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04/05/2009 | LUXEMBOURG | N°25130

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 mai 2009, 25130


Tribunal administratif Numéro 25130 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er décembre 2008 1re chambre Audience publique du 4 mai 2009 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19. L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25130 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2008 par Maître Jérôme Bach, avo

cat à la Cour, assisté de Maître Yves Tumba Mwana, avocat, tous deux inscrits au tableau de ...

Tribunal administratif Numéro 25130 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er décembre 2008 1re chambre Audience publique du 4 mai 2009 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19. L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25130 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2008 par Maître Jérôme Bach, avocat à la Cour, assisté de Maître Yves Tumba Mwana, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 octobre 2008 portant refus de sa demande de protection internationale, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2009 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 février 2009.

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Le 16 juillet 2008, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Il fut entendu le 31 juillet 2008 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 28 octobre 2008, envoyée par courrier recommandé en date du 29 octobre 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée.

Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 31 juillet 2008.

Il résulte de vos déclarations que vous appartiendriez à la minorité serbe du Kosovo et seriez originaire de Pasjane, enclave serbe de la commune de Gnjilane. Vous auriez habité chez vos parents et auriez accompli des études de technicien en machinerie. Vous auriez travaillé avec votre père dans son atelier de vulcanisation (réparation de pneus). Votre père gagnerait convenablement sa vie puisqu'il toucherait un RMG ainsi que les revenus de son atelier.

Vous expliquez avoir quitté votre village à cause des mauvais traitements dont vous seriez victime de la part des albanais. Ceux-ci vous auraient notamment pris des vaches alors que vous auriez été en train de les garder dans un champ en 2003. Ils auraient battu un vieil homme mais vous auriez réussi à vous enfuir. Vous auriez porté plainte et auriez récupéré vos vaches sans trouver les coupables. Vous ajoutez être constamment victime de jets de pierres, d'insultes et d'injures lorsque vous sortez. Votre famille recevrait également des injures par téléphone depuis que votre numéro serait affiché sur la devanture de l'atelier. Celui-ci aurait par ailleurs été l'objet de deux casses malgré les barres de fer aux ouvertures. Vous auriez porté plainte et la police aurait ouvert une instruction sans que celle-ci n'ait pour le moment abouti. De plus, les clients albanais de votre atelier partiraient sans payer.

Vous décrivez également avoir été la cible de tirs alors que vous seriez allé couper du bois avec votre père et vos oncles. Vous soupçonnez un albanais d'avoir tiré sur vous car « il n'y a que les albanais qui font ça ». Personne n'aurait été blessé.

Vous précisez n'avoir jamais fait l'objet d'agressions physiques puisque vous auriez toujours réussi à fuir les albanais.

Alors que votre famille subirait les mêmes problèmes que vous, vous auriez voyagé seul, votre père vous ayant incité à partir car vous seriez jeune. Votre soeur n'aurait cependant pas les mêmes problèmes que vous car elle serait une fille et donc ne sortirait pas de la maison à part pour aller à l'école.

Vous auriez quitté le Kosovo le 12 juillet 2008 à bord d'une camionnette. Moyennant le paiement de 2200 euros vous auriez été emmenés au Luxembourg où vous seriez arrivé le 14 juillet à 10h du matin. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 16 juillet 2008. Vous présentez entre autres votre carte d'identité yougoslave ainsi qu'une carte UNMIK périmée.

La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.

Même si la situation générale des membres de la minorité ethnique serbe est difficile au Kosovo, elle n'est cependant pas telle que tout membre serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Selon la jurisprudence de la Cour administrative une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des traitements discriminatoires.

Force est de constater que même à supposer vos dires comme vrais, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article ter, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, votre crainte de vous faire insulter et d'être la cible de jets de pierres par des albanais non autrement identifiés n'est pas d'une gravité suffisante pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique. De même, les appels téléphoniques injurieux à votre domicile ainsi que le fait que vos clients albanais ne règleraient pas leurs factures ne revêtent pas un caractère tel qu'ils puissent être assimilés à une persécution au sens de dispositions précitées de la convention de Genève. Par ailleurs, ces faits viseraient davantage votre père en tant que propriétaire de l'atelier alors que ce dernier n'aurait pas jugé la situation suffisamment insupportable pour quitter le Kosovo.

Le vol d'une vache ainsi que les tirs en votre direction par des personnes que vous soupçonnez être albanaises sans apporter davantage d'explication ou de preuve étayant vos dires ne peuvent pas non plus fonder votre demande en obtention du statut de réfugié politique car ces actes délictueux commis par des personnes non identifiées doivent être davantage considérés comme une infraction de droit commun que comme un acte de persécution personnellement dirigé contre vous.

A cela s'ajoute que des albanais non autrement identifiés ne sauraient être considérés comme agents de persécutions. En application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations gouvernementales présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection. En effet, vous expliquez avoir déposé des plaintes contre les différents faits décrits, qu'une enquête aurait été ouverte mais sans résultat à ce jour. Vous vous seriez renseigné auprès de la police qui vous aurait informé que l'instruction aurait été en cours. Le simple fait que les coupables d'un délit ou d'une agression n'aient pas été identifiés n'est pas suffisant à considérer un défaut de protection des autorités étatiques. Ainsi, dans tout Etat de droit, il est fréquent et normal qu'une instruction contre une infraction perpétrée par un auteur inconnu et lorsqu'il n'existe aucun élément susceptible d'être exploité pour en permettre son identification tarde à aboutir, notamment si aucun dégât majeur ni préjudice corporel n'est observé.

Vos motifs traduisent davantage un sentiment général d'insécurité qu'une crainte fondée de persécution. Pourtant, il y a lieu de soulever que votre village Pasjane, village composé exclusivement de serbes, est à considérer comme enclave serbe faisant partie des 63 villages qui appartiennent à la commune de Gnjilane. Selon un rapport du UK Home Office du 22 juillet 2008 « There is sufficiency of protection for Kosovan Serbs within Serb enclaves or when UNMIK/KPS are able and willing to provide protection for those that fear persecution and ensure that there is a legal mechanism for the detection, prosecution and punishment of persecutory acts. » Enfin, la situation des minorités est devenue plus stable. En règle générale, celles-ci ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Plus particulièrement, les serbes commencent à bénéficier de la liberté de mouvement. S'il est vrai que leur situation économique est encore peu favorable dans les villes, ils ont accès à l'enseignement et aux soins de santé.

De plus, le rapport de l'OSCE d'avril 2008 établit clairement la situation des institutions et infrastructures de la municipalité de Gnjilane et laisse apparaître une représentation importante des membres de la minorité serbe auprès de la police, des infrastructures judiciaires, sociales et sanitaires et le personnel multiethniques des hôpitaux et des centres médicaux. Le rapport prouve ainsi les efforts certains de la municipalité de Gnjilane pour rendre toutes les infrastructures accessibles aux serbes et ne pas les discriminer en raison de leur appartenance ethnique. De même, en date du 20 juin 2007 (N° 22.469) le Tribunal administratif a considéré Gnjilane comme une région où les serbes disposent de la liberté de circulation et où ils ont accès à l'enseignement et aux soins de santé. Dans son jugement du 27 août 2008, le Tribunal administratif a jugé qu' « il ne se dégage pas des éléments d'appréciation soumis au tribunal que la situation au Kosovo se soit détériorée pour la minorité serbe après la déclaration d'indépendance du Kosovo. S'il est vrai que des violences ont pu être constatées à la suite de la proclamation d'indépendance, il s'agissait cependant d'incidents isolés et localisés, notamment dans le Nord du Kosovo près de la frontière serbe et à Mitrovica. Dans la région de provenance des demandeurs, à savoir la municipalité de Gnjilane la situation semble être restée calme et non marquée par des événements majeurs ». (TA, 27 août 2008, N° 23.751). Notons à nouveau, que dans ce jugement il a été directement fait référence à la municipalité de Gnjilane.

En outre, la nouvelle République du Kosovo, proclamée indépendante le 17 février 1998, s'est engagée à respecter et à protéger toutes les minorités vivant sur son territoire.

D'après un document du U.S Department of State du 22 février 2008 résumant la proposition pour un accord sur le statut du Kosovo, « the Ahtisaari Plan proposes wide-ranging local municipal powers. The Kosovo Serb community will have a high degree of responsibility over its own affairs, to include health care and higher education. Serb-majority communities will have extensive financial autonomy and will be able to accept transparent funding from Serbia and to take part in inter-municipal partnerships and cross-boundary cooperation with Serbian institutions. Six Serb-majority municipalities will be established or greatly expanded:

Gracanica, Novo Brdo, Klokott, Ranilug, Partes, and Mitrovica-North. » De plus, selon un document de BBC News du 15 février 2008 « Kosovo's Prime Minister Hashim Thaci has vowed to protect the rights of all minorities as the province prepares to declare independence from Serbia ». A cette même date, selon des informations de CNN « Thaci said he was establishing a new government office for minorities. `Not a single citizen of the new independent Kosovo will feel discriminated against or set aside, he said ».

Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Ainsi, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. La constitution kosovare du 8 avril 2008 interdit dans son article 25-2 la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. La situation actuelle au Kosovo ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.

La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente.

Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d'irrecevabilité. » Par requête déposée le 1er décembre 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre du 28 octobre 2008 en ce qu’elle porte rejet de sa demande en obtention d’une protection internationale comme étant non fondée, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois inclus dans la même décision.

1.

Quant au recours visant la décision du ministre du 28 octobre 2008 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit, lequel est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose appartenir à la minorité serbe du Kosovo, se trouver dans une situation minoritaire dans la région de Gnjilane et il fait état de menaces de la part des Albanais du Kosovo qui se traduiraient par des insulte, des jets de pierre et des demandes de quitter le Kosovo lorsqu’il se déplaçait d’un village à l’autre. En 2003, les Albanais seraient venus dans les champs de la famille du requérant et se seraient emparés des vaches qu’il gardait. Les Albanais auraient battu un vieil homme qui aurait été avec le demandeur à ce moment. Le demandeur aurait réussi à s’échapper. Il aurait alors porté plainte auprès de la police qui aurait réussi à lui rendre ses vaches, sans toutefois retrouver les coupables. Ensemble avec son père et ses oncles, il aurait également été la cible de tirs d’Albanais sans que quelqu’un n’ait été touché. Ils auraient porté plainte, mais, encore une fois l’instruction n’aurait pas donné de résultat. Les menaces constantes et la crainte de se faire agresser ou tuer l’auraient tellement traumatisé qu’il n’aurait plus osé sortir de sa maison.

Quant aux motifs de refus, il fait valoir qu’il aurait fait l’objet de persécutions de la part des Albanais depuis plusieurs années en raison de son origine serbe, constituant un groupe social au sens de la Convention de Genève. D’autre part, il conteste que les menaces et insultes ne seraient pas d’une gravité suffisante pour établir l’existence d’une menace réelle pour sa vie. Finalement, il estime que les menaces dont il aurait fait l’objet seraient à qualifier de violences mentales telles que définies à l’article 31 (2) de la loi du 5 mai 2006.

Concernant les agents de persécution et des forces internationales présentes au Kosovo, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre a soutenu que les Albanais l’ayant persécuté ne seraient pas à qualifiés comme des agents de persécution. En effet, la Directive 2004/83/CE établirait que la persécution peut aussi avoir pour origine des acteurs non étatiques qu’un Etat peut ne pas être en mesure ou ne pas être disposé à contrecarrer. Concernant plus particulièrement les forces internationales, le demandeur fait valoir que ni les forces onusiennes, ni la KFOR ni la MINUK n’auraient les moyens pour empêcher toutes les persécutions, de sorte qu’il aurait été enfermé dans son village, voire même dans sa maison. D’autre part, l’impunité des agents de persécution résulterait en grande partie du fait que les corps de police et les autorités judiciaires au Kosovo seraient essentiellement composés de fonctionnaires appartenant à la majorité albanaise, de sorte que les coupables d’infractions pourraient échapper à leur arrestation voire leur condamnation.

Quant à l’amélioration de la situation des Serbes au Kosovo, le demandeur estime qu’elle serait inexistante alors qu’ils risqueraient toujours des persécutions, étant donné que la situation actuelle serait explosive. Finalement, il fait état d’incidents précis qu’il estime suffisamment graves pour être qualifiés de persécutions.

En ce qui concerne la municipalité de Gnijlane, le demandeur fait valoir que le village de Pasjane ne serait pas une enclave serbe. En effet, la commune de Gnijlane, dont ferait partie le village de Pasjane, compterait une population majoritairement albanaise. Par conséquent, les Serbes se trouveraient toujours menacés par les Albanais majoritaires de la commune de Gnijlane, malgré la présence des forces internationales.

Quant à la protection subsidiaire, le demandeur fait valoir que les Serbes du Kosovo seraient toujours persécutés au Kosovo malgré la présence des forces de l’ONU et que son récit démontrerait qu’il risque encore à l’heure actuelle de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il résulterait du dossier du demandeur que ses parents auraient rencontré les mêmes problèmes sans pour autant partir et qu’il n’aurait subi aucune agression physique. En ce qui concerne les menaces et les insultes elles seraient condamnables mais ne seraient pas à considérer comme rendant la vie insupportable.

Concernant la persécution par des agents non étatiques, le délégué du gouvernement estime qu’il ne ressortirait pas du dossier que la police ne serait pas en mesure ou bien ne voudrait pas retrouver les individus albanais à l’origine des ennuis du demandeur. D’autre part, il fait valoir que le village de Pasjane serait une enclave serbe, de sorte que le demandeur y bénéficierait d’une protection suffisante. Le délégué du gouvernement estime que la situation des serbes au Kosovo se serait nettement améliorée et en conclut que le recours n’est ni fondé en ce qu’il se dirige contre le refus d’octroyer au demandeur le statut de réfugié ni en ce qu’il se dirige contre le refus de le faire bénéficier de la protection subsidiaire.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

Les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 précisent également le contenu de la notion de réfugié.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale lors de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur n’établit pas à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte avec raison d’être persécuté du fait de sa race au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Il convient en effet de relever que la reconnaissance de la protection internationale n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur de protection internationale qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’il craint avec raison d’être persécuté pour un des motifs visés par la Convention de Genève.

Concernant la situation générale du Kosovo et, en particulier, celle des ses minorités, le tribunal est amené à relever que s’il est vrai que la situation sécuritaire actuelle au Kosovo en général et celle des minorités ethniques en particulier demeure difficile, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.1 Dans ce contexte, il convient de renvoyer au rapport de la Commission européenne du 5 novembre 2008, SEC (2008) 2697 final, invoqué par la partie étatique, dans lequel on peut relever, parmi les constatations générales concernant l'engagement de l'Union européenne dans les efforts de stabilisation de la région, qu'en février 2008, "the General Affairs and External Relations Council agreed to a Joint Action to establish an ESDP [European Security and Defence Policy] rule of law mission, known as "EULEX", in Kosovo" et que le Kosovo "has continued to work with the Council planning teams to prepare the EU mission, and is cooperating fully with EULEX and the EUSR/ICR [EU Special Representative/International Civilian Representative]. The deployment of EULEX is ongoing. EULEX is to be operational throughout Kosovo." – Concernant l'établissement d'un Etat de droit au Kosovo, le document souligne que "Kosovo is cooperating well within the framework of the EULEX Joint Rule of Law Coordination Board and participates in its monthly meetings" et que la nouvelle 1 V. CA, 5 février 2009, n° 24887 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu Constitution "provides for the protection of human rights and communities according to international and European standards. It (…) confirms fundamental rights and freedoms, and the rights of communities and their members" tout en retenant que "the constitution is in line with European standards which require stability of institutions guaranteeing democracy, the rule of law, human rights and respect for and protection of minorities." Sur le plan concret, le rapport se résigne cependant à constater que "overall the judicial system remains weak at all levels. There has been little progress during the reported period (…) Overall, despite some progress, corruption remains widespread and constitutes a very serious problem." – "Overall, some progress can be reported in the field of policing, but high-level crime and strategic deficiencies remain serious concerns (…). The determination and capacity required to effectively tackle organized crime is lacking. The police tend to focus on maintaining order rather than on organized crime." Concernant la participation de la minorité serbe dans le processus d'élaboration des textes fondateurs de l'Etat kosovar, le document déplore que "the Kosovo Serb community did not formally participate in the constitutional process", mais retient que "after a boycott following the declaration of independence, the Kosovo Serb members rejoined" l'assemblée constituante.

Concernant plus particulièrement la situation des minorités ethniques, le rapport déplore que "at the administrative level, there is a lack of qualified staff and a shortage of minority community representatives" et que "the government did not manage to reach its targets for minority community representation. Further progress in this area was prevented by political developments following the declaration of independence. In some Serb-majority areas the government has limited authority over the police, the courts, customs, transport, boundaries and Serbian patrimony. Parallel administrative structures at local level have consolidated and continue to operate in most Serb majority municipalities, even if they are not operational in some areas south of the Ibar river. Municipalities in northern Kosovo have started to implement Serbian legislation on local governance (…) Parallel courts applying Serbian law continue to operate." – "The justice system failed to send a clear and strong message that ethnic violence would not be tolerated in Kosovo. The vigorous prosecution of all inter-ethnic crime is a key priority in the European Partnership for Kosovo." – "As regards promotion and enforcement of human rights, the monitoring capacities in Parliament, government and civil society are very limited, particularly as regards positive rights such as education, health and employment." – "Overall the prevention of torture and ill-treatment and the fight against impunity have made limited progress." – "The media continue to be vulnerable to political intimidation." – "Kosovo remains a source, transit point and destination for trafficking in human beings. It is also affected by internal trafficking." Le rapport constate que "there is no strategy for reconciliation and inter-community dialogue." D'autres passages du rapport soulignent cependant des progrès et des éléments franchement positifs concernant la protection des minorités. Ainsi, il y est mentionné que les autorités "made considerable efforts to reach out and reassure Kosovo Serb citizens." – "Human rights units have been established in the municipalities to ensure human rights monitoring and compliance at local level." – "The legal framework has been significantly improved through the adoption of the Law on the Police Inspectorate of Kosovo." – "In the area of freedom of expression, no hate speech was detected in the print and electronic media during the reporting period." – "The assembly adopted the Law on Special Protective Zones to protect in particular the Serbian orthodox sites in Kosovo (…). After repeated attacks against religious and cultural sites – in particular Serbian Orthodox sites – earlier in the year, security of RCH [Religious and Cultural heritage] sites is now generally assured." – "Overall against the background of a volatile political situation and difficult challenges, progress has been made on the protection of cultural heritage in Kosovo. In the area of education, recent laws on education at municipal level and on decentralization increase the role of municipalities, including the possibility to choose the Serbian language curriculum." – "Radio Television Kosovo (RTK) broadcasts in the Serbian, Bosnian, Turkish and Roma languages, in line with legal provisions." – "Minority communities continue to show confidence in the institution of the Ombudsperson." Il y a lieu de relever plus particulièrement que le rapport constate que "no major ethnically motivated incident took place following the declaration of independence. Some progress can be reported in the field of security and freedom of movement for minority communities" et que "despite some incidents targeting returnees, the overall security situation in Kosovo during the reporting period remained relatively calm." Ainsi, il se dégage du rapport précité de la Commission européenne que les autorités nationales, en coopération avec l'Union européenne, déploient de sérieux efforts pour instaurer et consolider l'Etat de droit et protéger de manière efficace les minorités ethniques.

S'il est vrai que les institutions du Kosovo ne répondent pas aux standards d'une démocratie occidentale ayant fait ses preuves, il importe en revanche de souligner qu'il existe une réelle volonté de se conformer aux standards de l'Union européenne et que la collaboration avec les institutions européennes est acceptée voire recherchée par les autorités kosovares.

Dans une matière comme le respect des droits de l'homme qui dépend très étroitement de l'évolution de la situation politique dans un pays et est de ce chef sujet à de constantes fluctuations, il y a lieu de porter un regard particulier aux tendances – positives ou négatives – qui se dessinent au vu de l'évolution la plus récente. Or, dans le cas du Kosovo, l'évolution est nettement dans le sens de l'amélioration. Dans ce contexte, il est particulièrement important de noter que les incidents motivés par des raisons ethniques ont fortement diminué en 2008 voire ont disparu.2 Il y a lieu d'ajouter qu'outre les autorités kosovares et communautaires, des forces internationales veillent au maintien de l'ordre, la MINUK orientant même désormais ses principaux efforts vers des minorités non albanaises.

Eu égard à ces éléments, la situation générale actuelle au Kosovo n'est pas telle que les personnes qui y résident, y compris celles appartenant à des minorités ethniques, devraient craindre de la part des autorités des traitements inhumains et dégradants. Elles ne sont pareillement pas fondées à admettre que les autorités en place ne seraient ni disposées, ni capables de les protéger contre des violations de leurs droits de la part de groupes de la population ou d'individus non étatiques.

En outre, force est de constater que le demandeur n’avance aucun élément permettant au tribunal de conclure que sa situation personnelle serait différente de celle des autres membres de son ethnie, de sorte qu’il a y lieu de conclure qu’il bénéficie d’une protection suffisante de la part des autorités nationales et internationales présentes sur le territoire de son pays s’origine.

2 CA 12 février 2009, n° 25024C du rôle non publié Il s’en suit qu’en l’état actuel de l’instruction de l’affaire, les faits invoqués à l’appui de la demande en obtention du statut de réfugié ne sauraient tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève dans la mesure où les Albanais desquels le demandeur craint d’être menacé ne sauraient être qualifiés d’agent de persécution aux termes de la loi du 5 mai 2006.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Force est de constater que dans la mesure où l’analyse des conditions devant être remplies pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire est identique au statut de réfugié en ce qui concerne le volet de la qualification des agent de persécution, c’est également à bon droit que le ministre a estimé que le demandeur ne court pas de risque de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine et qu'il lui a refusé la protection subsidiaire au sens des articles 2 e) et 37 b) de la loi du 5 mai 2006.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 19 novembre 2007 a pu valablement être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre prise dans le cadre de la procédure accélérée vaut ordre de quitter le territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère.

Si le demandeur sollicite certes l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, il reste cependant en défaut de formuler utilement un quelconque moyen de légalité, voire seulement d’invoquer une quelconque base légale susceptible d’étayer ses prétentions, de sorte que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 28 novembre 2008 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation contre la décision ministérielle du 28 novembre 2008 portant refus d’une protection internationale ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 mai 2009 par :

Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Paulette Lenert 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 25130
Date de la décision : 04/05/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-05-04;25130 ?

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