Tribunal administratif N° 25007 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 novembre 2008 1re chambre Audience publique du 11 mai 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25007 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2008 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), de nationalité serbe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 août 2008 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, sinon du statut de tolérance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2008 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 19 janvier 2009 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 février 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Vanessa BALDASSARRI, en remplacement de Maître Adrian SEDLO, et Madame le délégué du gouvernement Anne KAYSER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mai 2009.
Le 5 février 2007, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection et par décision du 9 novembre 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée.
Par requête déposée le 30 novembre 2007, Monsieur … fit introduire un recours contentieux à l’encontre de la décision précitée du ministre du 9 novembre 2007, recours dont il fut débouté par jugement du tribunal administratif du 30 avril 2008, n° 23732 du rôle, confirmé en appel par arrêt de la Cour administrative du 15 juillet 2008, n° 24449C du rôle.
Par courrier de son mandataire du 31 juillet 2008, Monsieur … formula auprès du ministre une demande d’autorisation de séjour sur base humanitaire, sinon une demande d’octroi du statut de tolérance sur base de l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Par décision du 12 août 2008, le ministre refusa de faire droit tant à la demande en obtention d’une autorisation de séjour qu’à la demande en obtention du statut de tolérance de Monsieur … pour les motifs suivants :
« J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 31 juillet 2008 concernant la situation de Monsieur ….
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande d'autorisation de séjour. En effet, selon l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1 ° l'entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, la délivrance d'une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l'étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l'aide ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à lui faire parvenir. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que votre mandant se trouve en séjour irrégulier au pays et qu'il ne fait pas état de raisons humanitaires valables justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.
Je ne suis également pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande en obtention du statut de tolérance basée sur l'article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, étant donné qu'il n'existe pas de preuves que l'exécution matérielle de l'éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente. (…) ».
Par requête déposée le 10 novembre 2008, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation et sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance.
Le demandeur critique en premier lieu le motif à la base de l’arrêté critiqué tiré du défaut de moyens d’existence personnels légalement acquis dans son chef. Il reproche plus particulièrement au ministre de lui avoir refusé l’obtention d’une autorisation de séjour, puisque, grâce à cette autorisation de séjour, il pourrait obtenir un permis de travail en vue de travailler et subvenir à ses besoins ; dans ce contexte, il met en exergue sa formation d’infirmier / ambulancier acquise au Kosovo qui lui permettrait aisément de trouver un emploi au Luxembourg et partant de financer un logement.
Monsieur … conteste ensuite l’absence de raisons humanitaires valables telle que retenue par le ministre et reproche au ministre de ne pas avoir tenu compte des circonstances l’ayant contraint à fuir son pays d’origine, consistant en substance dans le fait d’avoir subi des persécutions à répétition au Kosovo du fait de ses origines mixtes albanaises-bosniaques, de son appartenance à la minorité bosniaque et de son implication au sein du parti politique SDA.
Tout en reprochant aux juridictions administratives d’avoir rejeté sa demande de protection internationale à tort, il relève que nonobstant ces décisions de justice, il n’en resterait pas moins que les menaces auxquelles il serait exposé en cas de retour au Kosovo seraient suffisamment graves, réelles et précises pour justifier la délivrance d’une autorisation de séjour sur base humanitaire, sinon, à tout le moins, d’un statut de tolérance. En ce qui concerne ce second volet, il se prévaut de l’impossibilité matérielle d’être éloigné résultant, d’une part, des persécutions encourues au Kosovo, ainsi que, d’autre part, du risque toujours actuel de persécutions, risque étayé par des courriers lui adressés par son frère et sa mère.
Le délégué du gouvernement, pour sa part, soulève l’irrecevabilité du recours principal en réformation.
Quant au fond, il estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Dans la mesure où aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus de séjour et en matière de refus de statut de tolérance, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit, de sorte que le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation, pour sa part, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
1.
Quant à la demande principale tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour humanitaire Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourrant être refusés à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Force est au tribunal de constater que si la décision litigieuse est fondée sur le fait que Monsieur … ne dispose pas de moyens d’existence personnels, il ne se dégage pas des éléments du dossier que le demandeur disposait effectivement de moyens personnels propres suffisants au moment où la décision attaquée fut prise, l’affirmation purement hypothétique et non autrement étayée selon laquelle le demandeur pourrait, en cas d’obtention d’une autorisation de séjour, trouver du travail, n’étant à cet égard pas pertinente, une telle hypothèse, se situant par définition dans le futur, échappant en tout état de cause à l’examen du juge de l’annulation.
Le demandeur restant par ailleurs en défaut d’apporter la preuve qu’il serait capable de subvenir lui-même à ses besoins par d’autres moyens que par le travail, le ministre a en principe valablement pu se fonder sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 en invoquant un défaut de moyens personnels suffisants dans le chef de Monsieur … pour lui refuser la délivrance d’une autorisation de séjour.
En ce qui concerne le deuxième motif de refus fondé sur l’absence alléguée de raisons humanitaires valables, il y a lieu de relever d’abord qu’aucun texte légal ne comporte de disposition imposant, voire prévoyant l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires1 et que l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, s’il énonce certes de façon limitative les motifs de refus d’entrée et de séjour, ne définit pas pour autant les conditions auxquelles l’étranger doit répondre afin de bénéficier d’une autorisation de séjour.
Il s’ensuit que le ministre peut, en procédant à l’examen d’une demande en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour, prendre en compte l’ensemble des éléments de fait et de droit qu’il estime nécessaires à son analyse et que, même dans le cas vérifié en l’espèce où l’une des conditions facultatives de refus est donnée, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder le bénéfice sollicité.
En l’espèce, le ministre a refusé de délivrer une autorisation de séjour en retenant de manière expresse au titre de motivation l’absence de raisons humanitaires valables.
Si les considérations de pure opportunité d’une décision administrative échappent certes au contrôle du juge de l’annulation, celui-ci garde néanmoins un droit et un devoir de contrôle portant sur l’existence du motif de refus concrètement invoqué2. Il appartient en effet au juge administratif de vérifier si les faits à la base du motif de refus retenu par le ministre sont établis, ce contrôle faisant partie, avec la recherche de l’erreur de droit, de l’erreur manifeste d’appréciation et du détournement de pouvoir, du contrôle minimum pesant sur les actes, même sur ceux pris en vertu d’un pouvoir discrétionnaire3. En effet, même en l’absence de critères liant la compétence, un refus administratif ne peut être fondé que sur des motifs en liaison avec l’esprit de la loi et les intentions générales du législateur, étant entendu par ailleurs qu’un acte administratif, quel qu’il soit, ne peut jamais viser un but autre que d’intérêt général.
Ce contrôle ne saurait toutefois avoir pour but de priver le ministre, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale, alors qu’il appartient au seul ministre de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence, en assumant tant à l’égard des intéressés qu’à l’égard de l’opinion publique la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence.
En l’espèce, les raisons humanitaires que le demandeur invoque, ayant trait à sa situation personnelle au Kosovo, où comme relevé ci-avant il aurait été exposé à des persécutions à répétition du fait de ses origines mixtes albanaises-bosniaques, de son 1 cf. Cour adm. 17 octobre 2006, n° 21574C du rôle.
2 Cour adm. 12 juin 2007, n° 22626C.
3 Jurisclasseur administratif, V° Recours pour excès de pouvoir, Fascicule 1152, n° 78.
appartenance à la minorité bosniaque et de son implication au sein du parti politique SDA, ont déjà fait l’objet d’une analyse par les juridictions administratives dans le cadre de l’examen de son recours contentieux introduit à l’encontre du refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié, le tribunal administratif en particulier ayant retenu dans son jugement du 30 avril 2008 que les actes subis par le demandeur « ne revêtent pas, en l’espèce, un degré de gravité tel que la vie lui serait, à raison, rendue intolérable dans son pays d’origine » et que le demandeur n’a pas « établi un état de persécution personnelle vécu dans un passé récent ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine », ces constatations amenant le tribunal à la double conclusion que Monsieur … n’est fondé à prétendre ni à la qualité de réfugié, ni au bénéfice de la protection subsidiaire, conclusion expressément confirmée par la Cour administrative dans son arrêt du 15 juillet 2008 tant en ce qui concerne sa motivation qu’en ce qui concerne son résultat.
Si le tribunal ne se trouve certes pas lié en ce qui concerne les conséquences juridiques à accorder aux faits mis en avant par le demandeur - les décisions de justice précitées ayant été prises dans un cadre juridique différent, à savoir celui de la protection internationale, et l’absence de droit à la protection internationale telle que définitivement retenue par la Cour administrative dans son arrêt précité du 15 juillet 2008 ne signifiant pas nécessairement et automatiquement l’absence de tout fondement de la demande sous analyse tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance - il n’en reste pas moins que le tribunal ne saurait se départir des constatations factuelles de l’arrêt précité qui a retenu que Monsieur … n’est pas exposé à un risque grave, mais que son récit ne fait que traduire un sentiment d’insécurité, de sorte que les mêmes éléments ne sauraient justifier à eux seuls la délivrance d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.
Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par le demandeur à des lettres lui adressées respectivement par sa mère et par son frère, se rapportant à des incidents ayant prétendument eu lieu le 24 août 2008 respectivement le 25 septembre 2008 au Kosovo, ces faits étant postérieurs à la décision déférée, datée du 12 août 2008, de sorte à ne pas avoir été soumis au ministre et à échapper au juge de l’annulation. En effet, il convient de rappeler que dans le cadre du recours en annulation l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise.
En l’absence de toute définition légale contraignante de ce qu’il y a lieu d’entendre par raisons humanitaires, le ministre a partant valablement pu estimer que des raisons humanitaires pour accorder l’autorisation de séjour n’existaient pas en cause, de sorte que les décisions déférées ne sont pas à considérer comme étant viciées par une violation de la loi, un excès de pouvoir ou par une erreur manifeste d’appréciation et qu’il n’est pas non plus établi qu’elles aient été prises en violation des intérêts publics dont le ministre a la charge ou du but poursuivi par le législateur.
2.
Quant à la demande subsidiaire tendant à l’obtention d’un statut de tolérance Aux termes de l’article 22 (2) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée, « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».
Il s’ensuit que le bénéfice du statut de tolérance est réservé aux demandeurs d’asile déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle. Il s’ensuit encore que le statut de tolérance constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant le rapatriement du demandeur d’asile débouté auront cessé.
Force est en l’espèce de constater que le demandeur entend justifier sa demande en obtention d’un statut de tolérance par le fait qu’il aurait été et qu’il serait exposé à nouveau, en cas de retour, à des persécutions graves au Kosovo.
Le demandeur entend en l’espèce se prévaloir plus particulièrement des mêmes faits que ceux soumis au ministre compétent dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile, demande dont il a été débouté définitivement, comme relevé ci-avant, par arrêt de la Cour administrative du 15 juillet 2008 qui a retenu l’absence de risque grave dans le chef du demandeur.
Outre ces constatations dont le tribunal ne saurait actuellement se départir, force est encore de constater que le demandeur n’explique pas en quoi résiderait l’impossibilité matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance, étant relevé que les seuls motifs relevant de la situation - passée ou actuelle - au Kosovo, motifs définitivement écartés dans le cadre de la procédure contentieuse relative au refus de protection internationale, ne sont pas de nature à rencontrer cette condition légale.
Il convient tout particulièrement de souligner que le risque de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine, à supposer qu'il soit établi, n’est pas de nature à rendre impossible l'exécution matérielle de la mesure d'éloignement, un tel risque ne répondant pas à la définition de circonstances de fait qui empêcheraient l'exécution matérielle de la mesure d’éloignement4.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en réformation introduit à titre principal irrecevable ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 11 mai 2009 par :
4 Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24693C, www.ja.etat.lu.
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Paulette Lenert 7