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12/08/2009 | LUXEMBOURG | N°25955

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 août 2009, 25955


Tribunal administratif Numéro 25955 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2009 Audience publique du 12 août 2009 Recours formé par Monsieur …, alias …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25955 du rôle et déposée le 5 août 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à ...

Tribunal administratif Numéro 25955 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2009 Audience publique du 12 août 2009 Recours formé par Monsieur …, alias …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25955 du rôle et déposée le 5 août 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à Tunis, de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 juillet 2009 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de cette décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 août 2009 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 12 août 2009.

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Monsieur …, alias …, fut condamné par jugement du 26 août 2008 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, notamment à une peine d’emprisonnement de 15 mois.

Par courrier daté du 14 mai 2009, le Parquet du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg s’adressa au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration afin de s’enquérir, « au vu de la gravité et de la multiplicité des infractions constatées », s’il ne conviendrait pas « d’analyser si des mesures telles qu’arrêtés d’expulsion ou décision de refus de séjour avec obligation de quitter le territoire ne devraient pas être prises » à l’encontre du détenu, en joignant au même courrier le résultat de l’enquête diligentée par le service de recherche et d’enquête criminelle de la police grand-ducale relative à l’identité et à la situation de l’intéressé.

Le 16 juin 2009 Monsieur …, alias …, manifestement remis en liberté, fut appréhendé par la police grand-ducale dans le cadre d’une opération de surveillance et de contrôle effectuée dans le milieu des toxicomanes.

En date du 16 juin 2009, le ministre des Affaire étrangères et de l’Immigration, ci-

après « le ministre », prit un arrêté de refus de séjour à l’encontre de Monsieur …, et par arrêté du même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Cet arrêté ministériel fut prorogé pour une nouvelle durée d’un mois par décision du ministre du 13 juillet 2009, notifiée le 16 juillet 2009 et motivée comme suit :

« « Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté pris en date du 16 juin 2009 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant qu’une demande de laissez-passer a été adressée aux autorités tunisiennes en date du 26 juin 2009 ;

- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ;

Considérant qu’il y a nécessité de reconduire la décision de placement ».

Par requête déposée le 5 août 2009 au greffe du tribunal administratif, le demandeur a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l'encontre de la décision de prorogation du 13 juillet 2009.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur se rapporte de prime abord à la sagesse du tribunal quant à la validité de la date de notification de la décision déférée, soi-disant intervenue le « 25 février 2009 ».

En ce qui concerne ce premier moyen relatif à la validité de la date de notification de la décision déférée au demandeur, il y a lieu de rappeler que le demandeur, dans le cadre de son recours, doit formuler les moyens à la base de son recours avec une précision telle que le tribunal appelé à statuer soit mis en mesure d'analyser in concreto la légalité de la décision déférée et il lui incombe de fournir des éléments concrets sur lesquels il se base aux fins de voir établir l'illégalité qu'il allègue1, les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, n’étant pas à prendre en considération par le tribunal2.

Le moyen en question n’étant en l’espèce pas autrement explicité, il n’y a pas lieu de l’examiner.

Le demandeur querelle ensuite la décision déférée pour être motivée de façon identique à la motivation gisant à la base de la décision de placement initiale, « respectivement sans que ne soit établie l'existence d'une nécessité absolue alors que le contraire reviendrait à mettre le tribunal dans l'impossibilité de vérifier la légalité de la mesure entreprise, de même que pareille décision constituerait une violation des droits de la défense en ce sens que le justiciable ne serait pas placé dans une situation lui permettant d'apprécier la portée juridique exacte de la décision lui notifiée ».

En ce qui concerne ce moyen tiré de la prétendue inertie du ministre et par conséquent de l’absence de « nécessité absolue » en résultant, nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité rende la prorogation de la décision de placement inévitable. S’il est certes vrai que le libellé de l’article 120 (3) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration3 ne prévoit plus explicitement, contrairement à l’article 15 (2) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, loi actuellement abrogée et remplacée par celle prévisée du 29 août 2008, une « nécessité absolue », mais seulement une « nécessité », il n’en demeure pas moins que le fait de priver un étranger de sa liberté pendant une période d’un mois renouvelable, en l’absence de toute incrimination et, a fortiori, de toute condamnation pénale préalable, en dehors des garanties prévues par le Code d’instruction criminelle, apparaît incontestablement comme une prérogative exorbitante4 dont l’application doit demeurer exceptionnelle et qui ne saurait être prorogée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire5.

Dès lors, le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée. Etant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, il incombe à l’autorité administrative de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.

1 Trib.adm. 9 décembre 1997, n° 9683, confirmé sur ce point par arrêt du 18 juin 1998, n° 10504C, Pas. adm.

2008, V° Procédure contentieuse, n° 325 et autres références y citées.

2 Trib.adm., 9 décembre 1998, n° 9833 et 10188, Pas. adm. 2008, V° Procédure contentieuse, n° 632.

3 «La décision de placement visée au paragraphe (1) qui précède, peut en cas de nécessité être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

4 Voir en ce sens Juris-Classeur, 2002, V° Libertés publiques et droits politiques, Fasc.700, n° 27.

5 Cf. trib. adm. 6 novembre 2002, n° 15509, confirmé par Cour adm. du 21 novembre 2002, n° 15593C, Pas.adm. 2008, V° Etrangers, n° 547.

Il s’avère à ce sujet à l’étude du dossier administratif que si le Parquet s’était dès le 14 mai 2009 enquis auprès du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration de l’opportunité de préparer l’éloignement du demandeur, ce n’est que le 17 juin 2009, soit le lendemain de la mesure initiale de placement, que les services du ministère s’adressèrent au service de police judiciaire afin d’obtenir communication des données EURODAC de l’intéressé, données qui ne leur furent apparemment adressées que le 25 juin 2009 par les services de police.

Les autorités luxembourgeoises contactèrent ensuite le Consulat Général de Tunisie à Bruxelles en vue d’obtenir l’émission d’un laissez-passer au profit de l’intéressé par courrier du 26 juin 2009 et tentèrent, infructueusement, de contacter l’ambassade de Tunisie - non saisie du dossier - par téléphone le 13 juillet 2009.

Le 16 juillet 2009, quelques heures avant la prorogation de la décision initiale de placement, les services du ministère contactèrent encore le Consulat de Tunisie téléphoniquement, où il leur fut répondu que le dossier de Monsieur … serait en cours d’instruction, tandis qu’une autre tentative téléphonique de relancer le Consulat le 3 août 2009 échoua, de sorte le ministère adressa le 4 août 2009 par téléfax une lettre de rappel au Consul, lettre qui obtint le 6 août 2009 une réponse, sous la forme d’un courrier du consulat informant le ministère que les services consulaires auraient entrepris les démarches afin de déterminer l’identité exacte du demandeur.

Si le délégué du gouvernement affirme que les autorités luxembourgeoises auraient fait preuve « de toutes les diligences nécessaires en matière de mesure de placement », le tribunal ne saurait partager cette appréciation, étant donné qu’il doit constater un délai de dix jours entre le placement initial du demandeur et la demande d’émission d’un laissez-passer adressée aux autorités consulaires tunisiennes, et ce alors que la question de l’opportunité de préparer l’éloignement du demandeur avait été soumise au ministère dès le 14 mai 2009, ce qui, en tout état de cause, aurait permis aux services concernés de débuter les recherches ordonnées le 17 juin 2009 dès le 14 mai 2009, à supposer que les documents joints dès le 14 mai 2009 au courrier du Parquet, portant sur l’identité, le domicile et les papiers de légitimation de l’intéressé n’aient pas été suffisants.

Force est encore au tribunal de constater que suite au courrier du 26 juin 2009 adressé au Consulat tunisien, le ministère attendit encore plus de deux semaines avant de relancer le Consulat le 16 juillet 2009, pour ensuite attendre à nouveau près de trois semaines avant de relancer le Consulat par écrit le 4 août 2009.

S’il résulte des explications du délégué du Gouvernement que les usages diplomatiques ne permettraient pas d’insister davantage auprès des autorités diplomatiques et consulaires étrangères, sous peine de détériorer des relations autrement satisfaisantes, le tribunal se doit néanmoins d’accorder la priorité à la protection des droits essentiels de l’individu privé de liberté. A ce titre, et au vu de l’impératif de nécessité précisé ci-avant, le tribunal est amené à constater que des relances téléphoniques épisodiques en général et un seul courrier de relance de la part des autorités luxembourgeoises à partir du 16 juillet 2009, date de la prorogation effective de la durée de rétention, en particulier, ne sauraient suffire pour justifier le caractère de nécessité inhérent à une décision de prorogation, et ce alors qu’il appartient au contraire au ministre de prendre des mesures appropriées afin d’assurer que l’étranger puisse être éloigné du pays dans les meilleurs délais, et en particulier d’insister le cas échéant par les moyens diplomatiques à sa disposition auprès des autorités étrangères afin d’obtenir la collaboration de celles-ci.

Le tribunal est partant amené à réformer la décision déférée et à ordonner la libération immédiate du demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 juillet 2009, ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur Monsieur …, alias … ;

dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 août 2009 par :

Marc Sünnen, premier juge, Annick Braun, juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Claude Legille s. Claude Legille s. Marc Sünnen 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 25955
Date de la décision : 12/08/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-08-12;25955 ?

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