Tribunal administratif N° 25405 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2009 2e chambre Audience publique du 22 juillet 2009 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
__________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25405 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2009 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Sierra Leone) de nationalité sierra léonaise, ayant été détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 janvier 2009 portant refus de lui accorder un statut de tolérance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Bouchra Fahime-Ayadi, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.
___________________________________________________________________________
En date du 16 décembre 2003, Monsieur … introduisit au Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Cette demande fut rejetée par une décision du 24 mars 2005 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci après dénommé « le ministre », décision confirmée sur recours gracieux en date du 2 mai 2005.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de cette décision ministérielle fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 27 octobre 2005 (n° 19914 du rôle).
Par un jugement rendu le 21 juin 2006 par le tribunal d’arrondissement, 16e chambre correctionnelle, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 4 ans pour infractions à la législation sur les stupéfiants, confirmé en appel par un arrêt de la Cour d’appel du 5 décembre 2006.
Par un arrêté du 11 septembre 2006, le ministre refusa l’entrée et le séjour sur le territoire à Monsieur … au vu de ses antécédents judiciaires et au motif qu’il ne disposait pas de moyens d’existence personnels légalement acquis, qu’il se trouvait en séjour irrégulier au pays et qu’il était susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics.
Par lettre du 19 juin 2008, le mandataire de Monsieur … informa le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration que son mandant ne souhaitait pas retourner dans son pays d’origine.
Par courrier du 5 novembre 2008, ledit ministère s’adressa à l’ambassade de la Sierra Leone à Bruxelles en vue de l’obtention de documents de voyage en faveur de Monsieur ….
Par courrier du 22 décembre 2008, le mandataire de Monsieur … formula pour le compte de son mandant une demande en obtention d’un statut de tolérance sur le fondement de l’article 22 (2) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après « loi du 5 mai 2006 », en faisant état d’une impossibilité de retour en Sierra Leone dans le chef de son mandant du fait des activités politiques de sa famille, de l’existence d’un climat d’insécurité et de l’absence d’attaches dans ce pays.
Par une décision du 27 janvier 2009, le ministre refusa de faire droit à cette demande au motif qu’il n’existait pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement de Monsieur … était impossible en raison de circonstances de fait, indépendantes de sa volonté.
Ayant purgé sa peine de prison à la date du 3 février 2009, Monsieur … se vit notifier le même jour une décision de refus de séjour sur le fondement des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ainsi qu’une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification.
Contre la décision précitée du 27 janvier 2009, le mandataire de Monsieur … introduisit, par lettre du 4 février 2009, un recours gracieux qui, à défaut d’éléments pertinents nouveaux, fut rejeté comme non fondé par le ministre suivant une décision du 12 février 2009.
En date du 10 février 2009, l’intéressé fut présenté à l’ambassade de la Sierra Leone à Bruxelles en vue de l’établissement de son identité et de sa nationalité. Il ressort d’une note au dossier du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 11 février 2009 que lors de son audition, l’intéressé a déclaré à l’agent de l’ambassade qu’il était originaire de la Tanzanie et non pas de la Sierra Leone.
Par requête déposée le 16 février 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la seule décision de refus initiale du ministre du 27 janvier 2009.
Le fait que le présent recours est dirigé uniquement contre la décision de refus initiale, à l’exclusion de la décision confirmative du 12 février 2009 prise sur recours gracieux, ne porte pas à conséquence, étant donné qu’en cas d’annulation de la décision de refus initiale, la décision prise sur recours gracieux qui, en l’occurrence, n’est que purement confirmative de la première, tomberait également, puisque celle-ci tire son existence de la première.
Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond contre une décision portant refus d’une tolérance, telle que régie par l’article 22 de la loi du 5 mai 2006, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse, lequel recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient qu’il ne pourrait pas retourner dans son pays d’origine, la Sierra Leone, en raison des difficultés qu’il y aurait connu avant son départ. Il explique qu’il aurait été obligé de quitter son pays en raison des persécutions dont sa famille aurait été victime du fait de ce que son père aurait été chef d’un groupe de rebelles. Il précise que toute sa famille aurait été tuée lors d’une attaque de leur village. Il se serait alors enfui au Nigeria où il aurait vécu entre décembre 1998 et novembre 2003. Il explique qu’il aurait également connu des problèmes au Nigeria dans la mesure où la mère de sa compagne, de confession musulmane, n’aurait pas accepté la relation de sa fille avec un chrétien. Il aurait ainsi été victime d’une agression et de menaces de mort de la part de membres d’un groupe musulman intégriste de l’ex-époux de sa compagne, de sorte qu’il aurait été contraint de s’enfuir à nouveau. Il donne encore à considérer qu’il aurait quitté la Sierra Leone en 1998 et qu’il n’y aurait plus d’attaches tout en relevant le fait que ce pays connaîtrait un climat d’insécurité. Au vu de ces éléments, il estime qu’il ne pourrait pas être éloigné vers son pays d’origine.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que le recours de celui-ci laisserait d’être fondé.
L’article 22 de la loi du 5 mai 2006, tel que modifié par la loi précitée du 29 août 2008, dispose que :
« (1) Si la demande de protection internationale est définitivement rejetée au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire. Les articles 124 (2), (3) et (4), 125 et 129 à 131 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration sont applicables.
(2) Si l'exécution matérielle de l'éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de la volonté du demandeur, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances de fait auront cessé. » Il résulte de cette disposition que l’octroi d’un statut de tolérance constitue une faculté du ministre que celui-ci peut exercer si l'exécution de la mesure d'éloignement, qui est de droit en cas de refus du statut de refugié, est matériellement impossible.
La preuve de cette impossibilité obéit aux règles de preuve de droit commun, ce qui implique que pour tolérer l'étranger sur le territoire, le ministre doit vérifier l'existence de circonstances qui empêchent l'exécution matérielle de l'éloignement. L'application du droit commun entraîne encore qu'en cas de contestation de ces circonstances, il appartient à celui qui en revendique l'existence, en l'occurrence à l'étranger qui revendique cette tolérance, d'en établir l'existence et il appartient en définitive au juge de décider si, eu égard aux éléments produits devant lui, de telles circonstances existent.
En l’espèce, il est constant que le demandeur a été débouté définitivement de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, de sorte qu’il devra en principe être éloigné du territoire, conformément aux termes de l’article 22 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Pour fonder sa demande en obtention d’un statut de tolérance, le demandeur se contente d’indiquer sommairement qu’il aurait été et risquerait à nouveau d’être persécuté en cas de retour en Sierra Leone, sans cependant soumettre au tribunal des éléments concrets permettant de retenir que son retour serait matériellement impossible en raison de circonstances de fait. Il invoque également la situation générale d’insécurité prévalant en Sierra Leone et l’absence d’attaches dans ce pays.
Or, au-delà du fait que le demandeur réitère des arguments qui ont déjà été toisés par le tribunal administratif dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile, il reste en défaut d’invoquer un quelconque élément s’analysant en une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef. En effet, ni l’argumentation relative à la situation prévalant dans le pays d’origine du demandeur, ni l’absence d’attaches, ni l’allégation de la persistance de menaces pesant sur sa vie, à supposer qu’elles soient établies, ne sauraient être considérées comme étant constitutives d’obstacles matériels rendant l’exécution matérielle de son éloignement du territoire impossible, étant entendu que les obstacles visés par la loi à travers l’emploi des termes « exécution matérielle » doivent avoir trait à l’éloignement proprement dit et non aux conditions d’accueil réservées à la personne concernée dans son pays d’origine.
Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à constater que le ministre a pu, à bon droit, conclure qu’il n’existe pas dans le chef du demandeur de circonstances de fait indépendantes de sa volonté empêchant l’exécution matérielle de son éloignement et partant lui refuser l’octroi d’une tolérance.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 22 juillet 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Carlo Schockweiler 4