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25/02/2009 | LUXEMBOURG | N°25403

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 février 2009, 25403


Tribunal administratif Numéro 25403 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2009 3e chambre Audience publique du 25 février 2009 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25403 du rôle et déposée le 16 février 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel,

avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons...

Tribunal administratif Numéro 25403 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2009 3e chambre Audience publique du 25 février 2009 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 25403 du rôle et déposée le 16 février 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Sierra Leone) et être de nationalité sierra-léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 30 janvier 2009 ordonnant son placement en rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 février 2009 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Bouchra Fahime-Ayadi, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 février 2009.

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Monsieur …, né le … (Sierra Leone), déclarant être de nationalité sierra-léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière avait déposé une demande en obtention du statut de réfugié le 16 décembre 2003.

Il a été débouté de cette demande, tant par le Ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration par des décisions respectives du 24 mars 2005 et du 2 mai 2005, que par le tribunal administratif par un jugement du 27 octobre 2005 (N° 19914 du rôle) contre lequel il n'a pas interjeté appel, de sorte qu’il se trouve en situation irrégulière sur le sol luxembourgeois depuis le début du mois de décembre 2005.

Un refus d'entrée et de séjour fut pris à son encontre le 11 septembre 2006 qui lui fut notifié le 20 septembre 2006.

Il a fait l'objet d'une première condamnation pour trafic de stupéfiants en 2005 et d'une seconde condamnation pour le même type d'infraction par la Cour d'Appel en 2006 à 4 ans de prison et 1.000 euros d'amende.

Un refus de séjour fut pris à son encontre le 30 janvier 2009 et signifié le 3 février 2009.

Par un arrêté du 30 janvier 2009, notifié à l’intéressé le 3 février 2009, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, désigné ci-après par « le Centre de séjour », pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cette décision est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière;

Vu la décision de refus de séjour du 30 janvier 2009 ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé sera présenté dans les meilleurs délais aux autorités sierra-

léonaises en vue de la délivrance d'un laissez-passer ;

Considérant qu'en attendant l'émission de ce document de voyage, l'éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ;

Arrête:

Art. 1er.- Le nommé …, né à …, de nationalité sierra-léonaise, dont l'éloignement immédiat n'est pas possible en raison des circonstances de fait, est placé en rétention, dans l'attente de cet éloignement, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d'un mois à partir de la notification.

Art. 2.- La personne susvisée est à informer des dispositions de l'article 122 de la loi du 29 août 2008 pré-mentionnée.

Art. 3.- La présente sera adressée à la Police grand-ducale pour notification et exécution…. » Par requête déposée le 16 février 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle de placement en rétention du 30 janvier 2009.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement en rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Le recours subsidiaire en annulation doit dès lors être déclaré irrecevable.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer que la mesure de placement litigieuse constituerait une mesure disproportionnée au regard des dispositions légales et de sa situation personnelle, au motif que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière serait inadéquat pour héberger des étrangers en séjour illégal. Il fait valoir que le régime de « détention » auquel il est soumis serait identique à celui applicable aux détenus de droit commun, à l’exception du droit limité à la correspondance et la dispense de l’obligation de travail. Il précise encore qu’il serait enfermé dans sa cellule 16 heures sur 24, ce qui serait contraire à la notion même de rétention. Il en déduit que le Centre de séjour ne constituerait pas un établissement approprié au sens de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère. Par ailleurs, il serait de principe que la privation de liberté par l’incarcération dans un centre pénitentiaire devrait constituer une mesure d’exception à appliquer seulement en cas de nécessité absolue et il y aurait lieu d’éviter une telle mesure dans tous les cas où la personne visée par une mesure de placement ne constituerait pas un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics et qu’elle pourrait être retenue et surveillée d’une autre manière afin d’éviter qu’elle ne se soustraie à son éloignement ultérieur. Il conteste ainsi l’existence d’une telle nécessité absolue au sens de l’article 15 (2) de la loi précitée du 28 mars 1972 en l’espèce.

Le demandeur soutient ensuite que le ministre n’aurait pas entrepris des démarches suffisantes pour permettre son refoulement vers son pays d’origine dans les meilleurs délais. Il ajoute que l’exécution matérielle de son éloignement dépendrait de la délivrance d’un laissez-

passer par les autorités de la Sierra Leone, ce qui nécessiterait plusieurs mois, de sorte que la prévisibilité minimale du refoulement ferait défaut en l’espèce. Enfin, il estime que l’arrêté de placement ne contiendrait pas assez d’informations quant aux mesures actuellement entreprises par les autorités pour écourter son séjour au Centre de séjour, l’arrêté litigieux se bornant à indiquer qu’il serait démuni de documents de voyage valables et qu’il allait être soumis aux autorités sierra-léonaises en vue de la délivrance d’un laissez-passer. Il relève ainsi qu’à ce jour aucun document de voyage n’aurait pu lui être fourni, de sorte qu’il serait peu probable qu’un mois plus tard, les autorités luxembourgeoises réussiront à obtenir un laissez-passer en sa faveur en vue de son éloignement.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine application de la loi, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours. Il relève tout d’abord que contrairement à ce qui serait soutenu par le demandeur, la mesure de placement litigieuse n’aurait pas été prise sur le fondement de la loi précitée du 28 mars 1972, mais sur la base de la loi précitée du 29 août 2008 qui ne prévoirait plus la nécessité absolue de la mesure de placement, mais sa nécessité. En outre, la condition de la nécessité ne jouerait que dans le cadre de la prorogation d’une mesure de placement et non pas dans le cadre d’une mesure de placement initial.

Il soutient ensuite qu’un manque de diligences suffisantes ne saurait être reproché au ministre. Il fait ainsi valoir que l’identité du demandeur ne serait pas clairement établie dans la mesure où celui-ci, ayant toujours prétendu être de nationalité sierra-léonaise, aurait lors de sa présentation à l’ambassade de la Sierra Leone à Bruxelles refusé de collaborer en affirmant venir de la Tanzanie, de sorte que les agents de l’ambassade auraient mis fin à l’entretien et n’auraient pas émis de laissez-passer. Le ministre serait dès lors obligé de procéder à un test linguistique afin de déterminer l’origine exacte du demandeur.

Il convient de prime abord de relever que la décision de placement litigieuse a été prise sur la base des dispositions de la loi précitée du 29 août 2008 et non pas, tel que soutenu à tort par le demandeur, sur la base des dispositions de la loi précitée du 28 mars 1972, étant entendu que cette dernière loi a été abrogée par la loi du 29 août 2008, laquelle est entrée en vigueur à la date du 1er octobre 2008.

De même, le demandeur conteste que la condition de la nécessité absolue, prétendument nécessaire pour pouvoir proroger une mesure de placement, soit remplie en l’espèce. Ce moyen est cependant à rejeter comme étant non pertinent, étant donné que le tribunal n’est en l’occurrence pas saisi d’une prorogation d’une décision de placement, mais d’une mesure de placement initiale.

Aux termes de l’article 120, paragraphe 1 de la loi précitée du 29 août 2008:

« (1) Lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 est impossible en raison des circonstances de fait, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre être placé en rétention dans une structure fermée. (…). La durée maximale est fixée à un mois. (…) Cette disposition permet au ministre, dans l’hypothèse où l’exécution d’une mesure d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois.

Le ministre compétent est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger en raison de circonstances de fait, lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son refoulement immédiat et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé et desdits documents.

Il en résulte qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution de l’éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois et qu’il incombe donc à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.

En l’espèce, il est constant que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité et de documents de voyage pour permettre son éloignement immédiat vers son pays d’origine étant entendu qu’il ne dispose que d’un acte de naissance non légalisé. En outre, s’il est vrai, comme le soutient le demandeur, que l’arrêté ministériel litigieux fait uniquement état, au titre des démarches entreprises ou à entreprendre afin d’assurer son éloignement, de le présenter dans les meilleurs délais aux autorités sierra-léonaises en vue de la délivrance d’un laissez-passer, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur ne collabore pas à l’établissement de son identité et de sa nationalité. En effet, si le demandeur a certes prétendu être de nationalité sierra-

léonaise, il ressort des pièces du dossier et notamment d’un rapport du 11 février 2009 concernant sa présentation à l’ambassade de la Sierra Leone en date du 10 février 2009, qu’à cette occasion, le demandeur a refusé de collaborer en ce qu’il a prétendu être originaire de la Tanzanie, de sorte que l’entretien a été terminé après qu’il eut été établi qu’il ne comprenait pas un seul mot prononcé par une employée originaire de la Tanzanie.

Dans ces conditions, le ministre a estimé qu’il y avait lieu de procéder à un test linguistique de l’intéressé afin de déterminer son pays de provenance. Il ressort des explications fournies à l’audience par le délégué du gouvernement que les démarches nécessaires en vue de l’organisation de ce test linguistique pour le 27 février 2009 ont été entreprises.

Au vu des circonstances de l’espèce, et en particulier du défaut manifeste de collaboration du demandeur, celui-ci est malvenu de reprocher au ministre de prendre des mesures insuffisantes pour permettre son rapatriement, étant donné qu’une meilleure collaboration de sa part en vue de l’établissement de son identité aurait été de nature à accélérer les procédures et à faciliter son rapatriement. Il convient d’ajouter que la prévisibilité minimale quant à une possibilité de refoulement, qui, d’après le demandeur, ferait défaut en l’espèce, est dans une large mesure tributaire de la coopération de l’intéressé, qui en l’espèce fait manifestement défaut.

Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché aux autorités luxembourgeoises, au vu des considérations énoncées ci-avant, de ne pas avoir entamé les démarches utiles et nécessaires en vue de l’éloignement du demandeur.

Quant au moyen tiré du caractère inapproprié du lieu de rétention, il y a lieu de rappeler que la mesure de placement litigieuse a été prise sur le fondement des dispositions de la loi précitée du 29 août 2008 qui se limite à exiger que l’étranger en situation irrégulière soit placé, en vue de son éloignement, dans une « structure fermée » et n’impose plus le placement dans un « lieu approprié ». Dès lors, le moyen du demandeur tiré du fait que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ne constituerait pas un établissement approprié au sens de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui a été abrogée, est à rejeter pour ne pas être pertinent.

Le demandeur estime encore que la mesure de placement constituerait une mesure disproportionnée en ce qu’il ferait l’objet d’une mesure privative de liberté disproportionnée par rapport à sa situation personnelle.

S’il est vrai que d’après l’article 120 de la loi précitée du 29 août 2008, la simple qualité d’étranger se trouvant au pays sans y être autorisé et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement autorise le ministre à le placer en rétention dans une structure fermée au cas où il existe des circonstances de fait rendant l’exécution de ladite mesure d’éloignement impossible, il n’en demeure pas moins qu’en vertu du principe de proportionnalité, la mesure de placement en rétention doit être proportionnée à la situation personnelle de l’étranger ainsi visé. Il échet en effet de vérifier si, par rapport à la situation dudit étranger, son placement dans une structure fermée est approprié, étant entendu que non seulement l’opportunité du principe de l’enfermement doit être examinée dans ce contexte, mais également le type de structure fermée retenu par le ministre, afin de pouvoir vérifier si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité (cf. trib. adm. 9 février 2009, n° 25344 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu).

Ne sont toutefois à prendre en considération dans le cadre de cet examen que les éléments liés à la personne même de l’étranger.

En l’espèce, le demandeur, à part des affirmations d’ordre général, ne fait état d’aucun élément personnel duquel il ressortirait que les restrictions apportées à sa liberté de circulation seraient disproportionnées par rapport à l’objectif de la mesure de placement.

Le moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité laisse partant d’être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Marc Feyereisen, président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 25 février 2009 par le président, en présence du greffier Arny Schmit.

Arny Schmit Marc Feyereisen 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 25403
Date de la décision : 25/02/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-02-25;25403 ?

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