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26/08/2009 | LUXEMBOURG | N°23551

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 août 2009, 23551


Tribunal administratif Numéro 23551 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2007 2e chambre Audience publique du 26 août 2009 Recours formé par les sociétés … et …, … contre deux décisions de la Commission de surveillance du secteur financier en matière d’offres publiques d’acquisition

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23551 du rôle et déposée le 18 octobre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc Thewes, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société de droit de...

Tribunal administratif Numéro 23551 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2007 2e chambre Audience publique du 26 août 2009 Recours formé par les sociétés … et …, … contre deux décisions de la Commission de surveillance du secteur financier en matière d’offres publiques d’acquisition

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23551 du rôle et déposée le 18 octobre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société de droit des … …, établie et ayant son siège social à …, …, …, représentée par son « … », et au nom de la société de droit des … …, établie et ayant son siège social à …, …, …, inscrite au registre de commerce sous le numéro …, représentée par son « … », tendant à l’annulation d’une décision prise par la Commission de surveillance du secteur financier le 2 mars 2007 par laquelle l’actionnaire de contrôle de « … » s’est vu accorder une dérogation par rapport à l’obligation figurant à l’article 5 (1) de la loi du 19 mai 2006 portant transposition de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition et portant plus particulièrement sur l’obligation de lancer une offre publique d’acquisition sur les actions d’…, et de la décision confirmative du 10 mai 2007 émise par la Commission de surveillance du secteur financier à la suite de la soumission lui faite par le mandataire de l’actionnaire de contrôle de « … », en date du 26 avril 2007, d’éléments nouveaux quant à une nouvelle structure de fusion envisagée ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou Thill, demeurant à Luxembourg, du 19 novembre 2007, par lequel la requête introductive d’instance a été signifiée à la Commission de surveillance du secteur financier, établissement public établi et ayant son siège social à L-2991 Luxembourg, 110, route d’Arlon, à la société anonyme …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …., représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à …, en sa qualité également de successeur aux droits et obligations de la société de droit néerlandais … …, à la société anonyme …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à …, à Monsieur …, demeurant à … (Royaume-Uni), …, à Madame …., épouse de Monsieur …, demeurant à …, à la société de droit espagnol …, …., établie et ayant son siège social à … (…), …, et à la société à responsabilité limitée …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à … ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 23 novembre 2007 par laquelle Maître Philippe Dupont, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a déclaré se constituer pour l’établissement public Commission de surveillance du secteur financier, préqualifié ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2008 par laquelle Maître Alex Schmitt, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a déclaré se constituer pour Monsieur …., Madame …, la société de droit espagnol … et la société à responsabilité limitée …, tous préqualifiés ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2008 par Maître Philippe Hoss, assisté de Maître Léon Gloden, tous les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … (anciennement … S.A.), préqualifiée, déclarant agir en son nom et en qualité de société absorbante aux termes d’un acte de fusion du 5 novembre 2007 d’… S.A. (anciennement … S.A.), ayant été établie et ayant eu son siège social à … et ayant été inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, successeur légal de … …, en tant que société absorbée, ledit mémoire en réponse ayant été notifié en date du 17 janvier 2008 par acte d’avocat à avocat aux mandataires de la Commission de surveillance du secteur financier et de Monsieur …, de Madame …, de la société de droit espagnol … et de la société à responsabilité limitée …, ainsi que par exploit de l’huissier de justice Pierre Biel, demeurant à Luxembourg, du 18 janvier 2008, aux sociétés de droit des … … et …, préqualifiées, en leur domicile élu ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2008 par Maître Alex Schmitt au nom de Monsieur …, de Madame …, de la société de droit espagnol … et de la société à responsabilité limitée …, tous préqualifiés, ledit mémoire en réponse ayant été signifié par exploit de l’huissier de justice Pierre Biel, préqualifié, du 18 janvier 2008, aux mandataires des autres parties à l’instance ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 19 février 2008 par Maître Philippe Dupont au nom de l’établissement public Commission de surveillance du secteur financier, préqualifié, ledit mémoire en réponse ayant été notifié le même jour par acte d’avocat à avocat aux mandataires des autres parties à l’instance ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mars 2008 par Maître Marc Thewes, au nom des sociétés de droit des … … et …, ledit mémoire en réplique ayant été signifié par exploit de l’huissier de justice Jean-Lou Thill, préqualifié, du 25 mars 2008, à la Commission de surveillance du secteur financier, ainsi qu’à Maîtres Philippe Hoss et Alex Schmitt ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2008 par Maître Philippe Dupont au nom de l’établissement public Commission de surveillance du secteur financier, préqualifié, ledit mémoire en duplique ayant été notifié par voie d’acte d’avocat à avocat du même jour aux mandataires des autres parties à l’instance ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2008 par Maître Alex Schmitt au nom de Monsieur …, de Madame …, de la société de droit espagnol … et de la société à responsabilité limitée …, tous préqualifiés, ledit mémoire en duplique ayant été signifié par exploit de l’huissier de justice Pierre Biel, préqualifié, du 23 avril 2008 aux mandataires des autres parties à l’instance ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2008 par Maître Philippe Hoss, assisté de Maître Léon Gloden, au nom de la société anonyme … S.A., préqualifiée, ledit mémoire en duplique ayant été signifié par exploit de l’huissier de justice Pierre Biel, préqualifié, du 24 avril 2008, au mandataire des sociétés de droit des … … et … et notifié par voie d’acte d’avocat à avocat du 24 avril 2008 aux mandataires des deux autres parties à l’instance ;

Vu le mémoire qualifié de « mémoire supplémentaire », déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2008 par Maître Marc Thewes au nom des sociétés de droit des … … et …, préqualifiées, ledit mémoire ayant été notifié par voie d’acte d’avocat à avocat en date du 19 mai 2008 aux mandataires des autres parties à l’instance ;

Vu le mémoire qualifié de « mémoire supplémentaire », déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2008 par Maître Philippe Dupont au nom de l’établissement public Commission de surveillance du secteur financier, ledit mémoire ayant été notifié par voie d’acte d’avocat à avocat du même jour aux mandataires des autres parties à l’instance ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes attaqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Marc Thewes, Philippe Dupont, Alex Schmitt et Philippe Hoss en leurs plaidoiries respectives.

Par courrier de leur mandataire du 10 novembre 2006, les sociétés … …, … S.A. et l’actionnaire de contrôle de … (défini comme étant Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant directement ainsi que par l’intermédiaire de la société à responsabilité limitée … … et de la société …), sollicitèrent de la part de la Commission de surveillance du secteur financier, conformément au pouvoir accordé à cette dernière sur base de l’article 4, paragraphe (5) de la loi du 19 mai 2006 portant transposition de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition, ci-après dénommée la « loi du 19 mai 2006 », une dérogation par rapport aux obligations figurant à l’article 5 de ladite loi dans le cadre de l’offre publique d’acquisition des titres d’… S.A., dénommée ci-après « … », dans les conditions plus amplement décrites dans le courrier en question. Ainsi, il ressort dudit courrier qu’à la date de celui-ci, … détenait 93,88 % des titres d’… disposant du droit de vote et que l’actionnaire de contrôle de … détenait 44,79 % des titres de … disposant du droit de vote.

Les parties ont encore déclaré dans ledit courrier que conformément aux intentions exprimées par … et …, il était prévu de fusionner … avec …, de sorte à ce qu’… soit la société « survivante », continuant à être enregistrée et domiciliée à Luxembourg, ladite opération devant partant s’effectuer suivant une procédure de fusion par absorption. D’après les parties, une des conséquences de cette fusion par absorption consisterait notamment dans le fait que l’actionnaire de contrôle de … recevrait en remplacement de sa participation détenue dans … des actions d’…, lesdites actions disposant d’un droit de vote dépassant 33 ⅓ % de l’intégralité des actions d’… disposant du droit de vote. Les parties ont toutefois exprimé l’avis que cette situation ne devrait pas déclencher la procédure prévue par l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 19 mai 2006, au motif que cette opération de fusion n’aurait pas pour conséquence une modification du contrôle d’… qui restera, comme cela aurait déjà été le cas avant la réalisation de ladite opération de fusion, entre les mains de l’actionnaire de contrôle de …, le seul changement consistant dans le fait que l’actionnaire de contrôle de … détiendrait, avant la réalisation de ladite opération de fusion, le contrôle indirect d’…, alors qu’à la suite de ladite opération de fusion, il en viendrait à détenir le contrôle direct. De l’avis des parties au courrier précité, la dérogation aurait également dû être accordée du fait que l’opération de fusion ainsi envisagée ne constituerait pas une acquisition de titres au sens de la loi du 19 mai 2006. Il s’ensuivrait qu’en raison de ce défaut d’acquisition de titres, l’article 5, paragraphe (1) de la loi précitée ne saurait trouver application.

En réponse audit courrier du 10 novembre 2006, la Commission de surveillance du secteur financier informa, par courrier du 2 mars 2007, le mandataire des parties citées dans leur courrier du 10 novembre 2006 que, conformément à l’article 4, paragraphe (5) de la loi du 19 mai 2006, elle accordait à l’actionnaire de contrôle de … une dérogation des obligations prévues par l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 19 mai 2006 de lancer une offre obligatoire pour les actions d’…, au motif qu’à la suite de l’opération de fusion envisagée par les parties ainsi décrites, le contrôle sur … ne changera pas, ledit contrôle restant entre les mains de l’actionnaire de contrôle de … et que, pour le surplus, l’opération de fusion ainsi envisagée n’aura pas pour résultat ou pour conséquence une « acquisition » d’actions d’… par l’actionnaire de contrôle de … au sens de l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 19 mai 2006.

En date du 7 mars 2007, la Commission de surveillance du secteur financier publia un communiqué de presse reflétant le contenu du courrier précité du 2 mars 2007.

A la suite des courriers précités des 10 novembre 2006 et 2 mars 2007, le mandataire des actionnaires de contrôle de … adressa un nouveau courrier en date du 26 avril 2007 à la Commission de surveillance du secteur financier par lequel cette dernière fut informée de ce qu’une nouvelle structure en vue d’aboutir à la fusion entre … et … était envisagée. Ainsi, il était projeté de subdiviser les opérations de fusion en deux étapes différentes, la première étape consistant dans la fusion entre … et une filiale luxembourgeoise de … lui appartenant à 100 %.

Cette filiale de droit luxembourgeois, constituant une « coquille vide » qui, à l’époque dudit courrier, avait déjà été acquise par …, devrait changer de nom pour prendre celui de « … ». Après cette première étape, tous les avoirs ainsi que tous les engagements de … devraient être automatiquement transférés à … et les détenteurs d’actions de … devraient se voir émettre de nouvelles actions d’… en échange de leurs actions de …. A la suite de cette opération de fusion, … prendrait son nouveau siège social au Luxembourg. Dans une deuxième étape, la société nouvellement créée … fusionnerait avec … et … prendrait alors la dénomination d’…. Cette opération se ferait par la voie de la fusion par absorption, la société … étant absorbée par …. Par le biais de cette opération de fusion, tous les avoirs ainsi que tous les engagements d’… seraient automatiquement transférés à … et les détenteurs d’actions d’… se feraient remettre de nouvelles actions d’… en échange de leurs actions de ….

Le mandataire de l’actionnaire de contrôle de … estima toutefois dans ledit courrier que cette nouvelle procédure de fusion, devant s’effectuer en deux étapes, ne devrait en rien modifier la justification de la dérogation telle que sollicitée par le courrier précité du 10 novembre 2006, étant donné que dans le cadre des deux scénarios, le contrôle sur … et puis sur … ne changerait pas, puisqu’il resterait dans les mains du seul actionnaire de contrôle de …. En outre, ledit mandataire soutint que cette opération de fusion ne pourrait pas être considérée comme constituant une « acquisition » au sens de la loi du 19 mai 2006. Au vu des éléments ainsi transmis à la Commission de surveillance du secteur financier, l’actionnaire de contrôle de … sollicita de la part de cette dernière la confirmation de son analyse telle qu’effectuée dans le cadre de son courrier précité du 2 mars 2007.

En réponse au courrier précité du 26 avril 2007, la Commission de surveillance du secteur financier informa le mandataire de l’actionnaire de contrôle de …, par courrier du 10 mai 2007, qu’elle pouvait confirmer sa décision du 2 mars 2007, telle que publiée en date du 7 mars 2007 et portant sur la dérogation de l’obligation telle que figurant à l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 19 mai 2006, au motif que la nouvelle structure envisagée pour la fusion telle que décrite dans le courrier précité du 26 avril 2007 ne serait pas de nature à porter atteinte à la solution telle que retenue dans son courrier précité du 2 mars 2007.

Par courrier du 7 juin 2007, le mandataire de … et … fit parvenir à la Commission de surveillance du secteur financier un recours gracieux dirigé contre la décision précitée du 2 mars 2007, telle que publiée sur le site internet de la Commission de surveillance du secteur financier le 7 mars 2007, lesdites parties déclarant agir en leur qualité d’actionnaires de la société anonyme …. Lesdites parties firent tout d’abord valoir une violation de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, tout en sollicitant, sur base de l’article 12 du même règlement grand-ducal la communication des éléments sur lesquels la Commission de surveillance du secteur financier s’est basée pour prendre la décision litigieuse du 2 mars 2007, ainsi que l’intégralité de la décision litigieuse, tout en la priant de les convoquer afin de pouvoir exposer leur point de vue.

Dans le courrier litigieux, le mandataire exprima encore l’avis qu’à la suite de l’opération de fusion telle qu’envisagée, l’actionnaire de contrôle d’… changerait, dans la mesure où, au jour dudit courrier, l’actionnaire de contrôle d’… aurait constitué la société de droit néerlandais …, alors qu’à la suite des opérations de fusion, ce serait l’actionnaire de contrôle de …, à savoir une personne physique, qui deviendrait l’actionnaire de contrôle d’…. Enfin, ledit mandataire soutint ne pas pouvoir partager les vues de la Commission de surveillance du secteur financier quant au sens à donner au terme « acquisition » tel qu’utilisé par l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 19 mai 2006.

Par son courrier du 23 juillet 2007, la Commission de surveillance du secteur financier prit position par rapport au recours gracieux précité du 7 juin 2007. En annexe à cette lettre de réponse, la Commission de surveillance du secteur financier fit tout d’abord communiquer au mandataire des deux sociétés les courriers précités du 10 novembre 2006, du 2 mars 2007, du 26 avril 2007 et du 10 mai 2007. Quant aux reproches lui adressés par le courrier précité du 7 juin 2007, la Commission de surveillance du secteur financier rejeta celui tiré d’une prétendue violation du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en soutenant que les parties réclamantes auraient parfaitement eu connaissance « tant du principe de l’ouverture de cette procédure que … avait publiquement annoncée que du moment où celle-ci serait initiée ». Elle rejeta par ailleurs la demande des deux sociétés, tendant à être convoquées, au motif que l’article 5 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 ne trouverait pas application en l’espèce. En ce qui concerne la justification des décisions prises par elle, elle soutint que l’opération telle qu’envisagée ne serait pas de nature à constituer une « acquisition » au sens de la loi du 19 mai 2006 puisqu’il n’y aurait aucun changement parmi les actionnaires de contrôle d’…, le seul changement consistant dans le fait que ledit actionnaire de contrôle détiendrait le contrôle direct d’… à l’issue des opérations de fusion, alors qu’avant celles-ci, il n’aurait disposé que du contrôle indirect d’….

Par requête déposée le 18 octobre 2007 au greffe du tribunal administratif, les sociétés de droit des … … et … ont fait introduire un recours tendant, selon le dispositif de la requête introductive d’instance, à l’annulation des décisions précitées prises par la Commission de surveillance du secteur financier en date des 2 mars et 10 mai 2007.

Il convient tout d’abord de relever l’ambiguïté de la requête introductive d’instance quant aux types de recours que les demanderesses ont entendu introduire en ce sens que suivant la partie introductive de la requête, elles indiquent vouloir former un recours en réformation sinon en annulation contre les décisions précitées de la Commission de surveillance du secteur financier des 2 mars et 10 mai 2007, tandis que le dispositif de la même requête énonce uniquement une demande tendant à l’annulation de ces mêmes décisions.

L’objet de la demande consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir est celui qui est circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, il y a partant lieu d’admettre que – suivant le dispositif de la requête introductive, auquel le tribunal peut seul avoir égard – les demanderesses ont introduit un recours tendant exclusivement à l’annulation des décisions précitées des 2 mars et 10 mai 2007, la demande tendant à la réformation de ces mêmes décisions n’ayant pas été reprise au dispositif de la requête.

Conformément à l’article 18 de la loi du 19 mai 2006, toutes les décisions prises par la Commission de surveillance du secteur financier, à l’exception de celles infligeant une amende d’ordre, ne peuvent faire que l’objet d’un recours en annulation. Dans la mesure où les actes attaqués, émanant de la Commission de surveillance du secteur financier, n’ont en aucune manière trait à des amendes d’ordre, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les actes attaqués.

Tant la Commission de surveillance du secteur financier qu’… ainsi que Monsieur …, Madame …, la société de droit espagnol … et la société à responsabilité limitée … … concluent au rejet du mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par les parties demanderesses le 13 mars 2008, au motif qu’il aurait été signifié en dehors du délai légal qui aurait expiré le 19 mars 2008, au vu de la notification du dernier mémoire en réponse en date du 19 février 2009.

Conformément à l’article 5, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse ; (…) », le paragraphe (6) du même article prévoyant que notamment les délais prévus au paragraphe (5) sont prévus « à peine de forclusion ».

La question de la fourniture des mémoires dans les délais impartis et suivant le nombre prévu par la loi précitée du 21 juin 1999 touche à l’organisation juridictionnelle des juridictions de l’ordre administratif et il s’agit par conséquent d’une question d’ordre public.

La fourniture, au sens de l’article 5, paragraphe (5) de la loi précitée du 21 juin 1999, du mémoire en réplique dans le délai d’un mois de la communication du mémoire en réponse inclut – implicitement, mais nécessairement – l’obligation de le déposer au greffe du tribunal et de le communiquer à la partie, voire aux parties défenderesses dans ledit délai d’un mois1.

En outre, le point de départ du délai pour déposer le mémoire en réplique constitue la date de la communication de la réponse à la partie demanderesse, c'est-à-dire que ce délai court à partir de la réception du mémoire en réponse par cette dernière, étant entendu qu’en cas de pluralité de parties admises à fournir un mémoire en réponse, le délai pour répliquer court en principe à partir du dernier dépôt, sinon de la dernière communication des mémoires en réponse fournis.

En l’espèce, le dernier mémoire en réponse, à savoir celui de la Commission de surveillance du secteur financier, a été communiqué aux parties demanderesses en date du 19 février 2008, de sorte que le délai pour le dépôt et la communication du mémoire en réplique a expiré en date du 19 mars 2008.

S’il est vrai que le dépôt du mémoire en réplique au greffe du tribunal administratif a été effectué en date du 13 mars 2008, c’est-à-dire dans le délai légal, la signification de celui-ci par le seul exploit de l’huissier de justice Jean-Lou Thill du 25 mars 2008 a été faite au-delà du délai légal, de sorte que le mémoire en réplique doit être écarté des débats. Cette conclusion ne saurait être énervée par le contenu de l’article 3 de la loi précitée du 21 juin 1999, étant donné que pour la détermination du délai de fourniture du mémoire en réplique, les dispositions de l’article 5, paragraphe (5) de la même loi se suffisent à elles-mêmes en ce qu’elles disposent que le mémoire en réplique est à fournir « dans le mois de la communication de la réponse »2.

Le même sort est réservé aux mémoires en duplique ainsi qu’aux mémoires supplémentaires déposés à la suite dudit mémoire en réplique, dans la mesure où ils ne constituent que des prises de position par rapport au mémoire en réplique qui vient d’être écarté des débats.

La Commission de surveillance du secteur financier conclut à l’irrecevabilité du recours notamment au motif que les courriers émis par elle en date des 2 mars et 10 mai 2007 ne constitueraient pas des actes juridiques susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux. Elle estime en effet que lesdits courriers ne constitueraient que des avis juridiques qui ne seraient pas de nature à faire grief.

Conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives est limitée notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à-dire émaner d’une autorité administrative 1 trib. adm. 23 février 2005, n° 18555 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Procédure contentieuse, n° 573 et autres références y citées 2 Cour. adm. 18 mai 2006, n° 21112C du rôle, Pas. adm. 2008, V° Procédure contentieuse, n° 588 légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés, et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste3.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. Pour être susceptible de faire l’objet d’un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief4.

Abstraction faite de l’intérêt de savoir, à ce stade d’examen des moyens, si le recours dirigé contre la lettre précitée du 2 mars 2007 garde encore un objet à la suite des modifications apportées à la procédure de fusion suivant ce qui ressort du courrier également précité du 26 avril 2007 émanant du mandataire de l’actionnaire de contrôle de …, il échet de constater que tant dans le courrier en question du 2 mars 2007 que dans celui du 10 mai 2007, la Commission de surveillance du secteur financier a clairement exprimé son intention de prendre une décision, en ce qu’elle a expressément affirmé accorder à l’actionnaire de contrôle de … une dérogation de l’obligation prévue par l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 19 mai 2006. Le caractère décisoire de ces courriers ne saurait partant faire de doute. Cet élément à lui seul n’est toutefois pas suffisant pour qu’un recours puisse être dirigé contre les actes ainsi attaqués. En effet, ceux-ci, pour pouvoir faire l’objet d’un recours contentieux, doivent en outre être de nature à faire grief. Il y a partant lieu d’analyser dans quelle mesure les actes ainsi attaqués sont susceptibles de porter préjudice aux intérêts des demanderesses.

Il échet dans ce contexte de constater que les demanderesses entendent rendre applicable la loi du 19 mai 2006 et obliger l’actionnaire de contrôle de … à lancer une offre publique d’acquisition en raison des opérations de fusion envisagées telles que pré-décrites et consistant dans une procédure de fusion en deux étapes, la première étape visant la fusion entre la société de droit néerlandais dénommée … avec la société de droit luxembourgeois à dénommer « … », cette fusion s’effectuant par absorption par la société de droit luxembourgeois de la société néerlandaise et la deuxième étape consistant dans la fusion entre la société de droit luxembourgeois … et la société de droit luxembourgeois …, ladite opération de fusion s’effectuant par l’absorption par … de la société ….

Il résulte de l’article 5 de la loi du 19 mai 2006 qu’une offre publique d’acquisition doit obligatoirement être effectuée à partir du moment où le contrôle d’une société change, notamment dans le cas où une personne physique ou morale obtient, à la suite d’acquisitions faites par elle-même ou par des personnes agissant de concert avec elle, des titres d’une société au-delà d’un certain pourcentage de droits de vote qui, pour les sociétés ayant leur siège social au Luxembourg, tel que c’est le cas en l’espèce de la société anonyme …, est fixé à 33 ⅓ %.

3 trib. adm. 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Actes administratifs, n° 1 et autres références y citées 4 trib. adm. 18 mars 1998, n° 10286 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Actes administratifs, n° 15 et autres références y citées Il suit partant de ce qui précède que la procédure prévue par la loi du 19 mai 2006 ne trouve application qu’à partir du moment où, à la suite d’acquisitions de titres, une personne physique ou morale, directement ou indirectement, détient plus de 33 ⅓ % des droits de vote. En l’espèce, il ressort des conclusions concordantes et non contestées des parties à l’instance, qu’à la suite d’une offre publique d’acquisition lancée par … sur les actions et autres titres accordant des droits dans le capital d’…, initiée le 27 janvier 2006 et clôturée une première fois en date du 13 juillet 2006, … a acquis des titres d’… représentant 91,88 % du capital social et 91,97 % des droits de vote d’…. Au cours de cette offre publique d’acquisition, et conformément à l’article 7, paragraphe (3) de la loi du 19 mai 2006, à la suite d’une première clôture des opérations d’acquisition, la période d’acceptation fut réouverte du 27 juillet 2006 au 17 août 2006 afin de permettre aux détenteurs des titres qui auparavant n’avaient pas encore accepté l’offre leur faite par … de vendre leurs actions aux mêmes conditions que celles applicables au cours de la période initiale. En outre, conformément à l’article 16 de la loi du 19 mai 2006, les détenteurs d’actions d’… ont pu exiger de … qu’elle rachète leurs actions pour un juste prix pendant trois mois après la fin de la période d’acceptation de l’offre, soit jusqu’au 17 novembre 2006. En date du 31 décembre 2006, la famille … disposait, suivant les éléments d’information non contestés soumis au tribunal, directement et indirectement de 44,79 % des droits de vote de ….

A l’issue de ces différentes opérations, … détenait, au 31 décembre 2006, des titres représentant 93,72 % du capital social émis d’… et 93,80 % des droits de vote d’…. Du fait qu’à cette date, la famille … détenait directement et indirectement 44,79 % des droits de vote dans …, elle pouvait être considérée à la date en question comme détenant le contrôle indirect d’…. Il échet partant de constater qu’à la suite de l’offre publique d’acquisition, la famille … détenait indirectement des titres représentant des droits de vote d’… dépassant 33 ⅓ %.

Les opérations de fusion devant s’effectuer en deux étapes, tel que décrit ci-avant, elles n’ont pas été de nature à procéder à un changement de contrôle sur …, aucune acquisition nouvelle de titres d’… n’ayant d’ailleurs été effectuée au cours de ces procédures, tel que cela ressort des pièces et conclusions concordantes des parties. Or, d’après l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 19 mai 2006, le changement de contrôle (à la suite d’une opération d’acquisition de titres) constitue l’une des deux conditions cumulatives pour que ladite disposition légale puisse trouver application. Le seul changement qui a eu lieu au cours de ces opérations de fusion constitue le fait qu’à la suite desdites opérations, la famille … a détenu des titres directement dans …, dénommée plus tard « … », pour un total de droits de vote dépassant 33 ⅓ %, alors qu’avant la réalisation des opérations de fusion, elle n’avait que le contrôle indirect sur ces titres, par le biais de …. Il y a dans ce contexte lieu de noter qu’à la suite des opérations de fusion, la famille … détient des titres représentant approximativement 43,05 % des droits de vote d’… suivant ce qui ressort des informations non contestées fournies par la Commission de surveillance du secteur financier. Il n’y a partant pas eu de changement matériel de la situation de contrôle sur …, mais un simple changement formel dans la situation de l’actionnariat n’affectant toutefois pas les actionnaires minoritaires d’…, ceux-ci ayant été protégés d’une manière adéquate au cours de l’offre publique d’acquisition à laquelle il a été fait référence ci-avant, initiée en date du 27 janvier 2006 par ….

Il suit des développements qui précèdent que dans la mesure où, à la suite des opérations de fusion, il n’y a pas eu de changement de contrôle sur …, l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 19 mai 2006 ne saurait trouver application, entraînant que ni …, ni les actionnaires de contrôle de … étaient obligés de lancer une offre sur les titres d’…. Il suit encore de cette constatation que dans la mesure où l’article 5 précité ne trouvait pas application, il n’a pu être question d’accorder une dérogation de l’obligation imposée par ladite disposition légale. Les décisions prises par la Commission de surveillance du secteur financier étaient partant superfétatoires. Elle aurait en effet dû informer le mandataire des actionnaires de contrôle de … que la loi du 19 mai 2006 ne trouvait pas application aux opérations de fusion envisagées par eux.

Il suit encore des éléments qui précèdent qu’au vu du constat fait ci-avant suivant lequel la loi du 19 mai 2006 n’a pas pu trouver application à la situation sous examen, les décisions prises, à tort, par la Commission de surveillance du secteur financier et portant dérogation par rapport à l’obligation figurant à l’article 5, paragraphe (1) de ladite loi, n’ont pas pu faire grief aux parties demanderesses. Or, la condition du grief constitue l’une des conditions cumulatives qu’une décision administrative doit remplir pour pouvoir faire l’objet d’un recours contentieux. A défaut, comme en l’espèce, que cette condition soit remplie, le recours dirigé contre un acte qui n’est pas susceptible de faire grief doit être déclaré irrecevable. Cette condition n’étant pas remplie par les deux lettres litigieuses de la Commission de surveillance du secteur financier des 2 mars et 10 mai 2007, le recours en annulation dirigé contre lesdits courriers doit être déclaré irrecevable, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens et arguments développés dans le cadre du recours, ni la demande de jonction de ce recours avec un recours introduit par une autre partie demanderesse contre les mêmes courriers.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par les parties demanderesses sur base de l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

écarte des débats les mémoires en réplique et en duplique respectifs ainsi que les mémoires supplémentaires ;

déclare irrecevable le recours en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par les parties demanderesses ;

condamne les parties demanderesses aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 26 août 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Anne-Marie Wiltzius, greffier de la Cour administrative.

s.Anne-Marie Wiltzius s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier du tribunal administratif ass.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23551
Date de la décision : 26/08/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-08-26;23551 ?

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