Tribunal administratif Numéro 25461 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2009 1re chambre Audience publique du 11 mars 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25461 du rôle et déposée le 2 mars 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 février 2009, lui notifiée le 16 février 2009, ordonnant sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 mars 2009.
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En date du 21 mai 2008, Monsieur … fut interpellé par la police grand-ducale, laquelle constata que celui-ci se trouvait en séjour irrégulier au Grand-Duché de Luxembourg.
Par arrêté du 3 février 2009, notifié à l’intéressé le 16 février 2009, du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné « le ministre », Monsieur … se vit refuser le séjour au Grand-Duché de Luxembourg, en application des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, au motif qu’il n’était ni en possession d’un passeport en cours de validité, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail.
Par arrêté du même jour, soit le 3 février 2009, lui notifié également le 16 février 2009, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu la décision de refus de séjour du 3 février 2009 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu’un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités nigérianes ;
Considérant qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ; ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2009, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision de rétention datée du 3 février 2009.
Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation, tel qu’il ressort du dispositif de la requête introductive d’instance.
Le recours en réformation, par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur soulève, en premier lieu, l’absence des conditions pour prononcer une mesure de rétention, en arguant principalement que le ministre n’aurait pas effectué tous les efforts et toutes les démarches nécessaires en vue d’assurer que la mesure d’éloignement puisse être exécutée sans retard. Il se prévaut à cet égard du principe fondamental de la liberté individuelle, tel qu’inscrit tant à l’article 12 de la Constitution qu’à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme, pour faire plus particulièrement grief aux autorités compétentes de ne pas avoir procédé aux démarches nécessaires à son éloignement préalablement à sa rétention, et plus précisément depuis le 18 octobre 2007, date de l’arrêt de la Cour administrative l’ayant définitivement débouté de sa demande en protection internationale.
Il convient de prime abord de souligner que l’article 12 de la Constitution, aux termes duquel : « La liberté individuelle est garantie. – Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. – Nul ne peut être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. - Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures. – Toute personne doit être informée sans délai des moyens de recours légaux dont elle dispose pour recouvrer sa liberté », n’érige pas la liberté individuelle en principe absolu et intangible, mais prévoit expressément la possibilité de déroger à ce principe notamment pour permettre le placement en rétention d’un individu.
La même conclusion s’impose également en ce qui concerne l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme, puisque le paragraphe 1, point f.) dudit article 5 dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (… ) f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».
Quant à la possibilité qu’auraient eu les autorités luxembourgeoises depuis le 18 octobre 2007 de procéder à son éloignement, telle que mise en exergue par le demandeur, il résulte des pièces versées au dossier que si le demandeur a effectivement été définitivement débouté de sa demande en protection internationale en octobre 2007, le ministère a d’abord tenté d’obtenir l’accord du demandeur en vue de son retour volontaire dans son pays d’origine, le demandeur ayant à ce sujet eu plusieurs entretiens avec les services du ministère et ayant notamment déclaré lors de l’entretien du 10 décembre 2007 avoir besoin de plus de temps pour se décider et vouloir d’abord consulter son avocat.
Le demandeur ne saurait dès lors reprocher actuellement au ministère des délais qu’il a en partie personnellement provoqués par ses atermoiements, tout comme il ne saurait reprocher au ministère d’avoir attendu un éventuel accord du demandeur en vue de son rapatriement volontaire avant de mettre en marche la procédure en vue de son éloignement forcé.
Il convient encore de rappeler qu’aucun texte n’impose aux autorités compétentes de procéder aux démarches nécessaires à l’éloignement préalablement au placement en rétention du demandeur, la seule condition légale imposée consistant dans l’existence d’une décision d’éloignement ainsi que dans l’impossibilité, en raison de circonstances de fait, d’exécuter la mesure d’éloignement, étant donné qu’il se dégage de l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 que lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application notamment des articles 111, 116 à 118 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée.
Il en découle qu’une décision de rétention au sens de la disposition précitée présuppose qu’une mesure d’éloignement puisse être légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Force est de constater en l’espèce que Monsieur … a fait l’objet d’un refus de séjour en date du 3 février 2009 pris sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008, -
refus de séjour non entrepris en l’état actuel du dossier - qui entraîne conformément à l’article 111, paragraphe (1) de la même loi l’obligation dans le chef de l’étranger de quitter le territoire et qui habilite le ministre, conformément aux articles 111, paragraphe (3), et 124, paragraphe (1), de la même loi, à le renvoyer dans son pays d’origine, respectivement à prendre des mesures coercitives pour procéder à son éloignement.
Il reste dès lors à vérifier si l’autre condition imposée par l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 à une mesure de placement est respectée, à savoir une impossibilité « en raison des circonstances de fait » de procéder à la mesure d’éloignement.
Force est à cet égard de constater que le demandeur se trouvant en situation irrégulière au Luxembourg, est démuni de toute pièce d’identité et de voyage. Or, l’absence de documents d’identité ainsi que l’organisation des modalités juridiques et pratiques inhérentes au rapatriement du demandeur nécessitant un certain délai, permettent d’estimer valablement que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement est impossible. En effet, à défaut de papiers de légitimation et de voyage dans le chef du demandeur, le ministre se voit effectivement dans l’impossibilité d’une exécution immédiate de la mesure d’éloignement, situation pour laquelle le législateur lui a conféré un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires.
L’arrêté ministériel déféré indique à ce sujet expressément en tant que motif qu'un laissez-
passer devra être demandé auprès des autorités nigérianes et qu'en attendant l'émission de ce document, l'éloignement immédiat de l'intéressé n’est pas possible.
Il est encore constant en cause qu’en date du 18 février 2009 un agent du ministère s’entretint avec le demandeur en vue de son retour volontaire au Nigéria, mais que face à l’absence d’accord afférent de ce dernier, les autorités luxembourgeoises durent le 20 février 2009 s’adresser aux autorités diplomatiques nigérianes en vue d’organiser l’éloignement forcé du demandeur. Il résulte encore des explications et des pièces fournies en cause que les autorités nigérianes ont exigé de pouvoir s’entretenir directement et personnellement avec le demandeur, un représentant des autorités diplomatiques nigérianes devant à cette fin se rendre de Bruxelles à Luxembourg dans les prochains jours.
Au vu des diligences ainsi déployées et de l’absence de contestations circonstanciées de la part du demandeur, des démarches suffisantes ont été entreprises en vue d’un transfert rapide du demandeur vers son pays d’origine, de sorte que le moyen afférent est à déclarer non fondé.
Le demandeur fait ensuite grief à sa rétention de constituer un traitement dégradant, constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté, contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), alors que compte tenu du fait qu’il serait retenu et incarcéré au Centre Pénitentiaire de Schrassig, sans avoir commis une infraction à la loi pénale, on serait en présence d’une atteinte intolérable à sa liberté, et ce d’autant plus qu’il y serait contraint de côtoyer des délinquants, ce qui le perturberait gravement.
Dans ce même contexte, il soulève la question de savoir si le Centre Pénitentiaire de Schrassig peut être retenu comme une structure fermée au sens de l’article 120 (1) de la loi du 28 août 2008, telle qu’envisagée par le législateur. L’intention du législateur serait de contraindre les autorités administratives de pourvoir à la création d’un établissement spécial. Du moment que la libre circulation lui serait ôtée, puisqu’il se trouverait quasiment dans la même situation qu’un délinquant de droit commun, il demande au tribunal, par réformation de la décision litigieuse, d’ordonner le transfert dans une structure fermée afin que la rétention soit opérée dans un établissement spécifique au sens de l’article 120 de la loi du 28 août 2008.
L’article 3 de la CEDH dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Or, une rétention au Centre de séjour ne saurait, en tant que telle, être considérée comme dégradante, inhumaine ou humiliante si les conditions légalement prévues sont remplies1. Dès lors que le demandeur se limite à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme traitement dégradant, et à défaut par lui d’indiquer concrètement en quoi ce traitement serait inhumain ou dégradant pour sa personne, le moyen du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé. Il convient à cet égard de relever que la seule affirmation selon laquelle le demandeur serait contraint d’y côtoyer des délinquants, de sorte à y être exposé à un « apprentissage de la criminalité » laisse de convaincre, eu égard notamment au fait que si le centre de rétention est matériellement certes situé au sein du centre pénitentiaire, il n’en demeure pas moins que les étrangers y retenus y sont a priori matériellement strictement séparés des détenus.
Concernant la prétendue violation de l’article 5 de la CEDH, il convient de relever que le paragraphe 1, point f.) dudit article 5 cité ci-avant prévoit, comme souligné, expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays2. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions de la CEDH. Par ailleurs, le seul fait par le demandeur d’alléguer qu’il est retenu dans les mêmes conditions qu’un délinquant de droit commun ne saurait suffire à lui seul, à défaut d’autres éléments, afin d’établir que sa rétention serait effectuée en violation des dispositions de la CEDH invoquées. Le moyen afférent est partant à rejeter.
Enfin, quant à la question posée par le demandeur de savoir si le Centre de séjour correspond à une structure fermée, telle que prévue à l’article 120 de la loi du 29 août 2008, le tribunal est amené à conclure que le terme « structure fermée » au sens de la prédite loi peut valablement viser le Centre de séjour pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Le moyen afférent est dès lors à rejeter, tout comme la demande visant un transfert vers une autre structure fermée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun des moyens et est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
1 cf. trib. adm. 28 février 2002, n° 14590 du rôle, Pas. adm. 2008, Vo Etrangers, n° 447.
2 cf. trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2008, Vo Etrangers, n° 448.
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mars 2009 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Lenert 6