Tribunal administratif N° 25149 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2008 1re chambre Audience publique du 4 mai 2009 Recours formé par les consorts …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25149 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2008 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (République Démocratique du Congo - RDC), de nationalité congolaise, et de son épouse, Madame …, née le … (RDC) de nationalité congolaise, agissant en leurs noms propres ainsi qu’en leurs qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 août 2008 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 février 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Radia DOUKHI, en remplacement de Maître Yvette NGONO YAH, et Madame le délégué du gouvernement Anne KAYSER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 avril 2009.
Après avoir été définitivement débouté par arrêt de la Cour administrative du 12 octobre 2004 (n° 18109C du rôle) de sa demande d’asile, Monsieur … se vit accorder par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre » en date du 18 février 2005 une autorisation de séjour expirant le 15 février 2006, ladite autorisation lui ayant été accordée à titre « tout à fait exceptionnel » uniquement prorogeable si en date de l'expiration de sa validité, Monsieur … était en possession d'un permis de travail délivré en son nom, d'un logement indépendant non subventionné par une autorité publique et s’il avait fait preuve d'un comportement irréprochable.
Par courrier daté du 28 mai 2008, Monsieur … adressa au ministre une demande en vue d’une nouvelle prorogation de son autorisation de séjour et de celle de son fils …, qui avait été prorogée jusqu’au 7 mai 2008 ainsi qu’en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour au profit de son épouse, Madame …, et de son second fils, ….
Par décision du 12 août 2008, le ministre refusa de faire droit à cette demande, tout en accordant aux intéressés le bénéficie d’une tolérance au sens de l’article 22 (2) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection jusqu’au 31 juillet 2009, ladite décision étant motivée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 28 mai 2008 concernant votre demande d'autorisation de séjour.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande d'autorisation de séjour. En effet, selon l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1 ° l'entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, la délivrance d'une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l'étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l'aide ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à lui faire parvenir. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que vous vous trouvez en séjour irrégulier au pays et vous ne faites pas état de raisons humanitaires valables justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg. A cela s'ajoute que vous êtes susceptibles de troubler l'ordre et la sécurité publics.
La présente décision sur votre demande d'autorisation de séjour est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente.
Je suis pourtant disposé en vertu de l'article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, à accorder une tolérance provisoire étant donné que l'exécution matérielle de votre éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait.
Cette tolérance provisoire sera valable jusqu'au 31 juillet 2009, date à laquelle le Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration procédera à une réévaluation de votre dossier. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2008, Monsieur … et son épouse, Madame …, ont fait introduire un recours contentieux à l’encontre de la prédite décision du 12 août 2008, erronément identifiée comme datée du 18 août 2008.
Force est de prime abord de constater qu’encore que le recours affirme tendre principalement à l’annulation de ladite décision et subsidiairement à sa réformation, le dispositif de la requête introductive d’instance ne sollicite que l’annulation de la décision déférée. Or l'objet de la demande, consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, étant cependant celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d'instance, il y a lieu de retenir, au vu du libellé du dispositif, que le recours tend uniquement à obtenir l'annulation de la décision déférée.
Aucune disposition légale n’instaurant de recours au fond en la matière des autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être déposé contre la décision ministérielle déférée.
La partie étatique soulève l’irrecevabilité du recours au motif que les demandeurs auraient déposé en date du 12 septembre 2008 un recours gracieux, de sorte qu’au jour de l’introduction du recours contentieux, la décision attaquée n’aurait pas encore été définitive.
Il convient cependant de souligner à cet égard que si l’introduction d’un recours gracieux endéans le délai contentieux interrompt celui-ci, l’introduction d’un tel recours gracieux n’a cependant aucune incidence sur la recevabilité d’un recours contentieux déposé avant que l’administration n’ait eu l’occasion de prendre position par rapport au recours gracieux ou avant expiration du délai de trois mois prévu à l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, la seule question qui se pose étant celle de l’opportunité d’un tel recours en présence d’un recours gracieux non encore vidé, question qui relève cependant uniquement de la responsabilité professionnelle de l’avocat qui, le cas échéant, aura introduit inutilement un recours contentieux.
En effet, si un recours contentieux a été formé concurremment avec un recours gracieux non encore vidé à la date de l'introduction du recours contentieux, cette circonstance n’est pas de nature à conditionner directement la recevabilité du recours contentieux dont le dépôt n’est pas rendu prématuré de ce fait1.
Le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
Il convient cependant de rappeler que dans le cadre du recours en annulation l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise.
Les demandeurs, précisant entreprendre la décision déférée uniquement en ce qu’elle a refusé de faire droit à la demande en autorisation de séjour, lui reprochent, d’une part, d’avoir été prise en violation de l’article 6.2. de la Convention européenne des droits de l’Homme, et d’autre part, d’avoir été prise en violation de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
En ce qui concerne le premier moyen, les demandeurs font plus précisément grief au ministre d’avoir reproché à Monsieur … d’être susceptible de troubler l’ordre et la sécurité publics en s’emparant de faits qui n’auraient pas encore fait l’objet d’une décision de justice, ce qui violerait le principe de la présomption d’innocence inscrit à l’article 6.2. CEDH. Quant au second moyen, ils font plaider que si Monsieur … ne disposait certes pas de contrat de travail à la date de l’introduction de la demande, il aurait cependant introduit en date du 12 septembre 2008 un recours gracieux justifiée par la délivrance d’un permis de travail.
Le délégué du gouvernement, pour sa part, estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.
1 Voir trib.adm. 7 mai 2001, n° 12071, confirmé par arrêt du 4 décembre 2001, n° 13592C, Pas. adm. 2008, V° Procédure contentieuse, n° 261.
Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Force est au tribunal de constater que si la décision litigieuse est fondée sur les trois motifs de refus légaux, les demandeurs ne critiquent que deux des motifs avancés, de sorte à ne pas remettre en cause le fait qu’ils se trouvaient, à la date de la prise de la décision déférée, en situation irrégulière au Luxembourg.
Il s’en suit que le ministre a en principe valablement pu se fonder sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 en invoquant la situation irrégulière des demandeurs pour leur refuser la délivrance d’une autorisation de séjour, de sorte qu’au vu de cette conclusion l’examen des autres motifs de refus et des moyens afférents des demandeurs est superflu, la décision de refus étant motivée en fait et en droit à suffisance par ce seul constat.
Néanmoins et à titre superfétatoire, le tribunal entend prendre position quant aux autres moyens des demandeurs.
Ainsi, en ce qui concerne le moyen basé sur une violation alléguée du principe de présomption d’innocence, il est vrai que la présomption d’innocence protégée par l’article 6.2.
CEDHpeut se trouver violée lorsqu’une déclaration officielle affirme un individu coupable d’une infraction pour laquelle sa culpabilité n’a pas – ou pas encore – été légalement établie par la juridiction compétente pour ce faire2, encore faut-il qu’il y ait une telle déclaration officielle de culpabilité.
Or il échet de souligner qu’en l’espèce la décision ministérielle litigieuse n’impute pas à Monsieur … la perpétuation effective d’une infraction pénalement répréhensible, mais qu’il soulève la susceptibilité de l’intéressé de troubler l’ordre et la sécurité publics, c’est-à-dire qu’il souligne seulement la possibilité, le risque de voir le demandeur troubler l’ordre et la sécurité publics, et ce au vu de divers faits constatés par les forces de l’ordre. Dès lors, le ministre, ce faisant, n’a pas porté atteinte à la présomption d’innocence du demandeur puisqu’il n’a pas émis de déclaration affirmant la culpabilité du demandeur.
Quant au moyen ayant trait à l’existence affirmée de moyens de subsistance personnels et suffisants, force est de constater que celui-ci repose sur l’obtention par le demandeur en date du 21 août 2008 d’un permis de travail délivré par le ministre, fait soumis au ministre dans le cadre d’un recours gracieux déposé le 12 septembre 2008.
2 Voir : « La Convention européenne des droits de l’homme, trois années de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 2002-2004 », Vol.1, Les dossiers du Journal des Tribunaux, Larcier, 2006, n° 266.
Or, comme d’ores et déjà relevé ci-avant, dans le cadre d’un recours en annulation, le rôle du juge administratif se limite à la vérification de la légalité et de la régularité formelle de l’acte administratif attaqué par rapport à la situation de fait et de droit telle qu’elle se présentait au moment de la prise de la décision attaquée, c’est-à-dire en l’espèce au 12 août 2008, de sorte que le juge, contrairement à l’autorité administrative statuant sur un recours gracieux, ne saurait tenir compte des éléments postérieurs à cette date en général, et de l’obtention d’un permis de travail le 21 août 2008 en particulier.
Au vu de ce qui précède, le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 mai 2009 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Lenert 5