Tribunal administratif Numéro 26878 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2010 2e chambre Audience publique du 3 juin 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23, Loi 5.05.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26878 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2010 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo) de nationalité kosovare, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 31 mars 2010 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2010 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2010 par Maître Olivier Lang ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 juin 2010.
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En date du 30 août 2005, Monsieur … introduisit une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Le 26 octobre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision par laquelle il refusa à Monsieur … le statut de réfugié tel que prévu par la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; et 2) d’un régime de protection temporaire alors en vigueur, ci-après dénommée la « loi du 3 avril 1996 ».
Le recours gracieux introduit par Monsieur … à l’encontre de cette décision de refus fut rejeté par une décision du même ministre du 20 décembre 2005.
Aucun recours contentieux ne fut introduit par Monsieur … à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus précitées.
Le 27 décembre 2005, Monsieur … introduisit une demande visant à se voir accorder le statut de tolérance conformément à l’article 13 de la loi du 3 avril 1996 lequel fut tout d’abord accordé par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 23 février 2006 pour une durée provisoire jusqu’au 31 mai 2006 puis prolongé une première fois jusqu’au 30 novembre 2006, une deuxième fois jusqu’au 31 mai 2007, une troisième fois jusqu’au 30 novembre 2007 et enfin une dernière fois jusqu’au 31 août 2008.
En date du 18 juillet 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration retira cependant le statut de tolérance à Monsieur … suite à l’évaluation positive de la situation politique au Kosovo.
Le recours gracieux introduit par Monsieur … à l’encontre de cette décision de retrait du statut de tolérance fut rejeté par une décision du même ministre du 30 juillet 2008.
Monsieur … accepta un rapatriement volontairement au Kosovo qui eu lieu le 10 septembre 2008.
Après son rapatriement au Kosovo, Monsieur … revint à une date inconnue au Luxembourg.
Le 30 septembre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-
après dénommé « le ministre » refusa le séjour à Monsieur … et lui ordonna de quitter le territoire. Le rapatriement au Kosovo de Monsieur … eut lieu une seconde fois le 4 novembre 2009.
Monsieur … revint alors une troisième fois au Luxembourg à une date inconnue et introduisit le 10 février 2010 une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Il fut convoqué le 24 mars 2010 pour s’exprimer sur l’objet de sa demande dans le cadre d’un entretien auprès du service compétent du ministre.
La veille de l’entretien, le conseil de Monsieur … écrivit au ministre pour lui indiquer que Monsieur … n’aurait pas été entendu par les services de police judiciaire afin de déterminer son identité et son itinéraire de voyage comme le prescrirait l’article 8 de la loi du 5 mai 2006 ce qui constituerait, selon lui, une violation de la procédure applicable à une demande de protection internationale.
L’entretien du 24 mars 2010 n’a, en tout état de cause, pas abouti, le conseil de Monsieur … s’y étant opposé pour les raisons procédurales précitées.
Par décision du 31 mars 2010, le ministre déclara cette nouvelle demande en obtention d’une protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006. Cette décision est libellée comme suit :
« Monsieur, Par la présente, j'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée le 10 février 2010.
Il ressort de votre dossier que vous aviez déposé une première demande d'asile le 30 août 2005. Cette demande avait été rejetée par une décision ministérielle du 26 octobre 2005. Contre cette décision, vous n'aviez engagé aucun recours contentieux.
Après avoir bénéficié d'une tolérance, vous avez fait l'objet d'un refus d'entrée et de séjour le 7 août 2008. Vous avez été rapatrié au Kosovo le 10 septembre 2008.
Vous êtes revenu une première fois au Luxembourg à une date que nous ignorons mais vous avez fait l'objet d'un second arrêté de refus de séjour en date du 30 septembre 2009 et vous avez été refoulé une seconde fois vers le Kosovo le 4 novembre 2009.
Vous êtes revenu une nouvelle fois au Luxembourg et vous avez déposé votre nouvelle demande de protection internationale le 10 février 2010.
Votre première demande d'asile avait été rejetée aux motifs que votre récit traduisait un sentiment d'insécurité et non une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Vous avez été convoqué à un entretien concernant les motifs de votre seconde demande de protection internationale en date du 24 mars 2010. Vous vous êtes présenté à cet entretien accompagné de votre avocat.
En mains le rapport de cet entretien enregistré en date du 24 mars 2010.
Il ressort de cet entretien que votre avocat s'est opposé dès le début à ce que l'agent ministériel vous pose des questions concernant les motifs de votre demande.
En effet, la motivation de votre avocat tenait au fait que le Service de Police judiciaire n'avait pas procédé à votre interrogatoire d'identité ni à un interrogatoire concernant votre trajet du Kosovo au Luxembourg.
Votre mandataire invoque également que votre seconde demande de protection internationale devrait être considérée, non comme une seconde demande mais comme une demande nouvelle, indépendante de la première demande. Elle réclame, de même, l'ouverture d'un nouveau dossier ainsi que la délivrance d'une attestation de demandeur de protection internationale.
Cependant, l'article 9 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection prévoit que le demandeur a l'obligation de répondre personnellement aux convocations du Ministre. D'après le paragraphe (3) du même article, l'absence du demandeur ou de son avocat lors de l'entretien fixé par un agent du ministère n'empêche pas le Ministre de statuer sur la demande de protection internationale. Il doit en être de même du refus de procéder à l'entretien.
Dès lors, votre refus de procéder à l'entretien avec l'agent ministériel constitue une violation grave des obligations énoncées dans l'article 9 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée.
Il convient de rappeler que l'audition fixée auprès d'un agent du Ministère des Affaires étrangères n'est pas conditionnée par l'existence préalable d'un entretien par le Service de Police judiciaire. De plus, des questions concernant l'identité des demandeurs de protection internationale et concernant leur trajet jusqu'au Luxembourg figure également dans les questions prévues dans l'entretien au Ministère. Finalement, l'absence d'un rapport de la Police Judiciaire n'entraîne aucun préjudice dans la mesure où votre identité n'est pas contestée.
De plus, je tiens à vous informer que le Tribunal administratif a décidé dans son jugement N° 26.478 du 10 février 2010 que « En l'espèce, la constatation que des éléments invoqués à l'appui de la seconde demande ne se soient réalisés qu'après que la première demande a été définitivement rejetée et même après que les demandeurs soient retournés dans leur pays d'origine, ne change rien au fait que leur demande de protection internationale introduite le 31 août 2009 a été introduite postérieurement à leur première demande, introduite en 2007, et est donc à analyser dans le cadre de la procédure prévue à l'article 23 de la loi du 5 mai 2006. Il s'ensuit que le ministre a valablement pu procéder à une analyse de la recevabilité de la demande litigieuse au sens de l'article 23 de la loi du 5 mai 2006. Dès lors, le moyen afférent des demandeurs est à rejeter ne pas être fondé ». Dans le même jugement, le Tribunal a estimé que l'article 23 de la loi précitée n'était pas contraire à la directive européenne 2005/85/CE.
Votre demande de protection internationale présentée le 10 février 2010 est donc à analyser sur base de l'article 23 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Je suis donc au regret de constater que vous n'avez pas présenté d'éléments ou de fait nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable. ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 31 mars 2010.
L’article 23 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoyant un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables, le recours en annulation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir en droit que la décision ministérielle n’aurait pas respecté la procédure applicable dans le cadre d’une nouvelle demande de protection internationale en ce que le ministre aurait examiné la demande dans le cadre d’une première demande d’asile introduite le 30 août 2005, qui, selon le demandeur, aurait été « formellement clôturée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration compétent à l’époque ».
Selon le demandeur, la procédure applicable à une demande de protection internationale s’ouvrirait par la remise au demandeur de la pièce attestant l’enregistrement d’une demande de protection internationale dans les trois jours après le dépôt de la demande du demandeur tel que le prescrirait l’article 6 (5) de la loi du 5 mai 2006 et nécessiterait l’audition du demandeur par les services de police judiciaire préalablement à la remise de ladite pièce conformément à l’article 8 de la loi du 5 mai 2006.
Or, l’audition du demandeur par les services de police judiciaire n’ayant pas eu lieu et ladite pièce n’ayant pas été remise au demandeur en l’espèce, ce dernier considère que la procédure relative à l’examen de sa demande de protection internationale serait entachée d’un vice.
De surcroît, le demandeur considère que l’article 6 (5) précité ne serait pas conforme ni à l’article 6 paragraphe 1 de la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres, ci après dénommée « la directive 2003/9/CE » ni à l’article 34 paragraphe 2 dernier alinéa de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, ci-après dénommée « la directive 2005/85/CE ».
En ordre subsidiaire, le demandeur invite le tribunal à poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne quant à la compatibilité de l’article 6 (5) de la loi du 5 mai 2006 avec lesdites directives.
Selon le délégué du gouvernement, l’article 6 (5) précité, qui dispose dans son deuxième alinéa que « l’attestation n’est pas délivrée au demandeur faisant l’objet d’une mesure de placement arrêtée par le ministre conformément à l’article 10 de la présente loi, ainsi qu’à la personne qui dépose une nouvelle demande de protection internationale conformément à l’article 23 de la présente loi tant que cette nouvelle demande n’a pas été déclarée recevable », serait bien conforme tant à l’article 6 de la directive 2003/9/CE qu’à l’article 34 paragraphe 2 dernier alinéa de la directive 2005/85/CE.
En l’espèce, les parties sont donc en désaccord sur la question de la conformité de l’article 6 (5) précité auxdites dispositions des directives 2003/9/CE et 2005/85/CE.
L’article 6 (5) de la loi du 5 mai 2006 dispose comme suit : « Une pièce attestant l’enregistrement de la demande de protection internationale est remise dans les trois jours après le dépôt de la demande au demandeur. Si cette pièce ne peut être remise immédiatement, la convocation établie par le service de la police judiciaire tient lieu provisoirement et pendant une durée limitée de trois jours maximum de pièce donnant droit à l’aide sociale immédiate.
Néanmoins, l’attestation n’est pas délivrée au demandeur faisant l’objet d’une mesure de placement arrêtée par le ministre conformément à l’article 10 de la présente loi, ainsi qu’à la personne qui dépose une nouvelle demande de protection internationale conformément à l’article 23 de la présente loi tant que cette nouvelle demande n’a pas été déclarée recevable. L’attestation précise sa durée de validité qui ne sera prorogée que si elle a été visée par l’administration communale du lieu de séjour du demandeur.
L’administration communale du lieu de séjour du demandeur a l’obligation de viser l’attestation. Le demandeur a l’obligation de se présenter auprès du ministre en vue de la prolongation de l’attestation au plus tard au jour de l’expiration de sa durée de validité ».
Le tribunal relève que la finalité de l’article 6 précité est d’attester l’enregistrement de la demande de protection internationale du demandeur et de lui donner droit à l’aide sociale immédiate.
S’il est vrai qu’il n’est pas contesté en cause qu’il n’a pas été procédé aux formalités et remise de l’attestation telles que prévues par l’article 6 (5) de la loi du 5 mai 2006, il n’en demeure pas moins que les formalités ainsi légalement requises ne constituent pas une condition de légalité et de validité d’une décision à prendre sur base de l’article 23 de la même loi au vu du libellé de celui-ci. Il s’ensuit qu’alors même qu’un recours contentieux devant les juridictions administratives peut être introduit séparément contre une décision de refus de la part du ministre de respecter les formalités prévues par l’article 6 (5) de la loi du 5 mai 2006, le défaut de l’accomplissement de ces procédures et formalités n’est pas de nature à entraîner l’illégalité d’une décision prise par la suite pour le même demandeur de protection internationale, sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
Le moyen afférent est partant à écarter pour ne pas être fondé.
Il s’ensuit encore que le tribunal n’a pas à examiner les moyens du demandeur afférents tirés de la non-conformité de l’article 6 de la loi du 5 mai 2006 avec les dispositions des directives 2003/9/CE et 2005/85/CE ni à poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne comme le demandeur invite le tribunal à le faire.
Le demandeur reproche en deuxième lieu à la décision ministérielle de se retrancher derrière l’opposition de son conseil à la tenue de l’entretien du 24 mars 2010 pour les raisons procédurales précitées et d’en conclure à une violation de l’article 9 (1) de la loi du 5 mai 2006 ayant entraîné l’irrecevabilité de la demande de protection internationale en l’absence de présentation d’éléments ou de faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection internationale.
Le délégué du gouvernement soutient que le demandeur aurait l’obligation de répondre personnellement aux convocations du ministre conformément à l’article 9 (1) précité et que, selon lui, le refus de procéder à un entretien de la part du demandeur devrait s’interpréter sur pied de l’article 9 (3) de la loi du 5 mai 2006 de la même manière que l’absence du demandeur ou de son avocat lors de l’entretien fixé par un agent du ministre, à savoir comme n’empêchant pas le ministre de statuer sur la demande de protection internationale.
L’article 9 de la loi du 5 mai 2006 dispose ce qui suit : « (1) Le demandeur a le droit d’être entendu par un agent du ministre. Il a l’obligation de répondre personnellement aux convocations du ministre. Le ministre peut enregistrer, par les moyens techniques adaptés, les déclarations faites oralement par le demandeur, à condition que ce dernier en ait été préalablement informé. Le ministre peut soumettre le demandeur à un test linguistique. Lorsque le demandeur est accompagné par un avocat, il devra néanmoins répondre personnellement aux questions posées.
(2) Le demandeur a l’obligation de soumettre dans les meilleurs délais tous les éléments nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande. Le demandeur est réputé avoir présenté tous les éléments nécessaires s’il a fourni des déclarations ainsi que tous les documents en sa possession concernant son âge, sa situation, y compris celle de sa famille, son identité, sa nationalité, ses pays et lieux de résidence antérieurs, ses demandes d’asile précédentes, son itinéraire de voyage, ses documents de voyage et les motifs à la base de sa demande de protection internationale.
(3) Le ministre veille à ce que chaque entretien fasse l’objet d’un rapport écrit contenant au moins les informations essentielles relatives à la demande. L’absence du demandeur ou de son avocat lors de l’entretien fixé par l’agent du ministère, ainsi que le refus de ces derniers de signer le rapport de l’entretien n’empêchent pas le ministre de statuer sur la demande de protection internationale. En cas de refus de signer le rapport de l’entretien, les motifs du refus doivent ressortir du dossier.
(4) Il ne sera pas procédé à un entretien du demandeur si, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, un autre pays est responsable de l’examen de la demande.
(5) L’entretien peut également ne pas avoir lieu lorsqu’il n’est pas raisonnablement possible d’y procéder, en particulier lorsque le ministre estime que le demandeur n’est pas en état ou en mesure d’être interrogé en raison de circonstances durables indépendantes de sa volonté. En cas de doute, le ministre peut exiger un certificat attestant de l’état de santé physique ou psychique du demandeur. Lorsque le ministre n’offre pas la possibilité d’un entretien au demandeur en application du présent paragraphe, des efforts raisonnables doivent être déployés pour permettre au demandeur de fournir davantage d’informations.
(6) L’entretien a normalement lieu hors de la présence des membres de la famille, à moins que le ministre ne juge que la présence d’autres membres de la famille est nécessaire pour procéder à un examen adéquat. L’entretien doit avoir lieu dans des conditions garantissant la confidentialité. Le ministre fait en sorte que l’entretien soit mené dans des conditions qui permettent au demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande. A cet effet, le ministre:
a) veille à ce que la personne chargée de mener l’entretien soit suffisamment compétente pour tenir compte de la situation personnelle ou générale dans laquelle s’inscrit la demande, notamment l’origine culturelle ou la vulnérabilité du demandeur, pour autant qu’il soit possible de le faire; et b) choisit un interprète capable d’assurer une communication appropriée entre le demandeur et la personne qui mène l’entretien. Il n’est pas nécessaire que la communication ait lieu dans la langue pour laquelle le demandeur a manifesté une préférence s’il existe une autre langue dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend et dans laquelle il est à même de communiquer ».
Le commentaire de l’article 9 de la loi du 5 mai 2006 (Doc. parl n°5437, sess. ord.
2004-2005) permet d’éclairer l’intention du législateur.
Il est rédigé comme suit : « Cet article règle le déroulement des entretiens auxquels il est procédé dans le cadre de l’instruction des demandes. Tandis que la loi modifiée du 3 avril 1996 prévoit uniquement le droit pour le demandeur d’asile d’être entendu par un agent du ministère, le paragraphe (1) prévoit une véritable obligation de répondre personnellement aux convocations du ministre. Sur base de l’article 9bis paragraphe 2.(f) de la proposition de directive „procédure“, ce paragraphe prévoit la possibilité d’enregistrer les déclarations orales du demandeur. Etant donné qu’il est un fait que bon nombre de demandeurs cachent leur véritable origine, il est également prévu que le ministre peut procéder à un test linguistique afin de déterminer la véritable origine du demandeur. Enfin, sur base de l’article 14 de la proposition de directive „procédure“, il est prévu que le demandeur doit répondre personnellement aux questions posées, et ce même lorsqu’il est accompagné par un avocat. ».
Il ressort clairement du commentaire de l’article 9 (1) précité qu’il appartient au demandeur lui-même de répondre personnellement aux questions posées, et ce même lorsqu’il est accompagné par un avocat.
Le tribunal constate, en l’espèce, sur base du dossier administratif, que suite à la réserve formulée par le conseil du demandeur quant à la régularité de l’entretien et son opposition conséquente à celui-ci pour les raisons procédurales précitées, il n’a pas été permis au demandeur de répondre personnellement aux questions qui auraient dû lui être posées par le ministre dans le cadre de sa demande de protection internationale.
Le tribunal estime que le ministre aurait dû prendre toutes les mesures nécessaires qui s’imposent afin de remplir l’obligation légale d’audition du demandeur à lui imposée par l’article 9 (1) précité comme, par exemple, la poursuite de l’entretien en dehors de la présence de son conseil ou encore l’interruption dudit entretien et la re-convocation ultérieure en présence d’un autre conseil.
Le tribunal en conclut qu’en ne prenant aucune mesure idoine, le ministre a mis le demandeur dans l’impossibilité d’exercer son droit à être entendu et que le ministre a, partant, manqué à ses obligations et a, ainsi, violé l’article 9 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Le moyen afférent est à retenir pour être fondé.
Le tribunal relève pour le surplus que l’article 9 (3) de la loi du 5 mai 2006 dispose que le ministre a l’obligation de veiller à ce que chaque entretien fasse l’objet d’un rapport écrit contenant au moins les informations essentielles relatives à la demande.
Deux exceptions sont prévues à l’établissement d’un rapport écrit, à savoir l’absence du demandeur ou de son avocat lors de l’entretien fixé par l’agent du ministère, ainsi que le refus de ces derniers de signer le rapport de l’entretien, auquel cas le ministre peut néanmoins statuer, étant entendu qu’il le fera sur base d’autres pièces du dossier.
En effet, le commentaire de l’article 9 (3) dans les travaux préparatoires précités indique que le législateur souhaitait éviter les manœuvres dilatoires résultant de demandes répétées de report d’entretien. Il s’exprime en ces termes : « Le paragraphe (3) vise le comportement des demandeurs ou de leurs avocats qui ne se rendent pas à l’entretien fixé par le ministère et sollicitent constamment des reports de la date de l’entretien, souvent dans le but de prolonger les procédures. Le texte proposé prévoit qu’en l’absence du demandeur à l’entretien ou qu’en cas de refus de signer le rapport de l’entretien, le ministre peut néanmoins statuer sur la demande ».
Le tribunal relève que contrairement à la thèse soutenue par le délégué du gouvernement, le prétendu refus du demandeur à procéder à l’entretien n’étant pas visé par le libellé de l’article 9 (3) précité, cet élément ne saurait s’interpréter au même titre que les deux autres exceptions comme autorisant le ministre à statuer sur la demande.
En effet, l’obligation de l’établissement d’un rapport écrit contenant au moins les informations essentielles relatives à la demande de protection internationale consécutif à l’entretien prévu à l’article 9 (3) précité découle, notamment, de l’articulation faite par le législateur entre ledit article 9 et l’article 23 (2) de la loi du 5 mai 2006 lequel exige l’indication des faits et la production des éléments de preuve par le demandeur à la base de sa demande de protection internationale après avoir déjà fait l’objet d’une décision de refus relative au statut de réfugié ou à la protection internationale.
L’article 23 (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006, dans sa version telle qu’issue de la loi du 17 juillet 2007, ayant modifié la loi du 5 mai 2006, dispose, «(1) Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés (…), à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
(2) Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de quinze jours à compter du moment où il a obtenu ces informations. Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien ».
Aux termes de l’article 23 (1) précité, le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux et être invoqués dans un délai de 15 jours à compter du moment où le demandeur les a obtenus et, d’autre part, doivent augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur devant avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.
Il appartient dès lors au ministre d’analyser les éléments soumis par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau de ces éléments, ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure.
Pour ce faire, selon l’article 23 (2), le demandeur devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa demande de protection internationale. Par ailleurs, le ministre est autorisé à procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.
Or, en l’espèce, le tribunal constate sur base du dossier administratif que pour procéder à l’examen préliminaire précité le ministre n’a disposé ni du rapport écrit contenant au moins les informations essentielles relatives à la demande, conformément à l’article 9 (3) précité, puisqu’il n’a pas permis la tenue de l’entretien y prévu, ni d’observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien conformément à l’article 23 (2) précité.
Le tribunal constate que le ministre qui n’a, à aucun moment de la procédure de demande de protection internationale, disposé d’éléments écrits pour se prononcer sur la recevabilité de la demande de protection internationale dès le moment où il a décidé de ne pas tenir l’entretien du 24 mars 2010, a encore violé l’article 9 (3) de la loi du 5 mai 2006.
Partant, c’est à bon droit que le demandeur conteste la légalité de la décision critiquée puisqu’il n’a, à aucun moment, été mis en mesure de faire valoir les éléments sous-tendant sa demande de protection internationale.
Le moyen afférent est également à retenir pour être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et sans qu’il ait lieu d’examiner les autres moyens soulevés par le demandeur que la décision déférée du ministre du 31 mars 2010 ayant déclaré irrecevable la demande de protection internationale encourt l’annulation pour se baser sur une procédure d’instruction viciée pour avoir été accomplie en violation de la loi.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié partant ;
annule la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 31 mars 2010 et renvoie l’affaire en prosécution de cause au ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Catherine Tomé, premier juge, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 3 juin 2010 par le premier vice-président en présence du greffier assumé Patricia Rego.
s.Rego s.Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juin 2010 Le Greffier du Tribunal administratif 11