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05/03/2009 | LUXEMBOURG | N°24822

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mars 2009, 24822


Tribunal administratif N° 24822 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 septembre 2008 3e chambre Audience publique du 5 mars 2009 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers (art. 22, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24822 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2008 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, in

scrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Ira...

Tribunal administratif N° 24822 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 septembre 2008 3e chambre Audience publique du 5 mars 2009 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers (art. 22, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24822 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2008 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iran), de nationalité iranienne, ayant demeuré dernièrement à L-5299 Schrassig, centre pénitentiaire de Luxembourg, déclarant être actuellement sans domicile fixe, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 juin 2008 refusant de le tolérer provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 janvier 2009.

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Le 5 avril 2006, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».

Cette demande fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », du 20 décembre 2006, confirmée suite à un recours gracieux par décision du 25 janvier 2007.

Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de ces décisions ministérielles fut définitivement rejeté en instance d’appel par un arrêt de la Cour administrative du 18 décembre 2007 (no 23455C du rôle).

Par jugement du 3 mai 2007 le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle condamna Monsieur … à une peine d’emprisonnement de 15 mois et à une amende de 500 euros, pour des infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie et pour destruction volontaire de biens mobiliers d’autrui et vol.

Par jugement du 5 juin 2007 le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle condamna Monsieur … à une peine d’emprisonnement de 9 mois pour vol à l’aide d’effraction.

Par arrêté du 27 février 2008, notifiée à l’intéressé le 4 mars 2008, le ministre refusa l’entrée et le séjour à Monsieur ….

Par courrier de son mandataire du 10 avril 2008, Monsieur … présenta au ministre une demande en obtention « d’un statut de tolérance », sur base de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006.

Par courrier du 24 avril 2008, le mandataire du demandeur rappela la demande en obtention d’un statut de tolérance au ministre.

Par courrier du 2 mai 2008, le ministre invita le mandataire du demandeur à « documenter les démarches entreprises par votre mandant en vue d’un retour vers son pays d’origine, respectivement de fournir les preuves de l’impossibilité matérielle d’un tel éloignement ».

Par courrier du 2 juin 2008, le mandataire du demandeur rappela de nouveau son courrier du 10 avril 2008, tout en insistant sur le fait que depuis le début du mois d’avril Monsieur … « dort dans la rue ».

Par décision du 13 juin 2008, adressée au mandataire de Monsieur …, le ministre refusa de faire droit à la demande en obtention d’un statut de tolérance, au motif: « (…) qu’il n’existe pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait conformément à l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection (…). » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2008, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision du ministre du 13 juin 2008 refusant de le tolérer provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Aucun recours au fond n’étant prévu en matière de tolérance telle que prévue par l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006, de sorte qu’un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

Lors de l’audience des plaidoiries le délégué du gouvernement a soulevé l’irrecevabilité du recours au motif que le domicile du demandeur ne figurerait pas dans la requête introductive d’instance conformément à l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

La procédure devant les juridictions de l’ordre administratif étant essentiellement écrite, il appartient à une partie demanderesse d’inclure en principe dans sa requête introductive d’instance les moyens par elle proposés, sauf le régime des moyens d’ordre public à relever d’office1.

Si l’article 1er de la loi précitée du 21 juin 1999 dispose en effet : « La requête, qui porte date, contient : - les noms, prénoms et domicile du requérant (…) », l’article 29 de la même loi dispose : « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ».

Dès lors, le défaut d’indiquer l’adresse exacte dans la requête introductive d’instance n’est de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours que dans la mesure où il a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. Tel n’est pas le cas en l’espèce, dans la mesure où l’Etat ne s’est pas trouvé dans l’impossibilité de se défendre et a pu prendre position quant au fond de l’affaire dans un mémoire en réponse.

Partant, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi à l’encontre de la décision ministérielle déférée, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait d’abord valoir que la notion de « statut de tolérance » ne serait pas contenue dans le texte de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006. Le statut de tolérance ne constituerait donc pas un statut légal que le ministre accorderait ou non et qui serait soumis à des conditions et conséquences juridiques. Le texte n’instituerait qu’un pouvoir discrétionnaire du ministre d’accepter une situation de fait crée par des circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de l’éloignement de l’intéressé. Ainsi la limite au pouvoir discrétionnaire du ministre serait constituée par l’existence de circonstances de fait, alors qu’il ne pourrait décider de tolérer une personne provisoirement sur le territoire que si des circonstances de fait rendent impossible l’exécution matérielle de l’éloignement. Le ministre qui aurait compétence pour délivrer une attestation prévue par l’article 22 (3) de la loi du 5 mai 2006 serait également le ministre compétent pour procéder à l’éloignement de l’étranger et il estimerait et déciderait donc quelles circonstances de fait seraient susceptibles de rendre impossible l’exécution matérielle de l’éloignement. En l’espèce, la décision attaquée devrait encourir l’annulation alors que le ministre refuserait illégalement au demandeur la délivrance de l’attestation de tolérance alors même qu’il existerait des circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de son éloignement. En effet, le demandeur aurait été débouté de sa demande d’une protection internationale le 18 décembre 2007 et il serait sous le coup d’un ordre de quitter le territoire depuis le 27 février 2008, mais il se trouverait toujours au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que le ministre aurait depuis lors décidé de le tolérer provisoirement sur le territoire, pour des circonstances de fait dont il aurait seul connaissance. Le refus de délivrance d’une attestation serait contraire à l’article 22 (3) de la loi du 5 mai 2006, dont les dispositions ne laisseraient aucun autre choix au ministre que de délivrer une telle attestation au demandeur, une fois qu’il aurait décidé de le tolérer provisoirement sur le territoire.

A titre subsidiaire, le demandeur estime que l’existence de circonstances de fait rendant son éloignement impossible serait définitivement établie en l’espèce. En effet, il serait atteint du virus de l’hépatite C, pathologie qui serait incontestablement constitutive d’une maladie grave, reconnue par le ministre comme circonstance de fait rendant impossible l’éloignement de celui qui en est atteint. De plus, il ressortirait d’une pièce émanant du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration qu’il serait très difficile de procéder à des retours forcés vers l’Iran. Enfin, le ministre n’aurait pas encore sollicité la réadmission du 1 cf. trib. adm. 15 décembre 2004, no 18044 du rôle, Pas. adm. 2008, Vo Procédure contentieuse, no 334.

demandeur aux autorités iraniennes. Il n’existerait donc pas de preuve que l’exécution matérielle de l’éloignement du demandeur serait impossible, alors que le ministre n’aurait même pas crée les conditions requises pour exécuter l’éloignement du demandeur.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur. Il soutient que les conditions de l’article 22 (2) de la loi du 5 mai 2006 ne seraient pas remplies en l’espèce. Le demandeur aurait fait abstraction qu’il a purgé une peine d’emprisonnement au centre pénitentiaire de Luxembourg jusqu’au 17 avril 2008. Or, on ne pourrait pas assimiler le fait de purger une peine de prison à une tolérance ministérielle. Le représentant étatique ajoute que le demandeur aurait de nouveau fait l’objet d’un procès-verbal de la police judiciaire le 2 juillet 2008 et que le ministre aurait prononcé un refus d’entrée et de séjour à son égard le 27 février 2008, pour en conclure que le demandeur ne serait certainement pas toléré sur le territoire luxembourgeois.

Enfin, le fait de souffrir d’hépatite C ne constituerait pas une maladie d’une gravité exceptionnelle empêchant le rapatriement du demandeur, qui n’aurait par ailleurs pas établi qu’aucun traitement contre cette maladie ne serait disponible en Iran. De plus, le fait que le rapatriement dans certains pays serait plus facile que dans d’autres n’impliquerait pas que tout rapatriement en Iran serait impossible Aux termes de l’article 22 (2) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée, telle qu’elle était en vigueur au moment de la prise de la décision déférée, « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ». L’article 22 (3) de la même loi ajoute : « Une attestation de tolérance est remise à l’intéressé (…) ».

Il s’ensuit que la décision du ministre de tolérer provisoirement une personne sur le territoire du Grand-Duché peut être réservée aux demandeurs de protection internationale déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle.

Ainsi, quant au moyen du demandeur selon lequel le ministre aurait été obligé de lui délivrer une attestation de tolérance alors qu’il aurait accepté sa présence sur le territoire du Grand-Duché depuis le rejet de sa demande de protection internationale en décembre 2007, force est au tribunal de constater que le fait de tolérer une personne déboutée de sa demande de protection internationale sur le territoire constitue une faculté du ministre que celui-ci peut exercer si l'exécution de la mesure d'éloignement, qui est de droit en cas de refus du statut de refugié, est matériellement impossible.

La preuve d’une éventuelle impossibilité matérielle de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement obéit cependant aux règles de preuve de droit commun, ce qui implique que pour tolérer l’étranger sur le territoire – auquel cas le ministre est effectivement obligé de délivrer à l’étranger une attestation de tolérance – le ministre doit vérifier l’existence de circonstances qui empêchent l’exécution matérielle de l’éloignement. L’application du droit commun entraîne encore qu’en cas de contestation de ces circonstances, il appartient à celui qui en revendique l’existence, en l’occurrence à l’étranger qui revendique cette tolérance, d’en établir l’existence. Aucune présomption d’existence de circonstances matérielles empêchant l’exécution matérielle d’une mesure d’éloignement n’existe en la matière et elles ne se déduisent pas ipso facto du séjour, même prolongé, sur le territoire de l’étranger débouté de sa demande d’asile2.

Dès lors, le moyen afférent du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ailleurs, le tribunal est amené à constater que le demandeur reste en défaut de démontrer l’existence de circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de son éloignement du territoire.

En effet, s’il ressort d’un certificat médical du 19 juin 2008 que le demandeur est atteint de la maladie d’hépatite C, il ne ressort pas pour autant dudit certificat, ni d’une autre pièce versée au dossier que l’état de santé du demandeur serait de nature à empêcher l’exécution matérielle de son éloignement.

Par ailleurs, le fait qu’il peut s’avérer difficile de procéder à un retour forcé d’un étranger vers l’Iran ne rend pas pour autant l’exécution matérielle d’un tel retour automatiquement impossible.

Enfin, on ne saurait déduire du seul fait pour le gouvernement de ne pas avoir commencé à procéder à l’exécution matérielle de l’éloignement d’un demandeur d’asile débouté que les autorités compétentes se voient confrontées à une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef3.

Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Marc Feyereisen, président, Catherine Thomé, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 5 mars 2009 par le président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Marc Feyereisen 2 cf. Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24693C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

3 cf. trib. adm. 31 mai 2006, no 21015 du rôle, Pas. adm. 2008, Vo Etrangers, no 166.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 24822
Date de la décision : 05/03/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-03-05;24822 ?

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