Tribunal administratif N° 25528 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mars 2009 3e chambre Audience publique du 17 juin 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23. L. 5 mai 2006)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25528 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2009 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Ethiopie), déclarant demeurant actuellement à L- …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 février 2009 déclarant irrecevable sa demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pascal Petoud et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2009.
Le 15 octobre 2003, Monsieur … présenta auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, informa Monsieur … par décision du 29 septembre 2006, lui envoyée par courrier recommandé expédié en date du 2 octobre 2006, de ce qu’il ne saurait bénéficier ni de la protection prévue par la Convention de Genève ni de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … avait fait introduire un recours contentieux à l’encontre de cette décision ministérielle du 29 septembre 2006. Celui-ci fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 18 avril 2007 inscrit sous le numéro 22264 du rôle comme étant non fondé, et l’appel afférent fut déclaré non fondé par la Cour administrative suivant arrêt du 12 juillet 2007 inscrit sous le numéro 22964C du rôle.
En date du 26 janvier 2009, Monsieur … déposa auprès du ministère des Affaires et de l’Immigration une demande de protection internationale. Il fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration le 3 février 2009. Par décision du 12 février 2009, le ministre de Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », déclara sa demande irrecevable faute de présenter un élément ou un fait nouveau qui augmenteraient de manière significative la probabilité qu’il remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale conformément à l’article 23 de la loi du 5 mai 2006. La décision lui fut notifiée par courrier recommandé envoyé le 19 février 2009. Cette décision est libellée en les termes suivants :
« Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 26 janvier 2009.
Vous avez déposé une demande d'asile en date du 15 octobre 2003. Une décision de rejet de cette demande vous a été notifiée le 5 octobre 2006. Vous avez été débouté de votre demande par un arrêt de la Cour administrative en date du 12 juillet 2007. Vous aviez invoqué à la base de cette demande que vous auriez été membre d'une organisation dénommée « sidama liberation front » (SLF) regroupant des membres de l'ethnie sidama.
Vous faites état de deux emprisonnements en raison de la prédite appartenance, ayant eu lieu en 1993 et en 1999. En 2002, suite à une manifestation à laquelle vous auriez participé la police vous aurait recherché, de sorte que vous seriez allé vous réfugier dans une ville de l'Ethiopie dénommée « mémée » durant un an et demi environ, avant de finalement partir pour l'Europe.
Il ressort de votre demande de protection internationale du 26 janvier 2009 que vous souhaitez compléter votre demande d'asile du 15 octobre 2003. En effet, vous expliquez que vous n'aviez à cette occasion apporté aucune preuve de votre appartenance politique de sorte que vous déposez maintenant un document indiquant que vous seriez membre du SLF et que vous seriez recherché. Vous ajoutez qu'étant donné que votre certificat de baptême était contesté dans le cadre de votre demande d'asile, vous versez une attestation de l'église orthodoxe ayant pour objet le certificat de baptême anciennement déposé.
Force est de constater qu'il n'existe aucun fait nouveau depuis votre demande d'asile du 15 octobre 2003. En effet, les problèmes que vous relatez sont identiques à ceux déclarés auparavant et ceux-ci ont déjà été examinés et toisés dans le cadre de la prise de décision ministérielle du 29 septembre 2006, respectivement par les juridictions compétentes. En effet, il a été jugé par la cour administrative le 15 juillet 2007 que « force est de constater avec les premiers juges que … se prévaut essentiellement de son activité au sein du parti « front de libération sidama » et que même en admettant la véracité de son récit, il fait état de deux évènements ayant eu lieu en 1993 et en 1996, sans cependant relater qu'il aurait eu d'autres problèmes entre ces deux dates. Or, ces deux évènements (…) sont trop éloignés afin de pouvoir être considérés au jour où le tribunal statue comme fondement à une crainte actuelle de persécution au sens de la Convention de Genève ». La Cour, tout comme le Tribunal administratif, a également retenu le bénéfice de la fuite interne sachant que vous êtes resté en Ethiopie pendant près d'une année et demie sans faire valoir un quelconque problème.
En outre, les deux documents apportés ne prouvent en rien que ce que vous déclarez avoir vécu en Ethiopie est réel. Le certificat de baptême ne prouve ni votre identité ni que vous avez réellement été emprisonné ou que vous risquiez d'être persécuté. La prédite attestation ne fait qu'attester que « wolde yohannes » est un prénom de baptême conformément au certificat de baptême versé dans le cadre de votre demande d'asile du 15 octobre 2003. Or, le problème n'est pas de contester si vous avez un prénom de baptême ou pas, le problème est que le certificat de baptême versé comportait plusieurs irrégularités qui nous ont amené à penser que c'est un faux document. L'attestation du 3 septembre 2008 versée ne démontre pas que le certificat de baptême est authentique, ni n'apporte des justifications aux irrégularités constatées.
D'autre part, concernant le document du SLF de forts doutes quant à son authenticité sont à émettre. En effet, le nom même du groupe est mal orthographié alors qu'il est noté « sidama libration front », au lieu de « sidama liberation front » tel qu'il est écrit notamment sur le site officiel de l'organisation, erreur qui se retrouve même dans le cachet du document.
Le nom du signataire n'est pas inscrit, la signataire est donc invérifiable. Quant à la photo, on se demande de quelle façon celui qui a émis le document a-t-il pu l'obtenir.
A la lumière des remarques précédentes, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2009 Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 12 février 2009.
Etant donné que l’article 23 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation déposé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délais de la loi, est dès lors recevable.
A l’appui de son recours, Monsieur … fait valoir qu’il aurait versé deux nouveaux documents en provenance d’Ethiopie qui seraient de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale. Il soutient qu’il aurait été difficile d’obtenir ces documents, de sorte qu’il n’aurait pas pu les verser lors de la demande d’asile en 2003. Il estime que l’attestation de l’Eglise Tewehido Orthodoxe éthiopienne viendrait corroborer ses explications quant au certificat de baptême versé en 2003 et il conteste les doutes émis par le ministre au sujet de l’authenticité de l’attestation du « sidama liberation front ». Il fait valoir que l’absence du nom du signataire s’expliquerait par les risques que cette personne encourrait en cas de découverte d’un tel document par les autorités éthiopiennes. D’autre part, une simple erreur d’orthographe ne signifierait pas que le document serait un faux alors que le document serait rédigé en anglais et non en amharique.
Le délégué du gouvernement fait valoir qu’aucun élément nouveau n’aurait été présenté par le demandeur, de sorte que les faits soumis auraient déjà été toisés par les juridictions administratives. Il estime que l’autorité de la chose jugée s’opposerait à ce que les faits soient examinés à nouveau. En effet, l’attestation de l’église orthodoxe ne rectifierait pas les irrégularités constatées dans le certificat de baptême versé lors de la demande d’asile. Il rappelle que le certificat serait daté prés de 8 ans avant la naissance du demandeur. Le délégué du gouvernement met également en doute l’authenticité du second document et réfute l’argumentaire afférent du demandeur en soulignant que le site internet du parti « sidama liberation front » serait rédigé en anglais et que le nom du parti y figurerait correctement orthographié.
Quant au doute émis par le ministre quant à l’authenticité des deux documents versés, force est de constater que confronté à cette qualification retenue par le ministre dans la décision déférée du 12 février 2009, le demandeur, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, a continué à soutenir qu’il s’agirait de documents authentiques contestant ainsi la qualification du ministre.
Le faux en écriture ne se présumant pas et l’article 19 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives prévoyant expressément la possibilité d’une demande en inscription de faux contre une pièce produite, il y a lieu de constater en l’espèce que confronté aux contestations du demandeur, le délégué du gouvernement s’est limité à réaffirmer les arguments du ministre, mais n’a pas pour autant formulé une demande en inscription de faux qui aurait permis au tribunal d’engager la procédure spécifique afférente prévue à l’article 19 prévisé aboutissant le cas échéant à un jugement sur les faux par le tribunal compétent en la matière.
Il s’ensuit qu’en l’état actuel du dossier, il n’appartient pas au tribunal de retenir la qualification de faux documents par rapport aux pièces litigieuses. Dans ces circonstances, il appartient au tribunal d’analyser si les deux pièces nouvelles versées, de par leur contenu, sont de nature à augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire aux termes de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
Force est de constater que le jugement du 18 avril 2007, confirmé par l’arrêt de la Cour administrative du 12 juillet 2007, a retenu qu’un seul élément du récit du demandeur ne serait pas trop éloigné dans le temps pour être pris en compte comme fondement éventuel à une crainte actuelle de persécution au sens de la Convention de Genève, à savoir des évènements qui se sont déroulés en mai 2002. Or, les deux instances des juridictions administratives sont venues à la conclusion que le récit, dont la crédibilité n’a pas été énervée par les juridictions, ne leur permettrait pas de retracer un risque individualisé de persécution dans le chef du demandeur. Force est de constater que ni le document de l’organisation « sidama liberation front » ni le certificat de l’Eglise Tewahido Orthodoxe Ethiopienne ne contiennent de faits qui n’ont pas été soumis aux deux instances des juridictions administratives, de sorte qu’il a y lieu de conclure, de concert avec le délégué du gouvernement, que les faits et motifs y figurant ont déjà été toisés par les juridictions administratives. En effet, l’affiliation du demandeur à l’organisation « sidama liberation front », la démonstration qui s’était déroulée le 24 mai 2002 ainsi que l’encerclement de la maison du demandeur par les forces de l’ordre ont fait l’objet de l’analyse effectuée par les juridictions administratives lors de la demande d’asile. Il en est de même du fait que le demandeur fut caché pendant plus d’un an dans des territoires contrôlés par la « sidama liberation front ». Ce dernier fait a d’ailleurs amené les juridictions administratives à conclure que le demandeur a pu bénéficier d’une possibilité de fuite interne, conclusion qui n’est pas relativisée par les nouvelles pièces versées. Partant, il a y lieu de conclure que les deux nouvelles pièces versées n’apportent aucun élément nouveau permettant de revenir sur la conclusion de l’arrêt de la Cour administrative du 12 juillet 2008 coulée en force de chose jugée, de sorte que ces pièces ne sont pas à qualifier d’éléments ou de pièces nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié.
La même conclusion s’impose en ce qui concerne le volet de la protection subsidiaire, étant donné que les juridictions administratives, sur base des faits dans le débat au moment de rendre leur décision, ont conclu que le demandeur resterait en défaut d’expliquer pour quels motifs sérieux et avérés il serait permis de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 s’il serait renvoyé dans son pays d’origine. Dans la mesure où les deux pièces nouvellement versées n’apportent aucun élément factuel dont les premiers juges ne disposaient pas, il y a lieu de conclure que ces pièces ne sont pas à qualifier d’éléments ou de pièces nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à la protection subsidiaire.
Il s’ensuit que cette deuxième demande a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours introduit par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juin 2009 par :
Catherine Thomé, premier juge Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18.6.2009 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6