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11/02/2009 | LUXEMBOURG | N°24854

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 février 2009, 24854


Tribunal administratif N° 24854 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 septembre 2008 3e chambre Audience publique du 11 février 2009 Recours formé par Monsieur et Madame … et Monsieur … … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24854 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2008 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur … et son épouse, Madame Feride … demeurant ensemble à … et de leur fils Mon...

Tribunal administratif N° 24854 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 septembre 2008 3e chambre Audience publique du 11 février 2009 Recours formé par Monsieur et Madame … et Monsieur … … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24854 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2008 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et son épouse, Madame Feride … demeurant ensemble à … et de leur fils Monsieur … …, demeurant à L-… tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 mars 2008 par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour a été refusée à Monsieur et Madame … ainsi qu’à l’encontre d’une décision confirmative du 26 juin 2008 prise par le même ministre suite à l’introduction d’un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives lors de l’audience publique du 28 janvier 2009.

___________________________________________________________________________

Début 2008, Monsieur et Madame … déposèrent à l’Ambassade de Belgique à Belgrade une autorisation de séjour dans le cadre d’un regroupement familial avec leur fils … …, de nationalité luxembourgeoise et demeurant au Luxembourg.

Par une décision du 3 mars 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration1 refusa l’autorisation de séjour à Monsieur et Madame … dans les termes suivants :

« Comme suite à votre demande déposée à l'Ambassade de Belgique à Belgrade, par laquelle vous sollicitez une autorisation de séjour dans le cadre d'un regroupement familial, j'ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

1 Ci-après « le ministre » En effet, vous ne remplissez pas les conditions requises pour bénéficier du regroupement familial avec votre fils, Monsieur … ….

Ainsi vous n'avez pas fourni la preuve d'un soutien matériel établissant l'existence d'une situation de dépendance entre vous-même et votre fils, avant votre demande dans le cadre d'un regroupement familial. En outre, vous bénéficiez d'une pension de retraite dans votre pays d'origine et vous y êtes propriétaires d'une maison.

Par ailleurs, l'autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée alors que vous n'êtes pas en possession de moyens d'existence suffisants vous permettant d'assurer votre séjour au Grand-Duché indépendamment de l'aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à vous faire parvenir, conformément à l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ».

Par l’intermédiaire de leur fils, Monsieur et Madame … firent introduire un recours gracieux le 20 mai 2008 à l’encontre de cette décision de refus en précisant que la maison dans laquelle ils vivent ensemble ne leur appartiendrait pas, que la maigre retraite de 40 € par mois ne leur permettrait pas de subvenir à leurs besoins sans l’aide continuelle et ininterrompue qu’ils recevraient depuis des années de leur fils. Monsieur … … a encore versé à l’appui du recours gracieux une farde de pièces en relation avec les éléments soulevés dans ce cadre.

Par une décision du 26 juin 2008, le ministre confirma sa décision de refus antérieure en précisant que la preuve d’une situation de dépendance entre le fils et ses parents préexistante à la demande de regroupement familial n’a pas été fournie en cause.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2008, Monsieur et Madame … et Monsieur … … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 3 mars 2008 et de celle confirmative du 26 juin 2008.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les époux … font exposer que la condition tenant aux moyens personnels suffisants serait remplie au vu de la déclaration de prise en charge souscrite par Monsieur … … à leur profit.

Quant à l’absence d’une situation de dépendance entre les parents et leur fils, ils font valoir que leur fils les aurait entièrement pris en charge au moment de leur introduction d’une demande d’asile au Luxembourg en 1999 et que même après leur retour volontaire au Kosovo en 2000, il les aurait continuellement soutenu financièrement. Ils estiment qu’ils ne pourraient plus subvenir à leur besoins dans leur pays d’origine où ils ne disposeraient d’aucun bien immobilier. Leur état de santé nécessiterait une présence quotidienne de leurs enfants qui demeureraient majoritairement au Luxembourg. Enfin, ils font valoir que les décisions litigieuses violeraient l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme2, d’autant plus que le code civil imposerait aux descendants un devoir d’assistance envers leurs ascendants.

Le délégué du gouvernement répond qu’au vu de l’ancienneté des preuves de revenus fournies par Monsieur … … et de la variabilité des montants perçus, des doutes pourraient exister quant à la véritable subsistance de Monsieur … … aux besoins de ses parents. Pour le surplus il fait valoir que l’article 8 de la Cour européenne des droits de l’homme ne serait pas violé au motif qu’en application de la jurisprudence de la Cour, les rapports entre adultes ne bénéficieraient pas nécessairement de la protection de l’article 8 de la CEDH sans que soit démontré l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux. Il ajoute que Monsieur … habiterait au Luxembourg depuis 1992, de sorte qu’on ne saurait retenir une vie familiale dans le chef des demandeurs. De même la faiblesse des revenus et l’état de santé de Monsieur et Madame … ne sauraient justifier un droit au regroupement familial dans leur chef. Par ailleurs, même à admettre une vie familiale entre les demandeurs, l’article 8 de la CEDH n’impliquerait pas le droit de choisir librement l’installation géographique de cette famille. Il ajoute que dans la mesure où l’article 8 paragraphe 2 de la CEDH permettrait de justifier une ingérence dans la vie familiale, il y aurait lieu de retenir que cette ingérence poursuivrait un but légitime et nécessaire dans une société démocratique. En effet la Cour admettrait qu’une décision qui tendrait notamment à régulariser le marché du travail ou à prévenir l’entrée de personnes qui se trouveraient rapidement à charge de l’Etat serait liée au bien-être économique du pays et poursuivrait un but légitime justifiant une ingérence dans la vie familiale.

Les demandeurs estiment, en s’appuyant sur la déclaration de prise en charge fournie par Monsieur … …, qu’ils disposeraient de moyens suffisants pour supporter leur frais de voyage et de séjour au Luxembourg.

Une prise en charge signée par un membre de la famille des personnes souhaitant obtenir la délivrance d’une autorisation de séjour au Luxembourg, ainsi qu’une aide financière apportée à ces personnes par un tel membre de la famille, ne sont pas à considérer comme moyens personnels3.

En effet, si dans sa teneur antérieure à la loi du 18 août 1995, l’article 2 n’exigeait pas la preuve de moyens suffisants et personnels pour supporter les frais de voyage et de séjour, la loi du 18 août 1995, modifiant la loi précitée du 28 mars 1972, en ajoutant l’adjectif « personnels », a dissipé les doutes possibles quant à la teneur de la disposition en question.

Il s’ensuit que la déclaration de prise en charge établie par Monsieur … … en faveur de ses parents ne peut être prise en considération afin d’établir l’existence de moyens personnels suffisants dans le chef de Monsieur et Madame ….

Si le refus ministériel se trouve dès lors, en principe, justifié à suffisance de droit par le défaut de moyens d’existence personnels suffisants dans le chef de Monsieur et Madame …, il y a encore lieu d’analyser le moyen basé sur la violation de l’article 8 de la CEDH.

L’article 8 de la CEDH dispose que :

2 Ci-après la « CEDH » 3 Cf. TA 9 juin 1997, n° 9781 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Etrangers, n° 222 et autres références y citées « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.

En ce qui concerne dès lors la violation de l’article 8 de la CEDH, il y a lieu de rappeler qu’en matière d’immigration, le droit au regroupement familial est reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur Etat d’origine. Cependant, l’article 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays (CEDH, 28 mai 1985, Abdulazis, Cabales et Balkandali ; CEDH, 19 février 1996, Gül ; CEDH, 28 novembre 1996, Ahmut).

Concernant plus particulièrement l’hypothèse de personnes adultes désireuses de venir rejoindre leur famille dans le pays d’accueil, elles ne sauraient être admises au bénéfice de la protection de l’article 8 que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux (CEDH, 17 avril 2003, Yilmaz).

Il ressort des pièces versées que Monsieur … … a quitté son pays d’origine en 1992 pour venir s’installer au Luxembourg où il travaille en tant qu’agent immobilier et y gagne sa vie convenablement. Il habite avec son épouse et ses deux enfants nés au Luxembourg dans un appartement qu’il a acheté à Bettembourg. Il a par ailleurs acquis la nationalité luxembourgeoise. Ses parents avaient été accueillis au Luxembourg à partir du 15 juin 1999 dans le cadre d’une mission d’évacuation humanitaire en raison du conflit armé au Kosovo pour retourner volontairement au Kosovo en printemps 2000, après avoir renoncé à leur demande en obtention du statut de réfugié. Il y a également lieu de retenir qu’il ressort de différentes déclarations sur l’honneur émanant de Monsieur … …, de son frère et de sa sœur également établis au Luxembourg et de sa sœur établie en Angleterre et d’un certificat de prise en charge établi par les autorités au Kosovo que Monsieur … … supporte financièrement ses parents à partir de 1996 en leur faisant parvenir annuellement un montant d’environ 5000 € par an. Il ressort par ailleurs d’un rapport établi, en décembre 2007, par les autorités de leur pays d’origine sur la situation sociale et économique de Monsieur et Madame … qu’ils vivent seuls, dans des mauvaises conditions de vie dans une maison qui ne remplit pas le minimum des conditions d’une vie normale, que leurs cinq enfants vivent actuellement à l’étranger, que Monsieur … reçoit une retraite de vieillesse de 40 € par mois et qu’une prise en charge institutionnelle est impossible. En principe Monsieur et Madame … sont également venus une fois par an au Luxembourg auprès de leur fils … dans le cadre d’un visa Schengen.

Au vu de ce qui précède, il y a dès lors lieu de retenir que Monsieur et Madame … sont financièrement dépendants de leur fils … …, de sorte que la vie familiale invoquée tombe dans le champ d’application de l’article 8, paragraphe 1 de la CEDH.

S’il existe en l’espèce une vie familiale entre Monsieur … … et ses parents, il ne se dégage cependant pas des éléments soumis au tribunal que l’ingérence dans la vie familiale opérée à travers la décision déférée n’est pas justifiée à suffisance de droit au regard de l’ensemble des intérêts en cause.

A cet égard, le tribunal constate que ce ne sont pas les décisions sous examen lesquelles ont constitué une ingérence dans la vie familiale des demandeurs mais bien au contraire la décision du fils de quitter son pays d’origine en 1992. Par ailleurs, le respect de la vie familiale reste garanti dans le chef des demandeurs. En effet, rien ne les empêche de continuer de jouir de la même vie familiale que celle qu’ils ont délibérément choisie au moment où leur fils s’est installé au Luxembourg sans ses parents. Il se peut certes qu’ils préféreraient intensifier leurs liens familiaux avec leurs fils au Luxembourg. Toutefois l’article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale. Par ailleurs il n’est pas non plus établi que la prise en charge financière de Monsieur et Madame … par Monsieur … ne leur permettrait plus de subvenir à leurs besoins notamment en matière de santé dans leur pays d’origine.

Au vu de ce qui précède, le moyen basé sur une ingérence injustifiée dans l’exercice de la vie familiale des demandeurs laisse d’être fondé, de sorte que le recours n’est fondé en aucun de ses moyens et est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 février 2008 :

Marc Feyereisen, président, Catherine Thomé, premier juge, Françoise Eberhard, juge en présence du greffier Claude Legille.

s. Claude Legille s. Marc Feyereisen 5


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 24854
Date de la décision : 11/02/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-02-11;24854 ?

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