communication du CD contenant l’enregistrement audio de l’audition, il n’est pas clairement établi en l’espèce, au vu des attestations testimoniales contradictoires produites en cause, s’il y a eu communication de cette pièce et si oui, à quelle date cette communication a eu lieu, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que c’est au plus tard à la date du 4 septembre 2009 que le mandataire du demandeur a reçu une copie de l’enregistrement en question par les soins du greffe du tribunal administratif. Dans la mesure toutefois où le mandataire du demandeur a confirmé lors des plaidoiries à l’audience que le rapport de l’audition constitue une transcription fidèle de l’enregistrement de l’audition de son mandant, il y a lieu de retenir que le demandeur, même s’il avait été en possession de cette pièce avant l’introduction de son recours, voire avant la prise de la décision litigieuse, n’aurait pas été en mesure d’apporter des éléments qui auraient pu influer sur la décision du ministre, de sorte qu’il n’y a pas eu violation des droits de la défense. Le moyen afférent est partant à rejeter comme non fondé.

En ce qui concerne le défaut de signature du rapport de l’audition par le demandeur, indépendamment de la question de savoir si cette absence est de nature à influer sur la légalité de la décision litigieuse, il convient de relever que le mandataire du demandeur n’a pas critiqué la transcription de l’enregistrement de l’audition, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Dans ce contexte, il convient encore de toiser la demande formulée par le mandataire du demandeur tendant à la suppression d’écrits contenus dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement. Il estime que le passage à la page 2 du mémoire en réponse commençant par les mots « Force est d’en conclure que » et finissant par « quant à la communication du dossier » présenterait un caractère calomnieux, de sorte qu’il y aurait lieu d’en ordonner la suppression, tout en sollicitant la publication du jugement par affichage dans les locaux du service des réfugiés du ministère des Affaires étrangères.

Le délégué du gouvernement conteste que le passage incriminé de son mémoire en réponse puisse être qualifié de calomnieux, en affirmant au contraire que le gouvernement ne ferait que défendre le bien-fondé de sa décision.

En vertu de l’article 31 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal peut, suivant la gravité des circonstances, dans les causes dont il est saisi, prononcer, même d'office, la suppression d’écrits calomnieux et ordonner l'impression et l'affiche de ses jugements.

Au vu des circonstances de la cause, le tribunal est amené à retenir que le passage incriminé du mémoire en réponse du délégué du gouvernement dépasse le cadre d'une défense normale et légitime des intérêts de la partie publique et porte atteinte à l’honneur et à la réputation professionnelle de Maître Lang. Dans la mesure toutefois où les affirmations y contenues sont présentées sous forme d’une alternative, il n’y a pas lieu d’analyser leur caractère éventuellement calomnieux. Il y a partant lieu de faire droit à la demande de l’avocat du demandeur et d’ordonner la suppression du passage commençant par les mots « Force est d’en conclure » et finissant par « quant à la communication du dossier ». Dans la mesure où la suppression du passage litigieux donne une satisfaction suffisante au défenseur, la demande tendant à voir ordonner la publication du présent jugement par affichage dans les locaux du service des réfugiés de la direction de l’immigration du ministère des Affaires étrangères est à rejeter.

Quant au fond, le demandeur soutient qu’il remplirait les conditions pour se voir octroyer le statut de la protection subsidiaire. Il fait valoir que dans la mesure où il aurait déjà fait l’objet de violences policières lors de son arrestation, alors qu’il n’était âgé que de 14 ans, violences qu’il qualifie de tortures au vu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, il courrait un risque réel et avéré de subir des tortures, sinon des traitements inhumains ou dégradants, s’il venait à être renvoyé dans son pays. Il soutient par ailleurs qu’il craindrait non seulement de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 de la part de la police gambienne, mais également de la part des habitants de sa région, qui subiraient encore actuellement les conséquences de l’incendie. En se référant aux articles 28 c) et 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, il affirme qu’il ne pourrait pas se prévaloir de la protection des autorités gambiennes.

Le demandeur critique ensuite la motivation de la décision déférée et notamment le fait que le ministre a mis en doute la crédibilité de son récit, sur la base de prétendues contradictions et invraisemblances dans son récit. Il soutient dans ce contexte que le procès-verbal de la police ne lui serait pas opposable, au motif que l’interrogatoire de la police aurait eu lieu en anglais, une langue qu’il ne maîtriserait pas suffisamment, sans la présence d’un interprète, d’un tuteur ou d’un avocat et au motif que le procès-verbal une fois rédigé ne lui aurait pas été traduit en anglais.

Pour les mêmes motifs que ceux ci-dessus exposés relatifs à la non-

communication intégrale du dossier administratif, le demandeur estime que le rapport d’entretien du 28 mai 2009 ne lui serait pas opposable. En ordre subsidiaire, il fait valoir que le récit de son voyage tel que relaté dans le rapport d’entretien serait conforme à la réalité.

En se basant sur les articles 9 (3), 9 (6), 18 a), 26 (3) a), b), et c) de la loi du 5 mai 2006, le demandeur soutient qu’il incomberait à la personne chargée de mener l’entretien de poser les questions pertinentes et qu’il lui appartiendrait pareillement, en cas de déclarations contradictoires ou invraisemblables sur certains points, de poser des questions supplémentaires avant de déclarer le récit incrédible. Il reproche ainsi à l’agent en charge de l’entretien de ne pas l’avoir rendu attentif sur les contradictions et de ne pas lui avoir posé plus de questions sur les violences policières dont il aurait été victime.

Le demandeur critique également le ministre de ne pas avoir fait une application correcte de l’article 30 de la loi du 5 mai 2006. Il reproche ainsi au ministre d’avoir évoqué une possibilité d’installation au Sénégal et conteste l’existence d’une possibilité de fuite interne, dès lors qu’il serait recherché par les autorités de son pays d’origine. Il conteste encore que le Sénégal puisse être qualifié de premier pays d’asile ou de pays tiers sûr au sens de l’article 16 de la loi du 5 mai 2006.

Il réfute ensuite tout reproche quant à des considérations économiques qui auraient motivé sa fuite comme non sérieux et purement gratuit.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Il insiste sur le fait que même si la demande avait été traitée dans le cadre de la procédure accélérée, cela n’exclurait pas un examen quant au fond de la demande.

Concernant l’entretien et la façon dont il a été mené par l’agent, le représentant étatique souligne que dans la mesure où le demandeur avait confirmé que le motif de sa fuite était constitué exclusivement par l’incendie qu’il aurait causé, et non pas par les violences policières dont il aurait été victime à une époque antérieure, l’agent n’aurait pas eu besoin d’approfondir ce volet du récit du demandeur. Il souligne par ailleurs que les rapports internationaux sur la Gambie feraient uniquement mention de persécutions de la part des autorités à l’encontre d’opposants politiques ou de journalistes, parmi lesquels le demandeur ne pourrait pas être compté.

Aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En ce qui concerne tout d’abord la crédibilité du récit du demandeur, force est de constater que s’il est vrai que dans sa décision, le ministre émet des doutes quant à la véracité du récit du demandeur en raison de contradictions et invraisemblances dans les faits relatés, ces contradictions résultent en fait d’une comparaison entre les propos tenus par le demandeur devant l’officier de police judiciaire et ses déclarations devant l’agent du ministère des Affaires étrangères.

L’article 8 de la loi du 5 mai 2006 prévoit que le service de police judiciaire procède à toute vérification nécessaire à l’établissement de l’identité et de l’itinéraire de voyage du demandeur et à cet effet procède à une audition. Il procède également à la prise d’empreintes digitales du demandeur et d’une photographie et il dresse ensuite un rapport. Contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, il n’existe cependant aucune disposition légale ou réglementaire qui obligerait l’officier de police judiciaire à donner lecture de ce rapport au demandeur de protection internationale, ni à rédiger le rapport dans une langue compréhensible pour le demandeur, étant donné que celui-ci n’est pas le destinataire du rapport, mais le ministre. Il s’ensuit que les reproches afférents du demandeur à l’égard du rapport de l’officier de police judiciaire sont à rejeter comme non fondés.

Ceci étant, le tribunal est amené à conclure, au vu des contestations du demandeur quant aux déclarations consignées dans le rapport de police du 16 février 2009 et au vu de ce que ces contradictions ont trait exclusivement aux circonstances ayant entouré le départ et l’itinéraire de voyage du demandeur pour venir au Luxembourg, qu’elles ne sont ni suffisamment établies, ni suffisamment déterminantes pour hypothéquer la crédibilité de l’ensemble du récit du demandeur.

Concernant les critiques élevées par le demandeur à l’encontre de la façon dont s’est déroulée son audition, et notamment sur le fait que l’agent en charge de l’entretien ne lui a pas posé des questions supplémentaires sur les points jugés contradictoires, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé que ce n’est qu’une fois le rapport de l’audition rédigé et en le comparant avec le rapport du service de police judiciaire que des incohérences ou contradictions peuvent apparaître, de sorte qu’aucun reproche ne saurait être adressé à l’agent du ministère de ne pas avoir posé des questions supplémentaires au demandeur afin de tenter de tirer au clair ces incohérences. Quant au reproche à l’adresse de l’agent de ne pas avoir approfondi la partie du récit ayant trait aux violences policières dont le demandeur aurait été victime, force est de constater, d’une part, qu’il ne se dégage pas du rapport d’entretien que le demandeur n’ait pas pu relater ce qui s’était passé au commissariat de police et, d’autre part, dans la mesure où le demandeur a déclaré que sa demande était motivée par le fait d’avoir provoqué un incendie et non pas par cette arrestation, l’agent n’avait pas besoin de développer cet aspect du récit. Il s’y ajoute que la description de l’incident au poste de police apportée dans le cadre du présent recours n’apporte pas d’éléments fondamentalement nouveaux, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Quant aux critiques adressées par le demandeur à l’encontre du rapport de l’audition, et notamment au fait que le rapport de l’audition ne lui aurait pas été soumis pour signature, il convient de relever que le mandataire du demandeur a confirmé lors des plaidoiries à l’audience que le rapport de l’audition constituait une transcription fidèle de l’enregistrement de l’audition du 28 mai 2009, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que le demandeur ne conteste plus actuellement le contenu de ce rapport. D’autre part, étant donné que l’article 9 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit que le refus d’un demandeur de signer le rapport de son audition n’empêche pas le ministre de se prononcer sur sa demande, implique nécessairement que le défaut de lui soumettre pour signature ledit rapport ne saurait en aucun cas constituer une cause d’annulation de la décision.

En ce qui concerne la qualité de la traduction faite par l’interprète présent lors de l’audition, s’il est vrai que l’interprète a eu des difficultés certaines à traduire les propos du demandeur en langue allemande, il n’en demeure pas moins que ces difficultés ne sont pas de nature à porter à conséquence en l’espèce, étant donné que les faits et motifs à la base de la demande de protection internationale, tels qu’exposés dans le cadre du présent recours, sont en substance les mêmes que ceux qui se dégagent du rapport de l’audition et par rapport auxquels le ministre a pris position dans la décision litigieuse.

Quant au fond, les faits mis en avant par le demandeur consistent en substance dans sa crainte de faire l’objet de représailles de la part des habitants de sa région du fait d’avoir causé un incendie qui a détruit leurs récoltes. Il estime par ailleurs qu’il ne pourrait pas se prévaloir de la protection de ses autorités nationales au vu de ce qu’il aurait déjà été victime de brutalités policières.

Force est de constater que le risque allégué par le demandeur de subir des atteintes graves de la part des habitants de sa région n’est pas suffisamment caractérisé, étant donné qu’il n’est étayé par aucun élément concret, les craintes du demandeur reposant sur de simples suppositions que les victimes de l’incendie seraient toujours à sa recherche.

Or, un simple risque n’est pas suffisant au sens de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006 qui exige l’existence d’un risque réel pour pouvoir obtenir le bénéfice d’une protection subsidiaire. D’autre part, il convient de relever le caractère local de ce risque et que rien n’indique que le demandeur ne pourrait pas s’installer dans une autre région de son pays d’origine pour ainsi échapper à d’éventuelles vengeances de la part des habitants de son village d’origine.

Quant à la crainte exprimée par le demandeur face aux autorités de son pays d’origine, le tribunal est amené à retenir qu’il n’y a pas de motifs sérieux et avérés que le demandeur court un risque réel d’être victime d’atteintes graves au sens de l’article 37 précité de la part des autorités. En effet, le demandeur reste en défaut d’établir qu’il est actuellement recherché par les autorités gambiennes ou que des poursuites aient été entamées ou qu’un jugement ait été prononcé à son encontre du fait d’avoir provoqué accidentellement un incendie.

Et même à supposer que le demandeur vient à être arrêté par les autorités en cas de retour dans son pays d’origine, l’argumentation du demandeur selon laquelle le fait qu’il aurait déjà été victime de tortures aux mains des policiers constituerait un indice sérieux qu’il risquerait à nouveau d’être exposé à des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine au sens de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 est à rejeter, étant donné que cet incident, aussi condamnable qu’il soit, constituant un fait isolé survenu une année avant l’incident ayant motivé la fuite du demandeur et dans un tout autre contexte, de sorte qu’il y a de bonnes raisons de croire que ces faits ne se reproduiront pas. S’il est vrai que le rapport intitulé « 2008 Human Rights Reports: The Gambia » du Département d’Etat des Etats Unis, publié sur Internet, invoqué par le demandeur, fait certes état de violations des droits de l’homme commises par les forces de sécurité gambiennes, telles qu’arrestations et détentions arbitraires, tortures, passages à tabac etc., la plupart de ces exactions ont été commises dans la suite du coup d’Etat de 2006 et étaient motivées par des considérations politiques. Si, d’après ce même rapport, des violences policières ont également été commises contre de simples particuliers, le risque que le demandeur encourt le même sort n’est pas suffisamment réel.

Il suit de ce qui précède que les éléments mis en avant par le demandeur sont insuffisants pour établir dans son chef un risque réel de subir à l’heure actuelle l’une des atteintes graves visées à l’article 37 et qu’en conséquence c’est à juste titre que le ministre a conclu, dans la décision critiquée, que le demandeur ne court pas, en cas de retour en Gambie, un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de protection subsidiaire, conformément aux termes des articles 2 e) et 37 de la loi du 5 mai 2006.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la décision déférée du 2 juillet 2009.

Le recours en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre prise dans le cadre de la procédure accélérée vaut ordre de quitter le territoire.

A l’appui de ce recours, le demandeur soutient que dans la mesure où la décision portant refus d’une protection subsidiaire encourrait l’annulation respectivement la réformation, il y aurait également lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire qui en constituerait le corollaire.

En ordre subsidiaire, il conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le demandeur estime en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006. Il considère que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas faire valablement état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. Il fait valoir qu’il aurait établi la réalité de ce risque grâce à un faisceau d’indices constitué par les violences policières dont il aurait déjà été victime.

Enfin, il soutient que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, combiné à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de ladite Convention.

Le demandeur soutient en dernier lieu que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif que le ministre ne lui aurait laissé aucun délai pour quitter volontairement le pays et il n’aurait pas désigné le pays de renvoi, et ce en violation des dispositions de l’article 111 (1) de la loi précitée du 29 août 2008.

Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder au demandeur un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.

Il résulte clairement des termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006 que l’ordre de quitter le territoire constitue une conséquence automatique de la décision de refus de protection internationale. Il s’ensuit que dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre un ordre de quitter le territoire pris en vertu des dispositions de la loi du 5 mai 2006, la légalité d’un tel ordre ne peut être attaquée que pour un vice qui lui est propre, et non pas pour tenir indirectement en échec le refus de protection internationale.

En ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, combiné à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, il convient de retenir que ce moyen est inopérant dans le cadre d’un recours dirigé contre un ordre de quitter le territoire pris en exécution d’une décision de refus de protection internationale sur la base de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, dont il ne constitue que la conséquence automatique et légale. En effet, dans la mesure où un tel ordre de quitter le territoire est dépourvu de force exécutoire, ce n’est qu’à un stade ultérieur de la procédure, lorsqu’une mesure d’éloignement aura été prise à l’égard du demandeur de protection internationale débouté qui s’est maintenu sur le territoire nonobstant l’obligation de quitter le territoire, et qui fixera notamment le pays de renvoi et le délai pour quitter le pays, que ces dispositions pourront, le cas échéant, être invoquées utilement à l’appui d’un recours dirigé contre la décision d’éloignement. Dans le cadre du présent recours, ces dispositions sont dénuées de pertinence, d’autant plus que le pays de destination du demandeur n’est même pas fixé.

Quant au moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 111 de la loi du 29 août 2008, force est de constater que cette disposition ne s’applique pas à un ordre de quitter le territoire pris sur la base de la loi du 5 mai 2006. En effet, l’article 111 vise les décisions de refus de séjour prises en vertu de l’article 109 de la même loi, qui se réfère à son tour aux décisions de refus visées aux articles 25 et 27 et aux articles 100, 101 et 102 de ladite loi. Etant donné que l’ordre de quitter le territoire pris en vertu de la loi du 5 mai 2006 ne constitue pas une décision de refus de séjour, telle que visée par l’article 109 de la loi du 29 août 2008, le moyen est à rejeter comme non fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

déclare irrecevable le recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle datée du 2 juillet 2009 décidant de soumettre le demandeur à une procédure accélérée ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 2 juillet 2009 dans la mesure où celle-ci a refusé au demandeur le bénéfice d’une protection subsidiaire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation introduit contre cette même décision ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

ordonne la suppression du passage ci-dessus mentionné du mémoire en réponse du délégué du gouvernement du 21 août 2009 ;

rejette la demande de publication du présent jugement par affichage dans les locaux du service des réfugiés ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 24 septembre 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

s. Claude Legille s. Carlo Schockweiler 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 25918
Date de la décision : 24/09/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-09-24;25918 ?

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