Tribunal administratif Numéro 25344 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 janvier 2009 2e chambre Audience publique du 9 février 2009 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
______________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25344 du rôle et déposée le 30 janvier 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sao Vincente (Cap-Vert), de nationalité capverdienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 janvier 2009, ordonnant sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 février 2009 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2009 par Maître Louis Tinti pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 février 2009.
______________________________________________________________________________
En date du 23 janvier 2009, Monsieur … fut interpellé par la police grand-ducale, laquelle constata que celui-ci se trouvait en séjour irrégulier au Grand-Duché de Luxembourg.
Par arrêté du 23 janvier 2009 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-
après désigné « le ministre », Monsieur … se vit refuser le séjour au Grand-Duché de Luxembourg, en application des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée « la loi du 29 août 2008 », au motif qu’il n’était en possession ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, qu’il n’a pas justifié l’objet et les conditions du séjour envisagé et qu’il n’était pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
Par arrêté du même jour, soit le 23 janvier 2009, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu le rapport no 2009/3069/46/ELC du 23 janvier 2009 établi par la Police grand-
ducale, C.P. Ettelbruck ;
Vu la décision de refus de séjour du 23 janvier 2009 ;
Considérant que l’intéressé est démuni d’un document de voyage valable ;
Considérant qu’un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités capverdiennes ;
Considérant qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ; ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2009, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 23 janvier 2009 ordonnant une mesure de rétention administrative à son encontre.
Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours, dans la mesure où il a été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer être arrivé au Grand-Duché de Luxembourg au courant du mois de février 2007, sur la base d’un visa « Schengen », afin d’y rejoindre ses frères et sœurs qui y résideraient régulièrement et dans l’intention de pouvoir « s’intégrer par le travail dans la société luxembourgeoise ». Il fait en outre déclarer qu’il résiderait depuis le mois de juin/juillet 2008 ensemble avec Madame …, qui attendrait actuellement un enfant de lui et avec laquelle il aurait des projets « de vie commune ». Il fait encore soutenir qu’au moment de son « arrestation », il aurait été en possession de sa carte d’identité en cours de validité, et que celle-ci se trouverait actuellement en possession de l’autorité administrative.
Il reproche au ministre d’avoir violé l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, dénommée ci-après « CEDH », en ce que le ministre n’aurait pas accompli toutes les démarches requises afin d’assurer que la mesure d’éloignement prise à son encontre puisse être exécutée dans les délais les plus brefs. Or, tel ne serait pas le cas puisque le dossier administratif transmis à son mandataire en date du 28 janvier 2009 ne renseignerait aucune démarche qui aurait été entreprise par le ministre en vue d’obtenir la délivrance d’un laissez-passer. Il fait soutenir dans ce contexte qu’il aurait ainsi été porté atteinte à sa liberté de mouvement qui constituerait un droit fondamental pour chaque individu, étant entendu que toute privation de liberté d’un individu devrait rester une mesure exceptionnelle.
En ce qui concerne sa rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, le demandeur fait soutenir qu’une telle mesure serait disproportionnée, au vu de sa situation personnelle, dans la mesure où il pourrait être assigné à résidence auprès de sa sœur demeurant à Luxembourg, étant donné qu’il n’existerait aucun risque de ne pas pouvoir être trouvé lors de l’exécution de la mesure d’éloignement dont il ferait l’objet.
Le délégué du gouvernement soutient que dès le 26 janvier 2009, la police grand-ducale aurait été contactée par le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration pour lui faire parvenir la photo ainsi que les empreintes digitales du demandeur et qu’en date du 29 janvier 2009, le ministre aurait contacté l’ambassade du Cap Vert en vue de l’émission d’un laissez-
passer permettant de rapatrier le demandeur vers son pays d’origine. Il estime partant que les formalités à accomplir en vue d’assurer le rapatriement du demandeur vers son pays d’origine seraient actuellement en cours.
Le représentant étatique conteste qu’il y ait en l’espèce eu violation de l’article 5 de la CEDH, étant donné qu’une mesure de rétention administrative serait conforme à ladite disposition de droit international à partir du moment où une procédure de transfert serait en cours, comme en l’espèce, étant entendu que le terme d’expulsion viserait également les mesures d’éloignement et de refoulement d’étrangers se trouvant en situation irrégulière au pays. Il conteste par ailleurs un manque de diligence dans le chef du gouvernement afin d’assurer le rapatriement du demandeur au vu des éléments de fait ci-avant exposés.
Enfin, en ce qui concerne la demande tendant à voir prononcer une assignation à résidence, le délégué du gouvernement soutient que celle-ci ne serait fondée sur aucune base légale, la loi du 29 août 2008 prévoyant exclusivement une mesure de rétention, et non pas une assignation à résidence.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait prendre position quant aux contestations du délégué du gouvernement portant sur sa résidence au Luxembourg, en exposant que s’il est vrai qu’il avait déclaré être inscrit à Luxembourg, 63, rue du Fort Neipperg, il n’en resterait pas moins qu’il vivrait en fait auprès de sa concubine à …, cette situation de fait étant d’ailleurs de nature à conforter la crédibilité de son récit en ce qu’il porte sur sa relation avec Madame …. Il conteste partant ne pas disposer d’un domicile fixe, alors que celui-ci se trouverait auprès de sa concubine qui aurait d’ailleurs remis en date du 4 février 2009 l’original de son passeport en cours de validité à l’ambassade du Cap-Vert.
La première branche du moyen invoqué par le demandeur à l’appui de son recours a trait à une violation de l’article 5 de la CEDH.
L’article 5 de la CEDH dispose dans son paragraphe 1, point f.) que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (…) f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».
Il convient tout d’abord de relever que ladite disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays1. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions de la CEDH.
Le demandeur reproche encore au ministre dans le cadre de ce moyen que la durée de la mesure de rétention administrative en cours d’être exécutée à son encontre serait disproportionnée au vu de l’absence de diligences effectuées par l’Etat afin de l’éloigner du pays dans les délais les plus brefs.
Dans le cadre de ce reproche, le tribunal doit vérifier si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que l’étranger se trouvant en séjour irrégulier au pays ne doive rester enfermé dans un centre tel que visé par l’article 120 de la loi du 29 août 2008 pendant une période trop longue. En effet, une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, de sorte qu’il incombe à l’autorité administrative de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c'est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.
En l’espèce, il s’avère cependant à l’étude du dossier administratif, qu’en date du 26 janvier 2009, le ministre a contacté les services de la police grand-ducale afin d’enquêter sur le demandeur, notamment en faisant usage du système Eurodac, qu’en date du même jour des empreintes digitales ainsi que des photos du demandeur ont été sollicitées de la part de la police grand-ducale, qu’en date du 29 janvier 2009, l’ambassade du Cap-Vert a été contactée par le 1 trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Etrangers, n° 448 ministre en vue de la délivrance d’un laissez-passer permettant d’organiser le rapatriement du demandeur vers son pays d’origine et qu’en date du 5 février 2009, le ministre a remis à la police grand-ducale l’original du passeport capverdien du demandeur en cours de validité, lui remis par l’ambassade du Cap-Vert qui l’a reçu des mains de la concubine du demandeur, afin de procéder à l’organisation de l’éloignement de celui-ci.
Au vu des diligences ainsi déployées, des démarches suffisantes ont été entreprises par l’autorité administrative luxembourgeoise afin d’écourter au maximum le séjour du demandeur dans un centre de rétention fermé, de sorte que le reproche afférent est à écarter comme n’étant pas fondé.
Le demandeur estime dans le cadre de la deuxième branche de son moyen que le principe de proportionnalité aurait été violé par la décision sous analyse, en ce qu’il ferait l’objet d’une mesure privative de liberté disproportionnée par rapport à sa situation personnelle.
S’il est vrai que d’après l’article 120 de la loi du 29 août 2008, la simple qualité d’étranger se trouvant au pays sans y être autorisé et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement autorise le ministre à le placer en rétention dans une structure fermée au cas où il existe des circonstances de fait rendant l’exécution de ladite mesure d’éloignement impossible, il n’en demeure pas moins qu’en vertu du principe de proportionnalité, la mesure de placement en rétention doit être proportionnée à la situation personnelle de l’étranger ainsi visé. Il échet en effet de vérifier si, par rapport à la situation dudit étranger, son placement dans une structure fermée est approprié, étant entendu que non seulement l’opportunité du principe de l’enfermement doit être examinée dans ce contexte, mais également le type de structure fermée retenu par le ministre, afin de pouvoir vérifier si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité.
Ne sont toutefois à prendre en considération dans le cadre de cet examen que les éléments liés à la personne elle-même de l’étranger, et non pas ceux ayant trait à des éléments extérieurs à sa personne, tels ceux liés à sa situation familiale ou à son entourage plus ou moins proche.
En l’espèce, le demandeur fait exclusivement état de ses attaches au Luxembourg, à savoir de son frère et de sa sœur qui y résideraient de façon légale, ainsi que de sa concubine qui attendrait un enfant de lui, pour conclure à l’absence dans son chef d’un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement prise à son encontre.
Or, abstraction faite de ce que l’article 120 de la loi du 29 août 2008 ne pose pas comme condition l’existence d’un risque de fuite à la base d’une mesure de rétention, il échet de constater que ces éléments n’ont pas trait à la personne elle-même du demandeur, de sorte qu’ils ne sont pas à prendre en considération dans le cadre de cette analyse.
Le reproche tiré d’une méconnaissance du principe de proportionnalité laisse partant d’être fondé.
Au vu de la conclusion à laquelle le tribunal a abouti ci-avant, il n’y a pas lieu de prendre position par rapport à la demande subsidiaire d’ordonner le placement du demandeur auprès de sa sœur, abstraction faite qu’un tel placement ne serait pas de nature à correspondre aux prévisions légales.
Aucun autre moyen n’ayant été soulevé à l’appui du présent recours, celui-ci est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 9 février 2009 à 17.45 heures par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
s. Claude Legille s. Carlo Schockweiler 6