Tribunal administratif Numéro 23986 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 janvier 2008 2e chambre Audience publique du 19 février 2009 Recours formé par Monsieur …, … (D) contre deux décisions du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23986 du rôle et déposée le 28 janvier 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Paul Wiltzius, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, entrepreneur, demeurant à D-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 16 octobre 2007 portant révocation des autorisations d’établissement n° … et … lui délivrées en date des 10 mars 1988 et 24 août 1999, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 29 octobre 2007 suite à un recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement en date du 26 mars 2008 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions critiquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Steve Helminger, en remplacement de Maître Jean-Paul Wiltzius, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.
Par décision du 21 décembre 2004, le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à une demande d’autorisation d’établissement de Monsieur …, au motif que celui-ci ne présentait plus la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle en raison de son implication dans la faillite de la société … et Cie S.àr.l., faillite qu’il aurait provoquée volontairement afin d’échapper à des obligations dans le cadre de vices et malfaçons pour lesquelles la société avait été condamnée.
En date du 28 décembre 2006, la fiduciaire Socofisc formula une demande d’autorisation d’établissement pour une société … Ltd, en indiquant en tant que gérant technique Monsieur ….
Suite à un avis favorable du 23 février 2007 de la commission prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après dénommée « loi d’établissement », le ministre informa la prédite fiduciaire, par courrier du 1er mars 2007, qu’avant de pouvoir délivrer l’autorisation sollicitée, Monsieur … était tenu d’accomplir la formation accélérée en matière de gestion d’entreprise dispensée par la Chambre de commerce, conformément à l’article 3 de la loi d’établissement, en raison de son implication dans les faillites des sociétés … et Cie S.àr.l., … S.àr.l. et … S.A.
Monsieur … ayant été interpellé par l’administration des Douanes et Accises pour exercice d’une activité artisanale par le biais d’une société sans autorisation d’établissement, la commission consultative susvisée estima, dans son avis du 14 juin 2007, qu’il y avait lieu de procéder à la révocation des autorisations encore existantes dans le chef de Monsieur …, à savoir les autorisations n° 54448 et 79533/A, pour défaut d’honorabilité, étant donné que « malgré le fait que (…) [l’intéressé] avait reçu la condition de passer préalablement les cours de gestion avant de recommencer les travaux par le biais d’une société, a néanmoins été interpellé par les Douanes alors qu’il travaillait ».
Par lettre du 3 juillet 2007, le ministre, en faisant siennes les conclusions de la commission consultative, informa Monsieur … de son intention de procéder à la révocation des autorisations n° 54448 et 79533/A pour défaut d’honorabilité professionnelle.
Par lettre du 25 septembre 2007, le mandataire de Monsieur … prit position par rapport au courrier précité du ministre.
Par décision du 16 octobre 2007, Monsieur … se vit révoquer par le ministre les autorisations n° 54448 et n° 79533/A, qui lui avaient été délivrées en date des 10 mars 1988 et 24 août 1999 en raison de la perte de son honorabilité professionnelle, conformément aux articles 2 et 3 de la loi d’établissement.
Par courrier de son mandataire du 24 octobre 2007, Monsieur … fit introduire un recours gracieux auprès du ministre à l’encontre de la décision de révocation précitée du 16 octobre 2007.
Par décision du 29 octobre 2007, le ministre confirma sa décision de révocation initiale du 16 octobre 2007, à défaut d’élément nouveau ou d’élément pertinent. Cette décision est libellée comme suit :
« J'accuse bonne réception de votre recours gracieux du 24 octobre dernier.
Permettez-moi de vous rappeler que par une décision du 21 décembre 2004, il a été décidé que votre client ne présentait plus les garanties d'honorabilité professionnelle requises.
Cette décision n'a jamais été contestée et doit par conséquent être considérée comme étant définitive.
A titre d'information, je vous prie de trouver ci-joint, copie de ladite décision.
Ce détail lui a été rappelé par des courriers ministériels du 21 février 2005 et 26 juin 2006.
Suite à une nouvelle intervention de votre client, la commission consultative a estimé en date du 23 février que Monsieur … pourrait à nouveau être considéré comme honorable, sous condition cependant d'accomplir, préalablement à l'octroi d'une nouvelle autorisation, les cours préparatoires à la profession de commerçant.
Peu après, et avant même que votre client ait accompli cette condition, il a été interpellé par les Douanes lorsqu'il était en train de travailler en situation irrégulière.
Pour le surplus, vous indiquez dans votre courrier du 25 septembre dernier que votre client n'était qu'une personne interposée, fait qui quant à lui seul suffit pour lui méconnaître l'honorabilité professionnelle.
Au vu de ce qui précède, vous comprendrez donc qu'il est tout à fait normal que l'honorabilité professionnelle ait été refusée à votre client.
Vos explications n'apportent donc aucun élément nouveau ou pertinent.
Je me vois donc forcé de maintenir purement et simplement ma décision de révocation du 16 octobre 2007. (…) » Par courrier du 19 novembre 2007, réitéré par courrier du 17 décembre 2007, le mandataire de Monsieur … sollicita de la part du ministre la communication d’une copie de l’avis de la commission consultative du 23 février 2007, ainsi que du rapport de l’administration des Douanes et Accises du 29 octobre 2007.
Par lettre du 18 décembre 2007, le ministre adressa au mandataire de Monsieur … une copie de l’avis de la commission consultative du 23 février 2007, ainsi que de la décision ministérielle du 1er mars 2007, et informa le mandataire que selon ses informations, aucun rapport n’avait été dressé lors de l’interpellation de Monsieur … par l’administration des Douanes et Accises, ladite administration en ayant simplement informé le ministère des Classes moyennes par téléphone.
Le 18 janvier 2008, le mandataire de Monsieur … s’adressa au ministre en les termes suivants :
« Par la présente, j'ai l'honneur de vous écrire en ma qualité de mandataire de Monsieur …, demeurant à D-….
Mon client participe depuis janvier 2008 aux cours de formation accélérée auprès de la Chambre du Commerce.
Malheureusement, il ne maîtrise pas la langue française et risque de ne pas réussir les tests prévus.
Monsieur … n'entend de toute façon pas créer de nouvelle société et préfère travailler en nom personnel avec les autorisations mentionnées sous rubrique.
Il a bien évidemment abandonné le projet de constitution de la société … LTD.
Or c'est précisément suite à la demande en autorisation d'établissement pour ladite société qu'il a été invité à suivre les cours de formation.
La question se pose dès lors si Monsieur … est obligé de suivre les cours de formation afin de garder les autorisations d'établissement litigieuses et de pouvoir travailler en nom personnel.
Vous m'informez qu'à votre connaissance aucun rapport écrit n'a été dressé suite à l'interpellation de l'Administration des Douanes et Accises.
Serait-il néanmoins possible de m'indiquer la date à laquelle l'interpellation a eu lieu? Merci d'avance pour votre prise de position.
Je tiens à vous préciser que Monsieur … se réserve expressément le droit d'introduire un recours administratif contre les décisions ministérielles de révocation. (…) » Le 4 février 2008, le ministre répondit au mandataire de Monsieur … en les termes suivants :
« J'accuse bonne réception de votre estimée du 18 janvier dernier.
Je dois avouer que la situation de votre client est effectivement particulière.
Par décision du 21 décembre 2004, votre client a été informé que son honorabilité était compromise.
Par décision du 23 février 2007, il a été décidé qu'il pourrait retrouver son honorabilité s'il passait avec succès les cours de futur commerçant.
Au début du mois de juin, et avant d'avoir accompli les conditions posées, le Ministère a été informé par les Douanes du fait que votre client travaillait quand même à titre indépendant.
Suite à cet évènement, il a de nouveau été décidé que votre client ne remplissait plus les conditions d'honorabilité.
Après coup, cette décision apparaît effectivement superflue. Votre client, comme vous le précisez également, n'avait à ce moment pas encore accompli avec succès les cours qui lui avaient été imposés par la prédite décision du 23 février 2007, de sorte que la logique voudrait que la décision initiale du 21 décembre 2004 continue à s'appliquer.
En d'autres termes, votre client se trouve encore sous l'effet de cette décision et n'a pas encore recouvert son honorabilité professionnelle.
Le défaut d'honorabilité professionnelle lorsqu'il est décidé, s'applique de façon générale à la personne de votre client, de sorte que toutes les autorisations établies à son nom ou qui se basent sur sa qualification et son honorabilité perdent leur valeur et doivent être révoquées. Si l'une d'elles n'aurait pas été révoquée, cela constitue sans aucun doute un oubli auquel il sera remanié dans les plus brefs délais.
Au cas où vous souhaiteriez discuter plus amplement la situation de votre client, je me tiens à votre disposition. (…) » Par requête déposée le 28 janvier 2008 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation des décisions ministérielles précitées des 16 et 29 octobre 2007.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en réformation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.
Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions litigieuses. En effet, comme l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, l’existence d’une telle possibilité d’un recours en réformation rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
Or, aucun recours au fond n’est prévu par la loi d’établissement qui, au contraire, prévoit expressément en son article 2, dernier alinéa, qu’en matière d’octroi, de refus ou de révocation d’autorisations d’établissement, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre subsidiaire.
Le recours en annulation, introduit en ordre principal, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer que le ministre, en vertu d’une décision du 21 décembre 2004, aurait décidé qu’il ne présentait plus les garanties professionnelles requises en raison de son implication dans la faillite de la société … et Cie S.àr.l. Par la suite, il aurait, à plusieurs reprises, tenté d’obtenir des autorisations d’établissement qui lui auraient toutefois été refusées pour les mêmes motifs. En date du 1er mars 2007, le ministère aurait estimé qu’il remplissait la condition de qualification professionnelle pour les activités d’entrepreneur de construction, de terrassement, d’excavation de terrains et de canalisations, mais qu’il devrait préalablement accomplir la formation accélérée en matière de gestion d’entreprise auprès de la Chambre de commerce. Il explique que ce courrier aurait été adressé à la fiduciaire Socofisc S.A., qui ne lui aurait jamais remis cette information. En date du 3 juillet 2007, il aurait été informé qu’il ne présentait plus la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle en raison de son interpellation par l’administration des Douanes et Accises pour exercice d’une activité artisanale par le biais d’une société sans autorisation d’établissement, alors qu’il aurait dû suivre au préalable ladite formation. Il explique qu’en 2005, il se serait laissé convaincre par un dénommé … de signer une convention aux termes de laquelle ce dernier était autorisé à travailler « avec les autorisations de Monsieur … » et qu’il devrait prendre en charge les cotisations sociales des ouvriers engagés. Or, le dénommé Brune n’aurait pas honoré ses engagements. Il précise encore que depuis le 12 janvier 2008, il suivrait les cours de formation accélérée organisés par la Chambre de commerce.
En droit, le demandeur soutient que ce serait à tort que le ministre aurait révoqué les autorisations d’établissement litigieuses. Il conteste ainsi le défaut d’honorabilité professionnelle dans son chef, en faisant valoir qu’il aurait été invité à suivre les cours de formation accélérée auprès de la Chambre de commerce dans le cadre d’une demande d’autorisation pour une société dénommée … Ltd. Or, le projet de constitution de cette société aurait été abandonné par la suite, étant donné qu’il aurait préféré continuer à exploiter une entreprise de construction en nom personnel avec les autorisations litigieuses. Quant à son interpellation par l’administration des Douanes et Accises, il fait valoir qu’aucun rapport n’aurait été dressé, de sorte qu’il ne lui serait pas possible de défendre sa cause. S’il admet qu’en 2005, il aurait autorisé le dénommé Brune à travailler avec ses autorisations, il n’aurait toutefois pas eu « l’intention d’éluder les dispositions de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, voire de frauder la loi tout court ». Il soutient ensuite que les décisions ministérielles litigieuses ne seraient pas suffisamment motivées respectivement comporteraient des motifs incohérents ou non vérifiables. Enfin, le demandeur donne à considérer qu’il aurait absolument besoin des autorisations d’établissement litigieuses pour subsister, étant donné qu’il ne toucherait qu’une rente d’invalidité d’un montant de 571,68 euros. Il soutient partant que les décisions ministérielles litigieuses le placeraient dans une « situation financière catastrophique » et qu’elles seraient de ce fait disproportionnées par rapport au but recherché.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement précise que le demandeur aurait été titulaire en nom personnel de trois autorisations d’établissement, à savoir l’autorisation n° 54448 du 10 mars 1988, libellée « travaux de construction », l’autorisation n° 79533 du 30 avril 1996, libellée « entrepreneur de construction », annulée le 7 juillet 1997, et l’autorisation n° 79553/A du 27 août 1999, libellée « entrepreneur de construction ». Par ailleurs, le demandeur aurait été le gérant technique, titulaire de l’autorisation d’établissement, dans des sociétés de constructions, à savoir les sociétés … et Cie S.àr.l. en faillite, … S.àr.l. en faillite, … S.A. en faillite, Batifrank S.àr.l. en faillite et … & … S.àr.l. En outre, le demandeur aurait été le gérant technique de sociétés de constructions qui resteraient dans l’attente d’une autorisation d’établissement, à savoir les sociétés … … S.àr.l., … S.àr.l., … Ltd et Inter-Concept S.àr.l. Le 21 décembre 2004, le ministre aurait décidé que Monsieur … n’était professionnellement plus honorable, ce qui lui aurait encore été opposé en date des 21 février 2005 et 26 juin 2006. En date du 28 décembre 2006, la société Socofisc S.A. aurait introduit une demande d’autorisation d’établissement pour la société … Ltd pour laquelle le demandeur devrait assurer la gérance technique. L’instruction de la demande se serait prolongée en raison d’incertitudes au sujet d’une éventuelle rente d’invalidité du demandeur qui aurait déclaré ne pas toucher de rente d’invalidité. Suite à cette déclaration, le ministre aurait décidé le 23 février 2007, que Monsieur … devenait à nouveau éligible pour une autorisation d’établissement au sens de l’article 3, alinéa 2 de la loi d’établissement, à condition d’accomplir les cours de futur commerçant dispensés par la Chambre de commerce ou la Chambre des métiers. Au début du mois de juin 2007, l’intéressé aurait été interpellé par l’administration des Douanes et Accises, alors qu’il était en train de travailler, malgré la décision du 23 février 2007. Il aurait alors été informé, suivant courrier du 3 juillet 2007, que la procédure de remise en cause de son honorabilité professionnelle allait recommencer. A défaut de réaction de sa part, les autorisations d’établissement établies en son nom personnel auraient été retirées par décision du 16 octobre 2007.
Le délégué du gouvernement souligne par ailleurs qu’en date du 3 août 2007, le demandeur aurait introduit une demande d’autorisation d’établissement pour la société Inter-
concept Sàrl et que dans le cadre de cette demande, il aurait remis une déclaration de non faillite faite sous serment devant notaire et une déclaration sur l’honneur affirmant ne pas avoir exercé une quelconque activité de dirigeant social durant les trois dernières années. Au vu des antécédents et de ces déclarations mensongères, le ministre aurait décidé le 5 septembre 2007 que Monsieur … ne remplissait plus les conditions d’honorabilité professionnelle et aurait rejeté la demande.
Le représentant étatique relève ensuite que le demandeur, dans sa requête introductive d’instance, aurait fait l’aveu d’avoir été personne interposée pour un dénommé … à qui il aurait permis de travailler avec son autorisation et il demande qu’il soit pris acte de cette déclaration.
Il précise finalement qu’en février 2008, le demandeur aurait à nouveau été interpellé par l’administration des Douanes alors qu’il exerçait les activités d’entrepreneur de construction.
En droit, le délégué du gouvernement fait valoir que depuis la décision ministérielle du 21 décembre 2004, le demandeur aurait perdu son honorabilité professionnelle, entraînant qu’il n’aurait pas pu poursuivre une quelconque activité commerciale ou artisanale soumise à autorisation. Toutefois, dans un geste de bonne volonté, la commission consultative aurait estimé le 23 janvier 2007 qu’il pouvait à nouveau obtenir une autorisation d’établissement s’il accomplissait avec succès les cours de gestion organisés par la Chambre des métiers. Le demandeur se serait toutefois lancé dans les affaires sans satisfaire à cette condition, de sorte qu’il aurait irrémédiablement compromis son honorabilité professionnelle. En outre, ce défaut d’honorabilité professionnelle serait complété par d’autres éléments qui aggraveraient la situation du demandeur. Ainsi, le demandeur serait en aveu d’avoir servi depuis 2005 de personne interposée à un dénommé …. D’autre part, il aurait admis à travers son recours avoir touché une rente d’invalidité, alors que dans le cadre de sa demande d’autorisation d’établissement pour le compte de la société … Ltd, il aurait déclaré au ministère ne pas percevoir une telle rente. Il s’y ajouterait que le demandeur aurait à plusieurs reprises fait de fausses déclarations dans le seul but d’obtenir une autorisation d’établissement. Le représentant étatique conclut partant, au vu du comportement intransigeant du demandeur et de ses nombreuses faillites et du fait qu’il continuerait à exercer ses activités sans être muni des autorisations requises, que le demandeur constituerait un « danger potentiel pour l’artisanat en général et particulièrement pour ses clients et fournisseurs », de sorte que ce serait à bon droit que le ministre aurait révoqué les autorisations d’établissement litigieuses.
Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours en annulation, d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ainsi que de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée.
Aux termes de l’article 3, alinéa 1er de la loi d’établissement « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles », l’honorabilité s’appréciant en vertu de l’alinéa final dudit article 3 « sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ».
Ainsi, toutes les circonstances révélées par l’enquête administrative et pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession faisant l’objet de la demande d’autorisation, doivent être prises en compte par le ministre pour admettre ou récuser l’honorabilité dans le chef du demandeur d’une autorisation.
Cette même conclusion s’impose en ce qui concerne la révocation d’une autorisation d’établissement, étant donné que l’article 2, alinéa 4 de la loi d’établissement prévoit que « l’autorisation peut être révoquée pour les motifs qui en auraient justifié le refus ».
Il y a encore lieu de rappeler à cet égard que la finalité de la procédure d’autorisation préalable, ainsi que de la possibilité de refuser respectivement de révoquer l’autorisation pour défaut d’honorabilité professionnelle consiste à assurer la sécurité de la profession concernée et tend à éviter l’échec de futures activités, tout en étant destinées parallèlement à assurer la protection de futurs clients ou cocontractants (cf. trib. adm. 18 juin 2001, n° 12859 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Autorisation d’établissement, n° 135).
En l’espèce, les autorisations d’établissement litigieuses encore existantes dans le chef de Monsieur … ont été révoquées au motif que celui-ci ne présentait plus, depuis une décision prise par le ministre en date du 21 décembre 2004, les garanties d’honorabilité professionnelle en raison de son implication dans la faillite de la société … et Cie S.àr.l. Il ne ressort en outre pas des éléments du dossier que le demandeur ait introduit un recours à l’encontre de cette décision de 2004, de sorte que celle-ci bénéficie de l’autorité de la chose décidée.
Il est également constant que le ministre, dans le cadre de l’instruction d’une demande d’autorisation d’établissement pour le compte d’une société dénommée … Ltd à délivrer au nom de Monsieur …, a subordonné l’octroi de l’autorisation d’établissement à l’accomplissement par Monsieur … d’une formation accélérée en matière de gestion d’entreprise, conformément à l’article 3, alinéa 3 de la loi d’établissement, qui prévoit que « lorsque le postulant a été impliqué dans une faillite ou une liquidation judiciaire, sans que son honorabilité professionnelle s’en trouve toutefois entachée, le ministre pourra, outre le respect des conditions de qualification normalement requises, subordonner l’octroi d’une nouvelle autorisation d’établissement à l’accomplissement de la formation accélérée en matière de gestion d’entreprise dispensée par la chambre professionnelle patronale compétente ».
S’il est vrai que Monsieur … conteste en l’espèce avoir reçu communication de cette décision du ministre concernant la condition de la formation préalable, cette contestation ne change rien au fait que la formation n’a pas été suivie par le demandeur. De même, l’affirmation du demandeur, selon laquelle il suivrait depuis le mois de janvier 2008 les cours de formation de la Chambre de commerce est sans incidence quant à la légalité des décisions actuellement sous analyse, étant donné que l’appréciation de leur légalité se fait suivant la situation de fait et de droit ayant existé au jour de la prise de décision, de sorte que cet élément de fait n’est pas à prendre en considération pour être postérieur à la prise des décisions litigieuses.
Il se dégage par ailleurs des termes de la décision confirmative du ministre du 29 octobre 2007 que le demandeur, avant d’avoir satisfait à la condition de la formation en matière de gestion d’entreprise, a été interpellé par les services des Douanes alors qu’il était en train de travailler en situation irrégulière et qu’il a admis avoir servi de personne interposée.
S’il est vrai, comme le relève le demandeur, qu’aucun rapport n’est versé en cause à l’appui de cette interpellation par les services des Douanes, il n’en demeure pas moins que le demandeur a admis avoir agi par personne interposée en ce qu’il a autorisé un dénommé … de travailler avec ses autorisations d’établissement contre le paiement d’une redevance mensuelle, ainsi que cela ressort d’un contrat versé au dossier administratif.
Or, à cet égard, l’article 5 de la loi d’établissement dispose en ses alinéas 1 et 2 que « l’autorisation d’établissement est strictement personnelle. Nul ne peut exercer une des activités ou professions visées par la présente loi sous le couvert d’une autre personne ou servir de personne interposée dans le but d’éluder les dispositions de la présente loi ».
Les infractions ou tentatives d’infractions aux dispositions précitées de l’article 5 sont incriminées par l’article 22 (1) de la loi d’établissement.
Or, étant donné que le fait de servir de personne interposée est interdit par l’article 5 précité et fait en outre l’objet de sanctions pénales telles que déterminées par l’article 22 de la loi d’établissement, une personne ayant commis de tels faits, ne jouit plus de l’honorabilité professionnelle requise en vue de remplir des fonctions de gestion ou de direction d’une entreprise (cf. trib. adm. 10 juillet 1997, n° 9573 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Autorisation d’établissement, n° 157 et autre référence y citée).
Quant au moyen tiré de ce que les décisions de révocation litigieuses seraient disproportionnées par rapport au but recherché, il y a lieu de rappeler que si la vérification à laquelle le tribunal, statuant par rapport à un recours en annulation, est amené à se livrer, peut certes s’étendre, le cas échéant, au caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, cette possibilité est cependant limitée aux cas où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité, sans que le contrôle juridictionnel ne puisse aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, lorsque celle-ci est par ailleurs légale, étant entendu que ce pouvoir d’appréciation doit rester suffisamment large pour permettre à l’autorité administrative d’exprimer un degré de sévérité ou de clémence variable en fonction de la nature et de la gravité des faits.
Or, au vu des faits de l’espèce et au vu de la nécessité de garantir la sécurité de la profession, les décisions ministérielles litigieuses ne constituent pas une mesure disproportionnée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et sans qu’il y ait encore lieu d’analyser le bien-fondé des autres reproches soulevés par le délégué du gouvernement en relation avec des déclarations mensongères du demandeur, que le ministre a valablement pu conclure que le demandeur ne remplit plus les garanties d’honorabilité professionnelle, telles qu’exigées par l’article 3 de la loi d’établissement, et il a donc légalement pu procéder à la révocation des autorisations d’établissement délivrées à Monsieur …, en application de l’article 2, alinéa 4 de la loi d’établissement.
Partant, le recours en annulation est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 19 février 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
Claude Legille Carlo Schockweiler 10