Tribunal administratif Numéro 25356 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2009 3e chambre Audience publique du 12 février 2009 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative (article 120, L. 29 août 2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25356 du rôle et déposée le 3 février 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, à Kinshasa (Congo), de nationalité congolaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 19 janvier 2009 prononçant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois à partir de la notification de cette décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, Maître Bouchra Fahime en remplacement de Maître Nicky Stoffel et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 11 février 2009.
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Le 21 décembre 2001, Monsieur … formula auprès des autorités luxembourgeoises une demande en obtention du statut de réfugié. Cette demande fut rejetée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre » du 29 août 2006. Suite au recours contentieux introduit par Monsieur … contre cette décision de refus, il fut débouté définitivement de sa demande par un arrêt de la Cour administrative du 21 juin 2007 (no 22858C du rôle).
Par un jugement de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 13 mars 2008, Monsieur … fur condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans.
Par une décision du ministre du 19 janvier 2009, notifié à l’intéressé le 20 janvier 2009, Monsieur … se vit refuser le séjour au Grand-Duché de Luxembourg en application des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée « la loi du 29 août 2008 », au motif qu’il n’était en possession ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité et qu’il était susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre public.
Par une décision du même jour, soit le 19 janvier 2009, notifié à l’intéressé le 20 janvier 2009, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, désigné ci-après par « le Centre de séjour », pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cette décision est fondée sur les considérations et motifs suivants :
« Vus les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu la décision de refus de séjour du 19 janvier 2009 ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu'un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités congolaises ;
- qu'en attendant l'émission de ce document de voyage, l'éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ».
Par requête déposée le 3 février 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle du 19 janvier 2009.
Au vu de l’article 123 de la loi du 29 août 2008 un recours contre une décision de rétention est ouvert devant le tribunal administratif qui statue comme juge du fond, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation. Ledit recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant à déclarer irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il serait placé dans des conditions qui seraient sensiblement les mêmes que celles d’un régime de détention ordinaire.
Il en déduit que le Centre de séjour ne constituerait pas un établissement approprié au sens de l’article 15 (1) de la loi du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère. Par ailleurs, il serait de principe que la privation de la liberté par l’incarcération dans un centre pénitentiaire devrait constituer une mesure d’exception à appliquer seulement en cas de nécessité absolue et il y aurait lieu d’éviter une telle mesure dans tous les cas où la personne visée par une mesure de placement ne constituerait pas un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics et qu’elle pourrait être retenue et surveillée d’une autre manière afin d’éviter qu’elle ne se soustraie à son éloignement ultérieur. Il conteste l’existence d’une telle nécessité absolue au sens de l’article 15 (2) de la loi précitée du 28 mars 1972 en l’espèce.
Monsieur … fait encore valoir que les démarches entreprises des autorités luxembourgeoises s’avéreraient insuffisantes pour permettre son éloignement. Il ajoute que l’exécution matérielle de son éloignement dépendrait de la délivrance d’un laissez-passer par les autorités congolaises, ce qui nécessiterait plusieurs mois de sorte que la prévisibilité minimale du refoulement ferait défaut en l’espèce. Enfin, il estime que l’arrêté de placement ne contiendrait pas assez d’informations quant aux mesures actuellement entreprises pour écourter son séjour au Centre de séjour et que l’arrêté déféré ne serait ainsi pas suffisamment motivé.
Le délégué du gouvernement rappelle en premier lieu que la loi précitée du 28 mars 1972 a été abrogée par la loi du 29 août 2008. Les moyens du demandeur relatifs à un « établissement approprié » et à une « nécessité absolue » ne seraient dès lors pas fondés, alors que la loi du 29 août 2009 ne prévoirait plus ces conditions.
Le délégué du gouvernement estime encore que des démarches suffisantes auraient été entreprises en vue de l’éloignement du demandeur, tout en ajoutant que le demandeur serait placé au Centre de séjour en raison du défaut d’un laissez-passer et en attendant le résultat des démarches effectuées.
Le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par un demandeur mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.
Quant au reproche du demandeur à l’égard des autorités luxembourgeoises selon lequel les démarches entreprises s’avéreraient insuffisantes pour permettre son éloignement, il échet de prime abord de préciser qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 :
« Lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 est impossible en raison de circonstances de fait (…) l’étranger peut sur décision du ministre être placé en rétention dans une structure fermée. (…) ».
Le ministre compétent est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger, en raison de circonstances de fait, lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son refoulement immédiat et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé et desdits documents.
Il en résulte qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois et qu’il incombe donc à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part2.
En l’espèce, il est constant que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité et de documents de voyage pour permettre l’éloignement immédiat vers son pays d’origine. Il ressort des pièces soumises au tribunal que le ministre a contacté par courrier du 10 novembre 2008 l’ambassade de la République démocratique du Congo à Bruxelles, en vue de la délivrance d’un laissez-passer permettant le retour du demandeur dans son pays d’origine.
1 cf. trib. adm. 21 novembre 2001, no 12921 du rôle, Pas. adm. 2008, Vo Procédure contentieuse, no 342 et autres références y citées.
2 cf. trib. adm. 17 décembre 2008, no 25166 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu/ Ledit courrier étant resté sans réponse, un rappel fut adressé à ladite ambassade le 15 janvier 2009.
Le tribunal est partant amené à constater que les démarches effectuées par les autorités luxembourgeoises se sont limitées à un seul courrier adressé à l’ambassade du Congo, suivi d’un unique courrier de rappel. De plus, le premier courrier fut adressé le 10 novembre 2008 à l’ambassade de la République démocratique du Congo à Bruxelles et le deuxième courrier ne l’a suivi qu’en date du 15 janvier 2009, soit plus de deux mois plus tard. Durant les deux mois d’intervalle aucune autre démarche n’a été effectuée en vue de l’éloignement du territoire du demandeur. S’y ajoute que les deux courriers des 10 novembre 2008 et 15 janvier 2009 ont été adressés à l’ambassade de la République démocratique du Congo avant même le placement au Centre de séjour du demandeur et il ressort des pièces soumises au tribunal qu’aucune démarche en vue de l’éloignement du demandeur n’a été effectuée depuis la date de son placement au Centre de séjour, alors même qu’à cette date, l’ambassade de la République démocratique du Congo n’avait toujours pas réservé de suites aux courriers lui adressés. Sur question afférente du tribunal le délégué du gouvernement a précisé lors de l’audience publique qu’aucune démarche supplémentaire n’avait été entreprise depuis la lettre de rappel adressée à l’ambassade de la République démocratique du Congo, le 15 janvier 2009.
Par conséquent, force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, les démarches effectuées par le ministre en vue de l’éloignement du territoire du demandeur ne sont pas à considérer comme suffisantes afin d’écourter au maximum la privation de liberté du demandeur.
Il y a partant lieu à réformer la décision déférée et à ordonner la libération immédiate du demandeur, sans qu’il n’y ait besoin d’analyser plus en avant les autres moyens développés par le demandeur.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 19 janvier 2009, ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;
déclare le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire irrecevable ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 février 2009 par :
Marc Feyereisen, président, Catherine Thomé, premier juge, Françoise Eberhard, juge en présence du greffier Claude Legille.
s. Claude Legille s. Marc Feyereisen 5