Tribunal administratif N° 24965 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2008 1re chambre Audience publique du 24 juin 2009 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24965 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2008 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Brésil), de nationalité brésilienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 septembre 2008 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour présentée le 5 septembre 2008 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2008 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2009 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2009 ;
Vu la rupture du délibéré prononcée en date du 31 mars 2009 ;
Vu les pièces complémentaires déposées au greffe du tribunal administratif les 2 et 3 avril 2009 par Maître Ardavan Fatholahzadeh ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement ainsi que les dossiers administratifs déposés au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2009 ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Anne Kayser en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mai 2009.
Madame … est arrivée au Grand-Duché de Luxembourg au mois de mars 2002.
Après avoir séjourné pendant plusieurs années irrégulièrement au pays, elle a déposé par l’intermédiaire du service d’animation socio-culturelle « CLAE services asbl » en date du 5 septembre 2008 une demande en obtention d’une autorisation de séjour aux motifs suivants :
« Nous avons l'honneur de nous adresser à vous en faveur de Madame … – née le… – Brésil.
Madame … est arrivée à Luxembourg au mois de mars 2002. Depuis presque 7 ans, elle vit et travaille au Luxembourg. Elle est locataire d'un appartement et elle est affiliée à la Sécurité Sociale.
Son envie d'intégration au Luxembourg l'a poussée à suivre plusieurs cours de langue, ce qui lui a permis de parler le Français.
Pendant son séjour à Luxembourg, elle est survenue à ses besoins personnels et elle n'est pas susceptible de compromettre la sécurité et l'ordre publics, et au même temps, le fruit de son travail lui permet de vivre avec un peu de dignité.
Quoiqu’elle n’a pas beaucoup de documents prouvent son séjour, surtout des premières années, elle peut prouver son séjour par le biais d'attestations testimoniales des amis qui la connaissent depuis 2002.
Afin de lui permettre de régulariser sa situation, nous vous demandons votre bienveillance de lui accorder l'autorisation de séjour provisoire, qui lui permettra d'être employé légalement au Luxembourg. Une promesse d'embauche est jointe à la présente.
En attendant que notre demande soit prise en considération nous nous permettons de vous envoyer en annexe, les pièces qui documentent son séjour de presque 6 ans au pays. » Cette demande a fait l’objet d’une décision de rejet du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 septembre 2008.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2008, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision de refus ci-avant visée du 26 septembre 2008.
Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, le tribunal est en principe compétent pour connaître du recours en annulation introduit.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
La décision faisant l’objet du recours est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur d'accuser réception votre lettre du 5 septembre 2008 concernant l'objet sous rubrique.
J'ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre demande alors qu'aucune preuve du séjour de Madame … est donnée.
Par ailleurs, selon l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers, la délivrance d'une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d'existence suffisants permettant à l'étranger d'assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l'aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à lui faire parvenir.
L'intéressée est donc invitée à quitter le pays dans la huitaine. A défaut d'un départ volontaire, le rapatriement sera organisé par les forces de l'ordre. » A l’appui de son recours la demanderesse reproche au ministre de ne pas avoir motivé à suffisance sa décision de refus, étant donné que la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ne subordonnerait pas nécessairement la délivrance d’une autorisation de séjour à la possession de moyens d’existence suffisants, mais accorderait au ministre un pouvoir d’appréciation pour accorder ou refuser l’autorisation. Elle lui reproche en outre d’avoir retenu un motif de refus non prévu par la loi, en l’occurrence celui de l’absence de preuve d’un séjour prolongé au pays dans son chef. Après avoir relevé, à l’instar de ce qui a été signalé à l’appui de sa demande initiale, qu’elle a séjourné de manière continue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le mois de mai 2002, qu’elle est locataire d’un appartement et qu’elle est affiliée à la sécurité sociale et qu’elle est toujours subvenue seule à ses besoins tout en ayant été en mesure d’envoyer régulièrement de l’argent à sa famille au Brésil, la demanderesse estime que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des faits qui lui ont été soumis et rompu le principe de l’égalité des sujets administratifs se trouvant dans une même situation de fait, étant donné qu’un certain nombre d’étrangers se trouvant dans une situation identique à la sienne se seraient vu accorder une autorisation de séjour par la même autorité administrative.
Le délégué du gouvernement insiste de son côté sur le caractère non légalement perçu des revenus de l’intéressée tout en relevant que les faits de disposer d’un logement, de subvenir à ses besoins et d’être affilié à la sécurité sociale seraient insuffisants pour légaliser la présence d’un étranger qui n’a pas de permis de travail ou de séjour sur le territoire luxembourgeois. Il relève plus particulièrement que l’intéressée n’aurait à aucun moment entrepris des démarches afin de régulariser sa situation et que ce n’aurait été que suite à un contrôle inopiné de la police judiciaire qu’elle a enfin déposé une demande d’autorisation de séjour. Quant à la rupture alléguée du principe d’égalité entre sujets administratifs, la partie étatique reproche à la demanderesse de ne pas prouver en quoi des cas identiques auraient été traités différemment par le ministre.
Le tribunal ayant prononcé la rupture du délibéré afin de permettre à la demanderesse de fournir la liste des personnes prétendument dans la même situation qu’elle-même et ayant prétendument bénéficié d’une autorisation de séjour, le mandataire de la demanderesse s’est référé concrètement au cas de 12 personnes, en l’occurrence ….
Le délégué du gouvernement a déposé des extraits des dossiers administratifs des différentes personnes concernées, à l’exception de la famille …, documentant leurs démarches en vue de la délivrance d’une autorisation de séjour et comportant les décisions afférentes. Il a en outre pris position moyennant un mémoire supplémentaire à cet égard en insistant sur le caractère clair de la possibilité accordée au ministre de refuser l’autorisation de séjour à un étranger qui se trouve dans l’un des trois cas énumérés à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée. Il signale dans ce contexte que le ministre userait de cette faculté de manière subjective et au cas par cas afin de prendre en considération les spécificités intrinsèques à chaque situation humaine, tout en soulignant que l’absence de ligne de conduite excessivement ferme en cette matière jouerait en la faveur des demandeurs dont chaque situation serait unique.
Concrètement il met en évidence plusieurs divergences entre les dossiers auxquels la demanderesse s’est référée et la situation personnelle de cette dernière. Une divergence principale consisterait dans le fait que l’intéressée a vécu illégalement au pays depuis 2002 sans jamais entreprendre de démarches afin de régulariser sa situation. En outre la plupart des cas visés par la demanderesse concerneraient des demandeurs de protection internationale déboutés justifiant de ce fait du moins d’une présence régulière sur le territoire luxembourgeois durant la durée de leur procédure d’asile et n’ayant à aucun moment tenté de dissimuler leur présence aux autorités luxembourgeoises. Quant au deux cas figurant sur la liste déposée par le mandataire de la demanderesse concernant des personnes ayant requis une autorisation de séjour sans avoir préalablement déposé une demande de protection internationale, le représentant étatique relève que le cas de Monsieur …concerne une personne ayant obtenu un permis de séjour suite à la naissance au Luxembourg d’un enfant issu de son union avec une ressortissante luxembourgeoise avec laquelle il a par la suite contracté mariage, tandis que le cas de Madame … concerne une personne qui est au pays depuis 2001 déjà et qui avait apporté plusieurs preuves de sa présence effective à compter de 2002. Elle aurait fait preuve en outre d’une recherche officielle d’emploi témoignant de sa volonté de légalisation qui remonte à l’année 2005, ainsi que d’un désir d’intégration par le fait de sa participation à plusieurs cours de langue luxembourgeoise à compter d’octobre 2004. La demanderesse n’apporterait de son côté aucun document de nature à documenter son séjour et une occupation professionnelle au Luxembourg depuis 2002. Au contraire, un rapport de police établi le 28 octobre 2008 relèverait qu’elle n’aurait jamais été trouvée à l’adresse à laquelle elle se serait déclarée et constaterait également l’absence de boîte aux lettres. De plus, aucune volonté d’intégration antérieure au contrôle inopiné de police ne serait décelable dans le chef de la demanderesse, de sorte que, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, un traitement différencié de son cas par rapport aux dossiers par elle visés serait justifié.
Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, applicable au jour des décisions ministérielles attaquées : « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Si, au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut certes être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers, ledit article 2 ne fait pas pour autant obligation au ministre de refuser l’entrée et le séjour à un étranger qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, mais lui confère une simple faculté afférente.
En l’absence de critères déterminant positivement les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour, le ministre est investi par la loi d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard dont l’exercice n’échappe cependant pas pour autant entièrement au contrôle des juridictions administratives ; si le ministre dispose en effet certes d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non une autorisation de séjour à un étranger, il ne saurait toutefois verser dans l’arbitraire dans l’exercice de ce pouvoir. Dans le cadre de son contrôle de la légalité de la décision déférée il appartient au juge administratif de vérifier si les faits retenus à la base du motif de refus retenu par le ministre sont établis et, dans l’affirmative, d’examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis afin de vérifier s’il n’y a pas une flagrante disproportion entre les moyens employés et le résultat escompté qui puisse laisser entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité. Dans la mesure où un usage excessif de ce pouvoir peut se traduire notamment par une violation du principe général de l’égalité des administrés devant la loi, la demanderesse a en l’espèce valablement pu suggérer une approche comparative afin de voir vérifier si son cas présente des différences objectivement retraçables par rapport à d’autres cas d’étrangers en situation irrégulière, clairement identifiées par ses soins, qui se sont soldés par une décision positive en la matière, ceci d’autant plus en l’absence de toute ligne directrice produite en cause qui serait susceptible d’éclaircir le tribunal sur l’approche de principe du ministre en matière d’octroi d’une autorisation de séjour.
Tel que relevé par le délégué du gouvernement, la plupart des cas visés par la demanderesse ont trait à des situations qui se distinguent sur un point fondamental de sa propre situation en ce qu’il s’agit de demandeurs d’asile déboutés, soit de personnes qui au départ ont activement et de leur propre gré recherché la protection des autorités luxembourgeoises. Le tribunal estime que le ministre a valablement pu distinguer la situation de ces personnes dans son approche de régularisation et leur réserver un traitement différent qu’aux personnes qui se sont sciemment maintenues dans l’illégalité depuis leur arrivée au pays et n’ont déployé des efforts de régularisation qu’à la suite notamment d’un contrôle de police, tel le cas de la requérante.
Il s’ensuit que les cas … ne sauraient être utilement invoqués par la demanderesse pour établir une inégalité de traitement dans son propre chef, étant donné que la situation de ces personnes présente des différences objectives justifiant une approche différenciée de la part du ministre qui, tel que relevé ci-avant est investi au vœu même du législateur d’un très large pouvoir discrétionnaire à cet égard.
Force est encore de constater que le délégué du gouvernement a valablement pu relever une différence objective justifiant une approche plus souple par rapport au cas de Monsieur … qui présente la particularité d’être lié avec une ressortissante luxembourgeoise depuis plusieurs années et d’être le père d’une enfant née de cette union actuellement âgée de 2 ans.
Concernant par contre le cas de Madame … , de nationalité sénégalaise qui d’après les pièces versées au dossier administratif réside irrégulièrement au Luxembourg sans interruption depuis 2001 et y était occupée illégalement dans des ménages sans s’être adressée pendant plusieurs années aux autorités luxembourgeoises afin de solliciter une quelconque protection internationale ou afin de régulariser sa situation, les explications fournies en cause par le délégué du gouvernement n’emportent pas la conviction du tribunal quant à l’existence d’une différence objective de situation par rapport au cas de la demanderesse. Les faits relevés par le délégué du gouvernement pour souligner une différence afférente, en l’occurrence la volonté de régularisation par le fait d’avoir demandé un permis de travail en 2005, soit plusieurs années seulement après son arrivée au pays, ainsi qu’une volonté d’intégration par sa participation à des cours de luxembourgeois, sont des éléments qui, en l’état actuel du dossier de la demanderesse, paraissent également vérifiés dans le chef de cette dernière ; contrairement à ce qui est soutenu par le délégué du gouvernement, la présence de Madame … au pays depuis 2002 n’est en effet pas simplement alléguée, mais offerte en preuve moyennant de nombreuses pièces dont notamment des attestations testimoniales que le tribunal ne saurait simplement mettre en doute sur base des seules contestations non autrement sous-tendues de la partie étatique. La demanderesse a versé au dossier en outre toute une série de certificats médicaux documentant un certain suivi médical dans son chef qui implicitement fait présumer sa présence plus ou moins continue au pays. Quant au rapport de police invoqué par le délégué du Gouvernement, force est encore de relever que contrairement à ce qui est soutenu il affirme non pas l’inexistence, mais bien l’existence d’une boîte aux lettres (« jedoch befand sich an oben genannter Adresse ein Briefkasten mit dem Namen der Interessentin »), tout en fournissant une explication relative à l’absence répétée de l’intéressée « Am 23.10.2008 wurde Amtierender seitens der Abgeordneten AREND Nancy telefonisch über die Situation der Interessentin aufgeklärt. Sie gab an, dass … Angst davor hätte, die Polizei würde sie zwangsausweisen.
Zudem wäre die aktuelle Situation von … nicht ganz aufgeklärt und ihre Akte würde nochmals durchgesehen werden ». La même conclusion s’impose par rapport à la volonté d’intégration évoquée par le délégué du gouvernement qui, étant donné qu’au vu des arguments développés et des pièces produites en cause, pareille volonté ne saurait être utilement déniée à la demanderesse.
Il se dégage des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel d’instructions du dossier la différence de traitement par le ministre des dossiers de Mesdames … et … n’est pas justifiée par des considérations objectivement retraçables et susceptibles de sous-tendre raisonnablement un traitement différencié. Quant au cas de la famille …, force est encore de constater qu’en l’absence de dossier administratif afférent versé en cause, le tribunal n’a pas été mis en mesure de dégager une éventuelle justification d’un traitement différencié permettant d’écarter l’argumentation de la demanderesse comme étant non fondée.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision de refus déférée encourt l’annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit justifié;
partant annule la décision ministérielle déférée du 26 septembre 2008 ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 juin 2009 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Lenert 7