Tribunal administratif N° 24633 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2008 1re chambre Audience publique du 4 mai 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24633 du rôle et déposée le 17 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité roumaine, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 mai 2008 portant refus d’octroi du permis de travail dans son chef en rapport avec un emploi de maçon auprès de la société à responsabilité limitée … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 novembre 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Madame le délégué du Gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 29 février et 23 mars 2009.
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Le 28 janvier 2008, la société à responsabilité limitée … a déposé auprès de l’administration de l’emploi (ADEM) une déclaration de place vacante pour un poste de « maçon Bd » en exigeant au titre des connaissances requises une très bonne connaissance des langues française et allemande.
Le 28 mars 2008, l’ADEM enregistra une demande en obtention d’un permis de travail pour le poste en question au bénéfice de Monsieur …, de nationalité roumaine.
Par décision du 23 mai 2008, le ministre informa la société … de son refus de faire droit à la demande d’un permis de travail pour Monsieur …, cette décision étant libellée comme suit :
« En réponse à votre demande de permis de travail enregistrée auprès des bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi en date du 5 mars 2008, je suis au regret de vous informer que je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, vous avez déclaré un poste vacant auprès de l’Administration de l’Emploi en date du 28 janvier 2008 pour l’occupation en tant que « maçon bd ».
Force est cependant de constater que dans la déclaration de poste vacant vous exigez de très bonnes connaissances en français et en allemand ce qui exclut un bon nombre de travailleurs qualifiés pour le poste de « maçon bd » inscrits auprès de l’Administration de l’Emploi et bénéficiant d’une priorité à l’embauche.
Ce comportement démontre bien votre refus d’engager un travailleur disponible sur le marché de l’emploi et bénéficiant d’une priorité à l’embauche. Votre intention était dès le début celle d’engager Monsieur … ne bénéficiant pas d’une telle priorité à l’embauche. Cette constatation est par ailleurs confortée par votre comportement lors de la première demande de permis de travail pour Monsieur …, demande suivie d’une réponse négative en date du 2 octobre 2007.
En conséquence, vous avez de nouveau mis l’Administration de l’Emploi dans l’impossibilité d’effectuer une vérification convenable de la disponibilité concrète des demandeurs d’emploi inscrits auprès des bureaux de placement et bénéficiant d’un droit prioritaire à l’embauche.
Il ne me reste qu’à vous rappeler une nouvelle fois que le législateur n’avait pas prévu la procédure afférente comme simple procédure de complaisance et que le but d’une déclaration de poste vacant consiste à trouver le personnel adéquat sur le marché de l’emploi local, qui, en vertu des dispositions actuellement applicables, dispose d’un droit prioritaire à l’embauche.
La présente décision se base sur l’article L.544-4 du Code du Travail et sur les articles 8 et 10 du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les meures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.
Je vous prier d’agréer, … ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2008, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ci-avant relatée du 23 mai 2008 en concluant d’abord à l’incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, auteur de la décision déférée, pour refuser un permis de travail, le demandeur se référant à cet égard à l’article 544-3 du Code du Travail entré en vigueur le 1er septembre 2006 et conférant la compétence afférente au ministre ayant le Travail dans ses attributions ou à son délégué. Il prend encore appui sur le même article pour soutenir qu’il ne ressortirait pas de la décision déférée que la commission spéciale prévue par cette disposition légale ait été entendue en son avis avant la prise de décision.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Concernant le premier moyen d’annulation soulevé par le demandeur, le délégué du gouvernement a valablement pu prendre appui sur l’article 1er de l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des ministères pour soutenir que conformément à ce texte, la délivrance des permis de travail est de la compétence du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration. Quant au non-respect allégué de la saisine de la commission d’avis spéciale en matière de permis de travail, il se dégage encore des pièces versées au dossier que cette commission a avisé la demande de l’intéressé en date du 30 avril 2008, de sorte que le moyen afférent est à écarter pour ne pas être vérifié en fait.
Quant au bien fondé de la décision déférée, le demandeur fait valoir que seules des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi pourraient être utilement invoquées pour refuser un permis de travail. Or, la décision déférée ne ferait pas état d’un quelconque motif s’inscrivant dans ces prévisions légales et la motivation invoquée tendrait à sanctionner une intention que le ministre prêterait à tort à l’employeur. Dans la mesure où l’employeur a déclaré le poste vacant, l’ADEM aurait été tout à fait en mesure de vérifier la disponibilité concrète des demandeurs d’emploi inscrits auprès des bureaux de placement et bénéficiant d’une priorité à l’embauche.
Quant à l’exigence de très bonnes connaissances des langues allemande et française, elle serait tout à fait pertinente dans le contexte du marché du travail luxembourgeois, étant donné que la clientèle de l’entreprise se composerait de personnes de différentes nationalités, dont notamment des personnes germanophones.
Il insiste par ailleurs que l’exigence de ces connaissances de langues traduirait une préférence dans le chef de la société concernée, tout en relevant que concrètement l’ADEM n’aurait assigné à l’employeur aucun ouvrier potentiel maîtrisant ou non l’allemand ou le français pour occuper le poste en question.
Le délégué du gouvernement fait valoir de son côté que l’employeur aurait posé des conditions surfaites pour l’occupation d’un poste de « maçon Bd » et que le critère linguistique libellé à l’appui de la déclaration de poste vacante aurait valablement pu être considéré comme disproportionné par le ministre pour l’exercice de la profession de maçon.
De cette manière un grand nombre de demandeurs bénéficiant d’une priorité à l’embauche aurait été exclu d’office et leur assignation auprès de l’employeur se serait avérée inutile, ceci d’autant plus que l’employeur n’aurait fait que réitérer une première demande de permis de travail au bénéfice de Monsieur … qui avait déjà été refusée en date du 2 octobre 2007. Ainsi, l’exclusion de demandeurs d’emploi bénéficiant de la priorité à l’embauche moyennant l’exigence d’un profil surfait et calquée sur le profil du travailleur non bénéficiaire de la priorité à l’embauche que l’employeur souhaite engager, serait, de l’avis du représentant étatique, un motif de refus intégrant le cadre des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi. Il estime finalement que l’intention de l’employeur de n’engager que Monsieur … pour le poste en question aurait été démontrée à suffisance.
Il se dégage de la décision déférée que le ministre a refusé de faire droit à la demande d’un permis de travail au bénéfice de Monsieur … en reprochant en substance à l’employeur de ne pas avoir pas eu réellement l’intention d’engager un travailleur bénéficiant de la priorité à l’embauche, cette conclusion reposant essentiellement sur la considération que parmi les connaissances requises, l’employeur a indiqué de très bonnes connaissances des langues française et allemande.
Force est cependant de constater que cette exigence, entrevue dans le chef d’une entreprise qui opère sur le marché luxembourgeois caractérisé par une population essentiellement cosmopolite, traduit le souci légitime de prester des services et faire exécuter des travaux des salariés susceptibles de communiquer utilement avec leurs clients. Cette exigence ne saurait partant être qualifiée en soi comme étant démesurée, surfaite ou calquée directement sur le profil d’une personne déterminée, ceci d’autant plus que de nombreuses personnes bénéficiant d’une priorité à l’embauche étant bilingues, il ne paraît a priori pas impossible de trouver parmi de potentiels demandeurs d’emploi des maçons maîtrisant tant l’allemand que le français. Il aurait en effet appartenu au ministre d’établir, in concreto, la disponibilité sur place de personnes bénéficiant d’une priorité à l’embauche, susceptibles d’occuper le poste vacant en prenant notamment en considération leurs connaissances linguistiques, et de n’engager une discussion sur la pertinence de la condition posée par l’employeur qu’après avoir constaté le cas échéant concrètement l’absence de personnes susceptibles de remplir cette condition. En refusant en l’espèce d’office de faire droit à la demande en obtention d’un permis de travail dans le chef de Monsieur … au motif que la société … aurait surfait la description du poste à pourvoir, le ministre a imputé par présomption une intention frauduleuse à la société … qui n’est pas objectivement dégageable du dossier administratif et ne saurait dès lors utilement fonder la décision de refus déférée.
Compte tenu du motif de refus concrètement retenu et des pièces versées au dossier, il n’est par ailleurs pas possible de vérifier si oui ou non des candidats susceptibles de remplir les exigences posées par la société … étaient inscrits aux bureaux de placement, de sorte qu’il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision ministérielle déférée encourt l’annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule la décision ministérielle déférée du 23 mai 2008 ;
renvoie le dossier au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en prosécution de cause ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 mai 2009 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence de Arny Schmit, greffier en chef.
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