Tribunal administratif Numéros 24522 et 25336 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 20 juin 2008 et 1re chambre 28 janvier 2009 Audience publique du 8 juillet 2009 Recours formés par la société à responsabilité limitée … s.à r.l., …, contre deux décisions de l’Etablissement public FONDS BELVAL en présence de la société anonyme … S.A.
en matière de marchés publics
____________________________________________________________________________
JUGEMENT
I.
Vu la requête déposée le 20 juin 2008 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 24522 du rôle, par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … s.à.r.l., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B38254, tendant à l’annulation d’une décision de l’Etablissement public le FONDS BELVAL du 5 juin 2008, portant adjudication d’un marché de travaux d’installation d’équipements HVAC dans le cadre de la construction d’un incubateur d’entreprises dans les anciens vestiaires des hauts fourneaux à Belval à la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Geoffrey GALLE, demeurant à Esch-sur-Alzette, du 24 juin 2008, portant signification de ce recours à l’établissement public le FONDS BELVAL, ainsi qu’à la société anonyme … S.A.;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 novembre 2008 par Maître Thierry REISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour la société anonyme … S.A., Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 novembre 2008 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour compte de l’Etablissement public le FONDS BELVAL ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 décembre 2008 par Maître Steve HELMINGER pour compte de la société à responsabilité limitée … s.à.r.l. ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 janvier 2009 par Maître Patrick KINSCH pour compte de l’Etablissement public le FONDS BELVAL II.
Vu la requête déposée le 28 janvier 2009 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 25336 du rôle, par Maître Steve HELMINGER au nom de la société à responsabilité limitée … s.à.r.l. tendant à l’annulation d’une décision de l’Etablissement public le FONDS BELVAL du 9 décembre 2008 portant annulation de la soumission du 4 mars 2008 et remettant en soumission les travaux d’installation d’équipements HVAC dans le cadre de la construction d’un incubateur d’entreprises dans les anciens vestiaires des hauts fourneaux à Belval, Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 29 janvier 2008, portant signification de ce recours à l’établissement public le FONDS BELVAL;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 avril 2009 par Maître Patrick KINSCH pour compte de l’Etablissement public le FONDS BELVAL ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Steve HELMINGER et Maître Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mai 2009 ;
I.
Vu l’avis du tribunal du 12 mai 2009 ayant prononcé la rupture du délibéré ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 juin 2009 par Maître Steve HELMINGER pour compte de la société à responsabilité limitée … s.à.r.l. ;
Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 juin 2009 par Maître Patrick KINSCH pour compte de l’Etablissement public le FONDS BELVAL ;
I. + II. Vu les pièces versées en cause et plus particulièrement les décisions critiquées ;
Entendu Maître Anouck BAUER en remplacement de Maître Steve HELMINGER et Maître Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 juin 2009.
___________________________________________________________________________
a) Quand aux faits :
A la suite de la publication d’un avis d’adjudication de travaux d’installation d’équipements HVAC dans le cadre de la construction d’un Incubateur d’entreprises dans les anciens vestiaires des hauts fourneaux de Belval, la société à responsabilité limitée … s.à r.l.
soumit un dossier de soumission à l’établissement public le FONDS BELVAL.
Il résulte du procès-verbal de l’ouverture de la soumission, ayant eu lieu en date du 4 mars 2008, que quatre sociétés ont soumis des offres dans le délai imparti et que l’offre la plus favorable a été remise par la société … S.A.. L’offre du mieux-disant a précédé la deuxième classée, à savoir celle remise par … de quelques 200.000,- euros, de sorte à faire apparaître un écart de prix d’environ 31% entre la meilleure offre et celles des trois autres soumissionnaires.
Par courrier du 5 mars 2008, … a demandé une analyse de prix en se basant sur l’article 80 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics. Par courrier du 21 mars 2008, le FONDS BELVAL a demandé à … des certificats de non-obligation à l’égard du centre informatique, d’affiliation et de perception des cotisations, commun aux institutions de sécurité sociale, à l’Administration des contributions directes et à l’Administration de l’enregistrement et des domaines, lesquels leur furent remis pas courrier du 27 mars 2008.
En date du 30 mai 2008, la demanderesse a réitéré sa demande d’analyse des prix. Par courrier du 5 juin 2008 le FONDS BELVAL informa … que son offre n’a pas été retenue et que l’offre la mieux-disante, à savoir celle de la société anonyme … S.A. serait adjudicataire. Par courrier recommandé du 10 juin 2008, … introduisit un recours gracieux contre la décision du FONDS BELVAL n’ayant pas retenu son offre. Ce recours gracieux est resté sans suites. En date du 20 juin 2008, la société … a déposé un recours en annulation (n° 24522 du rôle) contre la décision du FONDS BELVAL du 5 juin 2008, ainsi qu’un recours en sursis à exécution. Par ordonnance du 2 juillet 2008, le président du tribunal administratif a déclaré la requête en sursis à exécution non justifiée et en a débouté ….
En date du 8 décembre 2008, son conseil d’administration du FONDS BELVAL a décidé d’annuler la mise en adjudication et de remettre la soumission sur le marché au motif que le résultat de la soumission aurait été insatisfaisant. Le nouvel avis d’adjudication a été publié en date du 8 janvier 2009.
En date du 28 janvier 2009, … a introduit un recours en annulation sous le numéro 25336 du rôle contre la décision du conseil d’administration du FONDS BELVAL du 8 décembre 2008 portant annulation de la décision d’adjudication du 5 juin 2008.
Finalement, en date du 2 mars 2009 le conseil d’administration du FONDS BELVAL prit la décision d’annuler sa décision du 8 décembre 2008 au motif que la procédure légale telle que prévue par l’article 91 du règlement grand-ducal du 7 juillet pour l’annulation d’une mise en adjudication n’aurait pas été respectée.
b) Quant à la recevabilité Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice il convient de joindre les deux recours pour les toiser par un seul et même jugement, les deux décisions entreprises se trouvant dans un même agencement juridique et concernant les mêmes parties.
Dans un premier temps et avant l’examen des moyens soulevés de part et d’autre, il appartient au tribunal d’analyser la recevabilité des deux recours et plus particulièrement la situation juridique telle qu’elle se présente suite à l’ensemble des décisions administratives intervenues en l’espèce et de se prononcer plus particulièrement sur les effets des deux décisions d’annulation, datées respectivement du 8 décembre 2008 et du 2 mars 2009, sur l’objet même du litige à savoir la décision d’adjudication du 5 juin 2008.
A ce sujet, la société … affirme que par le biais de la décision du conseil d’administration du FONDS BELVAL du 2 mars 2009 ayant annulé la décision d’annulation du 8 décembre 2008, la soumission originaire renaîtrait.
Le FONDS BELVAL affirme de son côté que la décision du 2 mars 2009 serait une décision de retrait de la décision du 8 décembre 2008, de sorte qu’elle anéantirait rétroactivement la décision retirée. Le FONDS BELVAL affirme encore que la décision du 8 décembre 2008 constituerait une décision d’annulation de la mise en adjudication au sens de l’article 91 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 qui, par l’effet de son retrait, serait censée ne jamais avoir été prise. Le FONDS BELVAL en conclut que la situation juridique actuelle serait celle décrite par … dans son mémoire complémentaire.
Le tribunal est d’abord amené à analyser la situation telle qu’elle s’est présentée suite à la décision du 8 décembre 2008. Il résulte du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du FONDS BELVAL du 8 décembre 2008 et plus particulièrement du point B4. dudit rapport que « le conseil prend la décision d’annuler la soumission relative aux travaux HVAC dans l’intérêt de l’incubateur d’entreprises en raison du résultat insatisfaisant.
D’une part l’offre la moins disante est contestable en raison des prix offerts pour les trois positions relevées dans l’avis de la commission des soumissions et d’autre part l’offre la seconde placée inclus un bénéfice illicite clairement détecté dans le cadre de l’analyse approfondie. La remise doit intervenir dans les meilleurs délais pour ne pas occasionner des retards supplémentaires. Le conseil invite le directeur d’informer les soumissionnaires de la décision prise ».
Cette décision s’analyse en un retrait de la décision d’adjudication du 5 juin 2008 en ce qu’elle précise remettre les travaux en question en adjudication, de sorte à faire disparaître rétroactivement la décision d’adjudication de l’ordonnancement juridique. Le retrait d’un acte administratif est en effet l’acte juridique par lequel une autorité administrative décide d’anéantir ab initio une décision dont elle est l’auteur. Le retrait s’opère ex nunc. C’est en cela qu’il se distingue de l’abrogation qui anéantit l’acte administratif ex nunc. Le retrait a donc pour effet d’effacer complètement toutes les conséquences de l’acte sur lequel il porte, exactement comme si celui-ci était annulé1. Cette conclusion ne saurait être énervée par une éventuelle illégalité de la décision de retrait, étant donné que tout acte administratif même illégal a un effet direct et produit dès lors les effets juridiques voulus aussi longtemps que le vice d’illégalité n’a pas été reconnu par l’autorité compétente, à savoir le supérieur hiérarchique, l’autorité de tutelle ou la juridiction. L’acte administratif jouit en effet d’une présomption de validité et il lui est dû obéissance2.
1 André Buttgenbach, Manuel de Droit administratif, Partie I, page 352 2 André Buttgenbach, Manuel de Droit administratif, Partie I, page 349 Au vu des développements qui précédent, force est dès lors de constater que par l’effet de la décision du conseil d’administration du FONDS BELVAL du 8 décembre 2008, la décision d’adjudication du 5 mars 2005 était censée ne jamais avoir existé et a partant définitivement disparu de l’agencement juridique.
Or, lors de sa réunion du 2 mars 2009, le conseil d’administration du FONDS BELVAL a pris une nouvelle décision libellée comme suit : « Le conseil prend acte de l’avis du conseil juridique concernant l’affaire … et décide d’annuler l’appel d’offre en cours, de revenir sur sa décision d’annuler la soumission du 4 mars 2008 relative aux travaux HVAC dans l’intérêt de l’incubateur d’entreprise et d’engager la procédure d’annulation dans le strict respect de la loi du 30 juin 2003 et plus particulièrement l’article 91. Les soumissionnaires seront informés par lettre recommandée de l’annulation de l’appel d’offre ». Ce faisant le conseil d’administration a dès lors, tout comme pour la décision du 5 juin 2008, procédé à un retrait de la décision du 8 décembre 2008, laquelle est partant censée ne jamais avoir existé. Au vu de ce qui précède, le recours introduit sous le numéro 25336 introduit contre la décision du 8 décembre 2008 est devenu sans objet.
Il y a lieu d’examiner ensuite si la décision du conseil d’administration intervenue en date du 2 mars 2009 annulant la décision du conseil d’administration du 8 décembre 2008 a pu automatiquement faire revivre la décision d’adjudication du 5 juin 2008.
Force est d’abord de rappeler qu’en principe les actes administratifs ne disposent que pour l’avenir. En vertu de ce principe général de droit public, appelé encore principe de non-
rétroactivité des actes administratifs, aucune autorité administrative ne peut légalement, sauf habilitation légale, fixer l’entrée en vigueur d’une décision réglementaire ou individuelle, à une date antérieure à celle respectivement de sa publication ou de sa notification. Concernant le fondement de la règle de non-rétroactivité des actes administratifs, il convient de relever qu’elle n’est pas une application pure et simple de l’article 2 du code civil, mais il s’agit d’un principe général du droit lequel relève de la simple logique juridique et découle notamment d’une nécessité sociale. Ledit principe s’impose avec force de loi, sans avoir besoin d’un texte écrit (CA 25-2-1999 n°11015C du rôle, Pas. adm. 2008 V° Actes administratifs n°98).
Même si exceptionnellement et sous réserve des droits des tiers, l’administration peut procéder à la réfection d’une décision créatrice ou recognitive de droits annulée moyennant la prise d’une nouvelle décision assortie d’une rétroactivité tenant à rétablir les choses dans l’état où elles se seraient trouvées s’il n’y avait pas eu annulation (CA 13-12-2007 n°23055C du rôle Pas. adm. 2008 V° Actes administratifs n°100), il n’en demeure pas moins que pareille exception au principe général de la non-rétroactivité ne se présume point et doit résulter d’une manifestation de volonté claire et non équivoque.
Même à admettre que l’autorité administrative ait pu faire revivre la décision administrative par le biais d’une décision d’exception revêtant un effet rétroactif, encore aurait-
il fallu qu’elle s’exprime explicitement en ce sens, ne serait-ce que pour conférer un minimum de sécurité juridique aux parties concernées.
Or, en l’espèce, le tribunal constate que la décision du 2 mars 2008 ne contient aucune clause de rétroactivité tenant à faire revivre explicitement la décision d’adjudication du 5 mars 2008 qui, par l’effet de son annulation, avait disparu de l’ordonnancement juridique depuis le 8 décembre 2008, de sorte que le recours introduit sous le numéro 24522 est devenu également sans objet.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
joint les recours introduits sous les numéros 24522 et 25336 du rôle ;
reçoit les recours en annulation en la forme ;
au fond les déclare sans objet ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juillet 2009 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Paulette Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9.7.2009 Le Greffier du Tribunal administratif 6