Tribunal administratif Numéro 25265 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2009 2e chambre Audience publique du 19 janvier 2009 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25265 du rôle et déposée le 9 janvier 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le 24 août 1974 à Slonim (Biélorussie), et être de nationalité biélorusse, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 décembre 2008 ordonnant une nouvelle prorogation de sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 janvier 2009.
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Le 24 décembre 2007, Monsieur … formula auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale. Suivant déclaration signée en date du 10 avril 2008, Monsieur … renonça à cette demande.
Par arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné « le ministre », du 7 octobre 2008, notifié à l’intéressé le 2 novembre 2008, Monsieur … se vit refuser le séjour au Grand-Duché de Luxembourg, en application des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée « la loi du 29 août 2008 », au motif qu’il n’était en possession ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité et qu’il n’était pas non plus en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail, qu’il faisait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen et qu’il constituait un danger pour l’ordre public.
Par arrêté du même jour, soit le 7 octobre 2008, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, intervenue le 2 novembre 2008, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière;
Vu la décision de refus de séjour du 7 octobre 2008 ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu'un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités biélorusses;
Considérant qu'en attendant l'émission de ce document de voyage, l'éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ».
Par arrêté du 28 novembre 2008, notifié à l’intéressé le 2 décembre 2008, la mesure de placement de Monsieur … fut prorogée pour une nouvelle durée d’un mois à partir de sa notification, au terme de la motivation suivante :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière;
Vu mon arrêté pris en date du 7 octobre 2008 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant que des nouvelles recherches sur l’identité de l’intéressé sont en cours ;
Considérant qu’en attendant le résultat de ces recherches, l'éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ;
Considérant qu’il y a nécessité de reconduire la décision de placement ».
Par lettres des 4 et 26 novembre 2008, ainsi que 9 décembre 2008, le ministre transmit au Service de police judiciaire, section des étrangers, une fiche individuelle à remplir par Monsieur …, en vue de compléter son dossier auprès des autorités biélorusses, afin d’obtenir un laissez-
passer, étant entendu que Monsieur … a déclaré en date du 2 novembre 2008, au moment de la notification de la décision précitée de refus de séjour et de la décision précitée de placement du 7 octobre 2008, qu’il est disposé à prendre contact avec son ambassade et à retourner volontairement en Biélorussie. En date du 27 novembre 2008, les services du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration demandèrent à la police judiciaire d’effectuer, notamment auprès des autorités allemandes, des recherches sur l’identité réelle de Monsieur …, étant donné qu’il est apparu que celui-ci est connu en Allemagne sous seize identités différentes. Dans ce contexte, la copie d’un passeport fut envoyée par les autorités allemandes aux services du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, document qui fut traduit le 9 décembre 2008. Lors de la notification le 2 décembre 2008 de la décision attaquée du 28 novembre 2008, Monsieur … déclara qu’il refusait de retourner volontairement dans son pays.
Un recours contentieux dirigé par le demandeur contre la décision ministérielle précitée du 28 novembre 2008 fut rejeté comme étant non fondé par un jugement du tribunal administratif du 15 décembre 2008 (n° 25145 du rôle).
Par arrêté du 29 décembre 2008, notifié le 2 janvier 2009, le ministre prorogea la mesure de placement de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois à partir de sa notification, au terme de la motivation suivante :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière;
Vu mes arrêtés pris en date des 7 octobre et 28 novembre 2008 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;
Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités biélorusses ;
Considérant qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ;
Considérant qu’il y a nécessité de reconduire la décision de placement ; ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2009, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de prorogation de la rétention administrative prise en date du 29 décembre 2008.
Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours subsidiaire en annulation, tel qu’il ressort du dispositif de la requête introductive d’instance, doit dès lors être déclaré irrecevable. Le recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Le tribunal est tout d’abord amené à prendre position par rapport à une demande nouvelle présentée par le mandataire du demandeur lors de l’audience des plaidoiries et tendant à voir ordonner au gouvernement de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine dans un délai de 5 jours à compter de la notification du jugement, au motif qu’il n’y aurait aucune justification de le garder en rétention administrative jusqu’au 27 janvier 2009. Cette demande est à déclarer irrecevable, étant donné qu’il s’agit d’une demande nouvelle présentée oralement – alors que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite - au-delà du délai contentieux et que la requête introductive d’instance délimite définitivement le débat (cf. Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2008, V° Procédure contentieuse, n° 557).
A l’appui de son recours, le demandeur se rapporte tout d’abord à la sagesse du tribunal quant à la « validité légale » de la décision de prorogation sous analyse du 29 décembre 2008, sans invoquer un quelconque moyen dans ce contexte.
En ce qui concerne ce premier volet du recours soumis par le demandeur contre la décision critiquée, il échet de conclure qu’en l’absence de l’invocation d’une violation précise des dispositions légales ou réglementaires, ces développements ne sauraient être retenus comme étant pertinents voire concluants et ils doivent partant être rejetés. En effet, à l’exception des moyens que le tribunal peut invoquer d’office, il ne lui appartient pas d’aller de sa propre initiative à la recherche de moyens non concrètement invoqués en cause par une partie demanderesse, celle-ci restant en effet maître des moyens qu’elle souhaite invoquer au cours d’une instance contentieuse.
En second lieu, le demandeur soutient que les conditions pour prononcer la prorogation d’une mesure de placement ne seraient pas remplies en l’espèce.
A cet égard, il fait valoir tout d’abord que la motivation se trouvant à la base de la décision actuellement critiquée serait identique à la motivation invoquée par le ministre à l’appui de la mesure de placement initiale, ainsi qu’à l’appui de la première prorogation de la mesure initiale, ce qui le mettrait dans l’impossibilité d’exercer ses droits de la défense, étant donné qu’il ne pourrait pas « apprécier la portée juridique exacte de la décision [de prorogation] lui notifiée ». Il estime plus particulièrement dans ce contexte qu’il ne ressortirait pas de la décision sous analyse sur quels faits le ministre s’est basé afin de justifier la condition de la nécessité absolue permettant la prorogation d’une mesure de placement.
A part le fait que le délégué du gouvernement souligne que la loi du 29 août 2008 ne prévoirait plus la condition d’une « nécessité absolue » devant obligatoirement justifier la prorogation d’une mesure de placement initiale, en ce que seulement la condition de la « nécessité » serait dorénavant prévue par le nouvel article 120 de ladite loi, l’Etat n’a pas fait prendre position par rapport à ce problème de motivation de la décision actuellement critiquée.
Au vu des motivations figurant dans les décisions de prorogation des 28 novembre et 29 décembre 2008, telles que mentionnées ci-dessus, le tribunal ne saurait partager les critiques du demandeur suivant lesquelles ces motivations seraient identiques, de sorte à lui enlever ainsi la possibilité d’exercer utilement ses droits de la défense. En effet, la deuxième décision de prorogation, actuellement sous analyse, se réfère expressément au fait qu’un laissez-passer avait été demandé auprès des autorités biélorusses et qu’il y avait lieu d’attendre l’émission de ce document afin d’organiser matériellement l’éloignement du demandeur vers ce pays, de sorte qu’il y avait lieu de procéder à la prorogation de la décision de placement. Comme cette motivation diffère dans cette mesure de la motivation se trouvant à la base de la décision du 28 novembre 2008, le moyen du demandeur manque en fait, de sorte qu’il est à écarter pour ne pas être fondé.
En troisième lieu, le demandeur soutient que l’autorité ministérielle resterait en défaut de démontrer qu’elle serait effectivement en mesure de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement prise à son encontre, en soulignant que la rétention administrative ne ferait de sens qu’à partir du moment où l’autorité administrative pourrait raisonnablement et effectivement éloigner l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national.
Dans le cadre de ce moyen, le demandeur semble vouloir mettre en doute le caractère effectif de la possibilité de l’éloigner du territoire national, au vu de sa rétention depuis une période de plus de 2 mois.
Le tribunal peut toutefois se rallier aux développements du délégué du gouvernement suivant lesquels, contrairement aux allégations du demandeur, il ressort des pièces et éléments du dossier que l’Etat est effectivement en mesure de procéder à l’éloignement du demandeur, puisque le résultat des démarches effectuées par l’autorité administrative a abouti à la délivrance d’un laissez-passer par les autorités du pays d’origine du demandeur, et puisqu’actuellement la police judiciaire est en train d’organiser matériellement le rapatriement du demandeur, qui est prévu pour le 27 janvier 2009, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
En quatrième lieu, le demandeur fait encore valoir que les démarches accomplies par le ministre en vue de procéder à son éloignement seraient insuffisantes, dans la mesure où l’autorité administrative resterait en défaut d’établir que pendant le délai de deux mois pendant lequel il serait actuellement en rétention administrative, elle aurait accompli des démarches utiles afin de pouvoir procéder à son éloignement rapide, étant entendu qu’il y aurait lieu de réduire sa rétention à un délai strictement nécessaire.
Le délégué du gouvernement prend position par rapport à ce moyen en rappelant que des démarches suffisantes auraient été accomplies de la part du ministre et que celles-ci auraient abouti à la délivrance d’un laissez-passer, comme relevé ci-avant, de nature à permettre actuellement le rapatriement du demandeur vers son pays d’origine, rapatriement prévu pour le 27 janvier 2009.
Le demandeur met en substance en cause l’existence des conditions légales pour prendre une mesure de placement à son égard.
A cet égard, le demandeur se prévaut tout d’abord du caractère insuffisant des démarches accomplies par le ministre en vue de pouvoir l’éloigner du territoire luxembourgeois.
La loi du 29 août 2008 prévoit en son article 120 (3) que la prorogation de la mesure de placement ne peut avoir lieu qu’en cas de « nécessité ». A ce sujet, il convient de constater que le ministre est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger, lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement et si des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée à trois reprises en cas de nécessité.
En l’espèce, il est constant que le demandeur se trouve en situation irrégulière au Luxembourg. Il se dégage encore des éléments du dossier administratif versé en cause que pendant longtemps l’identité du demandeur n’était pas établie, dans la mesure où il avait fait état d’au moins seize identités différentes. Cette circonstance à elle seule, à défaut de collaboration de la part du demandeur afin d’établir son identité exacte, étant donné aussi que celui-ci a, à différentes reprises, refusé de signer le formulaire ad hoc destiné à être transmis à l’ambassade biélorusse aux fins de l’émission d’un laissez-passer, rend difficile l’exécution d’une mesure d’éloignement et oblige partant les autorités compétentes à entreprendre différentes démarches afin d’obtenir de l’Etat d’origine du demandeur un laissez-passer en vue d’organiser son rapatriement. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que les agents de la police grand-ducale ayant notifié en date du 2 décembre 2008 la décision ministérielle précitée du 28 novembre 2008 à l’intéressé, ont dû constater que celui-ci non seulement refusait de signer le prédit formulaire, mais déclarait aussi qu’il ne voulait en aucun cas retourner volontairement dans son pays.
En ce qui concerne les démarches effectuées par le Luxembourg en vue d’obtenir le rapatriement du demandeur vers son pays d’origine qui s’est révélé, au cours de la procédure d’instruction de son dossier, être la Biélorussie, il y a lieu de relever que lesdites démarches ont abouti à la délivrance d’un laissez-passer par les autorités compétentes du pays d’origine du demandeur, et qu’il ressort d’un courrier adressé par l’ambassade de la République du Bélarus au Royaume de Belgique, en date du 22 décembre 2008 au ministère des Affaires étrangères du Grand-Duché de Luxembourg, qu’un « document de retour » a été établi par ladite ambassade en faveur du demandeur. Il ressort d’un courrier subséquent du ministre du 7 janvier 2009 qu’en date du même jour, la police judiciaire a été contactée afin de procéder à l’organisation du rapatriement du demandeur vers la Biélorussie. Comme le rapatriement est actuellement prévu, suivant les déclarations écrites du délégué du gouvernement, pour le 27 janvier 2009, il échet de constater qu’en l’espèce, et au vu du comportement adopté par le demandeur au cours de l’instruction de son dossier, des démarches suffisantes ont été effectuées par les autorités compétentes au Luxembourg pour procéder à l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine, de sorte qu’aucune critique à cet égard ne saurait été formulée à l’encontre du ministre.
Le moyen afférent est partant à écarter pour ne pas être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun des moyens et est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
déclare irrecevable la demande tendant à voir ordonner au gouvernement de rapatrier le demandeur dans un délai de 5 jours à compter de la notification du présent jugement ;
au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;
déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 19 janvier 2009 à 17.40 heures par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
Claude Legille Carlo Schockweiler 7