Tribunal administratif Numéro 24271 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2008 2e chambre Audience publique du 5 février 2009 Recours formé par les époux … et …, et consort, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale
______________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24271 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2008 par Maître Nathalie Nimesgern, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ceadir-Lunga (Moldavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Sireaevo (Ukraine), accompagnée de son fils …, tous de nationalité moldave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 février 2008 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Bouchra Fahime-Ayadi, en remplacement de Maître Nathalie Nimesgern, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 octobre 2008 ;
Vu les pièces additionnelles déposées à la demande du tribunal au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2009 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Nathalie Nimesgern et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries complémentaires à l’audience publique du 19 janvier 2009.
______________________________________________________________________________
Le 18 juin 2007, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de l’enfant mineur de Madame …, …, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Monsieur … fut encore entendu les 28 juin, 10 et 17 juillet 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Son épouse, Madame …, pour sa part, fut entendue par un agent dudit ministère en date des 28 juin, 9, 16 et 23 juillet 2007.
Par décision du 6 février 2008, notifiée par lettre recommandée le 14 mars 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », informa les consorts … que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée.
Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 18 juin 2007.
En mains le rapport du Service de Police judiciaire du 18 juin 2007 et des rapports de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration datés des 28 juin, 10 juillet et 17 juillet 2007 ainsi que des 28 juin, 9 juillet, 16 juillet et 23 juillet 2007.
Il résulte du rapport du Service de Police judiciaire que vous, Monsieur, vous auriez quitté la Moldavie le 19 mai 2007 pour aller en Espagne. D'après les autorités espagnoles, vous auriez disposé d'un passeport moldave muni d'un visa Schengen luxembourgeois que vous auriez obtenu sur invitation de la firme Cep d'Or de Luxembourg. Vous avez déposé une demande d'asile en Espagne le 31 mai 2007 mais les autorités espagnoles vous ayant expliqué que le Luxembourg était compétent, vous auriez quitté volontairement l'Espagne pour aller en bus à Luxembourg. Vous auriez perdu votre passeport à Paris. Vous seriez arrivé à Luxembourg le 14 juin 2007.
Vous, Madame, vous auriez quitté la Moldavie dès que vous auriez appris que votre mari allait être transféré d'Espagne au Luxembourg. Vous auriez donné vos passeports à deux hommes de Kichinev pour qu'ils vous obtiennent un visa pour le Luxembourg. Vous seriez partie dans un minibus de la gare d'Odessa. Vous ne pouvez donner aucune précision sur votre trajet si ce n'est que vous seriez partie un mardi matin et arrivée le jeudi après-midi. Vous seriez arrivée ici quelques heures avant votre mari et vous l'auriez attendu à la gare. Vous ajoutez être aussi la mère de deux grands enfants, … que vous auriez laissé chez votre oncle en Ukraine pour leur sécurité, n'emmenant avec vous que votre troisième garçon, le plus jeune, ….
Il résulte de vos déclarations à l'agent ministériel que vous, Monsieur, vous seriez enfui de Moldavie pour aller en Ukraine et que ce serait à Odessa que votre épouse aurait fait les formalités pour vous procurer un visa. Vous expliquez que vous seriez gitan et que vous auriez subi des discriminations à cause de cela. Vous auriez même été arrêté par la police des impôts et placé trois jours en garde-à-vue simplement à cause de votre nationalité. Vous auriez commencé vos études à l'Institut supérieur d'Economie nationale d'Odessa avec une spécialisation dans le domaine agricole mais vous n'auriez pas pu finir vos études à cause de la perestroïka qui aurait exacerbé les nationalismes. Vous auriez alors fondé votre propre entreprise, une agence de change. Vous auriez travaillé ainsi sous la licence de la Banque d'Etat de Pridnestrovije, qui est la banque centrale moldave. Votre épouse se serait occupée de la comptabilité interne de votre société mais vous auriez disposé des services d'un comptable. En tout, vous auriez réussi à ouvrir douze bureaux d'agents de change. Vous affirmez qu'environ tous les trois mois, vous faisiez l'objet d'un contrôle d'identité : on vous aurait reproché d'être gitan et d'avoir un commerce florissant, on vous aurait demandé si vous aviez payé vos impôts. A l'occasion de ces interrogatoires, on vous aurait menacé mais pas mal traité. En 2000, quelqu'un vous aurait tiré dessus et vous reconnaissez avoir eu beaucoup d'ennemis à cause de votre profession. Vous auriez été régulièrement racketté par des mafieux. Le 16 septembre 2006, des individus mafieux vous auraient téléphoné en vous demandant de descendre en bas de chez vous pour discuter de payements. Cependant, cette fois-là, ils vous auraient emmené en voiture. En rase campagne, ils vous auraient sorti du véhicule et ils vous auraient tabassé malgré que vous ayez accepté de payer. Après le départ de vos agresseurs, des gens seraient venus vous aider ; ils vous auraient traîné jusqu'au poste de la milice, à 400 mètres de là. La police aurait appelé votre épouse et une ambulance. Vous seriez resté trois mois à l'hôpital. Pendant cette hospitalisation, la police serait passée vous voir et vous aurait conseillé de porter plainte, ce que vous auriez refusé de peur des représailles. Les policiers vous auraient montré les photos de vos agresseurs en vous demandant si vous les reconnaissiez mais vous auriez nié. D'après vous, ces mafieux seraient téléguidés par des hommes d'affaires russes jaloux de votre réussite professionnelle. Les autres agents de change auraient aussi été rackettés et battus s'ils ne payaient pas. Vous précisez que, alors que les banques officielles demandent des garanties sur l'origine des fonds qu'on leur confie, vous n'auriez jamais demandé cela à vos clients. A votre sortie de clinique, vous ne seriez plus rentré chez vous et votre épouse vous aurait emmené chez son oncle, à Odessa. Vous auriez vendu vos agences de change à un ami, Sacha MOROZOV. Vous auriez alors tenté de trouver du travail en Russie, à Saint-Pétersbourg où vous auriez trouvé une place d'éboueur. Cependant, alors que vous auriez été en train d'arranger votre nouvelle vie en Russie, les deux mafieux qui vous avaient tabassé, seraient passés menacer votre épouse à Tiraspol. Ils auraient affirmé savoir que vous étiez à Saint-Pétersbourg et ils lui auraient dit qu'ils vous retrouveraient. Vous auriez alors décidé de ne pas vous installer en Russie mais de venir en Europe. Votre épouse, moyennant 3.200 euros vous aurait procuré un visa Schengen.
Vous ajoutez que vous n'auriez pas eu le droit de faire votre service militaire ni d'adhérer à un parti à cause de votre nationalité gitane.
Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous exposez que, après le départ de votre mari pour Saint-Pétersbourg, les deux racketteurs étaient passés chez vous. Ils vous auraient attendus, cachés, et vous auraient poussée dans votre appartement quand vous rentriez chez vous. Ils auraient tout cassé dans l'appartement et ils vous auraient brutalisée. Ils auraient pris un couteau pour vous menacer ; vous auriez tenté de repousser ce couteau mais vous vous seriez blessée à la main et au ventre. Vous auriez perdu connaissance et une voisine aurait appelé une ambulance. A l'hôpital, le médecin aurait constaté que la blessure au ventre était superficielle mais vous seriez restée hospitalisée cinq jours. Des agents de la milice seraient passés vous interroger mais vous auriez refusé de signer votre déclaration et vous leur auriez dit ne pas vouloir porter plainte. Vous n'auriez parlé à personne de cette agression, même pas en détails à votre mari. Vous en auriez cependant discuté avec un ami, Alexander Mikhaïlovitch ZENIN, le président du Tribunal Supérieur de Tiraspol.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir concrètement que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, en l'espèce, vous dites avoir été régulièrement racketté à cause de votre réussite comme agent de change mais je constate que vous n'étiez pas le seul dans ce cas puisque vous dites que d'autres agents de change étaient aussi rackettés. Ce racket, en le supposant établi, constitue un délit de droit commun contre lequel vous auriez pu agir en portant plainte. Or, vous n'avez réclamé aucune protection de la part des autorités, refusant même celle que la police vous proposait. Vous n'auriez même pas accepté de reconnaître vos agresseurs sur les photos que la police vous montrait. Quant au fait que ces mêmes maffieux auraient su que vous étiez parti à Saint-Pétersbourg, ceci est peu crédible. Je relève aussi que vous n'auriez aucune difficulté à vous installer dans cette ville et que vous y auriez même reçu une promesse d'embauche. Je relève aussi qu'il est curieux que, vous Madame, refusiez aussi de vous adresser à la police après avoir été agressée mais que vous en parliez au président du Tribunal mais sans lui demander d'enquêter ni de vous protéger. Dans le cas de votre agression aussi, il s'agit de faits relevant du droit commun et qui n'entrent pas dans le cadre de la Convention de Genève.
Ainsi vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est par conséquent pas établi.
En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée le 15 avril 2008 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnée de son fils …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 6 février 2008 par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, inscrite dans le même document, portant à leur encontre l’ordre de quitter le territoire.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de la République de Pridnestrovie, région de Moldavie, qui n’aurait pas été reconnue comme territoire autonome par la Moldavie. Ils soutiennent que dans ce pays, la corruption, le racisme, l’absolutisme et le racket seraient très répandus. En ce qui concerne le racket, les commerçants ne devraient non seulement payer des sommes d’argent aux criminels, mais également aux agents publics. En outre, ce pays connaîtrait un racisme marqué dont les juifs et les tsiganes seraient les premières victimes, ainsi qu’un important taux de criminalité, surtout depuis des amnisties récentes.
En ce qui concerne leur situation personnelle, ils font valoir que Monsieur … serait tsigane et l’enfant de Madame … serait juif. Ils précisent que trois membres de la famille de Monsieur … auraient été tués en raison de leurs seules origines tsiganes. Monsieur … aurait connu des discriminations en raison de ses origines, et notamment une interdiction de faire son service militaire, ce qui aurait eu des répercussions sur son avenir professionnel. Il aurait également été frappé d’interdiction d’adhérer à un parti politique et l’accès aux soins aurait été plus difficile et l’obtention de licences professionnelles n’aurait été possible que contre paiement. Ils précisent que Monsieur … aurait été arrêté et que durant l’interrogatoire, on lui aurait rappelé ses origines.
D’autre part, l’enfant aurait été victime de discriminations et d’insultes racistes à l’école, de telle sorte que Madame … aurait été obligée de l’accompagner à l’école.
Ils exposent ensuite qu’ils auraient pu acquérir une licence pour tenir un bureau de change, mais qu’ils auraient été rackettés régulièrement. Ils précisent que Monsieur … aurait été agressé et roué de coups, ce qui lui aurait valu un séjour à l’hôpital de trois mois dont il garderait encore des séquelles et qu’en 2000, il aurait été blessé par balle. Ils expliquent qu’en raison de la corruption, il leur aurait été impossible de porter plainte. Ainsi, ils auraient décidé de se réfugier à Saint-Pétersbourg. Monsieur … y serait parti le premier pour organiser leur installation, tandis que Madame … se serait occupée de la vente de leur commerce. Elle aurait alors été agressée par les « mafieux de Tiraspol » à son domicile, lesquels, ne trouvant pas l’argent de la vente, l’auraient violée et volé leurs objets de valeur. Les agresseurs lui auraient fait comprendre qu’ils savaient que son époux se trouvait à Saint-Pétersbourg. Estimant ne pas non plus être en sécurité en Russie, ils se seraient résolus à chercher refuge en Europe.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé. Il insiste sur le fait que le défaut de protection de la part des autorités moldaves ne serait pas établi en l’espèce, étant donné que les demandeurs n’auraient pas cherché à obtenir une protection de la part de leurs autorités nationales. Il soutient que ce serait à bon droit que le ministre aurait relevé que les demandeurs auraient sans difficulté pu s’établir à Saint-Pétersbourg, d’autant plus que Monsieur … y aurait bénéficié d’une promesse d’embauche. En ce qui concerne la situation générale qui règne dans la région de provenance des demandeurs, la région de Pridnjestrovie en Transnistrie, le représentant étatique soutient que la situation y serait en train de s’améliorer, ainsi que cela ressortirait d’un rapport de l’OSCE d’avril 2008.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Cette notion de réfugié est encore précisée par les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006.
Il échet encore de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, la crédibilité d’un demandeur d’asile constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit de raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
En effet, force est de constater que les demandeurs n’ont pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Ainsi, les demandeurs font essentiellement valoir leur crainte de subir des actes de violence de la part de membres de groupes mafieux qui les auraient rackettés régulièrement depuis 2005. Ainsi, Monsieur … aurait été séquestré et roué de coups, tandis que son épouse aurait été agressée, blessée au couteau et violée. Or, ces faits, à les supposer établis, ne sont pas directement rattachables aux critères de fond ci-avant visés, mais relèvent plutôt d’une criminalité de droit commun, étant donné que Monsieur … a déclaré qu’ils n’étaient pas les seuls agents de change qui avaient été rackettés par ces individus, de sorte que ces faits ne sauraient être considérés comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, à défaut de présenter un rapport avec la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou encore les opinions politiques des demandeurs. Il en va de même de la blessure par balle essuyée par Monsieur …, laquelle remonte, d’après ses propres déclarations, telles qu’actées au rapport d’audition, à l’année 2000, et à l’année 2002 selon le certificat médical versé par les demandeurs. En effet, aucun élément concret ne permet de rattacher cet incident à l’un des motifs de fond énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, étant relevé que le demandeur a lui-même déclaré lors de ses auditions qu’on lui avait tiré dessus à cause de ses affaires.
Quant aux discriminations dont les demandeurs auraient été victimes, le tribunal est amené à constater que les discriminations dont Monsieur … se prétend victime en raison de ses origines gitanes, ne sont non seulement surannées en ce qu’elles remontent encore à l’époque soviétique, mais en outre elles ne paraissant pas si graves que la vie lui aurait été rendue intolérable dans son pays d’origine. En ce qui concerne les discriminations et notamment les insultes antisémites dont l’enfant de Madame …, …, aurait été victime en raison de ses origines juives, il y a lieu de relever que les demandeurs restent très vagues dans leurs déclarations sur ce point, de sorte que le tribunal ne saurait retenir que ces agissements revêtent un degré de gravité tel qu’elles puissent être assimilées à une persécution au sens de la Convention de Genève.
Il suit de ce qui précède que les demandeurs ne sont pas fondés à se prévaloir du statut de réfugié.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire, telle que prévue par l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, force est au tribunal de constater que les demandeurs ont omis de prendre position par rapport au cadre spécifique de la protection subsidiaire, de sorte qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée portant refus d’accorder aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire ne sauraient être mis en cause.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précède que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ;
2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, loi entre-temps abrogée, mais ayant été en vigueur au moment de la prise de décision, de sorte qu’elle reste applicable au présent litige.
Force est de constater que les demandeurs se contentent de solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire pris à leur égard sans formuler un quelconque moyen à l’encontre de cet ordre.
Le tribunal vient cependant, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant l’ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle déférée portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Catherine Thomé, premier juge, Martine Gillardin, premier juge, et lu à l’audience publique du 5 février 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
Claude Legille Carlo Schockweiler 9