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09/07/2009 | LUXEMBOURG | N°25484

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2009, 25484


Tribunal administratif N° 25484 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2009 2e chambre Audience publique du 9 juillet 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25484 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2009 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tab

leau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … (qualifié dans la requête ...

Tribunal administratif N° 25484 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2009 2e chambre Audience publique du 9 juillet 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25484 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2009 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … (qualifié dans la requête introductive de …), né le … à Nakuru (Kenya), déclarant être de nationalité kenyane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 6 février 2009 ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2009 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Thomas Stackler, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 février 2008, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

En date des 6 mars, 11 mars, 19 novembre et 26 novembre 2008, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Il fut soumis à un test linguistique en date du 20 mars 2008.

Par décision du 6 février 2009, expédiée par lettre recommandée en date du 9 février 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », informa l’intéressé que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 11 février 2008.

En application de la loi précitée, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 6 mars 2008.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez immigré au Gabon à l'âge d'un an avec votre mère, qui serait d'origine kenyane. En 2006, à l'âge de 20 ans, vous auriez été forcé de quitter le Gabon et retourner au Kenya, dont vous posséderiez la nationalité, parce que des villageois et des frères et sœurs de votre mère auraient voulu vous tuer. Selon vos dires, votre père aurait été de nationalité gabonaise. Vous expliquez que votre mère aurait souhaité avant qu'elle décède que vous deveniez chrétien. Cependant, les frères et sœurs de votre mère auraient voulu que vous obéissiez aux rites qui appartiendraient à leur culte. Ainsi, ils auraient voulu que vous décapitiez sept personnes durant une danse rituelle. Vous auriez refusé d'obéir à leurs vœux et par conséquent ils vous auraient menacé de vous couper la tête. Ainsi, vous auriez été forcé de quitter le Gabon et vous rendre au Kenya. Vous ajoutez que vous n'auriez pas requis la protection des autorités du Gabon.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez également eu des problèmes au Kenya.

Vous dites que vous auriez été membre d'un parti politique qui s'appellerait soit ODM, MDO ou MDP. Après les élections au mois de décembre 2007, les membres du parti au pouvoir, lequel vous ne pouvez pas nommer, auraient voulu tuer toutes les personnes qui seraient membre d'un parti en opposition. Ainsi, durant la nuit après les élections, vous auriez entendu des coups de feu. Vous indiquez que votre domicile aurait été brûlé et que vous auriez dû vous enfuir dans une église, laquelle aurait également été brûlée. Vous vous seriez caché dans la forêt et le lendemain vous vous seriez rendu sur votre lieu de travail. Ici, une femme vous aurait dit de lui donner de l'argent et de vous cacher dans la forêt. Le lendemain, quatre personnes seraient venues et ils vous auraient attaché les mains et bandé vos yeux. Ils vous auraient dit de « fermer la bouche », sinon vous seriez tué. Par la suite, ces quatre personnes vous auraient conduit à un port et ils vous auraient mis sur un bateau.

Suite à ces déclarations, l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration vous a invité à lui donner un récit clair et cohérent et vous êtes convoqué pour un entretien ultérieur.

En date du 26 novembre 2008, vous dites qu'un jour au milieu de l'année 2007, un bon ami et cohabitant, Joseph NKUK, vous aurait invité à une soirée, ensemble avec d'autres personnes. Il vous aurait expliqué qu'il serait chef d'un groupe occulte qui s'appellerait «mouvement démocratique». Ce dernier voudrait aider les gens pauvres et « faire partir le président kenyan ». Selon vos dires, vous auriez refusé de joindre ce groupe, cependant Joseph NKUK vous aurait dit que vous feriez déjà partie de son organisation comme vous auriez déjà mangé et bu avec les autres membres. De plus, il vous aurait menacé de vous tuer si vous essayiez de quitter le groupe. Vous ajoutez que les leaders de ce groupe vous auraient donné «des trucs à boire» pour que vous seriez invincible et immortel.

Vous dites également avoir participé aux manifestations de ce «mouvement démocratique» et qu'après les élections, lorsque votre candidat aurait gagné, vous auriez fait la fête dans la rue. Ce serait à partir de ce moment que votre problème aurait commencé. Vous dites que les gens du parti opposant, dont vous ignorez le nom, vous auraient dit que votre candidat n'aurait pas gagné les élections.

Vous ajoutez qu'après les élections, vous auriez fait, ensemble avec ce groupe, la guerre.

Cependant on vous aurait averti de ne pas parler sur ces activités, sinon vous seriez tué. Vous dites qu'un jour, lors des émeutes, vous auriez blessé quelqu'un avec une machette. Lorsque vous auriez vu couler le sang, vous vous seriez enfui dans la forêt. Vous expliquez que deux membres de votre groupe auraient été tués lors de ces émeutes, ce qui vous aurait fait peur comme vous auriez cru que vous seriez immortel en raison des boissons qu'on vous aurait données. Vous ajoutez que les boissons et aliments que vous auriez reçus de ce groupe s'appelleraient «communion» et en raison de cette dernière ils pouvaient vous retrouver partout au Kenya. Vous dites croire qu'un mandat d'arrêt aurait été délivré par les autorités kenyanes contre votre personne.

Finalement, vous admettez n'avoir subi aucune autre persécution ni mauvais traitement et que vous seriez membre d'un parti politique qui s'appellerait ODM, MDO ou MDP. Cependant, selon vos dires vous n'auriez jamais été en possession d'une carte de membre, comme les responsables du parti auraient oublié de vous la rendre en raison des troubles.

Il convient d'ajouter également que vous ne maîtrisez pas l'anglais et que vous avez des difficultés de comprendre l'agent du Ministère ou bien de vous expliquer de manière compréhensible. Cependant, lorsque l'agent du Ministère vous demande quelle serait votre langue maternelle, vous déclarez que ce serait le « Fang », mais que vous seriez plus à l'aise en français. Ainsi, il a été décidé que l'entretien serait mené à partir du 11 mars 2008 en français et non en anglais. (p. 5/19 et 8/19) Il convient également de noter que vous dites à la page 12/19 de l'entretien que vous n'auriez pas de problèmes pour vous exprimer en français.

Vous ne présentez aucune pièce d'identité.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d'asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances et incohérences dans votre récit laissent planer des doutes quant à votre identité et quant à l'intégralité de votre passé, ainsi qu'au motif de fuite invoqué. Il s'avère inutile de rentrer dans toutes les innombrables contradictions qui résultent de vos entretiens. Notons quand même qu'il est assez frappant que vous déclarez aux pages 3/19 et 12/19 que votre père serait décédé, suite à un empoisonnement. Cependant à la page 16/19, vous dites que vous ne pouviez pas retourner chez votre père comme les gens du village voudraient vous tuer. De plus, vous dites à la page 2/19 que votre mère serait originaire du Kenya, tandis que votre père viendrait du Gabon. Cependant à la page 16/19, vous déclarez l'inverse. De plus, votre description du chemin emprunté pour venir en Europe est peu crédible.

En ce qui concerne votre langue maternelle, vous indiquez de manière manuscrite sur la fiche de données personnelles que « Luo » serait votre langue d'origine. Cependant pendant l'entretien, vous dites que vous auriez parlé le français et le « Fang » avec votre mère. Force est cependant de constater que vous ne maîtrisez aucune des langues indiquées de manière convaincante.

Ainsi, vous n'avez remis aux autorités luxembourgeoises aucune pièce d'identité permettant d'établir avec certitude votre identité et votre origine. Ainsi, en date 20 mars 2008, vous vous êtes soumis à un test linguistique, auprès du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration, afin de pouvoir déterminer vos origines, en analysant vos connaissances et la prononciation des langues anglaise et française. Or, il ressort clairement du rapport de l'analyse linguistique qu'il est incontestable que vous êtes ni d'origine gabonaise et ni d'origine kenyane.

Cependant, selon vos réponses lors du test linguistique, il ressort de ce dernier que „ (…) Der Sprecher beantwortet nahezu alle Fragen zu Gabun. Ein Land in dem er sich offensichtlich aufgehalten hat. Zu Kenia stellt man fest, dass et (sic) wenig Kenntnisse hat und dieses Land offensichtlich nicht kennt. Er spricht Französisch mit einem eindeutigen englischen Tonfall.

Darum ist es auszuschließen, dass es in Gabun aufgewachsen ist. (…) Der Sprecher kommt mit Sicherheit aus einem anglophonen Land. Er spricht Französisch mit phonologischen und morphologischen Merkmalen, die typisch für anglophone Sprecher sind. (…) Mit seiner Art Sätze zu bauen, übernimmt er die englische morphologische Struktur, die er direkt ins Französische überträgt. (…)" Ainsi, au vu de ce qui précède, il convient de souligner que votre demande repose sur une fraude délibérée qui démontre une volonté manifeste de votre part de dissimuler votre véritable identité. En outre, il convient de mettre en évidence que l'incertitude quant à votre identité et à votre origine remet en cause la crédibilité de la totalité de votre récit et il convient de souligner que l'entièreté de votre demande d'asile est basée sur des fausses déclarations.

En tout état de cause, même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient pour autant constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'ils ne peuvent à eux seuls établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. Par conséquent, force est de constater que vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas non plus la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire (…) ».

Par requête déposée le 6 mars 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 6 février 2009 lui refusant la reconnaissance d’une protection internationale, et un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur déclare que ses origines seraient mi-gabonaises, mi-kenyanes.

Il soutient que le test linguistique sur lequel le ministre s’est fondé ne saurait valoir à lui seul comme preuve d’un mensonge de sa part. Il critique ledit test en ce qu’il serait établi avec partialité. A cet égard, il donne à considérer que le test serait censé être un test linguistique et non pas un test des connaissances sur le pays d’origine, tout en soulignant que dans la conclusion dudit test il lui serait reproché qu’il n’aurait pas de connaissances sur le Kenya. Il souligne encore que lors de l’enregistrement du test, l’agent en charge de l’audition aurait précisé que ledit test n’aurait pour but que d’apprécier la pratique de la langue de son pays, et que les déclarations en tant que telles seraient sans importance quant au résultat du test. Pourtant, l’agent chargé de l’audition se serait livré à des examens de ses connaissances sur le Kenya. Dans ce contexte, le demandeur met encore en doute les connaissances sur le Kenya des personnes ayant effectué le test linguistique, qui ne seraient que des linguistes.

Le demandeur, tout en contestant que ses déclarations seraient le résultat d’une fraude délibérée, soutient que le résultat du test linguistique serait ainsi critiquable et serait sujet à caution, de sorte que le tribunal ne pourrait pas en tenir compte.

Le demandeur donne encore à considérer que si lors du premier entretien, il aurait été dans l’impossibilité de s’exprimer en raison de sa peur, lors de sa seconde audition, il aurait exposé un récit cohérent en ce qui concerne son enrôlement dans les forces rebelles au Kenya et en ce qui concerne les épisodes sanglants qu’a connu cette région de l’Afrique. Il précise que malgré son faible niveau intellectuel et scolaire, il serait tout de même parvenu à expliquer avoir été enrôlé dans les forces rebelles, qu’il aurait blessé un homme en se défendant pendant une émeute, et que suite à cela, il aurait cherché à s’enfuir du Kenya. Il donne à considérer qu’en raison de sa participation à ces mouvements rebelles et aux émeutes ayant enflammé le Kenya, il aurait de bonnes raisons de craindre pour sa vie en cas de retour forcé dans son pays d’origine.

Quant à la protection subsidiaire, il donne à considérer que sa participation à des mouvements rebelles au Kenya et sa désertion des forces rebelles engendreraient un risque de persécution susceptible de provenir de chacun des camps en présence, à savoir les forces gouvernementales, mais également les forces rebelles.

Enfin, il expose qu’il ne pourrait pas se réfugier au Gabon, étant donné que la famille de sa mère gabonaise en voudrait à sa vie en raison de son refus de participer à des rites traditionnels, de sorte que sa vie serait également en danger au Gabon.

Le demandeur souligne qu’il aurait été forcé à quitter son pays d’origine en raison d’une situation concrète rendant sa vie intolérable. Dans ce contexte, il soutient que la décision du ministre serait en réalité une décision générale de politique des étrangers, au lieu d’une décision administrative individuelle reflétant son appréciation au cas par cas.

En droit, le demandeur demande la réformation de la décision pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits. Quant à la définition et la notion de persécution, le demandeur renvoie à l’article 33 de la Convention de Genève, pour en déduire que des menaces à la vie ou à la liberté, ainsi que d’autres violations graves des droits de l’homme pour des raisons d’appartenance à un certain groupe ethnique seraient toujours à considérer comme des persécutions. En se référant à une prise de position de l’UNHCR, le demandeur soutient que la persécution pourrait résulter non seulement de la survenance d’un fait unique de grave maltraitance, mais également d’un faisceau d’éléments, respectivement de comportements menaçants de nature à entraîner une crainte sérieuse dans le chef de celui qui les subit. Le demandeur cite encore une position commune du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 1996 en ce qui concerne la notion de persécution.

Il soutient que son récit ferait ressortir une combinaison d’éléments factuels attestant une atteinte essentielle aux droits de l’homme.

En ce qui concerne la preuve des faits, le demandeur invoque la position du Conseil de l’Europe du 4 mars 2004, préconisant le « bénéfice du doute », une fois que la crédibilité des déclarations du demandeur de protection internationale est établie.

Quant à l’existence de craintes de persécution, le demandeur donne à considérer qu’il aurait fait part d’éléments, d’antécédents et d’expériences dont il aurait souffert personnellement.

Il soutient que compte tenu de ces faits, il craindrait de retourner dans son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut ainsi au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, surtout lorsque, comme en l’espèce, les éléments de preuve font défaut.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état de façon crédible et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

En effet, le demandeur fait état de craintes de persécutions du fait qu’il aurait participé à des émeutes dans le contexte des élections au Kenya, en expliquant qu’il appartiendrait à un groupement occulte, proche du parti politique d’opposition qui aurait gagné les élections, et que, dans le contexte de ces émeutes, il aurait blessé un homme. Il soutient qu’en cas de retour au Kenya, il risquerait non seulement des représailles de la part du prédit groupement en raison de sa désertion de ce groupe, mais il serait encore recherché par les forces gouvernementales suite aux prédits événements. Il fait encore état d’une impossibilité de retour au Gabon, qui serait le pays d’origine de sa mère, où il aurait vécu jusqu’en 2006, en raison de son refus de participer à des rites traditionnels et des menaces de mort consécutives de la part des membres de la famille de sa mère.

Le ministre a, sur base du résultat d’un test linguistique, suivant lequel le demandeur serait ni originaire du Gabon, ni originaire du Kenya, mis en doute la crédibilité du récit du demandeur, en lui reprochant que sa demande reposerait sur une fraude délibérée, pour conclure que l’incertitude quant à l’identité du demandeur et à son origine remettrait en cause la crédibilité de la totalité de son récit, au-delà du constat d’un certain nombre d’incohérences et d’invraisemblances relevées par le ministre dans ledit récit.

Indépendamment de la crédibilité des éléments de détail du récit, force est de relever qu’il ressort des déclarations du demandeur, que son récit est basé sur deux éléments clés, à savoir ses origines mi-gabonaise et mi-kenyane, en ce qu’il fait état d’un vécu récent au Kenya, qui serait le pays d’origine de son père, et d’un vécu plus lointain au Gabon, pays d’origine de sa mère où il aurait grandi et vécu jusqu’en 2006, soit jusqu’à l’âge de 20 ans.

Il ressort cependant du test linguistique effectué le 20 mars 2008 et dont le résultat a été repris dans un rapport du 12 avril 2008, que, même si le demandeur a répondu à toutes les questions sur le Gabon et si l’expert conclut que celui-ci aurait effectivement séjourné dans ce pays, il peut néanmoins être exclu que le demandeur est originaire de ce pays et qu’il a grandi dans ce pays. Or, une partie du récit du demandeur repose justement sur l’affirmation qu’il aurait vécu jusqu’à l’âge de 20 ans au Gabon. Dans ce contexte, il convient encore de relever qu’il ressort du prédit rapport que le demandeur est avec certitude originaire d’un pays anglophone. Il s’ensuit que les déclarations du demandeur sur ses origines mi-gabonaises et sur son vécu pendant les premières vingt années de sa vie dans ce pays peuvent raisonnablement être mises en doute au regard des conclusions ainsi retenues par l’expert et non contredites par les déclarations du demandeur. La sincérité du récit du demandeur quant à ses origines est d’autant plus sujette à caution qu’il a déclaré lors de ses auditions que si sa langue maternelle était le « fang », il serait plus à l’aise en français, qui serait la langue qu’il maîtriserait le mieux (page 8/19 du rapport d’audition), de sorte qu’il a préféré poursuivre l’entretien en français, plutôt qu’en anglais, tandis que l’expert a retenu que le demandeur est avec certitude originaire d’un pays anglophone.

Quant aux origines kenyanes dont fait état le demandeur, il convient de relever qu’il se dégage du prédit rapport que le demandeur n’a que des connaissances faibles sur ce pays (« zu Kenia stellt man fest, dass er wenig Kentnisse hat und dieses Land offensichtlich nicht kennt ).

Sachant que d’après les déclarations du demandeur, il aurait vécu dans ce pays depuis 2006 jusqu’en décembre 2007/janvier 2008, et y aurait participé à un mouvement politique, ce qui laisse a priori supposer un certain intérêt pour ce pays, il est d’autant plus surprenant que le demandeur n’a que des connaissances très faibles sur ce pays. Face à ce constat, c’est encore à juste titre que le ministre a mis en doute la réalité des origines kenyanes du demandeur.

Dans la mesure où le récit du demandeur repose sur la prémisse qu’il serait originaire du côté maternel du Gabon et y aurait vécu jusqu’à l’âge de 20 ans, et d’origine kenyane du côté paternel et y aurait vécu depuis 2006, et du moment que ses déclarations sur son origine et son vécu dans ces pays respectifs peuvent, au regard des conclusions du prédit rapport linguistique, combinées aux déclarations du demandeur, être mises en doute, c’est à juste titre que le ministre a retenu un manque de crédibilité du récit du demandeur dans sa globalité.

Cette conclusion est confortée par les explications confuses et incohérentes en général données par le demandeur lors de ses différentes auditions. Dans ce contexte, il convient de relever que la nature confuse des explications du demandeur ne saurait s’expliquer par la seule circonstance que lors du premier entretien, le demandeur aurait été paralysé par la peur, comme il le soutient. Cette conclusion est encore confortée par les confusions faites par le demandeur quant aux origines respectives de sa mère et de son père, qui sont pourtant des éléments clés de son récit, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a relevé des contradictions à cet égard, en ce qu’en page 2/19 du rapport d’audition, le demandeur a déclaré que son père serait originaire du Gabon et sa mère originaire du Kenya, tandis qu’en page 16/19, il a déclaré l’inverse.

C’est à tort que le demandeur a soulevé des reproches de partialité, en critiquant la nature des questions posées lors du test linguistique, en l’occurrence les questions sur les connaissances des pays d’origine. C’est encore à tort qu’il a émis des doutes quant aux connaissances des pays concernés par la personne ayant effectué ledit test.

En effet, tel qu’il a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, il se dégage du prédit rapport linguistique que les questions posées sont assez générales. Ainsi, les questions avaient trait notamment à l’ethnie du demandeur, à l’origine de ses parents, aux ethnies existant au Gabon et au Kenya, aux connaissances de langues, au séjour du demandeur à Libreville, à son séjour au Kenya, à la comparaison des deux pays, et à la description de son habitation, etc (cf.

point I du rapport linguistique). Les questions relevaient ainsi de la vie de tous les jours et pouvaient être répondues peu importe le niveau d’éducation de l’intéressé. La nature des questions n’est dès lors pas critiquable, peu importe d’ailleurs quelles ont été les explications données au demandeur avant le test, explications qui ne sauraient avoir une influence sur les réponses aux questions générales qui lui ont ainsi été posées.

Quant à la qualification de l’expert, il convient de relever qu’il se dégage des éléments du dossier et des explications fournies par le délégué du gouvernement que le rapport litigieux a été établi par un expert mandaté par le « Bundesamt für Migration und Flüchtlinge », sur base des questions posées par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, dont le résultat a ensuite été envoyé audit « Bundesamt für Migration und Flüchtlinge », approche qui n’est pas critiquable en soi. Face au caractère vague des reproches ainsi soulevés par le demandeur quant à la qualification de l’expert et à défaut de contestations plus circonstanciées formulées quant à cette qualification, le demandeur n’a pas soumis au tribunal des moyens de nature à mettre en doute ces qualifications.

La conclusion ci-avant retenue quant au défaut de crédibilité du récit du demandeur n’est pas non plus énervée par le reproche du demandeur suivant lequel la décision litigieuse serait une décision générale de politique des étrangers et non une décision individuelle reflétant une appréciation du cas particulier. En effet, il se dégage de la lecture de la décision ministérielle critiquée que le ministre a pris position en détail sur le récit du demandeur, et en particulier sur la question de la crédibilité de son récit.

C’est encore à tort que le demandeur soutient que le bénéfice du doute devrait jouer en sa faveur en l’absence de preuve des faits. En effet, en vertu de l’article 26 (5) de la loi du 5 mai 2006, les déclarations du demandeur d’une protection internationale ne nécessitent pas confirmation, même à défaut de preuves documentaires, à condition que la crédibilité générale ait pu être établie. Or, justement en l’espèce, le tribunal a retenu un défaut de crédibilité du récit, de sorte que le demandeur ne saurait faire état du « bénéfice du doute ».

Il s’ensuit que c’est à bon droit, sans commettre une erreur d’appréciation des faits et sans violer la loi, que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les explications du demandeur quant au détail de son récit, ainsi que celles sur la définition de la notion de persécution et sur celle de crainte de persécution, ni les développements de la partie étatique quant à la possibilité d’une fuite interne ou encore sur la question de savoir si les motifs de persécution rentrent dans ceux prévus par la Convention de Genève.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il échet tout d’abord de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Le tribunal est amené à relever que le demandeur fonde sa demande de protection subsidiaire sur les mêmes faits que ceux exposés à l’appui de sa demande principale, sans pour autant soumettre au tribunal des moyens propres à cette demande.

Or, compte tenu de la conclusion ci-avant retenue que le récit du demandeur n’est pas crédible, et à défaut d’autres moyens de nature à étayer sa demande de protection subsidiaire, le tribunal est amené à constater que le demandeur reste en défaut de lui soumettre de façon crédible des éléments suffisamment concrets, de nature à établir l’existence d’un risque réel dans son chef de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et plus particulièrement qu’il risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne en sa qualité de civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté également la demande de protection subsidiaire du demandeur.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée. Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 6 février 2009 est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur n’invoque pas de motifs propres à l’appui de son recours contre l’ordre de quitter le territoire, dont il se contente de demander l’annulation en conséquence de la réformation de la décision de refus de la protection internationale.

Or, du moment que le tribunal vient de retenir que le demandeur n’a pas fait état de façon crédible d’une crainte fondée de persécution dans son pays d’origine au sens de l’article 1er, section A § 2 de la Convention de Genève et de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, ni n’a-t-il justifié qu’il existerait de sérieux motifs de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il courrait un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, le tribunal est amené à retenir qu’il n’est pas saisi de moyens susceptibles de remettre utilement en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 6 février 2009 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 9 juillet 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

s. Claude Legille s. Carlo Schockweiler 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 25484
Date de la décision : 09/07/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-07-09;25484 ?

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