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11/03/2009 | LUXEMBOURG | N°24720

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mars 2009, 24720


Tribunal administratif N° 24720 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2008 3e chambre Audience publique du 11 mars 2009 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24720 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 août 2008 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, … , demeurant à L-…, tenda

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Tribunal administratif N° 24720 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2008 3e chambre Audience publique du 11 mars 2009 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24720 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 août 2008 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, … , demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision rendue le 21 juillet 2008 par le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative refusant de faire droit à la demande de la requérante de la faire bénéficier de la moitié de son traitement à partir du 1er juillet 2008;

Vu le mémoire en réponse déposé le 9 décembre 2008 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Jean-Marie Bauler et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Mathekowitsch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 février 2009.

Le 11 mars 2008 le Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat a prononcé la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle de Madame …, née le premier septembre 1943, employée carrière D auprès de la Bibliothèque nationale de Luxembourg, demeurant à L-…, qui fit introduire un recours en réformation à l’encontre de cette décision le 13 juin 2008 devant le tribunal administratif.

Le 19 mars 2008 la secrétaire d’Etat a exécuté la décision du Conseil de discipline.

La requérante a introduit un recours contre cette décision.

Elle a par ailleurs demandé de se voir allouer la moitié de son traitement en se référant aux articles 48.2.d) et 48.5 anciens du statut général du statut général des fonctionnaires de l’Etat.

Le ministre de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative a refusé de faire droit à cette demande par décision du 21 juillet 2008 en refusant de la faire bénéficier de la moitié du traitement à partir du premier juillet 2008.

La requérante, par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 août 2008, a principalement formé un recours en réformation sinon subsidiairement un recours en annulation contre cette décision rendue le 21 juillet 2008.

La requérante expose disposer d’un intérêt manifeste à agir alors que la décision entreprise lui causerait torts et griefs.

Elle invoque une violation des articles 48.2. d) et 48.5 anciens du statut général des fonctionnaires qui étaient libellés comme suit :

48.2. « La suspension de l'exercice de ses fonctions a lieu de plein droit à l'égard du fonctionnaire… (d) condamné disciplinairement à la révocation ou à la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle ou disqualification morale par une décision non encore passée en force de chose jugée — jusqu'à la décision définitive.

48.5. Dans les cas visés sub b, c et d) du paragraphe 2 du présent article la privation est réduite à la moitié du traitement et des rémunérations accessoires ».

Le cas d'espèce de la requérante serait celui de l'article 48 précité et, dans une affaire analogue, le tribunal administratif aurait reconnu le bienfondé des prétentions du fonctionnaire (TA n° 21635 du 11 juillet 2006).

L'Etat aurait accepté cette décision mais aurait fait procéder à une modification de l'article 48.2.

d) du statut dont le libellé est le suivant en ce qui concerne la suspension de plein droit :

48.2. « La suspension de l'exercice de ses fonctions a lieu de plein droit à l'égard du fonctionnaire… (d) condamné disciplinairement à la révocation ou à la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle ou disqualification morale par une décision du Conseil de discipline non encore exécutée par l'autorité de nomination conformément à l'article 52 ».

Cette modification a été introduite par la loi du 30 mai 2008 qui est entrée en vigueur le premier juillet 2008.

Ce serait à tort que l'Etat applique cette loi à partir du premier juillet 2008 à la requérante qui en l'espèce n’a bénéficié que de la moitié du traitement à partir du 11 mars 2008 (date de la décision du Conseil de discipline) jusqu'au 30 juin 2008 (date d'entrée en vigueur de la loi).

La requérante estime que sa situation ne saurait être régie par une loi postérieure plus sévère de façon qu'il y aurait lieu de lui appliquer l'ancienne version de l'article 48.2 (d).

Il y aurait lieu de relever que d'une part la sanction prononcée par le Conseil de discipline serait antérieure à la mise en vigueur de la nouvelle loi et que d'autre part la situation régie par l'ancien article 48.2. (d) aurait été plus favorable à la requérante.

Dans l'hypothèse où le nouvel article 48.2. (d) serait applicable, quod non, celui-ci serait contraire à l'article 10bis de la Constitution puisque le législateur aurait instauré une différence entre la situation identique de différents fonctionnaires qui ne serait objectivement pas justifiable.

En effet, outre l'hypothèse de la mise à la retraite en vertu d'une décision disciplinaire, le législateur aurait également prévu la suspension de plein droit du fonctionnaire notamment dans les 2 cas suivants:

48.2. « La suspension de l'exercice de ses fonctions a lieu de plein droit à l'égard du fonctionnaire… (b) condamné par une décision judiciaire non encore passée en force de chose jugée, qui porte ou emporte la perte de l'emploi, jusqu'à la décision définitive ;

(c) détenu préventivement - pour la durée de la prévention ».

Il ne serait objectivement pas justifiable que le fonctionnaire condamné disciplinairement à la mise à la retraite d’office soit traité différemment que le fonctionnaire condamné pénalement du chef d'une infraction dont la sanction porte ou emporte la perte de l'emploi.

Cette différence de traitement inacceptable serait plus particulièrement ressentie en l'espèce où la requérante n’a été sanctionnée disciplinairement que pour « non respect de différents devoirs » et que les reproches retenus, qui restent formellement contestés, ne constitueraient en rien une infraction pénale.

Malgré ce fait, la requérante bénéficierait au vu de la nouvelle législation de moins de droits qu'un fonctionnaire qui non seulement a fait l'objet d'une procédure pénale mais qui est condamné à une peine pénale lourde (puisque), comportant perte de l'emploi sans que cette décision pénale ne soit définitive étant rappelé que les recours en matière pénale y compris le recours en cassation sont suspensifs.

Cette distinction opérée par le législateur entre les fonctionnaires condamnés disciplinairement et ceux condamnés pénalement par une décision non définitive ne serait ni justifiée objectivement, ni rationnelle, ni proportionnée à son but.

La partie requérante demande à ce que la question suivante soit posée à la Cour constitutionnelle :

« L'article 48.2. (d) qui en ce qui concerne le bénéfice de la moitié du traitement en cas de suspension de plein droit opère une distinction entre le fonctionnaire condamné disciplinairement et celui condamné pénalement par une décision non définitive est-il conforme à l'article 10 bis de la Constitution ? » Le délégué du gouvernement a déposé un mémoire en réponse dans lequel il conclut au rejet du recours en réformation.

Au niveau de la prétendue violation des articles 48 paragraphe 2d) et paragraphe 5 anciens du statut général l'Etat conteste formellement que la situation de la partie requérante ne saurait être régie par une loi postérieure plus sévère, le principe de la non rétroactivité des lois n’étant d'application qu'en matière pénale.

Le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative aurait correctement exécuté la décision du 21 juillet 2008 en retenant que la partie requérante a droit à la moitié de son traitement à partir du 11 mars 2008 conformément aux dispositions de l'ancien article 48, paragraphe 2d) mais que ce droit s'éteindrait avec l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l'article 48, paragraphe 2d), de sorte que la partie requérante n'aurait plus droit à une rémunération quelconque de la part de l'Etat à partir du 1er juillet 2008.

En ce qui concerne la prétendue violation de l'article 10bis de la Constitution, l'Etat souligne que les situations visées aux points b) et d) de l'article 48, paragraphe 2, auxquels la partie requérante fait référence, ne seraient aucunement identiques, le point b) concernant la matière pénale tandis que le point d) concerne la matière administrative, de sorte qu’aucune violation de l’article 10 bis ne saurait être retenue en l’espèce.

Aucun recours en réformation n’étant prévu au niveau de la décision d'application d’une sanction disciplinaire prise sur base de l'article 52 du statut général, le recours en réformation est à déclarer irrecevable.

Le recours en annulation introduit dans les forme et délai de la loi est à déclarer recevable.

La lettre du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative est libellée comme suit :

Objet: Indemnités redues à Madame-… à la suite de la décision du Conseil de discipline du 11 mars 2008 - Vos courriers du 9 juin 2008, du 12 juin 2008 et transmis du 10 juillet 2008 Maître, J'ai l'honneur de me référer à vos courriers du 9 juin 2008 à mon adresse et du 12 juin 2008 à l'adresse du Directeur de l'Administration du Personnel de l'Etat ainsi qu'à votre transmis du 10 juillet 2008 par lequel vous avez communiqué à l'administration du Personnel de l'Etat le recours devant le tribunal administratif de Madame … contre la sanction disciplinaire de la mise à la retraite prononcée à son encontre en date du 11 mars 2008 par le Conseil de discipline.

Permettez-moi encore de préciser que cette décision du Conseil de discipline a été entérinée par un arrêté de la Secrétaire d'Etat à la Culture, à l'Enseignement supérieur et à la Recherche du 19 mars 2008.

Par vos communications précitées vous demandez que l'intéressée bénéficie de la moitié de sa rémunération conformément à l'ancien article 48, paragraphes 2.d) et 5 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat. L'article 48, paragraphe 2.d) disposait que « 2. La suspension de l'exercice de ses fonctions a lieu de plein droit à l'égard du fonctionnaire … d) condamné disciplinairement à la révocation ou à la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle ou disqualification morale par une décision non encore passée en force de chose jugée, - jusqu'à la décision définitive».

L'article 48, paragraphe 5 dispose que « 5. Dans les cas visés sous b), c) et d) du paragraphe 2 du présent article, la privation est réduite à la moitié du traitement et des rémunérations accessoires ».

Or, par la loi du 30 mai 2008 modifiant entre autres la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée, entrée en vigueur le premier juillet 2008, l'article 48, paragraphe 2.d) a subi un changement en ce sens qu'il dispose désormais que « 2. La suspension de l'exercice de ses fonctions a lieu de plein droit à l'égard du fonctionnaire … d) condamné disciplinairement à la révocation ou à la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle ou disqualification morale par une décision du Conseil de discipline non encore exécutée par l'autorité de nomination conformément à l'article 52 ».

D'après cette disposition, votre mandante aurait eu droit à la moitié de sa rémunération pendant la période du 11 mars 2008 au 19 mars 2008 et elle n'aurait plus eu aucun droit à une indemnité à partir du 19 mars 2008, les décisions administratives n'étant pas suspensives en soi.

Comme la loi précitée n'est cependant entrée en vigueur qu'en date du ler` juillet 2008, je conçois que les nouvelles dispositions ne sauraient trouver application avant cette date.

Il en résulte que votre mandante a droit à la moitié de son indemnité à partir du 11 mars 2008 en conformité avec les dispositions de l'ancien article 48, paragraphe 2. d) et que ce droit s'éteint avec l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l'article 48, paragraphe 2. d) de sorte qu'elle n'a plus droit à une rémunération quelconque de la part de l'Etat à partir du premier juillet 2008, sans préjudice des dispositions applicables à l'intéressée en matière de pension.

S’il est exact, comme soutenu par le représentant étatique, que le droit administratif est notamment régi par le principe de l'effet immédiat de la nouvelle loi (T.A. 09/06/05, n° 18445 du rôle, confirmé sur ce point par CA 20/06/06, n° 20141C du rôle), celle-ci ne s’applique néanmoins en principe qu’aux situations juridiques nées postérieurement à la date normale de son entrée en vigueur après sa publication. (CE, 31 janv. 1930, Mabereau : Rec. CE 1930, p.

132. - CE, 28 janv. 1955, Cts Robert RPDA 1955, p. 114. - CA Paris, 13 oct. 1966, Épx Michel c/ Marchai : D. 1968, jurispr p. 67, note C. Lombois). L'application immédiate vaut pour les situations encore dépourvues de caractère définitif lors de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle (CE, sect., 7 mars 1975, Cne Bordères c/ L'Echez : AJDA 1975, p. 236 et chron. jurispr. p.

230).

Le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative a correctement exécuté les décisions du 11 mars 2008 du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat et du 19 mars 2008 de la secrétaire d’Etat en retenant que la partie requérante a droit à la moitié de son traitement à partir du 11 mars 2008 conformément aux dispositions de l'ancien article 48, paragraphe 2d).

Il a néanmoins retenu à tort que ce droit s'éteint avec l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l'article 48, paragraphe 2d), de sorte que la partie requérante n'aurait plus droit à une rémunération quelconque de la part de l'Etat à partir du 1er juillet 2008, alors que la situation juridique de … était définitivement figée le 11 mars 2008 au moment de la décision prise par le Conseil de discipline en l’absence d’une disposition transitoire plus spécifique de la loi pré-

mentionnée du 30 mai 2008.

Il résulte de ces développements que la décision entreprise est à annuler.

La demande d'allocation d'une indemnité de procédure de 1000 euro est à déclarer non fondée la requérante omettant de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à sa charge.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

annule la décision rendue le 21 juillet 2008 par le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative refusant de faire droit à la demande de la requérante de la faire bénéficier de la moitié de son traitement à partir du 1er juillet 2008 et lui renvoie le dossier pour exécution ;

rejette la demande d’allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mars 2009 par :

Marc Feyereisen, président Paulette Lenert, vice-président, Catherine Thomé, premier juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Marc Feyereisen 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 24720
Date de la décision : 11/03/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-03-11;24720 ?

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