Tribunal administratif N° 25031 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2008 1re chambre Audience publique du 11 mars 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25031 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2008 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 octobre 2008 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 février 2009.
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Le 13 août 2007, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ». Il fut auditionné en date du 29 août 2007 par un agent du ministère des Affaires Étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Il fut auditionné en date du 29 août 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 17 octobre 2008, notifiée le 24 octobre 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale a été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« Concerne: …, né le… , de nationalité kosovare.
Monsieur, J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 13 août 2007.
En application de la loi précitée, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 29 août 2007.
Il résulte de vos déclarations que vous appartiendriez à l'ethnie des bosniaques et que vous auriez habité à…, ensemble avec votre épouse, vos enfants et vos parents. Vous indiquez que vous auriez été propriétaire d'un commerce de matériel sanitaire, mais que vous auriez fermé votre magasin en date du 6 août 2007. Selon vos dires, vous auriez été membre de la « Democratic Action Party » (SDA) depuis 1990 et que les trois dernières années, vous auriez été représentant du parti dans votre commune. Vous dites que pour des raisons de sécurité, toutes les réunions du parti auraient dû être déclarées auprès de I'UNMIK. Il ressort de vos propos que depuis 2006, des inconnus vous menaceraient par téléphone et ainsi, vous auriez décidé de couper votre téléphone. Vous ajoutez que depuis début 2007, des inconnus albanais viendraient chez vous au magasin pour vous insulter et pour vous demander pourquoi vous auriez adhéré au parti SDA. Vous expliquez qu'il existerait un groupe au Kosovo, qui serait assez connu et qui voudrait avoir un Kosovo « ethniquement pur ». Vous dites que les responsables du Kosovo seraient au courant de ce groupe et vous ajoutez que vous ignorez le nom de ce groupe réactionnaire. Vous soupçonnez que les inconnus qui vous auraient menacé seraient membres de ce groupe. Selon vos dires, ils voudraient que vous vous retiriez du parti.
Vous indiquez qu'en date du 8 août 2007, après une réunion de votre parti, vous seriez sorti de la salle de réunion quand des inconnus vous auraient donné un coup sur la nuque et vous auriez perdu connaissance. Vous vous seriez réveillé à l'hôpital de la ville. Vous dites que vous auriez porté plainte auprès de la police qui aurait donné le procès verbal au juge d'instruction. Pour confirmer vos dires, vous remettez le rapport de la Police à l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration.
Vous dites que vous n'auriez plus supporté les menaces et insultes et ainsi, en date du 10 août 2007, vous auriez décidé de quitter le Kosovo. Vous affirmez qu'avant le 8 août 2007, vous n'auriez jamais été agressé et vous dites que tous vos problèmes seraient liés à votre affiliation au parti SDA.
Concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, il convient de souligner que la reconnaissance du statut de réfugié politique n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006.
En premier lieu, il convient de souligner que selon les recherches du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration et de la Police de Prizren, le rapport de Police que vous avez remis est un faux. La police de Prizren n'a pas pu trouver dans sa base de données le rapport en question. De plus il n'y a pas de policier au nom de «… » (nom qui figure dans le document). En outre, il convient de relever que les agents interviewés ont remarqué que normalement un tel rapport de police devrait comporter le numéro de l'agent qui l'a établi, ainsi que le numéro de l'affaire. Or, les deux sont absents dans le rapport que vous avez présenté. Par ailleurs, les agents de Police se sont étonnés qu'un tel rapport ait été délivré à la victime, ce qui ne se fait pas. Finalement, il a été constaté qu'il est surprenant que le rapport est rédigé dans un serbe parfait, alors qu'il est signé par quelqu'un qui porte un nom albanais. Force est de conclure que ce rapport est un faux.
Selon les mêmes recherches, votre femme et vos enfants n'habitent pas à l'adresse que vous avez indiquée aux autorités luxembourgeoises, à savoir rue … , mais ils habitent dans la rue … Ainsi, nonobstant le fait que toutes vos déclarations restent assez vagues et que vous n'entrez pas dans les détails, force est de constater que le rapport de Police qui devrait attester vos déclarations s'est avéré être complètement faux, après vérification de son authenticité par la Police kosovare. Par conséquent, il convient de souligner que votre demande repose sur une fraude délibérée qui démontre une volonté de votre part d'induire les autorités en présentant de faux documents, afin d'influencer l'issue de votre demande de protection internationale. Au vu de ce qui précède il convient de conclure que la crédibilité de la totalité de votre récit doit être mise en cause.
Ainsi, force est de constater que vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
Quoi qu'il en soit, il convient de relever que les bosniaques ont droit à la participation et à la représentation politique, à la l'enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu'une discrimination à leur égard ne saurait pas être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s'ajoute qu'il ressort du rapport de l'UNHCR de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, qu'en règle générale, les bosniaques ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité. Les relations interethniques y sont stables. Par ailleurs, le rapport de l'UNHCR de juin 2006 intitulé « UNHCR's Position on the Continued international Protection Needs of Individuals from Kosovo » ne mentionne pas la situation des bochniaques et par conséquent on peut en conclure que l'UNCHR ne les considère plus comme courant de risque particulier. D'ailleurs, l'UNHCR ne s'oppose pas à un retour de bochniaques au Kosovo. De même, il ressort clairement du (‘ UK Operational Guidance Note Republic of Serbia » du 22 juillet 2008 que « although Bosniaks may be subject to discrimination and/or harassment in Kosovo this does not generally reach the level of persecution. Considering the sufficiency of protection available and the option of internal relocation, in the majority of cases it is unlikely that a claim based solely on the fear of persecution because of Bosniak ethnicity will qualify for a grant of asylum or Humanitarian Protection and cases from this category of daim are likely to be clearly unfounded ».
Au vu de ce qui précède, force est de constater que vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le date 18 novembre 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision prérelatée du 17 octobre 2008, par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son égard l’ordre de quitter le territoire.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée, lequel recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose appartenir à la minorité bosniaque du Kosovo et être un membre exécutif important du « Democratic Action Party » (SDA) depuis 1990. Il conteste formellement avoir fourni à l’appui de sa demande de protection internationale un faux rapport de police et fait valoir que le ministre resterait en défaut de fournir des explications satisfaisantes permettant de comprendre les raisons qui l’amènent à considérer que le rapport en question serait un faux. Le ministre ne verserait en effet aucune pièce relative à ses recherches. Le demandeur affirme de son côté avoir été agressé en date du 8 août 2007 lorsqu’il sortait d’une réunion de son parti. Il aurait été transporté à l’hôpital à la suite de cette agression et il aurait porté plainte auprès de la police locale à Prizren. Quant au rapport de police versé au dossier, il aurait pu se le procurer par l’intermédiaire de son parti.
Le demandeur insiste sur sa bonne foi lors de son audition et signale avoir immédiatement donné au ministre les coordonnées téléphoniques du président du parti SDA afin de voir confirmer ses affirmations.
Dans l’hypothèse où le ministre persisterait dans ses allégations de faux documents, le demandeur exprime le souhait que des poursuites pénales soient engagées afin que la véracité de son récit soit établie.
Quant au reproche lui adressé d’avoir fourni une adresse erronée de son épouse et de ses enfants, le demandeur conteste avoir voulu induire les autorités luxembourgeoises en erreur et précise que suite à la proclamation de l’indépendance du Kosovo, de nombreux noms de rues auraient été changés, de sorte que la rue … s’appellerait désormais …. De ce fait, l’incohérence soulevée par le ministre ne serait pas de nature à entacher la crédibilité de son récit. Il rappelle ensuite avoir déjà été victime par le passé d’acte de persécution et plus particulièrement de violences physiques, de sorte à avoir établi des indices sérieux d’une crainte fondée d’être à nouveau persécuté conformément aux dispositions de l’article 26 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée. Il reproche dans ce même contexte au ministre de rester en défaut d’établir de bonnes raisons de penser que des actes de persécution ou atteintes graves de ce type ne se reproduiront plus.
Quant aux développements du ministre ayant trait à la situation générale des minorités au Kosovo qui se serait améliorée, ils ne seraient pas transposables à sa situation particulière.
Le demandeur relève par ailleurs que l’ensemble des données recueillies par les organismes internationaux sur place concorderaient pour conclure que les minorités au Kosovo seraient toujours exposées à des actes de persécution par la majorité albanaise. Il se réfère plus particulièrement à une communication de la commission du Parlement européen au Conseil du 6 novembre 2007 ayant relevé notamment que dans le domaine des droits de l’homme et de la protection des minorités, les progrès accomplis au Kosovo resteraient limités et que les minorités et autres groupes vulnérables devraient toujours faire face à des restrictions de leur liberté de réunion et d’association, de même que leurs droits, s’ils étaient théoriquement garantis par la loi, resteraient restreints en pratique en raison de problèmes de sécurité. Il relève en outre qu’il ressortirait de la 41ième réunion du Comité permanent du HCR du 4 au 6 mars 2008 que « suite à l’évaluation conduite au Kosovo, il a été décidé que 2 postes de coordinateur principal des situations d’urgence seraient créés au sein de la section de préparation et de réponses aux situations d’urgence », ceci sous la précision que « eu égard à la situation du Kosovo, une révision des procédures a été conduite avec le bureau pour l’Europe afin d’évaluer la préparation aux situations d’urgence ». Le demandeur en déduit que la situation des minorités au Kosovo resterait à l’heure actuelle des plus préoccupantes, en raison notamment de la persistance des problèmes qui existaient avant la déclaration de l’indépendance et que les tensions depuis d’indépendance ne cesseraient d’augmenter.
Pour les mêmes raisons le demandeur estime qu’il serait exposé à un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies à l’article 37, b) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée, à savoir, un traitement inhumain ou dégradant en raison de son activisme politique, de sorte qu’à titre subsidiaire, il y aurait lieu de lui conférer le bénéfice de la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement insiste dans son mémoire en réponse que Monsieur … aurait remis aux autorités luxembourgeoises un faux rapport de la police de Prizren pour étayer les problèmes par lui allégués dans son pays d’origine. Il souligne que selon les informations de la police de Prizren, celle-ci n’aurait pas pu trouver dans sa base de données le rapport en question et aurait informé les autorités luxembourgeoises qu’il n’existerait aucun policier au nom de « … », nom figurant pourtant dans le document versé au dossier. Il relève en outre que les agents kosovars avaient remarqué que normalement un tel rapport de police devrait comporter le numéro de l’agent qui l’a établi, ainsi que le numéro de l’affaire, mais que ces deux indications seraient absentes en l’espèce. Par ailleurs les agents se seraient étonnés qu’un tel rapport ait été délivré à la victime, alors que généralement cela ne serait pas coutume. Finalement il aurait été constaté qu’il serait surprenant que le rapport soit rédigé dans un serbe parfait alors qu’il est signé par une personne portant un nom albanais. Toutes ces considérations auraient amené la police de Prizren à conclure que le rapport présenté par l’intéressé est un faux.
Le délégué du gouvernement estime pour le surplus que la décision déférée serait motivée à suffisance et indiquerait avec un degré de précision suffisant les différents arguments qui ont amené le ministre à refuser de faire droit à la demande de Monsieur ….
Quant au récit de ce dernier, il insiste sur son caractère vague ainsi que sur la conclusion ci-
avant relative au rapport de police versé à l’appui du dossier pour réitérer l’hypothèse d’une volonté dans le chef de Monsieur … d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises en présentant de faux documents. Il souligne enfin que l’intéressé n’apporterait pas de raisons valables pour lesquelles il serait dans l’impossibilité de s’installer ailleurs au Kosovo et de profiter d’une fuite interne, ceci d’autant plus qu’il est originaire d’une région où selon l’OSCE la communauté bosniaque est assez important.
Quant au volet de la protection subsidiaire, le représentant étatique estime qu’un sentiment d’insécurité du type de celui allégué à l’appui de la demande sous examen ne justifierait pas la reconnaissance de cette protection.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Il se dégage du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que la demande de Monsieur … repose sur une fraude délibérée révélant sa volonté d’induire les autorités luxembourgeoises en erreur en présentant de faux documents afin d’influencer l’issue de sa demande de protection internationale, en retenant le défaut de crédibilité de la totalité de son récit sur base de deux éléments distincts ; il s’appuie d’abord sur ses propres recherches effectuées auprès de la police de Prizren pour soutenir que le rapport de police versé à l’appui de la demande de protection internationale est un faux, ainsi que, en deuxième lieu, sur les résultats de ses recherches ayant permis d’établir que la femme et les enfants de Monsieur … n’habitent pas à l’adresse par lui indiquée, à savoir rue …, mais habiteraient dans une autre rue, en l’occurrence la rue ….
Concernant ce dernier point, force est de constater qu’il se dégage des pièces versées au dossier de part et d’autre que la rue dans laquelle était domiciliée la famille … a changé de nom à plusieurs reprises. Si actuellement elle s’appelle « … » il est néanmoins dégagable à partir des informations fournies en cause et plus particulièrement de la pièce versée au dossier par le demandeur et délivrée par la direction des services publics de la commune de Prizren le 31 octobre 2008, qu’avant 1999 cette même rue était dénommée « … », voire, d’après les informations recueillies par le délégué du gouvernement, « rue… ». Il se dégage encore des déclarations du demandeur recueillies lors de son entretien du 29 août 2007 que celui-ci a déclaré avoir habité à « …, numéro .. » tout en ayant indiqué que cette rue avait désormais changé de nom. Force est encore de constater que le nom indiqué par le demandeur comme ayant été le nouveau nom de rue, en l’occurrence celui de « … », trouve actuellement une explication plausible à travers les pièces versées au dossier, le certificat du 31 octobre 2008 précisant en effet que la rue initialement dénomée « … » est certes actuellement dénommée « … », mais qu’entre ces deux dénominations elle était également baptisée « … » pendant un certain temps, le nom actuel n’ayant été retenu que depuis le 20 octobre 2005.
Les différentes informations ainsi fournies en cause autant par le demandeur que par le représentant étatique afin de voir clarifier la crédibilité des déclarations afférentes du demandeur étant en substance concordantes, l’hypothèse d’un défaut de crédibilité retenue par le ministre laisse d’être vérifiée par rapport à cet élément, les pièces versées au dossier étant au contraire largement concordantes avec les déclarations initiales du demandeur.
Quant au rapport de police remis par le demandeur aux autorités luxembourgeoises afin de sous-tendre son récit, il se dégage des pièces versées au dossier que sur base des informations recueillies par les autorités luxembourgeoises auprès de la banque de données des autorités policières de la région de Prizren, l’authenticité du document remis par Monsieur … a raisonnablement pu être mise en doute à un premier stade par le ministre.
Force est cependant de constater que confronté à la qualification de faux documents retenue par le ministre dans la décision déférée du 17 octobre 2008, le demandeur, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, a émis des contestations formelles, tout en ayant réaffirmé avoir été agressé en date du 8 août 2007 alors qu’il sortait d’une réunion de son parti politique et avoir porté plainte auprès de la police de Prizren tel que cela se dégagerait du rapport de police litigieux. Le demandeur a proposé dans ce contexte que dans l’hypothèse où le ministre persistait dans ses allégations de faux, des poursuites pénales soient engagées.
Le faux en écriture ne se présumant pas et l’article 19 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives prévoyant expressément la possibilité d’une demande en inscription de faux contre une pièce produite, il y a lieu de constater en l’espèce que confronté aux contestations du demandeur, le délégué du gouvernement s’est limité à affirmer que les arguments du ministre seraient assez détaillés et compréhensibles pour démontrer de manière convaincante que le rapport en question est visiblement un faux, mais n’a pas pour autant formulé une demande en inscription de faux qui aurait permis au tribunal d’engager la procédure spécifique afférente prévue à l’article 19 prévisé aboutissant le cas échéant à un jugement sur le faux par le tribunal compétent en la matière.
Il s’ensuit qu’en l’état actuel du dossier, il n’appartient pas au tribunal de retenir la qualification de faux documents par rapport à la pièce litigieuse. Dans ces circonstances, les deux éléments retenus par le ministre pour mettre en doute la crédibilité du récit de Monsieur … sont à écarter pour ne pas être vérifiés à suffisance en fait et en droit.
Au-delà de la considération que le récit présenté de Monsieur … est incrédible, le ministre est également arrivé à la conclusion qu’à la base les faits invoqués par l’intéressé ne seraient pas de nature à dénoter dans son chef l’existence d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que d’une manière générale, la minorité bosniaque ne serait pas à considérer comme étant particulièrement exposée à un risque de persécution au Kosovo.
Les actes de persécution invoqués par le demandeur pour conclure à l’existence d’un risque de persécution dans son chef en cas de retour au Kosovo sont des menaces par téléphone, des insultes, ainsi que des violences physiques émanant d’un groupe d’Albanais qui militerait en faveur d’un Kosovo ethniquement pur. S’agissant ainsi d’acteurs non étatiques, ils ne peuvent être considérés comme acteurs de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi précitée du 5 mai 2006 que dans l’hypothèse où conformément à l’article 28,c) de cette loi, il peut être démontré que l’Etat ou bien des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. Conformément à l’article 29 (2) de la même loi du 5 mai 2006, une protection est à considérer comme étant généralement accordée lorsque les autorités en place prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou, lorsque qu’elles disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
En l’espèce le demandeur se dit persécuté en raison de son activité politique au sein du parti SDA qui représente les intérêts de la minorité bosniaque au Kosovo, de sorte à faire état d’une persécution politique à connotation essentiellement ethnique qui trouve sa source, en substance, dans l’appartenance de Monsieur … à la minorité bosniaque.
Or, force est de constater qu’il se dégage à suffisance dans l’ensemble des rapports auxquels se sont référés le ministre et le délégué du Gouvernement que la situation sécuritaire actuelle des minorités ethniques au Kosovo n’est plus caractérisée par des risques spécifiques dans le chef de la minorité bosniaque, même si par rapport à d’autres minorités elle peut encore paraître difficile en différents endroits. L’UNHCR ne mentionne en effet plus les membres de cette minorité particulière au titre des « Groups at risk », estimant qu’ils ne sont plus désormais à considérer comme courant en général des risques de persécutions.
Quant à la situation personnelle de Monsieur …, force est encore de constater que par rapport au seul incident présentant une certaine gravité, en l’occurrence l’agression physique subie à la sortie d’une réunion politique, l’intéressé a bien disposé de la possibilité de s’adresser aux autorités policières, de sorte que les éléments du dossier ne permettent pas de conclure à l’heure actuelle à un défaut caractérisé de protection dans son chef.
Il dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé pour autant que le statut de réfugié est concerné.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de ladite loi, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Selon l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, sont considérées comme « atteintes graves la peine de mort ou l’exécution, la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine et les menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur n’invoque pas d’autres motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, force est de constater que les risques invoqués par le demandeur de subir des traitements inhumains ou dégradants de la part de membres de la communauté albanaise du Kosovo ne sont pas suffisamment sérieux et avérés pour justifier l’octroi d’un statut de protection subsidiaire, alors que son récit ne fait pas ressortir un défaut caractérisé de protection à son égard. Il convient en outre de relever que la définition des atteintes graves donnée par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 précité implique une individualisation des atteintes graves, alors que « les risques auxquels la population d’un pays ou une partie de la population est généralement exposés ne constituent normalement pas en eux-mêmes des menaces individuelles à qualifier d’atteintes graves » (cf. directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004, considérant 26). En effet, la situation en matière de relations interethniques prévalant au Kosovo n’est pas, à elle seule, suffisante pour établir une impossibilité de retour à l’heure actuelle au Kosovo dans le chef du demandeur en raison de son appartenance à la minorité bosniaque et de son activité au sein du parti SDA.
Il s’ensuit que le demandeur reste en défaut d’avancer un quelconque élément concret permettant au tribunal de retenir qu’il risquerait personnellement de subir des atteintes graves au sens du prédit article 37.
Il se dégage de tout ce qui précède que c’est à juste titre que le ministre, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, a déclaré sa demande de protection internationale comme non fondée, de sorte que son recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
1.
Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle attaquée. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère. S’il est exact que ladite loi du 28 mars 1972 a été abrogée par la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, le juge administratif, dans le cadre d’un recours en annulation, est amené à analyser la légalité de la décision administrative en considération de la situation de droit et de fait ayant existé au jour où elle a été prise de sorte que la loi précitée du 28 mars 1972 était en vigueur au moment de la prise de la décision déférée et elle était partant applicable.
Force est de constater que le demandeur se contente de solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans avancer un quelconque moyen à l’encontre de cet ordre.
Comme le tribunal, tel que développé ci-dessus, vient de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ne sauraient être utilement mis en cause.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
laisse les frais à charge du demandeur ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mars 2009 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge Claude Fellens, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Lenert 11